8. Intérêt de l’échocardiographie dans le syndrome de détresse respiratoire aiguë
A. Vieillard-Baron and F. Jardin
Ce qu’il faut savoir
Depuis les travaux de Zapol et al. [1, 2], on sait que le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) n’est pas seulement une affection qui touche le parenchyme pulmonaire mais également une affection qui altère la circulation pulmonaire et qui induit une hypertension artérielle pulmonaire. Dans les années 1970–1980, l’atteinte vasculaire pouvait aboutir à la destruction de la circulation, phénomène irréversible débouchant sur la défaillance cardiaque droite réfractaire et le décès des patients (figure 8-1A, B) [3]. Cette évolution était fortement associée à l’application d’une ventilation mécanique agressive dont l’un des objectifs était la normalisation de la PaCO2. Depuis la réduction du volume courant et la limitation de la pression de plateau [4], l’hypertension artérielle pulmonaire est devenue réversible, sans destruction de la circulation pulmonaire. Elle est secondaire à un remodelage vasculaire pulmonaire induit par l’hypoxémie et l’hypercapnie (figure 8-1C, D) [5].
* Figure 8-1 *Les figures repérées par * sont aussi reproduites dans l’atlas couleur. |
C’est dans ce contexte que la ventilation mécanique va agir fortement sur la circulation pulmonaire et sur le ventricule droit en modifiant ses conditions de charge, et ce d’autant que la compliance pulmonaire est altérée [6]. L’association de l’hypertension artérielle pulmonaire induite par le SDRA et de la ventilation mécanique, surtout si elle est inadaptée, peut aboutir au cœur pulmonaire aigu dans les situations les plus sévères (figure 8-2) [7]. Les conséquences cliniques et thérapeutiques peuvent être dramatiques (figure 8-3). De nombreuses études ont rapporté l’impact négatif de la défaillance ventriculaire droite sur le pronostic des patients ventilés pour un SDRA [8, 9]. Nous avons rapporté que l’amélioration du pronostic des patients en SDRA était associée à une baisse significative de l’incidence du cœur pulmonaire aigu [10].
Figure 8-2 |
Figure 8-3 |
Le niveau de la pression de plateau a des conséquences directes sur le ventricule droit par la gêne à la circulation dans le capillaire pulmonaire qu’elle peut induire [11]. Sur 352 patients ventilés pour un SDRA depuis 1980, nous avons rapporté une fréquence de cœur pulmonaire aigu de 13 % lorsque les pressions de plateau étaient inférieures à 27 cmH2O, de 30 % environ pour des pressions de plateau comprises entre 27 et 35 cmH2O et de près de 60 % lorsque les pressions de plateau étaient supérieures à 35 cmH2O [12]. La mortalité des patients dans ces trois groupes était respectivement de 30, 40 et 80 % [12]. L’application d’une pression télé-expiratoire positive (PEEP) élevée, en générant une surdistension d’une partie du poumon [13, 14], et en gênant l’éjection du ventricule droit y compris pendant la phase expiratoire [15], a également des conséquences délétères sur la fonction du ventricule [16]. Ainsi, l’augmentation recherchée de la PaO2 masque souvent une diminution effective du transport artériel en oxygène [16]. Enfin, la réduction du volume courant, protectrice pour le ventricule droit par la limitation de la pression de plateau qu’elle engendre, entraîne une hypercapnie dite « permissive » qui peut avoir des conséquences néfastes en induisant une hypertension artérielle pulmonaire [17], voire un cœur pulmonaire aigu [18]. Cette hypercapnie doit donc être limitée d’une part par la réduction de l’espace mort instrumental [19], et d’autre part par l’augmentation éventuelle de la fréquence respiratoire à condition de ne pas générer de PEEP intrinsèque, également délétère pour le ventricule droit [20].
Tous ces éléments plaident pour une surveillance rapprochée de la fonction ventriculaire droite au cours des premiers jours de ventilation d’un patient en SDRA. Cette surveillance va permettre d’évaluer les conséquences des différentes stratégies de ventilation sur la circulation pulmonaire et sur le ventricule droit et donc de les adapter. Ce n’est qu’à ce prix que l’impact pronostique de la défaillance ventriculaire droite peut être limité. La seule étude clinique n’ayant pas rapporté d’association entre mortalité et défaillance cardiaque droite dans le SDRA a été réalisée dans notre service où toute surcharge ventriculaire droite, objectivée à l’échocardiographie, entraîne systématiquement des modifications drastiques de la stratégie ventilatoire [18]. C’est l’échocardiographie qui apparaît comme la méthode la plus simple et la plus fiable de surveillance de la fonction ventriculaire droite. Elle permet très facilement de rechercher une dilatation du ventricule et la présence d’un septum interventriculaire paradoxal. Son utilisation a d’ailleurs été recommandée lors de la dernière conférence d’experts française sur la prise en charge du SDRA [21]. La suite de ce chapitre va tenter d’illustrer de façon pratique, à partir de trois cas cliniques, comment l’évaluation échocardiographique permet d’adapter les paramètres de la ventilation mécanique et l’ensemble de la stratégie ventilatoire à la fonction ventriculaire droite.
Ce qu’il faut faire
Cas clinique n° 1 : adaptation du volume courant et de la pression de plateau à la fonction du ventricule droit
Un patient de 41 ans est hospitalisé en réanimation pour une insuffisance respiratoire aiguë avec une température corporelle à 38,2°C. La radiographie de thorax montre un syndrome alvéolo-interstitiel bilatéral. Dans ses antécédents, on note la notion d’une sérologie VIH positive. Le diagnostic de sortie sera celui d’une pneumocystose. La saturation en oxygène en ventilation spontanée sous 15l/min d’oxygène au masque à haute concentration est à 85 %. Il n’existe pas à ce stade d’insuffisance circulatoire, la lactatémie est normale. L’échocardiographie par voie transthoracique montre un ventricule gauche hyperkinétique et un ventricule droit normal, sans dilatation ni mouvement paradoxal du septum interventriculaire. Devant un épuisement respiratoire, le patient est sédaté, intubé et placé sous assistance respiratoire. Il est curarisé. La compliance du système respiratoire est effondrée à 15ml/cmH2O. Les paramètres ventilatoires sont les suivants : volume courant (VT) à 400ml (5,7ml/kg), PEEP à 5 cmH2O, fréquence respiratoire (FR) à 20 cycles/min, fraction inspirée en oxygène (FiO2) à 60 %, rapport I/E à 1/2. Les gaz du sang trouvent une PaO2 à 60mmHg, une PaCO2 à 67mmHg et un pH à 7,24. La pression de plateau est à 33 cmH2O. Devant l’apparition d’une pression artérielle systolique à 90mmHg et d’une tachycardie à 128bpm, 12h après la mise sous ventilation, une échocardiographie par voie transœsophagienne (ETO) est réalisée. Elle objective l’apparition d’un cœur pulmonaire aigu (figure 8-4).
Figure 8-4 |