Interactions cardiorespiratoires sous ventilation mécanique

4. Interactions cardiorespiratoires sous ventilation mécanique

A. Vieillard-Baron



L’écriture d’un chapitre portant sur les interactions cardiorespiratoires dans un livre dédié à la pratique de l’échocardiographie en réanimation ne tombe pas sous le sens à première vue. Pourtant, c’est la connaissance des mécanismes qui médient ces interactions qui permet de comprendre pourquoi et comment utiliser l’échocardiographie dans les situations cliniques les plus sévères comme l’état de choc ou le syndrome de détresse respiratoire aiguë. C’est cette connaissance qui permet également de comprendre le concept de « monitorage fonctionnel de l’hémodynamique » développé ces dernières années [1]. Ce chapitre représente ainsi le support physiologique de la plupart des chapitres de ce livre ayant à traiter de l’utilisation de l’échocardiographie pour le monitorage hémodynamique. Par ailleurs, pour ceux qui s’intéressent particulièrement aux interactions cardiorespiratoires, l’échocardiographie apparaît comme l’outil d’étude le plus efficient par sa capacité à visualiser directement les structures cardiaques et leurs modifications durant le cycle respiratoire.


Rappels physiologiques


Trois pressions sont générées par la présence d’air au sein du système respiratoire. Elles vont varier lors de la mise en ventilation mécanique (figure 4-1).








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Figure 4-1
Variations des pressions alvéolaires (haut), intrathoraciques (milieu) et transpulmonaires (bas) au cours du cycle respiratoire chez un patient en ventilation spontanée (A) puis après sa mise sous ventilation mécanique (B). Les chiffres indiquent les valeurs des pressions en cmH2O. E : expiration ; I : inspiration (ventilation spontanée) ou insufflation (ventilation mécanique).





– La pression alvéolaire, comme son nom l’indique, est la pression qui règne dans le poumon. Elle dépend en partie de la compliance du système respiratoire. Chez un patient en ventilation spontanée, elle est nulle en fin d’expiration, à condition que le malade atteigne sa capacité résiduelle fonctionnelle, et en fin d’inspiration. Elle se négative durant l’inspiration et se positive durant la phase expiratoire. Lors de la mise sous ventilation mécanique, la pression alvéolaire devient positive pendant tout le cycle respiratoire et peut donc gêner la circulation dans le capillaire pulmonaire. Elle atteint un maximum en fin d’insufflation, c’est la pression de plateau.


– La pression intrathoracique, qui dépend en partie de la compliance de la paroi thoracique, est habituellement négative sur l’ensemble du cycle respiratoire, ce qui favorise le retour veineux systémique. Elle représente le « moteur » de l’inspiration. Lors de la mise sous ventilation mécanique, elle est générée par la transmission à la plèvre de la pression alvéolaire induite par le ventilateur. Elle peut ainsi être positive durant une partie du cycle respiratoire, et ce d’autant que le patient est ventilé avec une pression télé-expiratoire positive.


– Finalement, la pression transpulmonaire, qui dépend en partie de la compliance du poumon, représente la pression de distension de ce poumon et se calcule comme la différence pression alvéolaire moins pression intrathoracique. Dans tous les cas, lors de la mise sous ventilation mécanique, la pression transpulmonaire reste constante par rapport à sa valeur en ventilation spontanée à condition que la compliance du poumon ne varie pas.

Pendant longtemps, les interactions cardiorespiratoires ont été étudiées par la mesure des pressions régnant dans les cavités cardiaques. Deux types de pression doivent être parfaitement distingués.



– La pression transmurale représente la pression de distension d’une cavité cardiaque. Pour une compliance donnée de cette cavité, elle est donc proportionnelle à la quantité de sang présente dans la cavité cardiaque. Elle se calcule comme la pression qui règne dans la cavité, c’est-à-dire la pression intravasculaire moins la pression qui s’applique à l’extérieur de cette cavité, en l’occurrence la pression intrathoracique pour les structures cardiaques.









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Figure 4-2
Dissociation entre la pression auriculaire droite intravasculaire et transmurale dans deux situations cliniques, la tamponnade cardiaque (A) et la ventilation mécanique (B). Lors d’une tamponnade, la pression intravasculaire (en noir) est initialement élevée alors que la pression transmurale est presque nulle du fait de l’élévation de la pression péricardique (en rouge). Au cours du drainage (A, de gauche à droite), la pression intravasculaire diminue alors que la pression transmurale augmente, du fait de la baisse de la pression péricardique, reflet de l’augmentation du retour veineux systémique. Chez un patient sous ventilation mécanique (B), l’insufflation s’accompagne d’une augmentation de la pression œsophagienne, reflet de la pression intrathoracique. Alors que pendant l’insufflation mécanique, la pression auriculaire droite intravasculaire augmente, la pression transmurale de l’oreillette droite diminue par baisse du retour veineux systémique (double flèche verte) par rapport à l’expiration (double flèche rouge). E : œsophage ; OD et RA : oreillette droite ; P : péricarde ; PCWP : pulmonary capillary wedge pressure ou pression artérielle pulmonaire occluse (PAPO).




Pouls paradoxal inverse


Les conséquences des interactions cardiorespiratoires d’un patient sous ventilation mécanique ont été décrites en 1976 par Massumi et al. [2] sous le terme de « reverse pulsus paradoxus » ou « pouls paradoxal inverse ». Elles consistent en une augmentation de la pression artérielle systolique lors de l’insufflation et une diminution lors de l’expiration (figure 4-3). Ces variations de pression artérielle reflètent en partie les variations du volume d’éjection systolique (VES) du ventricule gauche : augmentation lors de l’insufflation et diminution lors de l’expiration. Grâce à l’application d’une pause télé-expiratoire, les variations respiratoires de la pression artérielle systolique peuvent être séparées en deux composantes distinctes, une composante appelée « delta down » ou dDown (chute absolue de la pression et donc du VES lors de l’expiration) et une composante appelée « delta up » ou dUP (augmentation absolue de la pression et donc du VES lors de l’insufflation) (figure 4-3) [3]. Ces deux composantes sont la conséquence des variations des pressions intrathoracique et alvéolaire qui surviennent pendant la phase d’insufflation mécanique et qui agissent sur les fonctions ventriculaires droite et gauche.








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Figure 4-3
Pression artérielle sanglante enregistrée à l’aide d’un cathéter radial. La pression artérielle systolique augmente lors de l’insufflation mécanique et diminue lors de l’expiration. La réalisation d’une pause télé-expiratoire (ligne noire) permet de distinguer la présence d’un effet dDown et d’un effet dUP (doubles flèches noires).



La composante « delta down »


Le ventricule gauche étant rempli directement, non par le retour veineux systémique mais par le retour veineux pulmonaire, toute variation de la quantité de sang contenue dans la circulation pulmonaire aura immédiatement des répercussions sur la précharge du ventricule gauche et donc sur son VES [4]. Le volume de sang normalement présent dans la circulation pulmonaire est évalué à 500ml, se répartissant de la façon suivante : 80ml dans les artères pulmonaires, 120ml dans les capillaires pulmonaires et 300ml dans les veines pulmonaires [5]. Lors de l’insufflation, l’augmentation des pressions intrathoracique et alvéolaire va entraîner une chute du VES du ventricule droit. Cette chute est responsable d’une vidange de la circulation pulmonaire décrite sous le terme de « marée basse » par Versprille [6]. Les conséquences de cette vidange vont survenir quelques battements cardiaques plus tard, durant l’expiration, par une diminution du retour veineux pulmonaire, responsable d’une diminution de la précharge du ventricule gauche et finalement de son VES (figure 4-4).








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Figure 4-4
Échocardiographie transœsophagienne chez un patient sous ventilation mécanique. Enregistrement Doppler des vitesses du courant d’éjection du ventricule droit dans l’artère pulmonaire (A), de remplissage de l’oreillette gauche dans la veine pulmonaire supérieure gauche (B) et d’éjection du ventricule gauche dans sa chambre de chasse (C). La chute de l’éjection du ventricule droit, qui survient dès le début de l’insufflation, est responsable d’une diminution du remplissage de l’oreillette gauche en fin d’insufflation et en début d’expiration, et finalement d’une chute de l’éjection du ventricule gauche pendant l’expiration. E : expiration ; I : insufflation mécanique.


La diminution du VES du ventricule droit est la conséquence de deux phénomènes, une diminution du retour veineux systémique et une augmentation de la postcharge du ventricule. Scharf et al. [7] ont décrit dès 1977 ces deux phénomènes. Dans leur étude expérimentale, l’application isolée d’une pression intrathoracique positive était responsable d’une chute du débit cardiaque associée à une diminution de la pression auriculaire droite transmurale, suggérant une diminution du retour veineux systémique. Au contraire, une augmentation de la pression alvéolaire était également responsable d’une chute du débit cardiaque, mais cette fois-ci associée à une augmentation de la pression auriculaire droite transmurale, suggérant une augmentation de la postcharge du ventricule droit.

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May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on Interactions cardiorespiratoires sous ventilation mécanique

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