III. La Névrose Phobique


En tant que symptôme, une phobie est une peur spécifique intense dont le stimulus est projeté à l’extérieur pour amoindrir l’angoisse. Elle exige du phobique — elle lui permet — des réactions propres, des mesures de lutte « contrephobique », c’est-à-dire une activité de décharge. Un tel phénomène est assez banal et peut se rencontrer soit aux limites des expériences normales (exemple : le vertige), soit plus ou moins net, dans des états névrotiques divers (il y a toujours des « éléments phobiques » dans la névrose d’angoisse et il peut s’en rencontrer dans l’hystérie, la névrose obsessionnelle), soit encore dans la dépression mélancolique, dans certains délires systématisés, hypocondriaques, etc.



…et « lutte contre-phobique ».

Il existe une forme de névrose typique dont la phobie représente le symptôme prévalent. La conduite névrotique ne s’y limite pas à l’expression d’une angoisse spécifique, mais elle se complique de moyens de défense et de « contre investissements » (substituts des pulsions refoulées). Ce sont ces symptômes et ces moyens de défense qui constituent la structure compliquée de cette névrose qui tend à remplacer l’angoisse d’un danger interne par la peur d’un danger externe. Cette complication dépend, comme disait Freud, du transfert des complexes et des mécanismes inconscients dans les symptômes de la névrose. La névrose phobique a été détachée de la névrose obsessionnelle, avec laquelle les psychiatres classiques ont l’habitude de la confondre, par Freud, qui s’aperçut des relations entre cette forme de troubles et une autre névrose bien structurée, l’hystérie. C’est pourquoi la névrose phobique est indifféremment nommée dans la littérature psychanalytique sous ce nom ou encore sous celui d’hystérie d’angoisse. Il nous a paru utile d’appuyer notre description dans ce chapitre plus que dans les autres par quelques exemples cliniques : ils feront en effet mieux percevoir des données qui ne sont pas considérées par tous les psychiatres comme entièrement acquises.



Cette névrose phobique a été désignée par Freud comme « hystérie d’angoisse ».






A. — ÉTUDE CLINIQUE DES PHOBIES




I. — LES SITUATIONS PHOBIQUES


La phobie, comme manifestation essentielle de la névrose, ne peut guère se définir par un phénomène isolé : l’objet phobique et la terreur qu’il engendre chez le sujet. La clinique de cette névrose nous montre plutôt des situations pathogènes où se mêle au symbolisme de l’objet de la phobie un complexe affectif particulier au sujet. Ces « situations » se ramènent à un petit nombre de thèmes et de conduites tabous.



Les « tabous » phobiques.

Les thèmes phobiques. — Le thème le plus fréquent se réfère à la phobie de l’espace Il se manifeste dans la peur de sortir ou angoisse des rues ; dans la peur des espaces découverts (agoraphobie) ; dans la peur des espaces clos (claustrophobie). Il est moins aisément formulable lorsque l’angoisse apparaît dans des conditions plus restreintes, plus « spécialisées ».



La peur de l espace.

Un malade vient se plaindre d’une phobie des encombrements. Il ne peut, dit-il, tolérer les feux rouges, les attentes dans une file. Il se fait conduire. Il a étudié des itinéraires compliqués pour éviter les encombrements. Malgré cela, s’il lui arrive de sortir seul, il risque au premier encombrement d’être saisi d’une crise d’angoisse telle qu’il rentre chez lui en taxi, abandonnant sa voiture. A l’analyse du symptôme, on apprend que l’angoisse éclate à l’idée d’être seul en voiture lorsque le sujet s’écarte de chez lui. Les encombrements ne jouent qu’un rôle secondaire. L’angoisse ne se produit pas s’il est arrêté en rentrant chez lui. Il peut alors traverser seul tout Paris. Par contre, elle s’est plusieurs fois produite en pleine route libre alors qu’il quittait Paris. Le rôle du compagnon est de conjurer l’angoisse de la sortie. Il s’agit donc d’une « angoisse des rues » avec évitement et rassurement. La peur des encombrements n’est cependant pas une simple rationalisation : elle exprime la peur de la propre agressivité (« Je tirerais là-dedans à coups de canon ») ; une fois, le patient a effectivement tamponné et traîné une voiture qui le gênait et c’est après cet incident qu’ont éclaté les symptômes.

Dans la plupart des phobies de l’adulte, l’angoisse est déclenchée par l’espace dans des conditions qui mélangent en proportions diverses ces trois craintes phobiques essentielles. Citons comme variétés de ce vaste ensemble le grand vertige phobique (exemples : la peur des montagnes, des ascenseurs, des étages) ; la peur de l’obscurité conçue comme un espace menaçant ; la peur des moyens de transport (exemple : la peur du train, phobie dont souffrit Freud) ; la peur de la foule dont une variante est le « trac », peur de parler ou de paraître en public.



Peur du contact.


Mais il peut aussi persister chez l’adulte des phobies qui sont considérées comme des reliquats directs d’expériences infantiles. Nous suivrons J. Mallet (1955) lorsqu’il décrit :


— les reliquats des phobies de la première enfance, qui portent sur les gros animaux connus de l’enfant par expérience directe ou par ouï-dire (cheval, chien, loup, lion, etc.). Ces animaux sont imaginés dans des attitudes menaçantes de dévoration, de poursuite. Le cas célèbre de Freud (Le petit H ans) est un exemple typique de phobie du cheval ;


— les reliquats des phobies de la deuxième enfance, qui portent sur les petits animaux (souris, insectes) dont la menace éprouvée comme une atteinte à l’intégrité corporelle entraîne une répulsion horrible.




Peur des animaux,

Retenons enfin l’importance particulière de la vue dans la situation phobique : tous les symptômes sont en rapport avec des situations visuelles. Nous avons vu l’hystérique explorer l’espace à la recherche d’un danger mal défini. Ici, le danger est plus spécifiquement défini : la rue, la voiture fermée, l’escalier, le cheval ou la punaise sont recherchés, dépistés, parfois « soupçonnés » et presque « hallucinés » pour justifier l’évitement et le rassurement.

Il serait fastidieux et presque impossible d’énumérer toutes les situations phobiques, à la fois si diverses et si incompréhensibles lorsqu’on les décrit, comme nous le faisons maintenant, de l’extérieur — si semblables au contraire lorsqu’on les étudie de l’intérieur, telles qu’elles sont vécues par le malade, dans une analyse psychologique. Chacune d’elles apparaît comme une fantaisie nouvelle, une invention personnelle, alors que la position névrotique, est toujours la même : déplacer l’angoisse dans un alibi. C’est pourquoi les signes paraissent très divers et il faut bien qu’ils le soient pour dérouter le sujet et lui faire supporter par ce truchement la situation d’angoisse réelle.



Toutes les phobies sont des « alibis ».


II. — LES CONDUITES PHOBIQUES


Elles consistent à recourir à des stratagèmes pour conjurer l’angoisse.

1 ° Les conduites d’évitement. — Si les objets phobiques sont perçus dans le champ de la situation, le malade est en proie à une grande crise d’angoisse avec toutes ses manifestations psychologiques et physiologiques. Aussi se comporte-t-il de manière à éviter de rencontrer l’objet tabou, ce qui aboutit à des conduites de fuite très variées selon la forme et l’intensité de l’angoisse sous-jacente. Certains sujets se cloîtrent chez eux pour éviter la rue ou la rencontre terrifiante. D’autres se limitent à des trajets définis : une seule ligne d’autobus, ou bien excluent un moyen de transport, ou certains quartiers, ou certaines occupations. D’autres fuient « en avant » dans une préoccupation toujours renouvelée.



Éviter l’objet.


Une autre vit une riche symptomatologie de névrose des rues : elle ne peut tolérer de s’écarter d’un certain trajet. Mais, dit -elle, c’est que je ne peux facilement ni partir, ni me lever, ni changer d’endroit, etc. Tous ces changements de position déclenchent une angoisse. L’évitement chez elle consiste en une activité qu’elle qualifie elle-même de « remplissage » : faire n’importe quoi pour ne pas penser : « Je tâche de vivre le plus vite possible pour que ça passe. »

2 ° Les conduites rassurantes. — A la situation phobique répond, dans ce cas, une conduite de rassurement. Le plus souvent c’est la présence d’un personnage quelquefois choisi, quelquefois anonyme : il s’agit surtout de ne pas être seul. Souvent aussi c’est une pièce ou un objet, évocateur de la protection, qui remplit cette fonction sécurisante.



Conduites de sécurisation.

Une malade cherche ce qu’elle appelle « ses abris » : maison, bureau, restaurant, boîte de nuit, autobus, n’importe quel endroit où l’on peut entrer pour échapper à la rue.

« Dès que je suis assise, je suis en paix. Dès que je vois mon abri, la peur s’estompe : je n’ai plus ni froid, ni chaud, plus un battement de cœur, alors que j’étais une minute avant, en pleine panique, les jambes coupées, en sueur. »

Une phobique expliquait ainsi ses relations avec le monde du toucher : il y a des objets inquiétants, ce sont ceux qui ont une surface rugueuse, rèche, inégale ou froide : tricots à côte, velours, toiles rudes, caoutchouc, matière plastique ; tandis que ceux qui ont une surface douce, chaude et lisse sont rassurants : lainages fins, peaux fines, toiles souples, etc.

Laughlin (1955) a cherché à individualiser sous le nom de « Soteria » une variété de névrose caractérisée par cette recherche du rassurement. C’est l’inverse de la phobie, dit-il, car elle est dirigée vers les « objets rassurants ». Mais ces extrêmes (objet redouté et objet recherché) se touchent et ces faits nous permettent de voir comment la conduite phobique se rattache par des transitions insensibles aux conduites superstitieuses qui sont de petits fragments de phobies ou des phobies « retournées » (évitement du chiffre 13, de certains lieux, de certains mots maléfiques, inversement recherche de certains lieux, objets ou mots chargés d’une valeur conjuratoire : toucher du bois, trèfle à quatre feuilles, etc.).


B. — LE CARACTÈRE PHOBIQUE




I. — L’ÉTAT CONSTANT D’ALERTE


Nous avons vu qu’il existe chez l’hystérique une « politique de la perception » (Parcheminey) qui est une activité de prospection et de dépistage des dangers phantasmiques présupposés dans tout l’environnement. L’état d’alerte phobique lui est comparable, mais il est dans un certain sens plus spécialisé, plus électif : le phobique s’alarme de tout ce qui émerge de soi, du clair-obscur du monde intérieur (tendances, demandes instinctuelles). Cette peur de l’obscurité subjective est d’autant plus vive que le sujet l’augmente davantage encore d’une manière inconsciente par la répression typique des demandes instinctuelles. Le phobique manifeste une horreur de ces situations mal définies et mal perçues où il pressent l’approche d’un danger interne. Mais c’est de l’obscurité extérieure qu’il a peur et non point de lui-même. Sa pensée, son monde intérieur lui apparaissent au contraire simples et limpides. C’est qu’il tend à projeter hors de soi le drame qu’il vit et il va jusqu’à une véritable négation du monde imaginaire dont il est pourtant prisonnier. Il se défend contre ses pulsions en les niant. Il veut avoir l’air froid et assuré ; il y réussit quelquefois, mais en partie seulement car son qui-vive perpétuel ne cesse de trahir son bouleversement intérieur.
May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on III. La Névrose Phobique

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access