En psychiatrie, le terme de « dépression » comporte au moins trois significations (H. F. Lehmann, 1959). Il peut se rapporter à un symptôme, à un syndrome et aussi à une entité nosologique. On trouvera dans le travail de M. Lorr et coll. (1967) une échelle de symptômes divers qui diversifient, en effet, ce concept jusqu’à le rendre parfois un synonyme euphémique de beaucoup de maladies mentales.
Concept parfois trop vague.
L’élément sémiologique élémentaire est un aspect phénoménologique caractérisé par un trouble, un affaissement de l’humeur (thymie) qui devient triste. Autour de ce symptôme que nous appelons provisoirement élémentaire, se groupent d’autres symptômes qui ont pu justifier la description de syndromes et même d’entités pathologiques. En fait, il s’agit d’un processus pathologique extrêmement complexe qu’il semble impossible de ramener à un effet primaire.
L’humeur triste.
De toute manière, on trouve ajoutés aux troubles de l’humeur deux autres phénomènes : l’inhibition et la douleur morale. Sans cet ensemble syndromique, on ne peut pas parler d’état dépressif en psychiatrie.
L’inhibition est une sorte de freinage ou de ralentissement des processus vitaux. Le ralentissement de l’idéation réduit le champ de la conscience et les intérêts, replie le sujet sur lui-même et le pousse à fuir les autres et les relations avec autrui. Subjectivement, le malade éprouve une lassitude morale, une difficulté de penser, d’évoquer (troubles de la mémoire), une fatigue psychique, Parallèlement, il éprouve une asthénie physique et un ralentissement de l’activité motrice qui s’assortissent de malaises somatiques variés en rapport avec des perturbations neuro-végétatives toujours décelables. Fait très important le malade a une conscience douloureuse et pénible de cette inhibition. Le ralentissement moteur a été privilégié comme une « variable indépendante » et « un assez bon test de l’intensité de l’état dépressif », susceptible d’être mesuré par une échelle (Jouvent, 1980; Widlôcher et des Lauriers, 1983. (Cf. p. 187).
L’inhibition des activités mentalés et phasiques. La fatigue. Le ralentissement est global.
Le troisième symptôme, la douleur morale, s’exprime dans sa forme la plus élémentaire par une auto-dépréciation qui peut s’acheminer assez rapidement vers une auto-accusation, une auto-punition, un sentiment de culpabilité. Il est acquis que la phénoménologie des états dépressifs, et notamment du symptôme d’auto-accusation, est déterminée par un facteur culturel, c’est ainsi que dans des communautés primitives d’Afrique (E. Stainbrook, 1954) ce symptôme est quasiment absent, alors que l’on retrouve de nombreux symptômes hypocondriaques à sa place. Chez l’Africain, l’humeur dépressive est exprimée par des symptômes de persécution ou des investissements somatiques (H. Collomb, 1966). Notons que l’hypocondrie et les projections persécutives se retrouvent dans les délires mélancoliques. Une « tonalité » délirante signale les dépressions graves. Les psychanalystes placent au centre de la conscience du déprimé l’hostilité et l’agressivité libérées par la perte des pulsions d’amour : dans la mélancolie l’agressivité est retournée contre soi dans une attitude proprement d’anéantissement du « moi ». Cette agressivité est toujours liée à un sentiment d’angoisse intense.
La douleur morale et les « pécus » dépressifs.
Nous reviendrons sur les conceptions psychanalytiques des états dépressifs, mais, dès à présent disons que l’on doit aller plus loin que la sémiologie descriptive classique, telle que la triade exposée ci-dessus : humeur triste, inhibition et douleur morale. On se réfère, aussi, aux structures profondes de la personnalité du déprimé : structure psychotique ou structure névrotique qui conditionnent, par des mécanismes dépressifs propres, à la fois des modèles symptomatiques, une position nosographique et des attitudes thérapeutiques particulières à chaque structure.
Dans tous les cas il faut noter l’importance des troubles somatiques : céphalées, algies diverses, sensations d’étouffement, palpitations, douleurs vertébrales ou articulaires, troubles digestifs, constipation, etc. Il est possible même que ces troubles prennent une telle importance que l’état dépressif soit camouflé par la plainte somatique. C’est alors un examen clinique très minutieux qui permet d’établir que les troubles ne sont pas de simples troubles fonctionnels mais qu’ils expriment un état dépressif.
Les troubles somatiques sont constants.
NOSOGRAPHIE DES ÉTATS DÉPRESSIFS
La classification des états dépressifs n’a pas cessé d’être remise en question surtout depuis l’apparition de thérapeutiques efficaces. Les tentatives successives de remaniement se superposent et s’enchevêtrent, de sorte que Kendell a pu titrer son article de 1976 : « Une revue de la confusion contemporaine ». Le tableau proposé par Pichot (1978) résume l’état des discussions (fig. 170). Nous retiendrons quant à nous comme distinctions principales trois groupes classiques : les dépressions endogènes, bien illustrées par la crise de mélancolie de la psychose maniaco-dépressive ; les dépressions exogènes-psychogènes, souvent appelées dépressions névrotiques ou réactionnelles ; et les dépressions symptomatiques d’une psychose ou d’une affection organique. Dans chacun de ces groupes, il existe des formes typiques et des formes de classification problématique.
Dire d’une dépression qu’elle est endogène signifie qu’on ne trouve pas de relation compréhensible suffisante entre les circonstances de la vie du sujet et la transformation de sa personnalité au cours de l’accès dépressif. On est en présence d’une subversion délirante de la personne. D’où le nom cle psychose maniaco-dépressive (P. M. D.) attribué à la manifestation typique complète du trouble. A côté de la forme complète, bipolaire, avec manie, existent des dépressions cycliques dites unipolaires. Appartiennent-elles ou non à la P. M. D. ? C’est la même discussion qui se joue autour des dépressions survenant à l’âge avancé (mélancolie d’involution).
Dire d’une dépression qu’elle est exogène, psychogène, névrotique ou réactionnelle, c’est dire qu’elle est en continuité avec une certaine fragilité de la personne inscrite dans son caractère. Cela ne veut pas dire que les structures nerveuses n’y participent pas, mais il est important pour l’orientation thérapeutique de savoir que la situation psychologique du sujet est au centre de la pathologie. Il est évident que ces dépressions sont en relation avec les données socioculturelles, ce qui explique à la fois leur nombre croissant et aussi, corrélativement, que leurs limites soient floues. C’est le groupe le plus abondant. La discussion nosologique à leur propos sera celle de leurs limites car il est des réactions normales aux deuils, aux échecs et aux frustrations. A quel moment entre-t-on dans la dépression ?
Le troisième grand ensemble, celui des dépressions symptomatiques d’une psychose ou d’une affection organique, est assez clairement défini lorsqu’il s’agit de cas bien repérés au cours d’une psychose chronique, par exemple. Il devient compliqué lorsqu’on évoque les « états dysthymiques » (dépressions « atypiques » des auteurs français) ou les « états-limites », dont le nom implique à lui seul la notion de frontières (border-line) entre névrose et psychose, ou entre maniaco-dépressive et schizophrénie. Cependant une chose est claire dans ce groupe : dire d’une dépression qu’elle est symptomatique signifie que l’accent est mis sur le processus en cause et que c’est lui qui déterminera les priorités thérapeutiques.
En somme, pour schématiser : dans les dépressions endogènes, c’est le processus dépressif que l’on soigne. Dans les dépressions exogènes ou névrotiques, la personne du déprimé compte plus que le processus. Dans les dépressions symptomatiques, c’est un autre processus (autre que dépressif) qui engendre la situation et souvent la domine.
Cette classification purement clinique montre bien la nécessité d’une classification et ses limites. Elle sert seulement à orienter le clinicien vers la compréhension du déprimé et à établir la stratégie thérapeutique. Elle permet de saisir les difficultés des statistiques. Elle n’implique aucune opposition doctrinale entre les données neuro-chimiques et les données psycho-sociales des dépressions. L’ensemble des données est toujours présent dans le tableau. Seule une accentuation vers un pôle ou un autre permet de spécifier les variétés cliniques.
I. — LES CRISES DE MÉLANCOLIE
La crise de mélancolie qui s’oppose presque point par point à la manie est un état de dépression intense vécu avec un sentiment de grave douleur morale et caractérisé par le ralentissement et l’inhibition des fonctions psychiques et psychomotrices. C’est la forme majeure de la dépression. Elle est souvent périodique, alternée ou non avec la manie.
HISTORIQUE
Le terme mélancolie a été employé depuis Hippocrate dans des sens fort différents. Jusqu’à Esquirol, c’est-à-dire jusqu’au début du xixe siècle, on appelait mélancoliques bon nombre de malades de toutes sortes. Plus particulièrement depuis la Renaissance, la mélancolie désignait une sorte de « folie partielle » qu’on opposait aux troubles généraux de l’intelligence mais qui n’impliquait pas forcément la tristesse. Esquirol distinguait dans le groupe des « folies partielles » ou monomanies : « une monomanie proprement dite » avec un élément expansif et une monomanie triste ou lypémanie. Mais cette lypémanie représentait encore un groupe fort hétérogène puisqu’on en retira successivement la stupeur et la confusion mentale (Delasiauve), les manifestations devenues ultérieurement la psychonévrose obsessionnelle (Morel), la stupeur catatonique (Kahlbaum) et les délires chroniques de persécution (J.-P. Falret, Lasègue).
— Les états mélancoliques ainsi « isolés » furent alors intégrés dans une psychose bien caractérisée par son évolution : la folie à double forme (Baillarger, 1854), la folie circulaire (J.-P. Falret, 1854) ou la psychose maniaque dépressive (Kraepelin, 1899) que nous étudierons plus loin (chap. IV).
… évoluant généralement dans le cadre d’une psychose périodique.
— A partir de la fin du xixe siècle, les études sur la mélancolie portèrent sur son aspect biologique et son hérédité. La mélancolie dans sa forme franche, symptomatique de la psychose maniaco-dépressive devint le type même de la psychose « dégénérative » « constitutionnelle » ou encore « endogène ». Depuis lors et parallèlement aux études biologiques et neurophysiologiques, la mélancolie (comme la manie) a fait l’objet d’analyses psychologiques, notamment de la part des psychanalystes (K. Abraham, 1911 ; S. Freud, 1915, etc.) et des phénoménologistes (Minkowski, Strauss, Digo, etc.). Mais de nombreux faits démontrent que l’humeur dépend d’un mécanisme complexe où jouent les interactions hypothalamo-corticales (Delay). Par ailleurs, à la faveur de confrontations pharmacologiques et cliniques, la régulation thymique fait actuellement l’objet d’une masse considérable de travaux sur le rôle physiologique et physio-pathologiques des mono-amines cérébrales (sérotonine et catécholamines) dont il est pourtant impossible, à ce jour, de faire une synthèse satisfaisante et cohérente. Disons seulement que la dépression mélancolique paraît liée à des perturbations du métabolisme cérébral, avec modification de la teneur en catécholamines libres au niveau des synapses.
Études psychanalytiques…
… et neurophysiologiques
Dans les années récentes on s’est intéressé à la distinction entre les dépressions bipolaires et unipolaires. Leonhard (1957), Angst (1966), Perris (1966), Winokur (1979) ont précisé les critères génétiques et cliniques de cette discussion, sur laquelle nous reviendrons au chapitre suivant.
A. — ÉTUDE CLINIQUE
Nous allons prendre pour type de description la crise mélancolique francheaiguë de la psychose maniaco-dépressive.
I. — CIRCONSTANCES D’APPARITION
L’accès peut apparaître à tous les âges, entre 25 et 60ans. Les femmes ne sont pas plus fréquemment atteintes que les hommes (Hirschfeld et coll., 1982).
Les facteurs génétiques et le biotype pycnique (Kretschmer) ont la même importance que dans la manie puisque avec l’expression phasique des crises dépressives ou maniaques ils constituent les traits distinctifs de la maladie. L’accès peut survenir sans cause ni occasion apparente conformément à la conception classique de la dépression endogène. L’accès peut suivre immédiatement un accès de manie, dont il faut toujours rechercher l’antécédent, même discret. Assez souvent on retrouve des causes déclenchantes. Ainsi l’accès se développe après un choc émotionnel (deuil, infidélité du partenaire, sentiment d’abandon, perte de situation, perte d’argent, etc.) ou dans une situation de conflit (conflits familiaux, situation de frustration, etc.). Parfois la période dépressive a été précédée de circonstances débilitantes (puerpéralité, maladie infectieuse, intervention chirurgicale, surmenage, etc.). Mais dans tous les cas, ces facteurs favorisent seulement l’expression cyclique d’une personnalité dont nous verrons les caractéristiques plus loin. Pour Kielholz les facteurs exogènes joueraient un rôle déclenchant dans 24 % des accès.
Mémes facteurs biotypiques que pour la manie.
Facteurs de précipitation.
Mode de début. — L’état mélancolique se constitue habituellement assez lentement. Pendant des semaines (et parfois des mois) le malade accuse une certaine asthénie, des céphalées, de la difficulté à travailler, un manque de goût général et surtout une insomnie qui va en s’aggravant. Il devient préoccupé, son humeur est sombre, son activité professionnelle ou ménagère se ralentit.
Début généralement progressif.
II. — PÉRIODE D’ÉTAT
2° L’inhibition et Vaboulie. — Le mélancolique se sent impuissant à vouloir, il s’abandonne à l’inertie. L’asthénie du début a atteint un tel degré que le malade n’a même plus la force de se mouvoir, à peine de s’habiller. L’inhibition psychique est le symptôme le plus constant. Réduction globale de toutes les forces qui orientent le champ de la conscience, elle constitue une sorte de paralysie psychique ; l’idéation est lente, les associations sont mal-aisées, l’évocation est pénible, la synthèse mentale est impossible, l’effort mental soutenu également ; l’attention se concentre sur les thèmes mélancoliques sans pouvoir s’en détacher ; la perception du monde extérieur reste à peu près exacte mais comme enténébrée. Il semble au malade qu’il vive dans une atmosphère froide, lointaine et irréelle. Le langage est freiné par cette inhibition, les propos sont rares et monosyllabiques. Souvent le mélancolique est bloqué dans un semi-mutisme, parfois même dans un mutisme complet.
Syndrome d’inhibition…
3° Les sentiments dépressifs. — Ils occupent le premier plan du tableau clinique. Le malade éprouve toujours un état de tristesse profonde qui envahit plus ou moins tout le champ de sa conscience. Il a de la peine à exprimer sa douleur morale qui est faite de sentiments forts et vagues, d’ennui, de dégoût, de découragement, de désespoir et de regrets.
…et de dépression profonde.
Analysons cette douleur morale, ce qui nous permettra, en pénétrant dans la conscience malheureuse du mélancolique, de mieux comprendre le malade et de mieux l’interroger. Le fond en est constitué par des sentiments vitaux (dits aussi « holothymiques » ou encore « endogènes ») dépressifs. La qualité de la dépression de l’humeur constitue pour beaucoup d’auteurs une particularité symptomatique importante. La tristesse est foncière, monotone, profonde, résistant aux sollicitations extérieures, ce qui donne à la relation avec le mélancolique endogène un ton assez différent de celle que l’on peut établir avec le déprimé névrotique dont la douleur paraît moins « authentique » plus pathétique, plus en quête de réconfort ou simplement de compassion. La « cénesthésie » pénible, l’ensemble des sensations internes qui sont le fondement de l’expérience sensible sont perturbés, le malade éprouve un malaise vague, diffus, un sentiment d’insécurité. Il a une impression très pénible d’auto-dépréciation, d’impuissance, d’incapacité, d’improductivité, non seulement dans le domaine de l’action par suite de l’inhibition psychique et motrice mais dans le domaine moral. Il ressent une impression désespérante d’anesthésie affective ; il se reproche de ne plus pouvoir aimer comme auparavant, d’être comme « émoussé » dans ses sentiments. Le pessimisme ne s’exprime pas toujours par une idée ou un sentiment précis mais constitue une orientation générale de la conscience vers le malheur et la faute : l’avenir est bouché, le sujet n’en sortira pas quoi qu’il fasse, il ne lui sera jamais pardonné, rien de bon ne peut plus lui arriver. Ce sentiment de péjoration foncière vise surtout le sujet lui-même, c’est l’auto-accusation. Il s’accuse de fautes la plupart du temps insignifiantes (indélicatesses minimes, déclarations fiscales insuffisantes, fautes sexuelles, etc.) ; il déclare avoir toujours été un malhonnête homme, avoir offensé Dieu. Il a des idées d’indignité : il se sent indigne de toute estime, déshonoré, damné (nous verrons, à propos des idées délirantes mélancoliques, les principaux thèmes d’auto-accusation et d’autodépréciation qui émergent de ce sentiment foncier de culpabilité et de honte ; mais la « tonalité » délirante des propos fait partie intégrante de la mélancolie. C’est elle qui justifie le terme de psychose). L’hypocondrie, c’est-à-dire tout à la fois la crainte et le désir de la maladie, s’intègre tout naturellement à la conscience mélancolique sauf cependant sur un point : en effet s’il se sent pourri, contagieux, pestiféré, il ne cesse d’affirmer qu’il n’est pas malade mais fautif.
Auto-accusation.
Indignité
Hypocondrie.
4° Le désir et la recherche de la mort. — Ils sont constants dans la conscience mélancolique. Le refus d’aliment, du simple manque d’appétit à la résistance la plus désespérée à toute alimentation, en est l’expression lancinante et entêtée. Mais constamment le mélancolique cherche non seulement à s’abandonner à la mort mais à se la donner : le suicide est obsédant, sans cesse imaginé, sans cesse désiré, sans cesse recherché. Il est tout à la fois considéré comme une obligation, un châtiment nécessaire et une solution que l’on a comparée bien souvent à la « politique de Gribouille ». La possibilité du suicide met tout mélancolique en danger de mort. Il faut bien retenir cette notion pour le prévenir par une surveillance constante du malade au cours de tout son accès et aussi pendant sa convalescence. En effet, si tout mélancolique ne tente pas de se suicider, presque tous ne pensent qu’à la mort. — La tentative de suicide peut survenir à n’importe quel moment de l’accès et, comme nous venons de le dire, même au cours de la convalescence ; elle est parfois habilement préparée et soigneusement dissimulée. Les premières heures de la matinée sont certainement les moments les plus à redouter. — Le raptus suicide est une impulsion brutale et soudaine qui précipite le mélancolique par la fenêtre ou dans l’eau, lui fait saisir brusquement des ciseaux, etc., aux moments les plus inattendus et quand il paraissait être plus calme. — Le suicide collectif s’observe principalement chez la femme qui tue ses enfants pour les entraîner avec elle dans la mort, pour les protéger (suicide altruiste).
Raptus suicide ou recherche obstinée de la mort.
5° Examen physique. — Les troubles digestifs sont constants. Notons l’anorexie, les nausées, l’état saburral des voies digestives, la constipation ou les débâcles diarrhéiques. Les troubles hépato-biliaires qui ont inspiré historiquement l’étymologie de l’affection (bile noire) n’ont pas habituellement une expression clinique évidente. L’examen cardio-vasculaire montre des perturbations du pouls et de la tension artérielle. Selon le type de mélancolie et schématiquement, on peut observer l’hypotonie vasculaire dans les formes stuporeuses et l’hypertonie dans les formes anxieuses. L’aménorrhée est habituelle. L’examen neurologique montre parfois une diminution des réflexes, une hypotonie musculaire et une hypoesthésie. Les troubles neuro-végétatifs sont fréquents soit dans le sens d’un syndrome vagotonique dans les états d’angoisse stuporeuse, soit dans le sens d’une réaction stressante adrénalinergique.
« La dépression est un trouble du corps vécu et les doléances corporelles n’ont rien d’imaginaire » (Tatossian, 1981).
III. — ÉVOLUTION
La crise de mélancolie évolue spontanément en plusieurs mois (généralement six ou sept mois, mais parfois plus). Avant l’ère thérapeutique, on assistait à des crises qui pouvaient atteindre plus d’un an. Traité convenablement, l’accès dure quelques semaines. La réponse aux médicaments demande environ dix jours, la guérison est obtenue en un mois. Il faut maintenir le traitement médicamenteux deux mois encore. Si une mélancolie franche traitée n’entre pas dans de tels délais, le diagnostic ou le traitement méritent d’être reconsidérés (voir plus loin les formes « résistantes »).
Durée moyenne et spontanée de 6 ou 7 mois.
La crise finit souvent brusquement. C’est le « virage » bien connu des soignants, en quelques heures. Mais il arrive que l’issue soit progressive, avec des à-coups. Il faut être particulièrement vigilant devant ces « queues de mélancolie », aux dangereuses surprises.
Le retour du sommeil et de l’appétit, la reprise du poids sont des signes capitaux de retour à l’équilibre.
L’état intercritique.
Il est classique de dire que les mélancoliques bipolaires sortis de leurs crises ont une vie « normale », tandis qu’on reconnaît des caractères névrotiques chez les unipolaires. Psychanalystes et phénoménologistes ont cherché à aller plus loin. Tellenbach (1979), sur des unipolaires, a décrit le « typus melancholicus » comme un sujet fragile, contraint, hanté par la culpabilité, assez proche au fond du caractère obsessionnel, déjà vu par K. Abraham. Quelques psychanalystes se sont attachés à cette étude chez l’ensemble des cyclothymiques, surtout Éd. Jacobson (1971) et A. Jeanneau (1980). Vulnérabilité, intolérance, conformisme, dépendance sont des mots qui reviennent. E. Jacobson insiste sur la richesse des sublimations, l’intensité des fixations affectives, souvent symbiotiques, ce qui rend compte de leur vulnérabilité à la perte ou à la menace de perte. On est donc renvoyé à la structuration narcissique, sur laquelle avait insisté Lebovici (1970) et que Jeanneau argumente à partir du manque d’objet interne. Chazaud (1977) insiste sur « un trouble dans la constitution de l’idéal » auquel est substituée une « culpabilité empruntée ». Ainsi, derrière la « normalité » apparente du sujet, se cachent de profondes failles recouvertes par un conformisme et une sociabilité défensives, dont le vernis craque facilement. Tous les auteurs notent la rareté et la difficulté de l’approche analytique.
Si le mélancolique parait « normal » entre les accés, il porte néanmoins des prédispositions psychologiques.
B. — FORMES CLINIQUES
I. FORMES CLINIQUES SÉMIOLOGIQUES
1° La dépression mélancolique simple. Dans cette forme l’inhibition domine, le sujet accuse une simple tendance à l’inaction, il est asthénique et fatigable. La douleur morale est réduite, parfois absente. Le malade souffre d’une impuissance pénible et d’une improductivité intellectuelle ; il se sent malade et a besoin de réconfort. Les anciens auteurs désignaient cet état du nom de mélancolie avec conscience.
Le ralentissement, la fatiqud dominent.
2° La mélancolie stuporeuse. — L’inhibition psycho-motrice atteint ici son maximum. Le malade est absolument immobile : il ne parle pas, il ne mange pas, ne fait aucun geste, aucun mouvement. Son visage est figé dans une expression de douleur et de désespoir. Cette mimique de tristesse permet le diagnostic avec les autres formes de stupeur.
ou la stupeur,
3° La mélancolie anxieuse. — Cette forme se caractérise essentiellement par la prépondérance de l’agitation anxieuse, l’intensité de la peur qui est vécue comme une véritable panique. Le malade inquiet a besoin de changer de place, il se frappe la tête et la poitrine, se tord les mains, se lamente, sanglote, gémit et supplie. Les tourments le portent à fuir, à rechercher la mort (idées de suicide constantes et actives). La mélancolie anxieuse avec agitation, est particulièrement fréquente chez les personnes âgées.
ou l’anxiété,
4° La mélancolie délirante. — L’analyse de la douleur morale dans la forme typique nous a déjà montré qu’il était bien difficile d’établir une distinction tranchée entre la dépression, la tristesse et le délire mélancolique. Dans cette forme délirante, l’aspect délirant apparaît pourtant au premier plan.
ou le délire.
Les « idées délirantes » mélancoliques ont été magistralement étudiées par Seglas qui en avait noté les caractères suivants : a) elles sont de tonalité affective pénible ; b) elles sont monotones, le malade répète toujours les mêmes idées délirantes ; c) elles sont pauvres, c’est-à-dire que l’idée délirante ne se développe pas dans des constructions intellectuelles : elles sont plus riches en émotion qu’en contenu idéique ; d) elles sont passives : le malade accepte avec inertie ou désespoir tous ses malheurs comme une accablante fatalité ; e) elles sont divergentes ou centrifuges, c’est-à-dire qu’elles s’étendent progressivement à l’entourage et à l’ambiance ; f) ce sont des délires du passé (regrets, remords) ou de l’avenir (anxiété, crainte) qui retardent ou avancent trop par rapport aux événements présents.
L’expérience délirante mélancolique et ses thémes.
Toutes ces « idées délirantes » sont des expériences délirantes de l’angoisse mélancolique. Un visiteur est pris pour un juge ou un policier, un bruit dans la salle voisine pour celui que font les gendarmes qui viennent l’arrêter. Les illusions y sont fréquentes si les hallucinations « vraies » sont rares. Mais il arrive assez souvent que le mélancolique s’entende menacer, se sente poussé ou envahi par des forces du Mal, toute la gamme des pseudo-hallucinations psychiques et psycho-motrices (Seglas) peuvent s’observer.
Les thèmes délirants de la mélancolie peuvent être classés en plusieurs groupes :
a) Les idées de culpabilité. C’est l’idée de faute, de péché, de souillure qui s’exprime soit par un sentiment d’indignité soit par un sentiment de remords (auto-accusation). A ce délire de culpabilité correspond l’attente du châtiment (idées d’expiation, de damnation).
b) Les idées de frustration (idées de ruine, de deuil). Il s’agit moins d’une faute que d’un malheur (la perte d’un être cher, des biens, de la fortune).
c) Les idées hypocondriaques, de transformation et de négation corporelles. Le mélancolique se plaint de ne pas avoir un corps comme tout le monde, il le sent vide, les intestins sont bouchés, le cœur est glacé ou n’existe plus.
d) Les idées d’influence, de domination et de possession. A l’altération et à la dégradation du corps s’ajoutent les sentiments de dépréciation morale : les malades sentent que leur esprit est vidé, ils sont incapables de vouloir, d’agir. Ils se croient parfois influencés, possédés (démonopathie), parfois ils se sentent habités par un animal (zoopathie).
e) Les idées de négation. Toutes les « idées » précédentes culminent parfois dans un thème : la négation du monde, du corps, de la vie ou de la mort. Le syndrome de Cotard (idées de damnation, d’immortalité et de négation) est dans ces mélancolies aiguës rarement complet ; mais certaines idées délirantes qui le composent s’observent assez fréquemment, notamment les idées de négation d’organes.
5° Les états mixtes maniaco-dépressifs. — L’état mixte mêle les symptômes de la mélancolie et ceux de l’excitation (turbulence, perplexité, agitation, irritabilité, etc.). Nous les décrivons plus loin dans l’étude des psychoses périodiques.
6° Les formes monosymptomatiques. Les dépressions masquées. — On a beaucoup insisté dans les années récentes sur ces formes où l’élément psychique de la dépression est dissimulé par la prévalence de signes somatiques (Kielholz, 1973). Elles étaient décrites depuis longtemps (Logre et Longuet, 1937), mais l’application des antidépressifs à des états inexpliqués de fatigue, de douleurs, d’insomnie, ou d’autres troubles plus graves, a montré la fréquence des « masques » derrière lesquels il faut rechercher les signes psychiques discrets de la dépression (cf. Besançon, 1981).
II. — FORMES CLINIQUES ÉVOLUTIVES
1° Les formes « résistantes ». — L’évolution que nous avons décrite répond à la mélancolie de la maniaco-dépressive bipolaire, forme typique, pour laquelle le pronostic d’une crise est bon et pour laquelle la prophylaxie par le lithium est efficace. Nous verrons, au chapitre suivant, consacré à la maniaco-dépressive, l’évolution sous lithium. Cependant il existe des formes « résistantes ». Avant d’en venir à cette opinion, il convient de vérifier l’observance du traitement et ses modalités. On admet que dans la forme bipolaire les formes résistantes ne dépassent pas 10 %.
Les formes « unipolaires », qui sont des dépressions sans manie, récidivantes, constituent, comme nous le verrons au chapitre suivant, un groupe hétérogène. Il n’est donc pas surprenant que les évolutions résistantes y soient plus nombreuses. Les troubles de la personnalité intercritiques se constatent dans de nombreux cas. Une étude psychopathologique de chaque cas s’impose donc. La distinction entre la mélancolie et les dépressions névrotiques, dont nous allons parler plus loin, n’est pas toujours facile. C’est pourquoi les auteurs américains (DSM III) préfèrent parler de « dépression majeure » pour désigner toutes les formes sévères. Il est clair que dans ce domaine à la nosologie incertaine, le danger de « résistance », ou si l’on préfère, la charge de chronicité est à la mesure de la charge pathologique antérieure (cf. infra).
La dépression « morne ». Il faut faire une place, dans ces formes « résistantes », à un état décrit par certains psychanalystes et appelée par J. Cournut (1986) la « dépression morne des deuils silencieux ».
La clinique est celle du vide, « sans intérêt, sans idée, sans projet, ni affectivité, ni parole vraie ». Culpabilité « empruntée » au deuil d’un parent « qui a raté son deuil » ou deuil interminable, parce que nié (la dépression fixe la présence du mort) ou entériné sans compensation possible (B. Castets, 1986) (cf. Colloque de l’A. F. P., 1986). De telles descriptions correspondent à des réalités cliniques et à un traitement analytique qu’il faut envisager avant de se contenter des termes de dépressions « rebelles » ou « résistantes ». Elles répondent aussi à des dépressions peu apparentes, qui laissent subsister une certaine vie sociale, mais dans lesquelles les ressources affectives paraissent taries, tant elles sont inconsciemment écrasées.
2° Le problème de la chronicité. — Les classiques admettaient le passage de la mélancolie à la chronicité dans 10 à 20 % des cas (Griesinger, Séglas, Bessière, etc.). Une récente revue de Chevalier et Ginestet (1983) aboutit aux mêmes chiffres, non sans avoir montré la difficulté de la question. Les « dysthymic disorders » de la DSM III répondent à des troubles de la personnalité « subsyndromiques », « reflets d’une attitude devant la vie ».
On est donc renvoyé : 1) du côté de la névrose à l’organisation hystéro-anxieuse qui constitue le fond des dépressions névrotiques et qui évolue sur des traits structuraux permanents. Les crises dépressives ne sont alors que des épisodes dans la longue histoire d’un caractère fragile, au perpétuel besoin de soutien dans sa position d’infériorité (cf. infra) ; 2) du côté de la psychose à des « dépressions atypiques » plus ou moins proches des états schizo-affectifs de Kasanin (1933) ou au diagnostic, de plus en plus fréquent aujourd’hui, d‘étatslimites, dans lesquels évoluent des paroxysmes d’angoisse brutaux et graves, sur un fond dépressif constant avec sentiment d’irréalité et de vide, auxquels peuvent se joindre des symptômes d’allure névrotique, psychopathique (tendances toxicomaniaques), des bouffées hallucinatoires, des troubles du caractère. L’organisation reste en suspens aux frontières de la psychose (états borderline), Bergeret (1976), comme aussi Kernberg (1967) et Kohut (1971) insistent sur le fond de dépression chronique des états-limites.
Sans nier la possibilité de formes chroniques de la mélancolie, il faut recommander une étude attentive de la structure (ou de l’inorganisation structurelle) qui peut se cacher derrière cette hypothèse diagnostique.
II. — LES CRISES DE DÉPRESSION NÉVROTIQUES
Nous abordons maintenant le vaste groupe des états dépressifs névrotiques ou réactionnels (Évolution psychiat., 1955, 111, p. 532–553) situé à des niveaux de structure plus élevés où, d’une manière générale, l’expérience de tristesse vécue à la fois plus intégrée aux événements actuels et plus reliée à l’histoire conflictuelle du malade. Il en résulte, comme nous l’avons déjà dit, des traits sémiologiques, un mode de relation avec le malade, des conduites thérapeutiques propres à ce groupe.
Nous prendrons comme type de description la plus fréquente des dépressions névrotiques, qu’on peut appeler hystérique ou, mieux, dépression de castration, terme qui a l’avantage de mettre en évidence une forme particulière d’intolérance à la frustration.
A. — CIRCONSTANCES D’APPARITION
Ces accès dépressifs surviennent généralement après des expériences vécues comme une frustration : déception, deuil, perte d’estime, abandon, etc. En somme, autant « frustration de l’amour qu’on attend que de l’amour qu’on donne, c’est toujours une souffrance de ne pas ou de ne plus pouvoir aimer » (Nacht, 1963), ou encore dans toutes situations qui font resurgir un sentiment d’insécurité plus ou moins refoulé et jusque-là plus ou moins bien compensé. Schématiquement, rappelons-le, la frustration engendre l’agressivité, laquelle engendre la culpabilité, la crainte de perdre l’estime et l’affection d’autrui, finalement l’agressivité a tendance à se retourner contre le sujet lui-même.
Relations avec les événements.
Admettre un tel mécanisme et, par suite, une telle prédisposition, c’est admettre aussi une personnalité névrotique de base, en quelque sorte une névrose infantile qui sera reactivee par des expenences stressantes. Une telle vue des choses a été confirmée par Kielholz qui, partant des travaux de A. Freud, Burlingham, Spitz, a pu mettre en évidence une névrose infantile chez 48 malades dépressifs longuement observés appartenant à ce groupe.
Relations avec la personnalité antérieure à la crise.
L’origine de la névrose remonterait pour les psychanalystes, comme nous l’avons déjà dit, à la période œdipienne, conflit intra-psychique d’origine sexuelle entre les pulsions œdipiennes et les composantes interdictrices. Il en résulte la crainte et l’angoisse de castration. La relation du névrotique à autrui, qui demeure érotisée, est également troublée vis-à-vis de son propre moi. Il en résultera un sentiment d’insécurité permanent dans sa relation avec les autres.
B. — LES PARTICULARITÉS SÉMIOLOGIQUES DES DÉPRESSIONS NÉVROTIQUES
La dépression vitale (J. J. Lopez-Ibor) que nous avons décrite dans la dépression endogène revêt ici une tonalité affective beaucoup plus proche du sentiment de tristesse réactionnel normal.
L’anxiété est généralement intense, spectaculaire, parfois même un peu théâtrale et teintée par les traits névrotiques sous-jacents, au premier plan les traits hystériques. Le contenu des thèmes dépressifs est, sinon en rapport avec l’événement causal de l’accès dépressif, du moins beaucoup plus compréhensible à l’observateur que les thèmes de la mélancolie endogène. Le malade se fait des reproches, comme dans la mélancolie, mais il veut aussi et surtout qu’on l’écoute, qu’on le plaigne, qu’on le réconforte, il réclame une relation de dépendance et d’appui. Parallèlement, il accuse autrui et le sort plus que lui-même. Il se plaint « désespérément » de son état physique et de son état psychique, de son asthénie, de sa fatigue insurmontable et paradoxale car moins il est actif plus il se sent bas, et de son impuissance. Ce sentiment d’impuissance semble bien être au centre de la conscience du déprimé névrotique qui la projette dans sa demande d’aide ambiguë en exprimant l’impuissance du médecin pour le guérir, l’impuissance des médicaments qu’on lui propose, etc. Néanmoins le besoin qu’ont ces malades de s’appuyer sur autrui est particulièrement caractéristique.
Anxiété et demande de réconfort.
Leur avidité affective peut prendre un caractère tyrannique et agressif à l’égard de l’entourage. Ils sont plus sensibles aux influences du milieu que le mélancolique, notamment quelques paroles de réconfort peuvent améliorer pendant quelques instants la réaction dépressive. On dirait que le fond de leur dépression est en rapport avec une blessure narcissique due à l’abandon éprouvé par la perte de l’objet de leur investissement ou à la dévalorisation de cet objet (personne ou idéal). Il en résulte un besoin de revalorisation intense.
Les éléments dépressifs, contrairement à la mélancolie endogène, semblent présenter un maximum vespéral.
Le comportement pseudo-suicidaire, voire le « chantage » au suicide, ajoute encore aux symptômes précédents une note de moins grande authenticité que dans l’accès mélancolique. Néanmoins le risque de suicide existe, même s’il est assez rarement réussi, et si sa signification est différente de celui de la mélancolie endogène.
On a noté aussi que le ralentissement psycho-moteur est souvent beaucoup plus discret et permet une expression plus dramatique de l’anxiété et des plaintes du malade, ainsi que des troubles fonctionnels hystériformes, des préoccupations obsédantes, des phobies, en un mot des manifestations de la névrose sous-jacente, celle-ci, essentiellement l’hystérie (Mallet, 1955). Elle constitue en quelque sorte l’arrière-fond habituel de la dépression névrotique dans la forme que nous avons prise pour exemple. Mais il existe d’autres formes cliniques qui empruntent leur sémiologie à d’autres structures du « moi » névrotique sous-jacent, ou à des circonstances particulières, plus ou moins artificiellement isolées.
Arriére-fond hystérique le plus souvent.
1° La dépression chez l’obsessionnel. — La parenté entre le maniaco-dépressif et l’obsessionnel est classique et des psychanalystes, en particulier Abraham (1924) ont comparé l’organisation du Moi des mélancoliques et celui des obsédés. Néanmoins, on admet actuellement que l’état dépressif survient beaucoup plus rarement chez un obsessionnel que chez un hystérique, l’obsédé ayant en général un système de défense beaucoup plus solidement organisé contre ses pulsions agressives et libidinales, tenant toujours en quelque sorte l’objet à distance. Mais, comme tout névrosé, l’obsédé risque cependant de voir ses défenses débordées : trois cas peuvent alors se produire (Green, 1965) : a) on peut voir une forme mono-symptomatique de la mélancolie sous la forme d’un thème obsédant, souvent celui du suicide ; b) ou bien une asthénie pénible, véritable épuisement dans la lutte de l’obsédé ; c) l’obsédé peut encore vivre sa dépression comme un délire à teinte mélancolique.
Chez l’obsédé, la lutte névrotique peut faire place à la dépression…
Chez d’autres sujets qui sont des « caractères obsessionnels » (cf. p. 354), nous pouvons observer des formes mineures de dépression ou des stades de début ou de decours d un accès depressif caractérisés par une obsessionnalisation (Bouvet, 1953) des symptômes constituant un véritable équivalent dépressif. Le caractère obsessionnel se transforme alors en grande névrose obsessionnelle. C’est le renforcement de ses défenses qui signale la mélancolie. Cette description serait donc mieux à sa place comme forme clinique de la mélancolie.
…ou bien c’est l’émergence des obsessions qui signale la dépression.