14. Historique et aspects théoriques des thérapies cognitives et comportementales
M. de Mondragon and J.-M. Legrand
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont des thérapies d’apparition récente dans le monde anglo-saxon, puisque le premier traité comportant la notion de « thérapie comportementale » fut rédigé par Eysenck, psychologue britannique, en 1960. Ces thérapies sont maintenant largement reconnues pour leur intérêt et leur efficacité (Conférence de consensus de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] en 1989 et rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale [Inserm] en 2004).
Historique
Faire l’histoire des TCC c’est tenter d’expliquer comment, à travers le xviiie siècle foisonnant de découvertes, s’est imposé partout le besoin d’une approche empirique des phénomènes psychiques, ou comment, à partir des faits établis et contrôlés de façon expérimentale, se sont constitués des modèles théoriques de plus en plus complexes, comment ces modèles ont inspiré des techniques thérapeutiques efficaces ou, inversement, comment des techniques ont suscité des formulations théoriques nouvelles, et comment ces thérapies ont fini par apparaître comme une authentique alternative aux psychothérapies préexistantes.
L’origine du comportementalisme est celle de la psychologie scientifique qui naît et se développe au xviiie siècle après s’être dégagée des influences exprimées par la pensée dualiste cartésienne (le corps peut être livré à l’investigation expérimentale tandis que l’âme, dans la mesure où elle est d’essence divine, ne peut être abordée que par l’étude attentive des faits de conscience ; tout autre méthode serait sacrilège). Le premier laboratoire de psychologie expérimentale est créé en 1879 à Leipzig par Wilhelm Wundt.
Les neurophysiologistes russes ont développé une théorie générale du fonctionnement psychologique dans l’histoire des thérapies comportementales grâce à une méthodologie de recherche centrée sur l’observation objective du comportement. En 1865, Sechenov est convaincu qu’il faut aborder la psychologie par l’étude des comportements observables, lesquels doivent être considérés comme des réflexes du cerveau aux stimuli venant de l’environnement. En 1904, Pavlov, prix Nobel de physiologie, a, lui, mis en évidence l’existence de la réaction conditionnelle.
En 1913, John Watson est le premier à utiliser le terme « béhaviorisme » dans un article considéré aujourd’hui comme le manifeste du béhaviorisme : « Psychology as the behaviorist views it ». Pour lui, « la psychologie doit pouvoir se définir comme la science des comportements en s’appuyant sur le raisonnement expérimental tel qu’il est impliqué dans les autres sciences naturelles, l’introspection est exclue » – « study behavior, not mind ». Il insiste sur l’importance de l’apprentissage où les comportements même les plus complexes peuvent s’expliquer par la combinaison de réponses élémentaires apprises par simples conditionnements (expérience sur Albert, 11 mois, en 1920).
De 1920 à 1950, le comportementalisme se développe suivant trois modalités différentes avec conjointement l’édification de vastes systèmes théoriques, l’intensification de recherches en laboratoire, et les tentatives isolées de thérapies destinées le plus souvent à vérifier une théorie ou à compléter une expérimentation. Ces recherches sont assez disparates en Amérique du Nord, en Angleterre et en Afrique du Sud.
Skinner (voir portrait p. 148), en 1938, développe le deuxième modèle d’apprentissage en insistant sur les conséquences de l’action, et décrit le paradigme du conditionnement opérant en s’appuyant sur les travaux de Thorndick qui, en 1898, publie ses travaux sur « l’intelligence animale devant la loi de l’effet » (le succès et l’échec sont des mécanismes qui sélectionnent les réponses les plus adaptées). La même année, Guttry, reprenant la notion d’apprentissage par contiguïté de Pavlov, parle de la méthode par immersion, c’est-à-dire l’épuisement de la réponse grâce à l’inondation du sujet par des stimuli déclenchants.
Parallèlement, des tentatives thérapeutiques isolées et limitées expriment le souci des comportementalistes d’accéder au domaine de la pathologie. Ces tentatives restent souvent inaperçues car, aux États-Unis comme ailleurs, l’avant-scène est occupée par la psychanalyse. Ainsi, en 1924, Mary Jones réussit la première tentative de déconditionnement d’une phobie (Peter, 34 mois, phobie des lapins résolue en 40 séances). En 1932, Dunlap met au point la pratique négative. Plus connus sont les travaux de Voegtlin sur l’alcoolisme par aversion et de Mowrer en 1938 sur l’énurésie.
Ces débuts vont donner naissance à la behavior therapy, terme utilisé en 1953 par Skinner et Lazarus, mais surtout diffusé par Eysenck.
En Afrique du Sud, Wolpe (voir portrait p. 184) décrit l’inhibition réciproque et en tire les fondements de la fameuse technique de désensibilisation systématique en 1958. À Londres, Shapiro et Eysenck travaillent sur l’efficacité des psychothérapies et les moyens d’évaluer celles-ci par la méthode séquentielle (arrêt puis reprise du traitement). Petit à petit, en Amérique du Nord ces courants progressant de façon dispersée et désordonnée vont constituer un mouvement dont la cohésion apparaîtra sous le nom de thérapie comportementale.
La psychologie cognitive n’apparaît qu’à la fin des années 1950. Un certain nombre de scientifiques rejettent le radicalisme skinnerien et décident de s’intéresser aux variables intermédiaires entre la stimulation du sujet par l’environnement et la réponse observable de l’organisme.
Les débuts de l’informatique fournissent un arsenal conceptuel qui permet de penser la cognition, la notion d’information et de traitement de l’information. En 1956 est organisée la première conférence consacrée à l’intelligence artificielle et à son application à la psychologie, à laquelle vont participer des informaticiens, mathématiciens, psychologues, linguistes et neurobiologistes. Les sciences cognitives se développent, et étudient les mécanismes de la pensée : la perception, l’attention, l’intelligence, le langage, la mémoire, le raisonnement, la résolution de problèmes.
À la même période, des psychologues et psychiatres ont pris comme objet d’étude les variables internes des individus, les mécanismes de pensée, et ont construit des modèles théoriques de compréhension de la psychopathologie ainsi que des stratégies thérapeutiques qu’ils ont cherché à valider ensuite de façon scientifique.
Bandura, en 1969, décrit l’apprentissage social par imitation de modèle. Dans les années 1960, Albert Ellis (voir portrait p. 237) développe la thérapie rationnelle émotive, et Aaron T. Beck développe son modèle cognitif de la dépression, modèle qui sera étendu à d’autres troubles psychopathologiques.
Dans les années 1970, se développe la médecine comportementale, application des principes issus des thérapies comportementales à des problèmes comme l’hypertension, le tabagisme, l’alcoolisme, etc.
Les thérapies comportementales et cognitives sont issues de la psychologie expérimentale. Elles sont donc, de ce fait, en perpétuel remaniement tant au niveau de leurs modèles théoriques que de leurs techniques d’application. Les différents auteurs décrivent trois grandes vagues, chacune venant enrichir la précédente :
– la première vague est constituée par les thérapies comportementales, fondées sur les théories de l’apprentissage ;
– la deuxième vague est représentée par les thérapies cognitives, fondées sur les modèles théoriques d’Ellis et de Beck principalement ;
– une troisième vague de modèles et de thérapies voit le jour depuis quelques années. Dans ces nouvelles approches, une attention particulière est portée au contexte des phénomènes psychologiques et à leur fonction plutôt qu’à leur forme. Leur but est l’acquisition d’une plus grande flexibilité et efficacité comportementale plutôt que l’élimination de problèmes comportementaux limités. On peut citer la thérapie d’acceptation et d’engagement (Hayes et al., 1999), la thérapie cognitive fondée sur la pleine conscience (Segal et al., 2006), la thérapie comportementale dialectique (Linehan, 2000).
Les théories de l’apprentissage
Conditionnement pavlovien, répondant ou de type 1
Le conditionnement a été décrit par Pavlov au début du xxe siècle selon le schéma : stimulus ➔ réponse.
Chez le chien, quand on présente de la viande (stimulus inconditionnel), on obtient une réponse de salivation ; c’est une réponse automatique, naturelle, innée, que l’on va appeler réponse inconditionnelle.
Si la présentation de la nourriture est précédée régulièrement d’une sonnerie, la sonnerie acquerra la fonction qui est celle du stimulus nourriture. Par la suite, en présentant la sonnerie seule, on obtiendra une réponse de salivation. On peut donc penser qu’il y a eu apprentissage chez l’animal puisque la liaison n’est pas naturelle d’emblée. Le stimulus neutre (la sonnerie) devient un stimulus conditionnel, car il entraîne une réponse qui est apprise et que l’on appelle réponse conditionnelle (RC).
L’acquisition de la réponse conditionnelle dépend de la contiguïté temporelle entre le stimulus neutre et le stimulus inconditionnel et de la répétition de l’association. Au fur et à mesure de la répétition, on a une augmentation de la liaison entre stimulus conditionnel et réponse conditionnelle. La réponse s’éteindra d’autant plus facilement que l’apprentissage est récent. Si la présentation du stimulus son n’est pas renforcée par une nouvelle association avec le stimulus inconditionnel, alors la réaction conditionnelle de salivation au seul son disparaîtra progressivement. C’est le phénomène d’extinction.
Quelquefois, la liaison entre stimulus et réponse persiste et apparaît dans de nouvelles conditions qui sont très éloignées de celles d’origine. C’est le phénomène de généralisation qui existe aussi bien dans l’acquisition que dans l’extinction d’un comportement. Ce type de conditionnement s’observe surtout dans les réactions autonomes gérées par le système nerveux neurovégétatif.
Chez l’homme, certaines réactions anxieuses seraient des réponses acquises au cours d’une expérience traumatique où un stimulus neutre serait associé fortuitement à un stimulus inconditionnel aversif.
Cependant, l’approche clinique révèle que les individus ne se conditionnent pas tous de la même façon. Certains, comme Eysenck, ont proposé l’intervention de caractéristiques propres à l’individu. En fonction de celles-ci, des réactions fortes et prolongées peuvent être secondaires à des situations stressantes de faible intensité. D’autres, comme Seligman, ont proposé que certaines phobies (animaux, obscurité, etc.), en relation avec les peurs ancestrales, soient inscrites génétiquement et latentes, et puissent se révéler lors de la présentation unique du stimulus.
Conditionnement skinnerien, opérant ou de type 2
Skinner, en s’appuyant sur la loi de l’effet de Thorndike, a conduit de nombreux travaux expérimentaux sur les comportements et a décrit, dans les années 1940, le conditionnement opérant selon le modèle : S ➔ O ➔ R ➔ C (S : stimulus, O : organisme, R : réponse, C : conséquence).
Un animal est placé dans une boîte (la boîte de Skinner) qui contient un levier dont la mobilisation déclenche l’arrivée de nourriture. Si l’animal découvre par hasard que la pression de la barre lui permet d’avoir cette nourriture, il a tendance à répéter cette action.
L’organisme agit sur l’environnement et les conséquences de son action le conduisent à modifier son comportement. Si les conséquences sont positives, l’organisme aura tendance à répéter ce comportement. Inversement, si les conséquences sont négatives, l’organisme aura tendance à émettre des comportements d’évitement ou d’échappement. L’absence de conséquences (positives ou négatives) à un comportement entraîne l’extinction, c’est-à- dire la disparition progressive du comportement.