1. Formation des réanimateurs et des anesthésistes-réanimateurs à l’échocardiographie
M. Slama, P. Vignon, B. Cholley and A. Vieillard-Baron
(pour Echo-in-ICU Group)
Préambule
L’évaluation hémodynamique des patients hospitalisés en réanimation s’est grandement modifiée ces dernières années [1 and 2]. Si le cathétérisme droit a été pendant longtemps le seul moyen d’exploration et de monitorage employé en cas de choc ou de détresse respiratoire inexpliquée [3], la remise en cause de l’intérêt réel et de l’innocuité de cette technique [4 and 5] et l’émergence de nouvelles technologies ont conduit les réanimateurs à reconsidérer cette approche. L’échocardiographie, technique non invasive et ambulatoire, a maintenant une place importante voire prépondérante comme outil diagnostique, mais aussi comme moyen de suivi des patients hémodynamiquement instables [6]. Même si l’échocardiographie a un intérêt incontesté dans ses indications « cardiologiques » (recherche d’endocardite, de source d’embolie systémique, etc.), la plupart des médecins, réanimateurs ou cardiologues, la considère encore trop comme une simple modalité d’imagerie supplémentaire disponible dans l’arsenal paraclinique d’un service de réanimation. Le regard moderne porté sur l’utilisation de cette technique en réanimation doit changer, car l’échocardiographie est non seulement une méthode de choix d’évaluation hémodynamique, mais aussi un moyen de monitorage incomparable qui permet de visualiser en temps réel l’impact de modifications thérapeutiques, qu’elles soient médicamenteuses ou instrumentales comme un réglage de respirateur ou l’implantation d’une assistance circulatoire [7, 8, 9, 10 and 11]. Cette révolution des mentalités, en cours en France mais à l’état embryonnaire dans les autres pays, nécessite de profonds changements dans les habitudes et les comportements. Elle repose avant tout sur la formation des réanimateurs à l’utilisation routinière de l’échocardiographie Doppler [12]. Tout réanimateur doit avoir un minimum de connaissances et de capacités techniques afin de pouvoir pratiquer et interpréter une échocardiographie pour guider la prise en charge des patients les plus sévères (état de choc) quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, car la réanimation concerne par essence une activité médicale non programmée qui a trait aux défaillances d’organes [13]. C’est pourquoi il est fondamental que, dans chaque unité de réanimation, un voire plusieurs réanimateurs soient capables de réaliser et d’interpréter un examen complet, et soient ainsi référents dans les situations les plus difficiles. Maintenir le lien avec les cardiologues est indispensable afin de pouvoir faire appel à eux dans certains cas, notamment pour discuter de pathologies cardiologiques qui ne sont pas du domaine de compétence du réanimateur (évaluation de la sévérité d’une valvulopathie chronique, etc.).
Particularités de l’échocardiographie réalisée en réanimation
Même si, dans de nombreuses situations, l’échocardiographie réalisée en réanimation a une indication classique de cardiologie (voir chapitre 2), elle est le plus souvent pratiquée pour des indications distinctes et avec des contingences très différentes des examens réalisés dans un laboratoire d’échocardiographie [7, 8, 9, 10 and 11]. Surtout, elle intègre la physiopathologie et les interactions cœur-poumons, qu’elle a d’ailleurs permis de mieux comprendre (tableau 1-1).
EP : embolie pulmonaire ; OAP : œdème aigu du poumon ; OD : oreillette droite ; PEP : pression expiratoire positive ; SDRA : syndrome de détresse respiratoire aiguë ; VD : ventricule droit ; VG : ventricule gauche. |
1.Interactions cardiorespiratoires – Influence des réglages du respirateur – Influence de la PEP intrinsèque, la compliance thoracopulmonaire, la pression de plateau – Influence de la ventilation en pression positive sur retour veineux systémique |
2.Physiologie et physiopathologie du ventricule gauche (VG) : – Caractéristiques physiologiques du VG (élastance élevée, fonction diastolique dépendante de la relaxation et de la compliance) – Facteurs de variations extrinsèques de la fonction systolique du VG (évolution de la maladie sousjacente au cours du temps, effets de la sédation, du traitement, etc.) – Caractère multifactoriel de la dysfonction systolique du VG qui ne signifie pas toujours qu’un OAP est cardiogénique ou qu’un choc est cardiogénique – Principes du remodelage du VG qui permettent de dissocier une dysfonction systolique aiguë d’une dysfonction chronique |
3.Physiologie et physiopathologie du ventricule droit (VD) – Caractéristiques physiologiques du VD (élastance basse, sensibilité à la postcharge) – Principe du remodelage du VD en situation aiguë (un état de choc en rapport avec une dysfonction du VD s’accompagne habituellement d’une dilatation cavitaire) – Influence des réglages du respirateur sur la fonction VD (aggravation potentielle) – Intégration du retentissement de la ventilation mécanique sur la fonction VD pour adapter les réglages du respirateur – Fréquence et origine du cœur pulmonaire aigu dans le SDRA ou l’EP |
4.Physiopathologie du sepsis – Intégrer l’incidence et l’évolution sous traitement de la dysfonction systolique du VG au cours du choc septique – Origine de l’hyperdébit du VG observé dans certains chocs septiques, conséquences thérapeutiques et pronostiques – Origine de l’hypovolémie et mode de détection malgré la présence d’une dysfonction systolique du VG |
5.Physiopathologie de la tamponnade – Mécanismes de l’interdépendance VD/OD – Mécanismes de l’interdépendance VD/VG – Effets de la respiration (spontanée ou mécanique) |
En réanimation, l’échocardiographie est réalisée le plus souvent dans un contexte d’urgence, mais elle trouve son utilité principale dans l’approche diagnostique des états de choc. Elle permet en effet d’élucider le mécanisme d’un état de choc et aide à orienter la thérapeutique. Dans cette situation, des questions précises sont posées pour établir le mécanisme physiopathologique prépondérant : existe-t-il une hypovolémie pertinente ? Le cœur est-il ou non défaillant ? Si oui, quel ventricule est le plus défaillant ? Une réponse rapide à ces questions fondamentales permet d’orienter la thérapeutique de façon beaucoup plus sûre qu’une approche fondée sur les seules informations cliniques. L’environnement est peu propice à un échocardiogramme répondant à l’état de l’art, car le patient est souvent difficile à examiner (agitation, polypnée, etc.), les soins en cours génèrent bruit et luminosité, et l’urgence, notamment lorsqu’elle est vitale, induit une certaine pression sur l’opérateur. En effet, l’impact thérapeutique direct de l’échocardiographie quelle qu’en soit sa modalité est majeur car elle entraîne souvent une modification immédiate de la prise en charge, y compris la décision de chirurgie cardiovasculaire en urgence, chez une grande proportion des patients et en l’absence d’autres investigations complémentaires [9 and 10].
Pour un rendement diagnostique optimal, l’échocardiographie Doppler doit être réalisée dès l’admission du patient afin d’obtenir des informations au moment de la défaillance circulatoire ou respiratoire. En effet, le traitement initial influe rapidement et parfois de manière spectaculaire sur le profil hémodynamique recueilli en échocardiographie Doppler : correction d’une hypoxémie et d’une hypercapnie, effets du traitement médical et de la ventilation mécanique sur les conditions de charge du cœur, etc. Si le patient n’est évalué pendant les heures ouvrables que le lendemain de son admission, le diagnostic à l’origine du motif d’admission sera supposé plus que prouvé et le gain de l’échocardiographie sera faible comparé à une prise en charge classique. Cette constatation illustre le besoin d’autonomie des réanimateurs pour pratiquer l’échocardiographie au moment où ils prennent en charge le patient défaillant, et explique bon nombre de discordances entre les résultats rapportés dans le compte rendu d’examen initial et ceux du cardiologue qui examine le patient convalescent à distance de l’épisode aigu.
La sensibilité et la spécificité de l’examen clinique pour l’évaluation hémodynamique sont médiocres [14, 15 and 16]. C’est pourquoi le concept de stéthoscope ultrasonique qui consiste à utiliser l’échocardiographie en prolongement de l’examen clinique a émergé.