7 Exérèse fusiforme
Introduction
L’exérèse suture fusiforme est la méthode standard d’exérèse des tumeurs cutanées bénignes ou malignes et de fermeture linéaire cutanée d’une perte de substance par simple rapprochement [1]. C’est une technique simple, facile à réaliser, qui donne d’excellents résultats esthétiques, en limitant la longueur des cicatrices et constitue de ce fait le geste de base fondamental de la chirurgie cutanée [2–4].
Principes et géométrie de l’exérèse suture fusiforme
La peau est un organe mobile, élastique, extensible, expansible mais également rétractile (cf. Chapitre 2). L’exérèse suture directe met à profit ces propriétés biomécaniques pour fermer une perte de substance, par rapprochement de la peau avoisinante [5].
La plupart des tumeurs cutanées ont une forme ronde ou elliptique. La fermeture d’une perte de substance ronde, par le rapprochement des berges, provoque une accumulation tissulaire aux deux extrémités de la cicatrice qui forme une boursouflure, un excès tissulaire encore appelée « oreille ». Pour éviter cette accumulation et obtenir une cicatrice plane et linéaire aussi courte que possible, sans tensions excessives sur les berges, la surface à exciser a été initialement incluse dans une ellipse, qui anticipe la correction de l’excédent cutané aux extrémités [1, 2] ; plusieurs variantes géométriques, correspondant à différents modèles mathématiques ont été proposées et comparées [4–7]. Ces modèles sont proches de la réalité en surface plane mais s’en éloignent sur des surfaces courbes [6]. Ils permettent de comprendre les principes fondamentaux de l’exérèse fusiforme et de ses variantes.
Ellipse classique
Elle est formée de deux arcs de cercle symétriques qui se rejoignent [8] (Figure 7.1). Le rapport longueur sur largeur (L/l) doit être entre 3 et 4 et dans ce cas, l’angle apical est compris entre 53 et 74° [9]. Elle présente plusieurs inconvénients [4] :
Fuseau rhomboïde ou losangique
Il doit être préféré à l’ellipse classique [2, 7]. Il est dessiné en traçant des lignes droites, symétriques, à partir des limites de la zone à retirer. La longueur du losange est comprise entre 3 et 4 fois sa largeur (Figure 7.2). Ainsi, sur une surface plane, l’angle apical se situe entre 28 et 37°, ce qui limite le risque d’excès tissulaires aux extrémités [9]. L’incision rectiligne est facile à réaliser. Les berges sont de même longueur et en cas d’excès tissulaire, celui-ci sera symétrique et retiré dans l’axe de la cicatrice. La longueur du fuseau sera augmentée en cas de tension importante notamment sur les membres, les paumes, les plantes, le cuir chevelu.
Fuseau en ballon de football américain
Selon un modèle mathématique évaluant la longueur de la cicatrice finale, la taille de la surface excisée, l’importance des tensions le long de l’axe de fermeture et de la surface excisée et du déplacement selon l’axe vertical, la combinaison ellipse losange (ballon de football américain) (Figure 7.3) donne les meilleurs résultats cicatriciels [5]. Ce dessin à zone centrale longue, en pente faible avec des angles latéraux relativement aigus permet de diminuer les tensions et la taille des excès tissulaires.
Synthèse des notions fondamentales de l’exérèse suture fusiforme
La longueur de la cicatrice dépend avant tout du diamètre de la lésion [5, 9].
Le risque de formation d’oreille à chaque extrémité dépend de l’ouverture de l’angle apical, donc de la forme du dessin mais aussi du rapport L/l [9]. Plus la cicatrice est courte (L/l petit), plus les angles sont ouverts et plus le risque de générer des excès tissulaires est élevé.
Plus la partie centrale de la zone excisée est étendue et la pente des berges douce, moins les tensions sont importantes et plus les angles latéraux sont ouverts [5] (Figures 7.4 et 7.5).
Fig. 7.4 Les différentes formes d’excision cutanée.
D’après Chretien-Marquet B, Caillou V, Brasnu DH et al. Description of cutaneous excision nd suture using a mathematical model. Plast Reconstr Surg 1999 ; 103 : 145–50.
Fig. 7.5 L’exérèse fusiforme.
D’après Chrétien Marquet B, Saouma S, Fernandez R. Exérèse suture cutanée : notions fondamentales et application aux techniques chirurgicales de base. EMC, Techniques Chirurgicales Chirurgie plastique. Elsevier, Paris, 1994, p. 11.
Pour un rapport L/l identique, la forme losangique donne la cicatrice la plus courte et les oreilles les plus petites au prix de tensions importantes. À l’inverse, la forme elliptique est celle qui allonge le plus la cicatrice et la taille des oreilles est supérieure. La forme combinée ellipse losange est un bon compromis entre l’importance modérée des tensions cutanées et la faible ouverture des angles latéraux [5].
Ces notions ont été modélisées sur surface plane. Or la peau n’est pas plane. Sur une zone convexe, le risque de formation d’oreilles augmente car l’ouverture des angles latéraux est plus grande. Sur une surface concave, les tensions sont plus faibles, les angles plus aigus et les oreilles moins fréquentes [6].
Orientation du fuseau : les lignes préférentielles d’incision
Le choix des lignes d’incision est capital car il détermine la localisation de la cicatrice finale, donc le résultat esthétique et fonctionnel. Même si certains ajustements peuvent s’avérer nécessaires en cours d’intervention, ce choix est réfléchi et décidé en préopératoire, avant le dessin du fuseau et l’anesthésie locale, en tenant compte, en premier lieu des impératifs fonctionnels, puis esthétiques. Il faut s’attacher à respecter ce choix [10]. Le résultat cicatriciel attendu sera expliqué au patient lors de la consultation préopératoire.
La question de l’orientation des lignes d’incision se pose quelle que soit la méthode de réparation choisie (exérèse suture, lambeau, greffe de peau) et sur l’ensemble du revêtement cutané mais plus particulièrement au niveau du visage où les cicatrices sont exposées au regard.
Pour déterminer les lignes préférentielles d’incision, il faut prendre en compte les propriétés biomécaniques de la peau, ses rapports avec les structures sous-jacentes (muscles et os) et l’anatomie de la région : reliefs et concavités, orifices, plis de flexion, rides, contours des unités esthétiques, lignes de symétrie et lignes de moindre tension cutanée (cf. Chapitres 1 et 2). L’orientation de l’incision est choisie, au cas par cas, pour chaque patient, en suivant des règles plus ou moins strictes qui vont être énumérées puis détaillées ci-dessous [2, 10, 11].
Règles pour l’orientation des lignes d’incision
Les principes suivants doivent être respectés [2, 10] :
Dans la mesure du possible, il est nécessaire de :
Lignes de moindre tension cutanée
De nombreux auteurs ont publié des schémas de lignes d’incision [12–14] qui peuvent aider mais ne doivent pas être considérés comme des dogmes.
Karl Langer propose les premiers schémas de lignes de moindre tension cutanée (LMTC) à la fin du xixe siècle. Elles ont été considérées comme un guide pour les incisions chirurgicales puis reprises et modifiées par de nombreux auteurs (Figure 7.6) [12]. Ces lignes, établies sur cadavres rigides et couchés, ne correspondent pas aux lignes de moindre tension observées chez les sujets vivants, verticaux et animés, en particulier au niveau du cuir chevelu, du front, des tempes, de la glabelle et du milieu des joues [10, 12, 14].