Pied et analyse de la marche
Introduction
L’ensemble jambe-pied est une structure ostéoarticulaire assurant l’interaction entre le membre inférieur et le sol. L’analyse instrumentale de la marche a connu, au cours des dernières décennies, un essor majeur [1]. Cependant, son application au pied est plus récente, probablement du fait de la complexité de cette structure et de contraintes techniques.
Méthodologie et applications
Cinématique
L’analyse cinématique du complexe jambe-pied sous forme d’un modèle multisegmenté fait appel à la stéréophotogrammétrie optoélectronique. Ce procédé a remplacé des systèmes plus invasifs utilisant radiographies ou fluoroscopie. Des marqueurs [2] ou des petites plaquettes équipées de marqueurs [3] sont fixés sur la peau en regard de repères osseux précis. Le déplacement tridimensionnel de ces marqueurs est enregistré avec plusieurs caméras. Grâce à un modèle multisegmentaire construit à partir de ces marqueurs « anatomiques », la mobilité tridimensionnelle des articulations modélisées est mesurée lors de la locomotion.
Les premiers travaux étudiant la mobilité de l’arrière-pied se limitaient au mouvement de la cheville, assimilée à une charnière dans le plan sagittal avec un seul degré de liberté [4]. L’introduction d’un second degré de liberté, en ajoutant une charnière correspondant à la mobilité de l’articulation sous-talienne, est simple et applicable chez le sujet sain mais connaît des limites dans les conditions pathologiques [5]. Une modélisation tridimensionnelle de l’arrière-pied avec six degrés de liberté a été proposée par la Société internationale de biomécanique en 1996 [6]. Depuis lors, différents modèles cinématiques du complexe jambe-pied ont été décrits. Un des modèles de référence est celui développé par l’équipe d’Oxford [2]. Une segmentation en quatre unités rigides distingue : la jambe (tibia et fibula), l’arrière-pied (talus et calcaneus), l’avant-pied (cinq métatarsiens) et l’hallux (1re phalange). Cette analyse fait appel à 17 marqueurs fixés sur la peau (tableau 1, figure 1) et permet la caractérisation cinématique des quatre segments modélisés dans les trois plans de l’espace. Par exemple, il est possible de quantifier, lors de la marche, l’axe de l’arrière-pied (valgus/varus) [figure 2] ou les variations de hauteur de l’arche médiale du pied (figure 3). Le modèle d’Oxford a été modifié pour être adapté à l’enfant, et particulièrement aux déformations du pied rencontrées dans la paralysie cérébrale. Les variabilités intra- et interobservateur sont acceptables, avec descriptions de courbes cinématiques mesurées chez 14 enfants sains entre 6 et 14 ans [7]. La variabilité la plus importante est retrouvée sur les mesures dans le plan transversal, pouvant atteindre 7°, ce qui limite la finesse de l’analyse dans ce plan. D’autres modèles ont été décrits, comme celui de l’institut Rizzoli à Bologne [3], avec 14 marqueurs cutanés de 10 mm de diamètre. Les modèles peuvent être très complexes, comme celui développé par McWilliams et al. [8], utilisant 19 marqueurs définissant neuf segments et enregistrant la mobilité de neuf articulations. Un des intérêts de ces modèles est de focaliser l’étude sur une articulation, comme par exemple l’articulation sous-talienne [9].
Position | Segment |
---|---|
Condyle fémoral | Fémur |
Tubérosité tibiale | Jambe |
Extrémité proximale de la fibula | Jambe |
Malléole fibulaire | Jambe |
Malléole tibiale | Jambe |
Marge antérieure distale du tibia | Jambe |
Versant médial de la tubérosité du calcaneus | Arrière-pied |
Versant latéral de la tubérosité du calcaneus | Arrière-pied |
Marqueur (baguette) sur la tubérosité du calcaneus | Arrière-pied |
Bord latéral du calcaneus | Arrière-pied |
Petite apophyse du calcaneus | Arrière-pied |
Base du 1er métatarsien | Avant-pied |
Base du 5e métatarsien | Avant-pied |
Tête du 1er métatarsien | Avant-pied |
Tête du 5e métatarsien | Avant-pied |
Espace entre les 2e et 3e têtes métatarsiennes | Avant-pied |
Base de l’hallux | Hallux |
Cependant, cette méthode connaît des limites. La mobilité des marqueurs cutanés par rapport aux repères osseux sous-jacents altère la précision de ces enregistrements [3]. Par ailleurs, la division du pied en segments rigides, faisant abstraction de la mobilité existant entre les différents os les constituant, entraîne une perte d’informations, comme cela a été montré sur le cadavre [10]. Ceci est particulièrement vrai pour le talus, dont le rôle physiologique est fondamental, mais échappe à ces explorations du fait de l’absence de repère osseux.
Lundgren et al. [11] franchissent une étape en proposant une analyse de la mobilité de différentes articulations du pied in vivo et lors de la marche en utilisant des marqueurs externes fixés directement dans l’os. Ces marqueurs sont mis en place avec asepsie sous anesthésie locale et contrôle fluoroscopique avec une mèche de 1,6 mm permettant un ancrage intracortical dans neuf os de la jambe et du pied. Chaque point d’ancrage osseux est équipé d’un tripode réflecteur. Puis le sujet est invité à marcher sur une piste longue de 9 m. Dix caméras permettent d’apprécier de façon très sensible la mobilité des articulations sous-talienne et talonaviculaire. Cette dernière peut être 2 fois supérieure à la première dans les plans transverse et frontal, ce qui étaye la notion de double appartenance de l’articulation talonaviculaire évoquée dans le chapitre « Concept de bloc calcanéo-pédieux », page 26.
La mobilité d’articulations aussi peu étudiées que l’articulation calcanéocuboïdienne ou celle siégeant entre le cunéiforme médial et le naviculaire est quantifiable. Ainsi, la mobilité de l’articulation calcanéocuboïdienne est supérieure à celle de l’articulation talocalcanéenne, confirmant l’importance de l’articulation transverse du tarse. L’articulation entre le cunéiforme médial et le naviculaire est notable, de l’ordre de 10° dans les plans frontal et sagittal, ce qui est un élément pouvant remettre en question l’indication d’une résection-arthrodèse entre les os cunéiformes et le naviculaire proposée dans le traitement du pied plat valgus au profit d’une ostéotomie des cunéiformes médial et intermédiaire (voir le chapitre « Pied plat valgus idiopathique », page 157). La mobilité tarsométatarsienne augmente de façon très sensible de médial en latéral, révélant le rôle important de l’arche latérale lors de la marche.
Après des travaux chez des sujets sains : enfants [7], adolescents [8] et adultes [2], les auteurs appliquent cette méthodologie à différentes pathologies comme le pied bot varus équin congénital (PBVE) [12,13], des fractures de cheville [14], l’arthrose tarsienne [15], la polyarthrite rhumatoïde [16], une anomalie du tendon tibial postérieur [17] ou la paralysie cérébrale [7]. Par exemple, l’étude cinématique de la marche d’enfants avec PBVE (voir le chapitre « Pied bot varus équin congénital », page 93) révèle une tendance à l’équin après traitement fonctionnel et au calcaneus après traitement selon Ponseti [13].