3. Échocardiographie normale
J.-M. Vedrinne and S. Duperret
Depuis sa première utilisation chez l’homme en 1964 par les Suédois Edler et Hertz, l’échocardiographie a bénéficié d’incessantes améliorations technologiques au cours du temps qui accroissent régulièrement ses capacités diagnostiques et son impact thérapeutique [1]. Initialement limitée au mode A et TM (temps-mouvement), l’apparition de l’imagerie bidimensionnelle au milieu des années 1970 permet de visualiser en temps réel les différentes structures anatomiques du cœur et des gros vaisseaux, et leur déplacement au cours du cycle cardiaque et respiratoire en échocardiographie transthoracique (ETT) [2]. Le Doppler dans ses différentes modalités (pulsé, continu, à codage couleur) permet par la suite de mesurer la vitesse de déplacement de la colonne sanguine dans les structures cardiovasculaires et d’obtenir de nombreux paramètres hémodynamiques, tels que par exemple les gradients de pression transvalvulaires et le débit cardiaque.
En 1976, Frazin et al. [3] utilisent pour la première fois l’échocardiographie transœsophagienne (ETO). Celle-ci devient rapidement un complément indispensable de l’ETT dans de nombreuses affections cardiovasculaires [4]. À l’inverse des États-Unis où l’ETO a été utilisée précocement au bloc opératoire, en particulier pour la surveillance peropératoire de la fonction ventriculaire gauche chez les patients à risque, son développement en France dans le domaine de l’anesthésie et de la réanimation est plus récent, datant de la fin des années 1980. L’ETO a également bénéficié d’incessants progrès techniques, avec l’incorporation du Doppler puis l’apparition de sondes biplan à partir de 1989 [5], puis multiplan à partir de 1992 [6].
Plus récemment, l’imagerie de seconde harmonique a permis d’améliorer considérablement la qualité des images obtenues en ETT et de nouvelles techniques telles que l’échocardiographie tridimensionnelle, le Doppler tissulaire, la détection automatique des contours endocardiques ou l’échocardiographie de contraste sont venues compléter les outils dont dispose l’échocardiographiste.
Échocardiographie transthoracique normale
L’ETT reste le premier temps indispensable de l’examen cardiovasculaire par ultrasons, y compris chez les patients en état critique. Chez ces derniers, elle peut fournir très rapidement des informations pertinentes et avoir un impact thérapeutique immédiat majeur. Elle n’est pas toujours techniquement réalisable chez les patients admis en réanimation ou dans les services d’accueil urgences. Au bloc opératoire, l’accès aux fenêtres acoustiques transthoraciques est souvent impossible en raison de la proximité du champ opératoire et on a alors recours à l’ETO.
L’ETT est complétée par une ETO chaque fois que la qualité des images est inadéquate pour répondre aux questions posées, ou bien lorsque l’ETO a une capacité diagnostique supérieure à l’ETT qui a été démontrée pour l’indication donnée (voir chapitre 2). Nous allons détailler les principales vues que l’on peut obtenir en ETT en décrivant les différentes structures anatomiques analysables pour chacune d’entre elles. Les incidences échographiques utiles pour l’évaluation de l’appareil pleuropulmonaire ne seront pas abordées.
Principales vues en échocardiographie transthoracique
L’ETT consiste à explorer le cœur et les gros vaisseaux à partir de quatre fenêtres échocardiographiques standard : parasternale, apicale, sous-costale ou sous-xyphoïdienne et suprasternale (figure 3-1). Chez certains patients, d’autres fenêtres acoustiques peuvent être utilisées (par exemple, vues parasternales droites) en fonction des particularités anatomiques et des indications individuelles. Chacune de ces fenêtres doit être utilisée successivement et de manière systématique. Lorsqu’une des fenêtres n’est pas utilisable, l’opérateur passe à la fenêtre suivante. Pour chaque fenêtre acoustique, de multiples coupes échocardiographiques du cœur et des gros vaisseaux dans leur grand et petit axes peuvent être obtenues en imprimant des mouvements de rotation et d’angulation à la sonde d’échocardiographie [7, 8]. Les vues échocardiographiques grand axe représentent une section sagittale ou horizontale du cœur qui le coupe de la base à la pointe. Les vues échocardiographiques petit axe sont perpendiculaires aux précédentes et fournissent des coupes anatomiques sous forme de « tranches de section » du cœur de la base vers la pointe (figure 3-2).
Figure 3-1 |
Figure 3-2 |
Pour chacune de ces fenêtres acoustiques, l’examen bidimensionnel guide les mesures morphologiques en s’aidant du mode TM, ainsi que l’interrogation Doppler des différentes structures anatomiques. Il est recommandé d’enregistrer sur bande vidéo l’examen échocardiographique complet, qu’il soit limité à une ETT ou qu’il comprenne secondairement une ETO. Cet enregistrement permet de discuter a posteriori des cas les plus délicats et constitue une référence en cas d’examen itératif. Enfin, un tracé électrocardiographique de bonne qualité doit être obtenu afin de se repérer dans le cycle cardiaque. De la même manière, lorsque les patients sont sous ventilation mécanique, il est souhaitable d’avoir un tracé de pression des voies aériennes qui est surimposé à l’image échocardiographique, en plus du tracé électrocardiographique. Cela permet de se repérer dans le cycle respiratoire et de tenir compte des interactions physiologiques ou pathologiques entre le cœur et les poumons (voir chapitre 4).
Vues parasternales
Les vues parasternales sont au mieux obtenues en mettant le patient en décubitus latéral gauche. Chez le patient non mobilisable, on peut essayer aussi de les obtenir en décubitus dorsal strict, même si la qualité d’image est en règle moins bonne. On distingue :
– les vues parasternales grand axe :
• du ventricule gauche en coupe sagittale ;
• de la chambre de remplissage du ventricule droit.
– les vues parasternales petit axe :
• de la bifurcation du tronc de l’artère pulmonaire, de la valve aortique et de la chambre de chasse du ventricule droit ;
• de la valve mitrale (coupe basale du ventricule gauche) ;
• des muscles papillaires (coupe médiane du ventricule gauche passant par les muscles papillaires mitraux) ;
• de la pointe du ventricule gauche (coupe apicale du ventricule gauche).
Vues apicales
– la vue des quatre cavités ;
– la vue des cinq cavités ;
– la vue des deux cavités (gauches).
Vues sous-costales
Les vues sous-costales sont au mieux obtenues en décubitus dorsal strict. C’est pourquoi elles sont largement utilisées pour examiner les patients ventilés ou peu mobilisables. On distingue :
– la vue de la veine cave inférieure et des veines hépatiques ;
– la vue de la chambre de remplissage des ventricules ;
– la vue du ventricule gauche et de l’aorte ;
– la vue de la chambre de chasse du ventricule droit.
Vues suprasternales
Les vues suprasternales sont aussi obtenues en décubitus dorsal strict, avec la tête positionnée en hyperextension, ce qui n’est pas toujours réalisable chez les patients en état critique, et même parfois contre-indiqué (lésion traumatique du rachis cervical). On distingue :
– la vue grand axe de l’aorte et petit axe de l’artère pulmonaire ;
– la vue petit axe de l’aorte et grand axe de l’artère pulmonaire.
Description des principales vues transthoraciques
Vues parasternales
On commence l’ETT en plaçant la sonde d’échocardiographie dans la région parasternale gauche, habituellement dans le troisième ou quatrième espace costal gauche. À partir de cette position du capteur, on peut obtenir des coupes échocardiographiques petit axe et grand axe du cœur (figures 3-1 et 3-2).
Vues parasternales grand axe
La vue parasternale grand axe du ventricule gauche est obtenue en orientant l’index du capteur vers l’épaule droite du patient. L’image obtenue représente une coupe échocardiographique le long du grand axe du ventricule gauche (figure 3-3). Elle est particulièrement utile pour réaliser les mesures des parois et cavités cardiaques en mode TM, évaluer la morphologie et la fonction des valves mitrale et aortique, et analyser la fonction systolique régionale du ventricule gauche. La valve aortique et l’aorte ascendante proximale sont situées sur la droite de l’écran, la pointe du ventricule gauche sur la gauche de l’écran, le ventricule droit en haut de l’écran (antérieur), et l’oreillette gauche en bas et à droite de l’écran (postérieure). Les feuillets antérieur et postérieur de la valve mitrale et l’appareil sous-valvulaire sont également bien examinés dans cette incidence. Le sinus coronaire est parfois visible, apparaissant comme une petite structure vide d’échos et circulaire qui est située dans la région du sillon atrioventriculaire. L’aorte thoracique descendante et la plèvre gauche sont visualisées postérieurement, c’est-à-dire en bas de l’écran si la profondeur de champ est suffisante. Ainsi, la vue parasternale grand axe du ventricule gauche est représentée comme une section sagittale du cœur vue à partir du côté gauche d’un patient en position debout.
Figure 3-3 |
La vue grand axe de la chambre de remplissage du ventricule droit est obtenue à partir de la même position (capteur dans le troisième ou quatrième espace intercostal gauche) en imprimant une inclinaison inféromédiane et une légère rotation horaire de la sonde d’échocardiographie. On obtient alors une vue grand axe de la chambre de remplissage et de la pointe du ventricule droit (en haut et à gauche de l’écran), de la valve tricuspide et de l’oreillette droite (en bas et à droite de l’écran) (figure 3-4).
Figure 3-4 |
Vues parasternales petit axe
À partir de la vue parasternale grand axe du ventricule gauche, les incidences petit axe sont obtenues en imprimant une rotation horaire du capteur d’ultrasons tout en restant dans le même espace intercostal (troisième ou quatrième espace gauche). L’index du capteur est alors dirigé vers le creux sus-claviculaire gauche de manière à ce que le faisceau d’ultrasons soit approximativement perpendiculaire au plan du grand axe du ventricule gauche (figure 3-2). À partir de cette position, il est possible d’obtenir plusieurs coupes petit axe du cœur, en progressant de la base du cœur (capteur légèrement incliné vers le haut) à la pointe du ventricule gauche (capteur légèrement incliné vers le bas) via la valve mitrale. Sur les images ainsi obtenues, le cœur est représenté sur l’écran comme s’il était vu par-dessous en regardant de la pointe vers la base.
Lorsqu’à partir de cette position la sonde d’échocardiographie est placée grossièrement perpendiculaire au precordium, on obtient une vue transversale du ventricule gauche au niveau des muscles papillaires mitraux (figure 3-5). Les piliers antérolatéral et postériomédian se projettent typiquement à 4h et 8h, respectivement. Le ventricule gauche examiné en petit axe apparaît postérieurement et à droite de l’écran, et le ventricule droit antérieurement et à gauche de l’image. Cette incidence est particulièrement utile pour analyser la fonction systolique segmentaire du ventricule gauche [8].
Figure 3-5 |
À partir de la coupe échocardiographique précédente, on peut obtenir une coupe petit axe médiane basse du ventricule gauche qui passe par l’extrémité inférieure des muscles papillaires mitraux, puis une coupe petit axe de la pointe du ventricule gauche (figure 3-6) en inclinant progressivement le capteur en bas et à gauche du patient, tout en restant perpendiculaire au plan du grand axe du ventricule gauche.
Figure 3-6 |
En inclinant le capteur cette fois-ci vers le haut et l’épaule droite du patient à partir de la vue parasternale petit axe du ventricule gauche passant par les piliers mitraux, on obtient une vue petit axe de la valve mitrale avec le feuillet antérieur situé en haut de l’écran et le feuillet postérieur en bas (figure 3-7). En temps réel, les feuillets bougent en diastole comme une bouche de poisson. Cette vue est précieuse pour évaluer l’appareil valvulaire mitral (par exemple : calcifications, fusions commissurales) et mesurer en planimétrie la surface de la valve mitrale.
Figure 3-7 |
En continuant de diriger le capteur vers le haut et la droite, on obtient des incidences transversales de la base du cœur. Tout d’abord, l’orifice aortique apparaît comme un cercle avec la valve composée de trois valvules qui forment un Y en diastole (figure 3-8). La chambre de chasse du ventricule droit s’enroule autour de l’aorte en passant de la gauche à la droite de l’écran. La valve pulmonaire est observée antérieurement et à droite de la valve aortique et l’origine des artères coronaires peut être visualisée. Une inclinaison supplémentaire du capteur vers le haut peut permettre de dérouler le tronc de l’artère pulmonaire et même parfois de visualiser sa bifurcation.
Figure 3-8 |
Vues apicales
Les vues apicales sont obtenues en plaçant la sonde d’échocardiographie au niveau ou à proximité du choc de pointe, c’est-à-dire sous le mamelon et plus ou moins loin dans l’aisselle gauche.
En positionnant l’index du capteur vers l’aisselle gauche du patient et en dirigeant le faisceau d’ultrasons vers le haut et l’intérieur en visant l’omoplate droite, une vue des quatre cavités cardiaques est obtenue. Les cavités gauches sont situées à droite de l’écran et les cavités droites à gauche de l’écran ; les ventricules sont antérieurs en haut de l’image et le massif auriculaire postérieur en bas de l’image (figure 3-9). Les septums interventriculaire et interauriculaire sont en continuité et reliés par une jonction membraneuse. Le sillon atrioventriculaire gauche (mitral) est normalement légèrement plus haut que le sillon atrioventriculaire droit (tricuspide). Le feuillet antérieur de la valve mitrale s’insère près de la terminaison céphalique du septum membraneux et le feuillet septal de la valve tricuspide 5 à 10mm plus bas, sur la partie médiane du septum membraneux. Cette importante distinction anatomique permet d’identifier les chambres ventriculaires. L’incidence apicale quatre cavités permet d’évaluer la fonction des valves auriculoventriculaires, notamment par Doppler, ainsi que la fonction systolique régionale du ventricule gauche. Le principal piège à éviter est de placer le capteur un à deux espaces intercostaux trop haut. On obtient alors une vue tronquée des ventricules (figure 3-10).
Figure 3-9 |
Figure 3-10 |
En imprimant une inclinaison légèrement postérieure au capteur, on peut visualiser l’abouchement des veines pulmonaires dans l’oreillette gauche (figure 3-11). En orientant le capteur antérieurement, on dégage la racine de l’aorte et la valve aortique au milieu des quatre chambres cardiaques, dans la région où la croix du cœur était localisée dans la vue apicale des quatre cavités. Cette nouvelle vue est donc appelée vue apicale cinq cavités (figure 3-12). Elle permet habituellement l’interrogation Doppler de la valve aortique et de mesurer le temps de relaxation isovolumétrique.
Figure 3-12 |
À partir de la vue apicale quatre cavités, la rotation horaire d’environ 90° du capteur permet d’obtenir l’incidence apicale deux cavités. Le ventricule gauche est situé antérieurement en haut de l’écran et l’oreillette gauche postérieurement en bas de l’écran (figure 3-13). Cette vue est utile pour analyser la valve mitrale et la fonction systolique régionale du ventricule gauche.
Figure 3-13 |
Vues sous-costales
En plaçant la sonde d’échocardiographie dans le creux épigastrique et en la dirigeant grossièrement entre la fourchette sternale et le creux sus-claviculaire gauche (onglet du capteur dirigé vers la gauche du patient), on obtient une coupe qui est similaire à la vue apicale des quatre cavités cardiaques (figure 3-14). Néanmoins, la coupe ne passe pas par la pointe des ventricules qui est visualisée en inclinant le capteur d’ultrasons légèrement vers la gauche du patient. Les deux oreillettes sont disposées à gauche de l’écran et les ventricules sont à droite. Les cavités droites sont situées antérieurement en haut de l’image et les cavités gauches postérieurement en bas. Cette incidence est très utile pour examiner le massif auriculaire – en particulier le septum interauriculaire – et pour mesurer la vitesse maximale d’une insuffisance tricuspide, notamment chez le patient ventilé.