23. Échocardiographie et Doppler œsophagien peropératoires en chirurgie non cardiaque
S. Duperret and B. Cholley
Indications théoriques
▪ Recommandations
Les recommandations quant à l’usage de l’ETO en période peropératoire émanent des sociétés savantes nord-américaines d’anesthésie et datent de 1996 [1]. Elles classent les indications de l’ETO en trois catégories. La première catégorie reconnaît à l’ETO un rôle essentiel dans la prise en charge des patients et dans l’amélioration de leur évolution (utilité certaine). Dans la deuxième catégorie d’indications, l’ETO a un rôle possible dans la prise en charge des patients et dans l’amélioration de leur évolution (utilité probable). Dans la troisième catégorie, l’utilité de l’ETO est considérée comme incertaine dans la prise en charge des patients [1]. En chirurgie non cardiaque, il n’existe aucune indication de catégorie 1 et seulement quelques indications très spécifiques de catégorie 2 (détection de l’embolie gazeuse au cours de la neurochirurgie en position assise, évaluation des anastomoses vasculaires après transplantation pulmonaire, bilan peropératoire d’une embolie artérielle). En revanche, certaines situations cliniques permettent de retenir une indication de catégorie 2 ou 1 pour une pathologie initialement de catégorie 3 ou 2. Retenons que toute perturbation hémodynamique peropératoire menaçant le pronostic vital relève d’une catégorie 1 et que toute chirurgie à risque d’instabilité hémodynamique ou d’ischémie myocardique relève d’une catégorie 2, ce qui laisse une place substantielle à l’ETO pour la prise en charge peropératoire des patients opérés en urgence, ou à forte comorbidité, et pour les actes de chirurgie lourde susceptible d’entraîner des modifications de charge importantes (chirurgie vasculaire, viscérale, thoracique, orthopédique carcinologique, etc.).
▪ Impact
Dans une étude multicentrique européenne, les changements thérapeutiques liés à l’ETO peropératoire représentaient globalement 30 % des cas [2]. L’impact thérapeutique direct était plus élevé pour les indications de catégorie 1 que pour les indications de catégorie 2 (67 % contre 21 %). Cette relation entre catégorie d’indication et impact thérapeutique est confirmée par une étude plus récente qui rapporte une modification thérapeutique liée à l’ETO dans 37 %, 31 % et 27 % pour les catégories 1, 2, et 3 respectivement [3]. En outre, dans 47 % des cas, l’usage de l’ETO modifie le choix des médicaments utilisés en peropératoire et la décision de remplissage dans 24 % des cas [4]. Bien que l’ETO permette un nouveau diagnostic dans 80 % des cas [5] et un changement thérapeutique dans près de 20 % des cas [6], l’impact pronostique n’a pas été démontré. La rentabilité de l’ETO semble liée à la lourdeur de la chirurgie mais aussi au terrain. L’impact est plus important pour les patients ASA III et IV [6].
▪ Rationnel : fonction segmentaire, fonction globale, débit, pressions
Fonction systolique segmentaire du ventricule gauche
La vue petit axe transgastrique du ventricule gauche (VG) est l’incidence de référence, car elle permet de visualiser les quatre principales parois (antérieure, latérale, septale et inférieure) irriguées par les trois principales artères coronaires (interventriculaire antérieure, circonflexe et coronaire droite). La surveillance continue de la cinétique segmentaire du VG au cours de la chirurgie non cardiaque n’a pas confirmé les résultats encourageants obtenus en chirurgie cardiaque [7]. La survenue peropératoire d’une anomalie de la cinétique segmentaire du VG n’est pas associée à la survenue d’un infarctus postopératoire [8]. De plus, il n’y a pas de concordance entre anomalie de contraction segmentaire à l’ETO et signes ischémiques sur l’électrocardiogramme [9].
Trois raisons principales sont à l’origine de ces mauvais résultats. Premièrement, hypokinésie n’est pas synonyme d’ischémie et il existe de nombreuses autres causes d’anomalie de la cinétique segmentaire du VG (hypovolémie, effet des agents anesthésiques, troubles de la conduction, etc.) [10]. Deuxièmement, les épisodes ischémiques surviennent le plus souvent au cours de la période postopératoire, quand l’ETO continue n’est plus possible. Enfin, même en utilisant deux plans de coupe [11], de nombreuses anomalies de contraction segmentaire du VG ne sont pas détectées [12]. Ces résultats décevants expliquent que le monitorage continu de la fonction segmentaire VG peropératoire par ETO en chirurgie non cardiaque ne soit pas recommandé pour détecter l’ischémie myocardique.
Fonction systolique globale du ventricule gauche
L’évaluation de la fonction systolique globale du VG s’effectue à partir de la vue transgastrique petit axe, mais aussi de la vue transœsophagienne des 4 cavités, notamment lorsque la présence de la sonde d’ETO dans l’estomac peut gêner l’acte chirurgical. La mesure de la surface télédiastolique (STD) et télésystolique (STS) du VG permet le calcul de la fraction de réduction de surface (FRS), selon la formule :
FRS = (STD – STS)/STD, exprimée en pourcentage
La FRS est bien corrélée à la fraction d’éjection [13]. Elle en possède donc les avantages (simplicité de recueil, paramètre largement utilisé, etc.), mais aussi les inconvénients (dépendance des conditions de charge) [14]. La surface de la cavité VG peut être mesurée manuellement (en incluant les piliers mitraux dans la mesure), ou obtenue en temps réel grâce à un dispositif de détection automatique des contours de l’endocarde ventriculaire [15]. Bien que cette technique exclue les piliers mitraux de la mesure de surface, elle permet d’obtenir une estimation correcte du volume d’éjection systolique [16] ou de la fraction d’éjection du VG [17], à condition qu’elle soit utilisée sur des images de bonne qualité par un utilisateur entraîné.
Fonction systolique globale du ventricule droit
Malgré sa géométrie difficile à modéliser, la surface télédiastolique du ventricule droit (VD) en petit axe est un bon reflet de son volume [18]. Il est alors possible de surveiller l’évolution de la fonction systolique du VD sous l’effet du traitement ou de l’acte chirurgical [19, 20]. Les différentes composantes de la pression artérielle pulmonaire sont évaluées par mesure des vitesses Doppler de l’insuffisance tricuspidienne [21] et pulmonaire [22].
Conditions de charge et pressions de remplissage
L’appréciation grossière de la précharge du VG repose sur la mesure de sa STD [23] et, à un moindre degré, de sa STS [24] (voir chapitre 5). L’évaluation des pressions de remplissage du VG repose sur l’analyse du profil Doppler mitral [25] et des veines pulmonaires [26, 27] (voir chapitre 10). L’ETO permet en outre de détecter la présence d’une hypertrophie VG, qui réduit la tolérance à l’hypovolémie. Si la STD du VG augmente de moins de 10 % après une épreuve de remplissage vasculaire rapide, la précharge « optimale » est probablement atteinte et tout remplissage vasculaire supplémentaire n’augmentera que les pressions de remplissage. Comme la précision de la mesure de la STD du VG est ellemême proche de 10 %, la mesure du volume d’éjection systolique par méthode Doppler à l’anneau aortique ou même la simple intégrale temps-vitesse (ITV) du profil Doppler semble plus précise que celle de la STD du VG pour guider les apports liquidiens (voir chapitres 5 et 6). L’absence d’augmentation du volume d’éjection systolique témoigne alors du caractère délétère du remplissage qui n’augmente plus le débit du VG mais aggrave la congestion veineuse d’amont. Cette congestion veineuse pulmonaire peut modifier les profils Doppler mitral et pulmonaire jusqu’à un aspect de restriction au remplissage du VG [27, 28].
Si l’ETO est réalisée à un moment où l’état hémodynamique du patient est stable (par exemple, après l’induction), on s’attache à enregistrer des valeurs de référence auxquelles seront comparées les mesures ultérieures réalisées pendant l’intervention (figure 23-1). Si l’ETO est utilisée d’emblée face à un événement peropératoire grave (arrêt circulatoire, hypoxémie, etc.), le but est alors de déterminer la cause de la complication en identifiant l’anomalie la plus marquante : hypovolémie ou congestion (droite ou gauche). Ces renseignements grossiers sont très utiles pour guider la prise en charge de l’état de choc dont le mécanisme est parfois multifactoriel.
Figure 23-1 |
État de choc peropératoire
L’état de choc peropératoire est souvent multifactoriel. L’ETO permet d’en établir le mécanisme principal.
▪ Hypovolémie
C’est le mécanisme le plus fréquemment rencontré. Le tableau caricatural d’hypovolémie aiguë, se traduisant par une exclusion systolique de la cavité VG (virtuelle en télésystole) [24] ou une réduction majeure de la STD du VG < 7 cm2/m2 (cette valeur repose sur des données épidémiologiques [29]), est finalement assez rare (figure 23-2). Dans les autres situations, une valeur isolée de STD du VG ne permet pas de guider le traitement car il est difficile d’affirmer si elle correspond à une précharge optimale pour un patient donné dans une situation donnée, ou non. Tant que la STD du VG augmente sous remplissage, le débit cardiaque augmente (loi de Starling) sans augmentation dangereuse des pressions de remplissage. Cela a été vérifié en clinique en confrontant les données issues du cathétérisme droit et celles de l’échocardiographie. En revanche, poursuivre le remplissage vasculaire alors que la STD du VG ou l’ITV du profil Doppler aortique ont atteint un plateau expose au risque de surcharge [30]. Chez les patients qui ont une hypertrophie VG, le suivi des variations de la STD du VG est moins pertinent que celui du volume d’éjection (ou de l’ITV du profil Doppler aortique) [31]. La surveillance du profil Doppler mitral (voire veineux pulmonaire) permet de détecter précocement une élévation menaçante des pressions de remplissage du cœur gauche, notamment en présence d’une cardiopathie sous-jacente (figure 23-3).
Figure 23-2 |
Figure 23-3 |
▪ Dysfonction systolique ventriculaire gauche
Cette dysfonction peut correspondre à l’aggravation d’une dysfonction systolique chronique du VG (cardiomyocardiopathie) au cours de l’anesthésie, à l’apparition d’anomalies sévères de la cinétique segmentaire en rapport avec une ischémie myocardique peropératoire, ou à la découverte fortuite d’une dysfonction valvulaire, mitrale le plus souvent, au moment de l’intervention [5, 6]. L’identification d’une dysfonction systolique du VG influence souvent la prise en charge peropératoire. Elle peut être observée au décours d’une chirurgie septique ou d’une chirurgie tumorale.
▪ Dysfonction systolique ventriculaire droite et hypoxémie peropératoire
Il s’agit de la survenue non exceptionnelle d’une embolie pulmonaire cruorique [6, 32] (figure 23-4), d’une embolie gazeuse lors de la neurochirurgie en position assise, ou parfois encore d’une embolie mixte (aérique, graisseuse, et cruorique) au cours de la chirurgie prothétique du membre inférieur [33]. L’association d’un état de choc brutal à une hypoxémie doit faire évoquer une embolie pulmonaire. La constatation d’un cœur pulmonaire aigu est très évocatrice d’embolie pulmonaire étendue quand le patient n’a pas d’antécédent pulmonaire ou cardiaque droit (figure 23-4). La présence d’un embole (cruorique ou tumoral) dans les artères pulmonaires proximales ou en transit dans les cavités cardiaques droites est pathognomonique de l’embolie pulmonaire, en règle massive (voir chapitre 9). La vue transœsophagienne des vaisseaux de la base permet de visualiser le tronc de l’artère pulmonaire et l’artère pulmonaire droite où le thrombus s’enclave fréquemment. L’artère pulmonaire gauche, habituellement masquée par l’interposition de la bronche souche gauche, est souvent visible en cas de dilatation (figure 23-4). Outre la chirurgie prothétique des os longs, la chirurgie carcinologique rétropéritonéale, notamment celle du rein, de la veine cave inférieure ou de la surrénale, et la chirurgie hépatique avec thrombus cave sont des situations pourvoyeuses d’embolies pulmonaires massives peropératoires.
Figure 23-4 |
L’hypoxémie associée à la défaillance hémodynamique peut être secondaire à un foramen ovale perméable (FOP) responsable d’un shunt intracardiaque droit-gauche (voir chapitre 18). La réouverture du foramen ovale peut être associée à l’hypertension artérielle pulmonaire qui accompagne le cœur pulmonaire aigu. C’est un facteur de mauvais pronostic [34].
▪ Arrêt circulatoire
Une série récente rapporte 22 cas de patients qui ont nécessité une réanimation cardiocirculatoire au décours d’une chirurgie non cardiaque [35]. L’ETO a permis le diagnostic 19 fois : 9 cas d’embolie pulmonaire massive, 6 cas d’ischémie myocardique aiguë, 2 cas d’hypovolémie profonde et 2 cas de tamponnade. L’impact de l’ETO sur la prise en charge a été majeur chez 18 patients, et dans 12 cas l’examen a guidé la procédure chirurgicale.
▪ Dissection aortique
La découverte d’une dissection de l’aorte descendante est loin d’être exceptionnelle lors de la chirurgie en urgence d’une ischémie aiguë du membre inférieur, qui est alors la complication révélatrice. Elle peut également être fortuite lors de l’enquête étiologique d’un accident embolique artériel réalisée durant l’intervention de revascularisation pratiquée en urgence [36].
Intérêt de l’échocardiographie peropératoire selon le type de chirurgie non cardiaque
▪ Chirurgie hépatique
Il s’agit d’un bon exemple d’indication liée à la lourdeur de l’acte chirurgical, mais aussi à la fragilité du patient. Les risques liés à l’acte sont d’ordre hémorragique, embolique [37, 38] ou hémodynamique (syndrome de reperfusion). Les études concernent surtout la transplantation hépatique. Les risques liés au terrain sont cardiovasculaires (myocardiopathie du cirrhotique) [39], rénaux et hépatiques.
Lors de la chirurgie avec exclusion ou lorsque la dissection est hémorragique (par exemple en cas d’hypertension portale grave), la conséquence est une baisse du retour veineux et donc du débit systémique. Lors de la remise en charge du foie (déclampage), il existe une brusque augmentation du retour veineux, parfois responsable d’une hypertension artérielle pulmonaire. Un cas de réouverture du foramen ovale a été décrit [40]. Le diamètre de la veine cave peut alors augmenter et gêner la pratique du geste chirurgical. L’anesthésiste-réanimateur doit donc adapter le remplissage aux conditions de charge, sans excès, en s’aidant de vasoconstricteurs si besoin afin de ne pas risquer une dysfonction ventriculaire droite. L’autre éventualité est une chute tensionnelle au déclampage malgré une volémie suffisante qui est alors liée à une vasoplégie extrême secondaire à la reperfusion [41]. La gestion du remplissage vasculaire et des vasoconstricteurs peut être délicate car la dysfonction diastolique du VG est fréquente chez le cirrhotique [41, 42]. L’ETO permet non seulement de guider le remplissage vasculaire et d’apprécier sa tolérance, mais aussi d’identifier une défaillance VG précoce après transplantation hépatique [43]. Cette dernière entité s’observe surtout en postopératoire, mais peut se rencontrer aussi pendant l’intervention. L’augmentation de la postcharge (traitement vasoconstricteur) et la libération de médiateurs inflammatoires diminuant la contractilité myocardique sont les mécanismes invoqués.
▪ Chirurgie orthopédique
La chirurgie orthopédique ou traumatologique expose à certaines complications dont la principale est la survenue de complications emboliques. L’ETO permet, en outre, l’évaluation de la fonction ventriculaire et des pressions de remplissage au cours de certaines interventions très hémorragiques (chirurgie du bassin ou du rachis).
L’utilisation de l’ETO en chirurgie orthopédique remonte à la fin des années 1980 [44]. De nombreuses études ont été menées depuis cette date pour préciser la nature et la morphologie des emboles intravasculaires, le moment de survenue par rapport au temps opératoire, le retentissement potentiel sur l’état hémodynamique et les types de chirurgies exposant le plus à ces événements emboliques. Lors de la chirurgie prothétique du fémur et du genou, au moment de l’alésage mais également lors de la pose de la prothèse, la pression intramédullaire augmente de façon considérable, atteignant facilement plusieurs centaines de millimètres de mercure [45, 46]. Cette hyperpression entraîne le passage dans le sang de matériel composé principalement de lobules graisseux médullaires et de cellules hématopoïétiques osseuses [45], mais aussi d’air et de thrombus cruoriques. En ETO, deux principaux aspects sont rencontrés : le premier se manifeste sous la forme d’échos de contraste de petite taille en « tempête de neige ». Le second consiste en l’apparition d’emboles de grande taille (parfois > 10mm) [33, 47]. La période opératoire la plus fréquemment incriminée est l’alésage et la pose de la prothèse. L’utilisation de ciment (joint étanche) augmente considérablement la gravité de ces emboles [47, 48] que l’on retrouve non seulement dans la circulation pulmonaire, mais également dans le cerveau [49], le rein et le cœur, suggérant un passage transpulmonaire démontré expérimentalement [50]. L’hyperpression intramédullaire est très certainement en cause, puisque ces phénomènes emboliques sont fortement atténués avec l’utilisation d’un système d’aspiration dans le fût fémoral au cours de la cimentation [51]. Il n’y a pas de parallélisme entre l’importance des phénomènes emboliques et la traduction clinique [52], même si l’on décrit au décours d’emboles de grande taille des anomalies de la cinétique segmentaire [53], une dilatation ventriculaire droite aiguë [54], une hypertension artérielle pulmonaire [47], voire un syndrome d’embolie graisseuse postopératoire parfois mortel [33] ou un arrêt cardiaque [55]. L’utilisation d’un garrot pneumatique dans la chirurgie prothétique du genou multiplie par cinq le risque d’apparition d’emboles de grande taille [56], dont la nature est alors fibrinocruorique [57]. Certaines prothèses nécessitant plusieurs alésages de grandes tailles (GUEPAR® pour le genou) semblent particulièrement à risque [58]. La mise en place de prothèses d’épaules est peu pourvoyeuse de phénomènes emboliques [59], car la surface d’échange est plus faible que dans les os longs des membres inférieurs. En chirurgie traumatologique, l’alésage et l’enclouage centromédullaires du fémur et du tibia sont également susceptibles d’entraîner la libération d’emboles par les mêmes mécanismes [60]. Un syndrome d’embolie graisseuse postopératoire peut survenir [33].
Malgré la réalité du risque de complication embolique, la chirurgie orthopédique n’est pas une indication courante d’ETO peropératoire, car elle ne permet pas de prévenir ces complications. Trois situations à risque peuvent être néanmoins individualisées : le terrain, car le patient ASA III est fortement exposé aux conséquences de complications emboliques [61] ; l’existence d’un FOP avec le risque d’embolie graisseuse paradoxale [62] ; et la mise en place d’une prothèse de genou avec garrot [56]. Dans ces cas, où les facteurs de risque sont souvent cumulés, l’ETO peropératoire peut être envisagée. Les autres indications relèvent de l’urgence, collapsus ou hypoxémie brutaux et inexpliqués, et ne sont pas spécifiques à la chirurgie orthopédique ou traumatologique.
▪ Chirurgie vasculaire
Profitant de l’anesthésie générale nécessaire pour la revascularisation en urgence d’une ischémie aiguë de membre, la recherche d’une source embolique par ETO à l’origine de l’accident embolique peut être réalisée en peropératoire. Il s’agit d’une indication de catégorie 2 [1]. Dans cette indication, l’ETO est nettement plus performante que l’échocardiographie transthoracique (ETT) [63] (voir chapitre 17). On distingue les emboles d’origine cardiaque (deux tiers des cas) et les lésions aortiques (15 % des cas). Dans 20 % des cas, l’origine de l’embolie systémique n’est pas trouvée [64]. Classiquement, les causes les plus fréquemment rencontrées sont les thrombus ou le contraste spontané intense dans les cavités cardiaques gauches, les tumeurs et les végétations ainsi que les valvulopathies [63, 65]. Les embolies paradoxales par un FOP sont peu fréquentes (2 %), mais peuvent coexister avec une phlébite et une embolie pulmonaire [64]. En présence d’un accident embolique, si le foramen ovale est perméable, une phlébite est présente dans plus d’un cas sur deux [66]. Un anévrisme du septum interauriculaire est présent dans 15 % des cas [63], et 44 % des patients qui en sont porteurs ont un accident embolique systémique [67].
Une fois les causes cardiaques éliminées, la recherche d’une pathologie de l’aorte est indispensable. On peut distinguer l’athérome simple, les plaques ulcérées, les plaques calcifiées, les thrombus intra-aortiques et les dissections. Si la présence de calcifications ne semble pas un facteur de risque, une épaisseur de la plaque de 4mm ou plus, une plaque irrégulière ou la présence d’un thrombus (retrouvé dans 1 à 25 % des cas) est significativement associée à la survenue d’un événement vasculaire embolique [68]. L’athérome aortique est un marqueur d’athérome diffus et un facteur indépendant d’embolie artérielle [69]. Quant à la découverte d’une dissection aortique devant une ischémie artérielle aiguë isolée d’un membre, elle justifie à elle seule la réalisation d’une ETO à titre diagnostique [36].
▪ Neurochirurgie
La neurochirurgie en position assise est la procédure qui expose le plus à l’embolie gazeuse veineuse, ou paradoxale en présence d’un FOP. L’incidence de l’embolie gazeuse veineuse est difficile à quantifier car elle dépend de la sensibilité du monitorage que l’on utilise. Elle est trouvée dans environ 25 à 45 % des cas lorsque l’on utilise le monitorage de la fraction expirée en gaz carbonique [72], mais dans 75 à 100 % des cas lorsque l’on utilise l’ETO [73]. L’embolie gazeuse paradoxale est plus rare, avec une fréquence de 7 à 14 % des cas [73, 74]. Elle peut survenir même en l’absence de FOP identifié en ETO [75]. Cela témoigne soit d’un défaut de sensibilité de l’ETO, soit d’un passage d’air à travers la circulation pulmonaire [76].
En pratique, l’existence d’un FOP par échocardiographie doit être cherchée avant chirurgie en position assise. En prenant l’ETO comme examen de référence, le Doppler transcrânien avec épreuves de contraste comparé à l’ETT est plus performant : sensibilité 92 % versus 42 % et valeur prédictive négative 97 % versus 83 % respectivement [77]. Le Doppler transcrânien est donc la méthode de choix de surveillance peropératoire en neurochirurgie. L’ETO n’est pas d’utilisation courante, car le partage du champ opératoire est un obstacle. Ses indications peropératoires relèvent donc uniquement de l’urgence. Citons la survenue de dysfonctions systoliques aiguës du VG lors d’hémorragies méningées [78].
▪ Chirurgie cœlioscopique
Les conséquences de l’insufflation intrapéritonéale de gaz carbonique sur la fonction circulatoire sont connues depuis de nombreuses années [79] et ont même fait comparer la période d’insufflation à un « état d’insuffisance cardiaque expérimentale » [80]. En effet, l’insufflation intrapéritonéale s’accompagne de façon constante d’une baisse du débit cardiaque, d’une augmentation de la pression artérielle et des résistances vasculaires systémiques ainsi que d’une élévation des pressions de remplissage droite (pression veineuse centrale) et gauche (pression artérielle pulmonaire d’occlusion). L’ETO montre qu’après insufflation intrapéritonéale, la STS du VG et la contrainte pariétale systolique augmentent [81], alors que la FRS – donc la fonction systolique globale du VG – est abaissée ou non [81, 82]. L’augmentation de postcharge liée à la vasoconstriction systémique secondaire à l’hypercapnie est fugace puisqu’elle disparaît avant l’exsufflation [82]. Ce retour à la normale pourrait être sous la dépendance de modifications neuro-humorales [83]. Quant à la précharge VG estimée par sa STD, elle est soit inchangée [82, 84], soit diminuée lors des changements de posture [81, 85]. La postcharge ventriculaire droite est également augmentée, notamment lors de la chirurgie aortique cœlioscopique [86].
La cœliochirurgie sans insufflation de gaz carbonique mais avec suspension de paroi abdominale supprime presque totalement les modifications hémodynamiques précédemment décrites [87]. Chez l’insuffisant cardiaque, cette technique est recommandée [88], car l’insufflation de gaz carbonique modifie l’état hémodynamique de façon plus prononcée que chez le patient sans antécédent cardiovasculaire [89]. Enfin, la constatation d’emboles gazeux dans les cavités cardiaques droites par ETO sans altération hémodynamique ou chute de la fraction expirée en gaz carbonique semble fréquente après cholécystectomie cœlioscopique [90]. Malgré ces données issues de la recherche clinique, il n’y a pas d’indication d’ETO peropératoire reliée directement à la cœliochirurgie.