Échocardiographie Doppler chez les patients en état critique

2. Échocardiographie Doppler chez les patients en état critique

un outil de monitorage aux multiples modalités

M. Slama



L’échocardiographie est devenue au cours de ces dix dernières années un outil indispensable pour l’évaluation des patients hémodynamiquement instables hospitalisés en réanimation [1, 2, 3, 4, 5, 6 and 7]. Cet examen permet un diagnostic étiologique précis de la cause d’un état de choc ou d’une détresse respiratoire, mais aussi et surtout une évaluation hémodynamique conduisant à une prise en charge efficace sur le plan symptomatique comme étiologique [8, 9 and 10]. L’échocardiographie modifie souvent un diagnostic évoqué cliniquement ainsi que le traitement engagé [5, 10]. Les progrès technologiques incessants dans le domaine des ultrasons ont amélioré grandement la qualité des images obtenues par voie transthoracique (échocardiographie transthoracique [ETT]) et transœsophagienne (échocardiographie transœsophagienne [ETO]), rendant ainsi l’examen exploitable chez la presque totalité des patients de réanimation. L’ETT est strictement non invasive et l’ETO est peu vulnérante, en particulier chez les patients ventilés sous sédation. L’ETT peut être renouvelée facilement, par exemple au décours d’une intervention thérapeutique. La sonde d’ETO peut même être laissée en place afin de suivre en temps réel les patients les plus instables, en offrant alors un véritable monitorage hémodynamique.


Échocardiographie transthoracique ou transœsophagienne ?


Le choix de la voie transthoracique ou transœsophagienne dépend de nombreux points : la situation et l’indication clinique, la présence d’une intubation trachéale, l’appareillage disponible, la formation de l’opérateur, et les habitudes de l’équipe. Il est classiquement recommandé de commencer par réaliser une ETT qui permet de guider au mieux l’ETO [11]. Cette recommandation émane de la pratique en cardiologie où l’ETO est réalisée chez des patients conscients en ventilation spontanée et ne doit donc pas être prolongée inutilement pour être bien tolérée. En fait, ces deux approches sont souvent complémentaires, l’une apportant des résultats que l’autre ne peut obtenir et inversement (tableau 2-1).
















Tableau 2-1 Avantages diagnostiques respectifs de l’échocardiographie transthoracique et transœsophagienne lorsque la qualité d’image rend toutes les informations exploitables
ETO : échocardiographie transoesophagienne ; ETT : échocardiographie transthoracique ; PAPs : pression artérielle pulmonaire systolique.
Performance supérieure de l’ETT Performance supérieure de l’ETO
Imagerie bidimensionnelle



– Examen du péricarde (épanchement)


– Examen de la pointe du ventricule gauche (thrombus, infarctus apical)


– Mise en évidence de communication interventriculaire (postinfarctus ou traumatique)


– Examen de la veine cave inférieure et des veines sus-hépatiques
Imagerie bidimensionnelle



– Examen de la valve mitrale (native, prothèse)


– Examen des oreillettes et des auricules


– Examen des gros vaisseaux (aorte thoracique, artère pulmonaire proximale, veines pulmonaires, veine cave supérieure)
Évaluation hémodynamique par Doppler



– Meilleur alignement avec le courant mitral


– antérograde et surtout le jet d’insuffisance tricuspide (évaluation de la PAPs)


– Mesure d’un gradient à l’éjection du ventricule gauche (obstruction dynamique)
Évaluation hémodynamique par Doppler



– Profils de vitesse dans les artères coronaires proximales

Globalement, la précision diagnostique de l’ETO est supérieure à celle de l’ETT. Dans de nombreuses études réalisées en réanimation, il a été rapporté que l’ETO permettait d’améliorer la rentabilité diagnostique de l’ETT en conduisant à des modifications thérapeutiques majeures, y compris à une chirurgie cardiovasculaire en urgence [8, 9 and 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 and 19]. Mais la plupart de ces études sont déjà anciennes et ne tiennent pas compte des progrès énormes réalisés sur la qualité de l’imagerie bidimensionnelle par voie transthoracique et de l’apport de l’imagerie de seconde harmonique ainsi que des agents de contraste [20, 21, 22 and 23]. Bien que l’ETT ait été décrite comme performante pour l’évaluation des états de choc par certains [24], elle est parfois mise en défaut chez les patients ventilés ayant un choc complexe. De plus, l’échocardiographie de contraste, utile pour améliorer l’évaluation de la fonction systolique globale et segmentaire du ventricule gauche [20, 21, 22 and 23], n’est pas utilisée de manière routinière en France et encore moins par les réanimateurs que par les cardiologues.


Échocardiographie transthoracique




Avantages



Les progrès techniques indéniables ont permis d’augmenter drastiquement la faisabilité de l’ETT chez les patients de réanimation, y compris sous respirateur [20, 21, 22, 23 and 24]. De plus, la miniaturisation progressive des appareils permet maintenant de les utiliser facilement dans les chambres souvent encombrées de réanimation. Deux types d’échographes de petite taille (environ le volume d’un ordinateur portable) doivent être différenciés : les échographes portables qui fonctionnent uniquement sur batterie et embarquent une technologie simplifiée [27, 28], et les appareils « miniaturisés » qui ont toutes les capacités des appareils haut de gamme, y compris celle de réaliser des ETO [29]. Les nombreux obstacles à la pénétration des ultrasons rencontrés chez les patients de réanimation rendent nécessaire l’utilisation d’appareils haut de gamme, qu’ils soient miniaturisés ou non, c’est-à-dire disposant de l’imagerie de seconde harmonique, de tous les modes Doppler, y compris tissulaire, et d’une connexion avec une sonde d’ETO.

Entre des mains entraînées, l’ETT permet de répondre aux principales questions cliniques qui se posent au réanimateur. Une échogénicité suboptimale n’est pas toujours un obstacle à une évaluation hémodynamique. En effet, il est souvent possible d’enregistrer des signaux Doppler exploitables, alors même que la qualité des images bidimensionnelles est médiocre. En réanimation, la voie sous-costale est parfois la seule qui permette d’obtenir les informations nécessaires chez le patient ventilé.


Inconvénients


Contrairement à l’ETO où les images sont immédiatement accessibles, l’ETT est une technique qui nécessite une certaine expérience pour obtenir les différents plans de coupe et pour interpréter correctement les images obtenues. Les limites diagnostiques de l’ETT sont doubles. La première limite est liée à la qualité des images qui peut empêcher de répondre formellement à la question posée, par exemple en présence de pansements, de drains, d’emphysème sous-cutané, de déformation thoracique ou d’obésité. La seconde limite est la sensibilité insuffisante de l’ETT pour identifier certaines structures anatomiques ou certaines anomalies (végétations infectieuses, thrombus auriculaire gauche, flap intimal, dysfonction de prothèse mitrale, etc.) [3, 4, 5, 6 and 7, 30]. Dans les deux cas, l’ETO est formellement indiquée [11], afin d’éviter tout faux résultat négatif (ou plus rarement faux positif).


Échocardiographie transœsophagienne



Avantages































Tableau 2-2 Principales indications de l’échocardiographie transœsophagienne en réanimation
ETT : échocardiographie transthoracique.
1Voir chapitre 11;
2voir chapitre 19;
3voir chapitres 10 et 16;
4voir chapitre 16;
5voir chapitres 9 et 13;
6voir chapitre 15;
7voir chapitre 17;
8voir chapitre 18.
ETT non contributive



– Qualité d’image insuffisante : période postopératoire, patient ventilé, anomalie de la paroi thoracique (pansements, drains, etc.)


– Structure anatomique non examinable (manque de sensibilité)
Précision diagnostique supérieure à l’ETT



– Pathologie de l’aorte thoracique (dissection ou lésion apparentée responsable d’un syndrome aortique aigu1, rupture traumatique2)


– Mécanisme et sévérité d’une insuffisance valvulaire (en particulier mitrale) et faisabilité d’un geste chirurgical conservateur (plastie valvulaire) 3


– Dysfonction de prothèse valvulaire (en particulier mitrale) 3


– Diagnostic et prise en charge d’une endocardite infectieuse (en particulier sur valve prothétique ou matériel intracardiaque) 4


– Tamponnade extrapéricardique après chirurgie cardiaque ou traumatique thoracique fermé (hématome rétro-auriculaire, rétrosternal, ou hémomédiastin postérieur compressif) 5


– Évaluation d’un patient en fibrillation auriculaire pour guider la prise en charge (anticoagulation, cardioversion) 6


– Recherche d’une source cardiaque d’embolie systémique7


– Recherche de foramen ovale perméable et guide de fermeture percutanée du septum interauriculaire8

Les recommandations cardiologiques les plus récentes stipulent que l’ETO peut être réalisée d’emblée lorsque l’ETT risque d’être non exploitable (période postopératoire, anomalie de la paroi thoracique, patient ventilé ou distendu, etc.) ou lorsque certaines structures anatomiques ne sont pas facilement visualisées par voie transthoracique [11].


Inconvénients



Échecs d’introduction


Les échecs d’introduction sont rares, que les patients soient ventilés ou non [25, 26, 33]. Ces échecs sont principalement dus à une mauvaise coopération du malade ou à une expérience insuffisante de l’opérateur. Dans les autres cas, l’échec d’introduction de la sonde d’ETO doit faire évoquer une cause anatomique comme un diverticule œsophagien, en particulier lorsque la sonde bloque à environ 20 à 25cm des arcades dentaires. Chez les patients de réanimation, le succès de l’intubation œsophagienne est facilité par la bonne sédation du patient, voire une curarisation ponctuelle.


Complications


L’ETO peut être responsable de certaines complications [25, 26, 34, 35, 36, 37, 38 and 39]. La perforation œsophagienne est une complication grave [38], dont le risque diminue avec le respect des contre-indications de l’ETO (tableau 2-3). La rupture d’un anévrisme de l’aorte mobilisé par les mouvements de la sonde dans l’œsophage est une complication vitale exceptionnelle [39]. Le passage de la sonde d’ETO dans la trachée est possible chez le patient en ventilation spontanée. Cette complication doit être suspectée lorsque la sonde ne progresse pas au-delà de 30cm, alors qu’aucune image n’est obtenue et que le patient a une toux rebelle associée à un stridor [25]. Ces signes disparaissent à l’ablation immédiate de la sonde d’ETO. L’obstruction des voies aériennes supérieures est l’apanage de l’ETO pratiquée chez l’enfant [37].















Tableau 2-3 Contre-indications de l’échocardiographie transœsophagienne
*Dans certaines situations, les à-coups hypertensifs secondaires à l’introduction de la sonde dans l’oesophage sont plus préjudiciables qu’une hypotension artérielle (syndrome aortique aigu).
Contre-indications absolues Contre-indications relatives ou temporaires
Irradiation médiastinale
Fracture cervicale instable non appareillée
Tumeur ou lésion oesophagienne (diverticule, sténose, etc.)
Tumeur ORL
Chirurgie récente ORL ou oesophagienne
Dysphagie non explorée
Estomac plein
Patient agité ou non coopérant
Varices oesophagiennes venant de saigner
Détresse respiratoire aiguë chez un patient en ventilation spontanée
Instabilité hémodynamique*

Les complications de loin les plus fréquentes ont une gravité moindre et sont en règle rapidement réversibles à l’arrêt de l’examen [25, 35, 36]. Elles concernent essentiellement les patients en ventilation spontanée. Il peut s’agir d’ischémie myocardique réversible, de saignement buccal, de chute tensionnelle modérée, de trouble de déglutition et de dysphagie. La baisse de la saturation artérielle en oxygène est fréquente, en général modérée (SaO2 > 90 %), et favorisée par la sédation et l’intubation œsophagienne [26].

L’utilisation d’une anesthésie locale par gel ou spray de lidocaïne, et surtout de benzocaïne, a été incriminée dans la survenue d’une méthémoglobinémie sévère [40, 41]. Cette complication rare et peu connue doit être évoquée devant une cyanose qui apparaît au décours d’une ETO (20 à 30min après l’anesthésie locale), associée parfois à une baisse profonde de la saturation artérielle en oxygène non corrigée par l’administration d’oxygène. La méthémoglobinémie élevée confirme le diagnostic. Le traitement peut faire appel à l’injection de 1mg/kg de bleu de méthylène.

Sous réserve d’une technique rigoureuse et du strict respect des contre-indications (tableau 2-3), les études réalisées en réanimation rapportent un taux de complication relativement bas, même chez les patients les plus graves [26]. Cela s’explique par le fait que l’ETO est réalisée le plus souvent chez un malade intubé et ventilé.


Désinfection de la sonde


Les recommandations actuelles concernant la technique de désinfection de la sonde œsophagienne [42, 43 and 44] vont être modifiées très prochainement. Chez les patients VIH, l’opérateur doit porter des lunettes et des gants ; la sonde d’ETO peut être protégée par un étui en latex enduit de gel conducteur. Chez les patients qui sont suspects d’avoir une maladie de Creutzfeldt-Jakob, l’utilisation de la gaine de latex est obligatoire. En son absence, la sonde d’ETO sera détruite si le patient est contaminé.

Pour tous les autres patients, la désinfection de la sonde vise à prévenir l’ensemble des risques infectieux. Puisque la sonde entre en contact avec les muqueuses, il s’agit d’un dispositif médical dit « semi-critique » qui pénètre dans une cavité naturelle non stérile. Son utilisation engendre un risque infectieux médian vis-à-vis des agents conventionnels qui justifie une désinfection de niveau intermédiaire. Par ailleurs, la sonde d’ETO entre en contact avec les formations lymphoïdes du carrefour aérodigestif. Par conséquent, l’ETO doit être considérée comme un acte à risque de transmission des agents transmissibles non conventionnels en cas de contact prolongé d’une durée supérieure à une heure, ou en cas d’effraction ou d’ulcérations muqueuses.

La circulaire du 14 mars 2001 [44] précise que, compte tenu du niveau significatif d’exposition de la population à l’agent de l’encéphalite spongiforme bovine par voie alimentaire et de l’impossibilité de caractériser ce risque à l’échelon individuel, il est nécessaire de prendre en compte le risque de transmission des encéphalites spongiformes subaiguës transmissibles pour tout patient. En pratique, un double nettoyage de la sonde d’ETO est maintenant recommandé pour tout patient, sans caractéristique particulière.

Cette même circulaire [44] recommande d’utiliser une protection à usage unique à chaque fois qu’un tel matériel existe et qu’il permet de réaliser un examen sûr et efficace pour le patient [3]. La gaine de protection à usage unique ne doit pas être réutilisée. L’utilisation de ces protections ne dispense pas des procédures de préparation avant examen et de désinfection après examen. Enfin, une antibioprophylaxie systématique avant la réalisation d’une ETO ne semble pas nécessaire chez les patients de réanimation [45]. Certaines recommandations américaines proposent néanmoins une antibiothérapie lorsque l’ETO est pratiquée chez des patients à haut risque d’endocardite infectieuse [46].


Contre-indications


Certaines contre-indications sont considérées comme des contre-indications absolues et d’autres comme relatives ou temporaires (tableau 2-3). D’autres situations cliniques incitent également à la prudence (tableau 2-4).































Tableau 2-4 Précautions à prendre lors d’une échocardiographie transœsophagienne dans certaines conditions cliniques
Situations à risque Précautions
Sujet de petite taille Utiliser une sonde pédiatrique
Anévrisme de l’aorte Risque de mobiliser un thrombus
Dissection aortique Risque de rupture pariétale sur à-coup hypertensif : surveillance de la pression artérielle et traitement antihypertenseur (maintien de la pression artérielle systolique entre 110 et 120mmHg)
Thrombus mobile dans une oreillette Risque de mobiliser un thrombus : utiliser les mouvements de l’extrémité de la sonde avec précaution
Patient hémodynamiquement instable en ventilation spontanée Risque de collapsus
Patient en détresse respiratoire non ventilé Risque de désaturation artérielle en oxygène : discuter l’intubation préalable
Cardiopathie ischémique sévère Risque d’ischémie myocardique
Troubles sévères de l’hémostase Risque hémorragique : correction de la coagulopathie

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May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on Échocardiographie Doppler chez les patients en état critique

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