11. Douleur thoracique et état de choc
P. Vignon and P. Guéret
Les états de choc s’accompagnant d’une douleur thoracique doivent d’emblée orienter vers un syndrome aortique aigu (SAA) ou un infarctus du myocarde (IDM) compliqué. Cette pathologie est grevée d’une lourde mortalité, notamment en cas de retard thérapeutique. L’embolie pulmonaire massive est traitée ailleurs dans cet ouvrage (voir chapitre 9) et les autres causes telles que la myocardite aiguë sont exceptionnelles. Enfin, la péricardite, qu’elle soit effusive ou non, n’a en règle pas de retentissement hémodynamique. La tamponnade survient dans un contexte clinique différent et se manifeste essentiellement par une dyspnée et un état de choc obstructif (voir chapitre 9).
L’échocardiographie Doppler est la pierre angulaire dans la démarche diagnostique face à un état de choc associé à une douleur thoracique aiguë [1, 2]. Elle a en effet deux avantages cruciaux dans ce contexte particulier : elle permet le diagnostic immédiat d’une pathologie rapidement mortelle en l’absence de traitement adapté, et est ambulatoire, ce qui évite le transport dangereux d’un patient instable. Le réanimateur doit connaître la sémiologie échocardiographique de ces affections graves, car il est souvent en première ligne dans la prise en charge de ces patients en état de choc. Une collaboration étroite avec cardiologues, chirurgiens cardiovasculaires et anesthésistes est cruciale, tout délai thérapeutique constituant dans ce contexte une perte de chance qui expose le patient à la mort subite intrahospitalière [1, 3].
Démarche diagnostique face à un état de choc avec douleur thoracique
Dans cette situation clinique, l’échocardiographie transthoracique (ETT) doit être privilégiée, car elle est strictement non invasive et a une précision diagnostique souvent suffisante. Lorsque le patient est ventilé, l’échocardiographie transœsophagienne (ETO) affine le diagnostic sans prise de risque quant à sa tolérance, notamment respiratoire [4].
L’existence d’un hémopéricarde ou d’une insuffisance aortique oriente d’emblée vers une pathologie aiguë de l’aorte ascendante (Figure 11-1). En leur absence, une dysfonction systolique régionale étendue du ventricule gauche est en faveur d’un IDM et beaucoup plus rarement d’une myocardite fulminante à forme segmentaire. En présence d’une fonction pompe conservée du ventricule gauche, une insuffisance cardiaque à débit élevée secondaire à une complication mécanique d’un IDM, telle qu’une rupture de pilier mitral ou une communication interventriculaire, doit être cherchée (Figure 11-1). Une dysfonction ventriculaire droite oriente vers une embolie pulmonaire massive qui s’accompagne généralement d’un cœur pulmonaire aigu (voir chapitre 9), ou vers un IDM étendu au ventricule droit. Enfin, si la douleur est dorsale ou basithoracique ou qu’aucune autre cause n’est trouvée, l’ETO permet de chercher une extravasation de sang (hémomédiastin, hémothorax) compliquant une pathologie aiguë de l’aorte descendante (Figure 11-1).
Figure 11-1 |
Syndrome aortique aigu
La pathologie aiguë de l’aorte de survenue spontanée est dominée par la dissection aortique. Des lésions apparentées de la paroi aortique, telles que l’hématome de paroi, l’ulcère athéromateux et la pathologie anévrismale (anévrisme athéromateux, faux anévrisme mycotique), ont un risque évolutif commun de mort subite par rupture pariétale (Figure 11-2). La localisation anatomique de la pathologie aortique aiguë détermine largement son traitement : chirurgical lorsque l’aorte ascendante est touchée et médical lorsque les lésions sont limitées à l’aorte thoracique descendante [5]. En effet, la pathologie aiguë de l’aorte ascendante expose au décès rapide par exsanguination secondaire à une rupture pariétale ou par complication cardiaque. On estime qu’en l’absence de chirurgie, la mortalité des dissections qui touchent l’aorte ascendante est d’environ 1 % par heure [6] pour atteindre 68 % dans les 48 premières heures et près de 90 % à un mois [7]. En revanche, le risque de rupture pariétale est plus faible dans la pathologie aiguë de l’aorte descendante, et la mortalité est dans ce cas moins élevée sous traitement médical (environ 10 %) qu’après chirurgie [8].
Figure 11-2 Modifié d’après [1] avec autorisation. |
La pathologie aortique aiguë survient souvent sur un vaisseau dont la paroi est fragilisée [3]. Elle est favorisée par l’hypertension artérielle qui augmente la contrainte pariétale [5]. La douleur thoracique est probablement secondaire à la mise sous tension de la paroi aortique [9]. Elle doit être considérée comme un signe d’alarme qui témoigne de l’évolutivité de la lésion aortique et du risque d’extravasation sanguine qui est son corollaire. La récidive douloureuse a la même signification. La survenue de ce signe d’appel fondamental sur un terrain à risque de pathologie aortique aiguë a été décrite sous le terme de « syndrome aortique aigu » [9].
▪ Définition et présentations cliniques
Le syndrome aortique correspond à la survenue d’une « douleur aortique » chez un patient hypertendu, et ce quelle que soit la pathologie aortique aiguë en cause [9]. La « douleur aortique » correspond à une douleur précordiale ou interscapulaire, brutale, intense, en règle d’emblée maximale, pulsatile ou à type de déchirement, et migratrice [9]. Le diagnostic de pathologie aiguë de l’aorte est facilement évoqué lorsque la douleur thoracique est au premier plan, ce qui concerne plus de 70 % des patients [8]. Celle-ci est volontiers antérieure en cas de pathologie de l’aorte ascendante et plutôt dorsale lorsque l’aorte thoracique descendante est concernée. Le caractère migrateur de la douleur est très évocateur d’une dissection de l’aorte, mais manque souvent [8]. La douleur thoracique peut rester au second plan derrière un état de choc concomitant [8], ou plus rarement une ischémie aiguë par atteinte d’une collatérale de l’aorte voire la compression d’un organe de voisinage (Figure 11-3).
Figure 11-3 Modifié d’après [1] avec autorisation. |
L’état de choc est présent dans environ 8 % des dissections aortiques, et dans 95 % des cas, il complique une dissection de l’aorte ascendante [8]. Dans ce cas, l’état de choc peut être obstructif par tamponnade liée à un hémopéricarde. S’il s’agit d’une dissection aortique, l’état de choc peut aussi être cardiogénique par nécrose myocardique (défaut de perfusion coronaire) ou insuffisance aortique aiguë (dilatation de l’anneau aortique, dissection étendue à une cusp aortique, protrusion du flap dans l’orifice valvulaire aortique). Plus rarement, l’état de choc peut être lié à une hémorragie aiguë par extravasation de sang dans le médiastin ou l’espace pleural (gauche plus que droit) en cas de fissuration ou rupture de la paroi aortique contenue par les organes de voisinage (Figure 11-4).
Figure 11-4 |
▪ Stratégie diagnostique face à un syndrome aortique aigu chez un patient choqué
Le diagnostic doit être rapide et fiable afin d’éviter une rupture pariétale mortelle et un faux résultat positif ou négatif aux conséquences catastrophiques dans ce contexte. L’ETT peut être proposée en première intention, surtout chez les patients en ventilation spontanée [1]. En effet, en cas de choc, la dissection touche probablement l’aorte ascendante [8], et le manque de sensibilité de l’ETT concerne principalement les lésions de l’aorte descendante [10]. De plus, l’ETT est l’examen le plus rapide à réaliser au lit du patient instable et elle ne pose pas de problème de tolérance, à la différence de l’ETO dans ce contexte [4]. L’ETT s’attache principalement à mettre en évidence des signes d’extravasation sanguine (hémopéricarde) sans chercher à caractériser la lésion aortique responsable. Cela suffit en règle à emporter la décision chirurgicale et permet de gagner un temps précieux. L’ETO n’est réalisée qu’après induction anesthésique, au bloc opératoire, afin d’éviter les à-coups tensionnels et de pouvoir tenter un geste chirurgical de sauvetage en cas d’aggravation brutale (Figure 11-5). L’examen permet alors de préciser la cause du syndrome aortique aigu, sa localisation anatomique exacte et son extension, l’atteinte ou le respect de la valve aortique, et guide ainsi la stratégie chirurgicale [3]. Lorsque l’ETT élimine un hémopéricarde compressif mais n’identifie pas de pathologie de l’aorte ascendante, l’ETO est généralement réalisée après avoir placé le patient choqué sous ventilation mécanique (Figure 11-5). L’ETO permet alors d’identifier la lésion de l’aorte ascendante responsable du choc, ou plus rarement la pathologie de l’aorte descendante compliquée d’extravasation. Parfois, elle redressera le diagnostic clinique de syndrome aortique aigu en identifiant le mécanisme voire la cause de l’état de choc [11], notamment lorsque la suspicion clinique de pathologie aortique aiguë est faible [7]. Lorsque l’ETO n’est pas disponible, la décision de réaliser une tomodensitométrie (TDM) avec injection de produit de contraste est à mettre en balance avec les risques inhérents au transport d’un patient choqué. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a des contraintes logistiques qui sont rédhibitoires dans ce contexte clinique [1, 6]. Aucun de ces deux examens n’oriente sur la cause du choc.
Figure 11-5 Modifié d’après [1] avec autorisation. |
▪ Étiologie de l’état de choc
Il faut distinguer le diagnostic du mécanisme du choc et celui de la pathologie causale (Tableau 11-1). L’ETT est déterminante lorsqu’elle montre un hémopéricarde, car elle attribue l’état de choc à une pathologie aiguë de l’aorte ascendante (Figure 11-6). De même, la constatation d’une insuffisance aortique associée à une dilatation de l’aorte ascendante est très évocatrice dans ce contexte, une fuite massive pouvant contribuer à l’état de choc (Figure 11-6). Une anomalie de contraction régionale étendue du ventricule gauche peut aussi être à l’origine de l’état de choc par dissection aortique étendue aux coronaires, obstruction de l’ostium coronaire par le flap intimal, ou collapsus du vrai chenal par le faux chenal en diastole [3]. Dans ce cas, la distinction avec un IDM requiert l’identification d’une dissection de l’aorte ascendante. La pathologie aiguë de l’aorte thoracique descendante est exceptionnellement compliquée d’état de choc [8]. Celui-ci survient principalement en cas d’extravasation de sang dans le médiastin ou la plèvre (gauche plus que droite) à partir d’une lésion de l’aorte horizontale ou descendante (Figure 11-4). Dans ce cas précis, l’ETO est indispensable pour identifier l’hémomédiastin [12] et la pathologie responsable, car la performance diagnostique de l’ETT sur l’aorte thoracique descendante est insuffisante [10].
*Exceptionnellement responsable d’état de choc lorsque situés au niveau de l’aorte thoracique descendante ; | |
**** si l’anneau aortique est intéressé par l’anévrisme. | |
Pathologie aortique aiguë | Causes de choc |
---|---|
Dissection de l’aorte ascendante* | Tamponnade (extravasation) Insuffisance aortique sévère Ischémie/nécrose myocardique |
Hématome intrapariétal de l’aorte ascendante* | Tamponnade (extravasation) Insuffisance aortique sévère |
Anévrisme ou faux anévrisme de l’aorte ascendante | Tamponnade (extravasation) Insuffisance aortique sévère** |
Ulcère athéromateux pénétrant, anévrisme ou faux anévrisme de l’aorte thoracique descendante | Extravasation sanguine (hémomédiastin, hémothorax) |
▪ Pathologie responsable du syndrome aortique aigu
Dans une méta-analyse récente, la précision diagnostique de l’ETO multiplan est proche de celle de la TDM hélicoïdale et de l’IRM pour identifier une dissection de l’aorte thoracique [13]. La sensibilité et la spécificité de ces examens sont au moins de 98 % et 95 % respectivement [13]. Bien que l’ETT ne soit pas considérée comme une modalité d’imagerie de référence pour le diagnostic de dissection aortique [7], elle est incontournable pour orienter le diagnostic étiologique et donc le traitement des patients se présentant en état de choc dans un contexte de douleur thoracique (Figure 11-1). En effet, la dissection aortique aiguë peut être diagnostiquée aussi bien en ETT qu’en ETO lorsqu’elle touche l’aorte ascendante, si la qualité d’image le permet. En revanche, l’hématome de paroi et l’ulcère athéromateux qui touchent préférentiellement l’aorte thoracique descendante ne sont correctement identifiés qu’en ETO [1]. La pathologie anévrismale compliquée de l’aorte thoracique est plus rare.
Dissection aortique aiguë
La dissection aortique correspond à une déchirure spontanée de la paroi aortique au sein de la média, à partir d’une brèche de l’intima (porte d’entrée) ou d’une lésion intrapariétale préexistante (hématome, ulcère athéromateux pénétrant) (Figure 11-2). La porte d’entrée de la dissection aortique est le plus souvent située au niveau de l’aorte ascendante, et le processus tend à s’étendre longitudinalement et transversalement le long de l’arbre artériel (aorte et ses collatérales). Deux classifications anatomiques anciennes sont utilisées, la plus simple étant celle de Stanford (Figure 11-7). La récente classification proposée par la Société européenne de cardiologie, moins utilisée, intègre les hématomes de paroi et les ulcères athéromateux comme des formes cliniques de dissection aortique [5]. Par définition, la dissection aortique aiguë réfère à un diagnostic établi dans les 2 semaines qui suivent les premiers symptômes, sinon la dissection est considérée comme chronique [14].
Figure 11-7 Modifié d’après [1] avec autorisation. |
Le diagnostic de dissection aortique repose sur l’identification d’un flap intimal dans la lumière du vaisseau [3]. Le flap correspond à la partie interne de la paroi aortique clivée par la dissection. Il apparaît comme une image linéaire qui traverse la lumière de l’aorte pour la séparer en deux chenaux : un vrai chenal (la lumière native de calibre réduit) et un faux chenal (la paroi aortique disséquée) qui peut être circulant ou non (Figure 11-8). Le flap intimal est habituellement mobile et ses mouvements suivent le gradient de pression entre le vrai et le faux chenal (Figure 11-9). Il doit être cherché dans tous les segments de l’aorte thoracique et abdominale, car son extension est très variable en fonction du type anatomique de la dissection (Figure 11-7). Le Doppler couleur aide à distinguer le vrai du faux chenal où les vitesses de déplacement du sang sont en règle les plus basses (Figure 11-10). Parfois, les vitesses sont proches entre vrai et faux chenal en cas de porte d’entrée large au niveau de l’aorte ascendante. La porte d’entrée est une solution de continuité du flap intimal qui est au mieux visualisée en Doppler couleur (Figure 11-11). Elle détermine, avec l’extension de la dissection, son type anatomique (Figure 11-7).
Figure 11-8 |
Figure 11-9 |
Figure 11-10 |
Figure 11-11 |
Le principal piège diagnostique est l’artefact linéaire qui, lorsqu’il est situé dans l’aorte ascendante, peut à tort être interprété comme un flap intimal et conduire à une thoracotomie inutile [15, 16]. Cette image virtuelle est créée par la réverbération des ultrasons dans la structure anatomique qui sépare l’aorte du capteur d’ultrasons et ne correspond pas à une structure réelle [17]. On observe des artefacts linéaires dans l’aorte ascendante chez 26 % des patients examinés en ETO pour syndrome aortique aigu, notamment lorsque l’aorte est dilatée [15]. L’interprétation de l’image linéaire peut alors être délicate car la dilatation symétrique de l’aorte est un signe indirect de dissection [18]. Les critères diagnostiques des artefacts linéaires sont donc essentiels à connaître pour limiter les faux résultats positifs de l’ETO (Tableau 11-2 et Figure 11-12).
Artefact linéaire | Flap intimal |
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Épaisseur > 2,5mm | Image fine |
Angle avec la paroi aortique > 85° en vue transversale (grossièrement horizontal) | Angle de raccordement avec la paroi aortique très variable en vue transversale |
Déplacement parallèle à la paroi aortique (visuellement et en mode temps-mouvement) | Oscillation selon le gradient de pression entre les deux chenaux au cours du cycle cardiaque |
Vitesses similaires de part et d’autre de l’image linéaire en Doppler couleur | Vitesses Doppler en règle plus basses dans le faux chenal |
Pas de porte d’entrée | Porte d’entrée possible |
Figure 11-12 Modifié d’après [1] avec autorisation.
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