13. Des techniques de psychothérapie brève à l’investigation psychodynamique brève
E. Gilliéron
Introduction
Dès ses débuts, le mouvement psychanalytique a été secoué par de nombreuses crises qui ont abouti à de multiples scissions. Les plus graves étaient des crises d’ordre théorique, « idéologique » pourrait-on dire (Adler, Jung, Reich, puis différentes scissions de sociétés psychanalytiques). D’autres étaient dues aux questionnements portant sur la technique. C’est essentiellement l’école hongroise (Ferenczi, Balint, etc.) qui a amorcé ce dernier mouvement. Ces prises de position techniques ont rarement provoqué des scissions, mais les auteurs de ces questionnements ont toujours été l’objet d’une certaine suspicion de la part d’un grand nombre de psychanalystes, comme s’il était plus dangereux de s’interroger sur l’activité du psychanalyste que sur ses théories.
Ce sont les questionnements sur la technique qui ont donné naissance aux psychothérapies brèves. Ces dernières se distinguent de la psychanalyse par différents paramètres, pouvant varier d’un auteur à l’autre, mais dont les caractéristiques générales sont :
– une attitude active du psychothérapeute visant à simplifier le traitement en renonçant à l’attention flottante propre à la psychanalyse pour se focaliser sur un problème donné ;
– une limitation temporelle plus ou moins rigoureuse établie d’emblée ;
– un passage au « face à face » par opposition au « divan – fauteuil » psychanalytique ;
– une procédure relativement précise et quelque peu rigide marquant la spécificité de la méthode proposée (Alexander, French, Balint, Malan, Sifneos, etc.).
Le lecteur trouvera un résumé des principales méthodes dans Gilliéron (1989).
Par comparaison à ces méthodes, la technique que j’ai développée ne se fonde pas sur l’attitude active du psychothérapeute mais simplement sur l’étude de la dynamique spécifique suscitée par le dispositif : limitation temporelle et face à face. Dans ce dispositif, le psychothérapeute adopte la même attitude d’attention flottante qu’en psychanalyse, mais doit s’efforcer, entre les séances, d’analyser son propre comportement dans la psychothérapie, ce qui donne une information importante sur les interactions entre le patient et son thérapeute. Selon nos observations, le cadre institué permet le déroulement d’un processus comparable au processus psychanalytique luimême, la principale caractéristique étant un processus associatif avec insight susceptible de susciter d’importants changements psychiques.
Par ailleurs, cette méthode a évolué au cours des années au fil des découvertes que nous avons pu faire. Par exemple, les interactions entre le thérapeute et son patient fournissent un indice très clair du transfert de base de ce dernier. Ce transfert est en rapport direct avec les motivations qui l’ont poussé à consulter, ce qui nous permet de savoir en quoi le patient « focalise » sa demande, ce que nous avons appelé « focalisation par le patient ». C’est d’ailleurs ce phénomène qui m’a permis de proposer la technique dite d’investigation psychodynamique brève (IPB), qui consiste en une investigation en quatre séances (E. Gilliéron, Suisse ; Y. de Roten, Suisse ; G. Esagian, Grèce ; L. Lescourgue, France ; P. Petrini et M. Baldassarre, Italie, etc.).
Les psychothérapies brèves : modèle lausannois
Le modèle de psychothérapie brève développé à l’Université de Lausanne est le fruit d’un travail théorique et clinique continu portant sur la question du changement psychique. Les différentes questions étudiées sont, dans l’ordre historique :
– le diagnostic précoce en psychiatrie et en psychothérapie ;
– le cadre thérapeutique et son influence sur le processus psychothérapeutique ;
– l’organisation de la personnalité et son importance pour déterminer la démarche thérapeutique d’inspiration psychanalytique ;
– le système d’interactions spécifiques s’instaurant dans la relation thérapeutique selon l’organisation de la personnalité.
Ces éléments sont clairement interdépendants. Examinons-les plus en détail.
Le diagnostic précoce
La question du diagnostic est celle qui m’a le plus frappé au début de ma pratique. En effet, sur la base de recherches comparatives sur les communications intrafamiliales dans divers types de troubles psychopathologiques (familles comportant un membre schizophrène, borderline, ou déprimé, etc.), j’ai pu mettre en évidence certaines caractéristiques relativement spécifiques de chacune de ces catégories diagnostiques. Par la suite, j’ai constaté que ces observations, transposées dans le cadre de la relation patient – thérapeute, permettaient un diagnostic extrêmement précoce, surtout lorsque l’entretien était fondé sur une écoute psychanalytique du patient. Cela signifie qu’un regard systémique portant sur une relation psychanalytique offre un outil diagnostique précoce incomparable par sa qualité et sa fiabilité.
La question du cadre thérapeutique et son influence sur le processus
Mon intérêt pour le dispositif et le cadre thérapeutique est, là encore, essentiellement fondé sur des bases empiriques.
Dans mon service, d’orientation psychanalytique, nous examinions et traitions toutes les catégories diagnostiques, allant des patients les plus graves aux patients les plus légers, ce qui nous conduisait automatiquement à envisager différentes formes de stratégies thérapeutiques. Ainsi, nous avions été amenés à nous intéresser à différentes approches thérapeutiques selon les problèmes des patients : familiale, groupale, individuelle en face à face ou divan – fauteuil.
Par la force des choses, cette situation nous obligeait à confronter les différentes approches, et certains collègues s’efforçaient d’adopter une stratégie « systémique » lorsqu’ils avaient affaire à une famille ou à un réseau thérapeutique, une stratégie plus psychanalytique lorsqu’ils se trouvaient dans une relation individuelle. En bref, cette situation poussait à une souplesse théorique et à une forme d’éclectisme thérapeutique qui n’était pas sans poser problème. Cela m’a poussé à développer un modèle de référence unique permettant de donner une certaine cohérence à ces pratiques. Et c’est un regard systémique portant sur les différentes pratiques inspirées de la psychanalyse qui m’a fourni la clé de ce modèle en me contraignant à m’intéresser de près aux rapports entre l’acte et la pensée, entre le réel et l’imaginaire, entre le réel et le fantasme.
C’est ainsi que j’ai pu mesurer l’impact du cadre temporel ou spatial ou du nombre de participants (groupes) sur le déroulement des psychothérapies. Par exemple, l’intensité des échanges émotionnels varie selon qu’un traitement est limité ou non dans le temps, en face à face ou en « divan – fauteuil ». Cela me confrontait clairement au fait que des dispositifs différents conditionnent des processus différents.
À chaque fois, la dynamique transférentielle varie, et la connaissance de ces phénomènes permet de choisir le traitement le plus efficace, tout en se référant clairement à la théorie psychanalytique. Ainsi, selon cette conception, les traitements les plus brefs sont ceux pour qui le cadre choisi est le mieux adapté à la problématique du patient.
La dynamique de la relation thérapeutique
On sait qu’en psychanalyse on est attentif à la question des rapports transfert – contre-transfert. Il s’agit principalement de savoir ce que le patient et le psychanalyste vivent, ressentent, imaginent, fantasment à l’intérieur de la relation psychanalytique. On ne s’intéresse guère à ce que l’un et l’autre font dans ladite relation, à savoir les interactions. En ce qui me concerne, le simple fait d’avoir perçu l’intérêt de l’approche systémique pour un diagnostic précoce et fiable (voir plus haut) m’avait amené, de manière de plus en plus précise, à m’intéresser au point de rencontre entre la théorie systémique et la théorie psychanalytique. L’idée centrale était que psychanalystes et systémiciens s’intéressent à la même question, à savoir la relation patient – thérapeute. Mon hypothèse était que, si ces deux théories (psychanalytique et systémique) s’intéressent au même objet, il devait y avoir obligatoirement des ponts possibles entre l’une et l’autre. Ainsi, cette hypothèse fut au centre d’une approche empirico-théorique articulant diagnostic, changement psychique et approche thérapeutique.
Au fil des années, en affinant ma connaissance des processus psychiques, je me suis de plus en plus intéressé aux caractéristiques des différentes organisations de personnalité pour en arriver à considérer les symptômes conduisant le patient à la consultation non plus comme le simple reflet d’un conflit interne, mais comme le résultat d’une rupture de l’équilibre psychosomatique global de la personnalité. Cela permettait de définir clairement la meilleure approche psychothérapique ou thérapeutique au sens large. Cette approche, fondée sur l’analyse du transfert précoce du patient lié à son fonctionnement psychique, permet de définir la nature du traitement susceptible de produire les changements psychiques souhaitables dans les meilleurs délais.
Ainsi, le système d’interaction qui s’installe très précocement entre le thérapeute et son patient permet à la fois de déduire la problématique de crise qui conduit ce dernier à la consultation et de poser un diagnostic d’organisation de la personnalité avec un degré extrêmement élevé de pertinence.
L’approche thérapeutique visera, à plus ou moins long terme, à conduire au changement attendu par le patient ou, au contraire, au rétablissement de l’équilibre antérieur. Mais pour ce faire, toute démarche thérapeutique doit être précédée d’une phase d’investigation permettant de mesurer clairement les motivations du patient et d’établir une saine alliance thérapeutique. C’est cette phase d’investigation que j’ai dénommée « investigation psychodynamique brève ».