2. Dépistage et diagnostic précoce
B. Weber and J.-M. Aubry
Introduction
Dans notre travail au sein d’un centre spécialisé dans les troubles bipolaires (TB), les patients nous sont souvent adressés après une longue errance diagnostique et thérapeutique, avec toutes les répercussions cliniques et fonctionnelles associées. Deux enquêtes de la National Depressive and Manic-Depressive Association (NDMDA) aux États-Unis rapportent qu’environ 7 sujets sur 10 souffrant de TB ont reçu au minimum un faux diagnostic, un bon nombre d’entre eux ayant attendu plus de 10 ans après la survenue des symptômesSymptômes pour être enfin correctement diagnostiqués (Hirschfeld et coll., 2003b ; Lish et coll., 1994).
Brickman et coll. (2002) ont souligné la tâche délicate de bien questionner le patient pour recueillir, dans l’histoire de la maladie, des indices en faveur d’éventuels symptômes hypomanes ou maniaques (Allilaire et coll., 2001 ; Hirschfeld et Vornik, 2004 ; Kiejna et coll., 2006), questionnement essentiel mais non systématique en présence d’un sujet dépressif. Heureusement, le clinicien peut dorénavant compter sur des instruments (Weber Rouget et Aubry, in press ; voir tableau 2.2 en fin de chapitre) de dépistage récemment développés pour l’assister. Bien que ne remplaçant jamais l’entretien cliniqueEntretien clinique mené par un clinicien expérimenté, ces instruments occupent une place de plus en plus conséquente dans l’évaluation diagnostique du TB. Si la distinction claire de celui-ci avec la dépression unipolaireDépression(s)unipolaire(s) (Strejilevich et Correa, 2007) est souvent problématique, le diagnosticDiagnostic différentielDiagnosticdifférentiel avec le trouble de la personnalité borderlineTrouble de la personnalitéborderline chez l’adulte (Paris et coll., 2007) et le trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attentionTrouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA) chez l’enfant l’est également.
Le tableau 2.1 offre une synthèse de ces instruments et des études principales s’y rapportant.
*complétée aussi par l’enfant ou l’adolescent, mais devant indiquer comment il pense que ses enseignants ou ses pairs le décrivent | |||
Seuils diagnostiques | Sensibilité | Spécificité | |
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MDQ | |||
Hirschfeld et coll., 2000 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 7 items, co-occurrence et perturbations modérées ou sévères | .73 | .90 |
Hirschfeld et coll., 2003b | |||
Bipolaire vs unipolaire | 7 items, co-occurrence et perturbations modérées ou sévères | .28 | .97 |
Weber Rouget et coll., 2005 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 7 items, co-occurrence et perturbations modérées ou sévères | .74 | .91 |
Bipolaire I | .99 | ||
Bipolaire II | .52 | ||
Bipolaire vs unipolaire (algorithme modifié) | 7 items, co-occurrence et perturbations mineures, modérées ou sévères | .87 | .86 |
Bipolaire I (alg. modifié) | .97 | ||
Bipolaire II (alg. modifié) | .76 | ||
Hardoy et coll., 2005/Carta et coll., 2006 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 6 items | .76 | .86 |
Bipolaire II | .55 | .65 | |
Isometsä et coll., 2003 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 7 items, co-occurrence et perturbations modérées ou sévères | .85 | .47 |
Miller et coll., 2004 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 7 items, co-occurrence et perturbations modérées ou sévères | .58 | .67 |
Bipolaire I | .69 | ||
Bipolaire II et non spécifié | .30 | ||
Konuk et coll., 2007 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 7 items, co-occurrence et perturbations modérées ou sévères | .64 | .77 |
MDQ-A | |||
Wagner et coll., 2006 | |||
Version parent | > 5 items, co-occurrence et perturbations modérées ou sévères | .72 | .81 |
Version autoquestionnaire | .38 | .73 | |
Version « attributional report »* | .38 | .74 | |
HCL-32 | |||
Angst et coll., 2005 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 14 items | .80 | .51 |
Carta et coll., 2006 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 12 items | .85 | .61 |
Bipolaire II vs unipolaire | .80 | .54 | |
Vieta et coll., 2007 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 14 items | .85 | .79 |
Wu et coll., 2008 | |||
Bipolaire vs unipolaire | 14 items | .82 | .67 |
CBQ | |||
Papolos et coll., 2006 | |||
Bipolaire vs non bipolaire | Algorithmes variables selon les phénotypes (TB, TB+THADA, THADA) | .76 | .97 |
Conners Abbreviated Parent Quest. | |||
Tillman et coll., 2005 | |||
Bipolaire vs non bipolaire | Résultats de la formule d’algorithme ≥ 6, ≥ 8 et ≥ 9, selon tranches d’âge | .73 | .86 |
*voir Références en fin de volume. | |||
Abréviation | Dénomination | Référence | Validation française |
---|---|---|---|
BSDS | Bipolar Spectrum Diagnostic Scale | Ghaemi et coll., 2005* | |
CBCL-6-18 | Child Behavior Checklist | Achenbach T. M. (1991). Integrative Guide for the 1991 CBCL/4-18, YSR, and TRF Profiles. Burlington : University of Vermont, Department of Psychiatry. | Vermeersch et coll, 1997* |
CBQ | Child Bipolar Questionnaire | Papolos et coll., 2006* | En cours de validation : Département universitaire de psychiatrie, Genève (Aubry et coll.) |
Conners’Abbreviated Parent Questionnaire | Tillman et coll., 2005* | ||
GBI | General Behavior Inventory | Depue R. A. (1981). A behavioral paradigm for identifying persons at risk for bipolar depressive disorder : A conceptual framework and five validation studies. Journal of Abnormal Psychology, 90, 381-437. | |
PGBI | General Behavior Inventory – Parent version | Youngstrom E. A. et coll. (2001). Discriminative validity of parent report of hypomanic and depressive symptoms on the General Behavior Inventory. Psychological Assessment,13, 267-76. | |
HCL-20 | Hypomania Checklist – 20 items | Hantouche et coll., 2003* | Hantouche et coll., 2006* |
HCL-32 | Hypomania Checklist – 32 items | Angst et coll., 2005* | En cours de validation |
K-SADS-PL | Kiddie-Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia – Present and lifetime | Kaufman J et coll. (1997). Schedule for affective disorders and schizophrenia for school-age children – present and lifetime version (K-SADS-PL): initial reliability and validity data. Journal of the American academy of child and adolescent psychiatry, 36, 980–988. | Mouren-Siméoni M. C. et coll. (2002). Kiddie-SADS, version vie entière (K-SADS-P/l), 6-18 ans. Éd. révisée et modifiée. Paris : Inserm. |
MADRS | Montgomery and Asberg Depression Rating Scale | Montgomery S. A. et coll. (1979). A new depression scale designed to be sensitive to change. The British journal of psychiatry, 134, 382-389. | Lemperiere T. et coll. (1984). Comparaison de différents instruments d’évaluation de la dépression à l’occasion d’une étude sur l’ATHYMIL 30 mg. Annales médico-psychologiques, 142, 1206–1212. |
MDQ | Mood disorder questionnaire | Hirschfeld et coll., 2000* | Weber Rouget et coll., 2005* |
MDQ-A | Mood disorder questionnaire – Adolescent version | Wagner et coll., 2006* | En cours de validation : Département universitaire de psychiatrie, Genève (Aubry et coll.) |
A-MDQ | Auto – mood disorder questionnaire | Wagner et coll., 2006* | En cours de validation Département universitaire de psychiatrie, Genève (Aubry et coll.) |
P-MDQ | Mood disorder questionnaire – Parent version | Wagner et coll., 2006* | En cours de validation Département universitaire de psychiatrie, Genève (Aubry et coll.) |
MSS | Mood Swings Survey | Parker et coll., 2006* | |
YMRS | Young Mania Rating Scale | Young R. C. et coll. (1978). A rating scale for mania : reliability, validity and sensitivity. The British journal of psychiatry, 133, 429-435. | Favre S. et coll. (2003). Traduction et validation françaises de l’échelle de manie de Young (YMRS). Encéphale, 29, 499-505. |
P-YMRS | Young Mania Rating Scale – Parent version | Gracious B. L et coll. (2002). Discriminative validity of a parent version of the Young Mania Rating Scale. Journal of the American academy of child and adolescent psychiatry, 41,1350–1359. |
Dans le cas des populations juvéniles, l’intérêt manifesté au TB est assez récent (Bailly, 2006) bien que l’âge de débutÂge de début de cette affection se situe relativement tôt (Hauser et coll., 2007). L’enquête de Lish et coll. (1994) montre que la majorité des patients d’études rétrospectives rapportent avoir noté les premiers signes entre 15 et 19 ans, voire même plus tôt, parvenant alors à un pourcentage cumulé de 59 % de sujets bipolaires ayant présenté des signes de cette affection avant 19 ans. Ces chiffres sont proches de ceux de 66 % avant 20 ans évoqués par Post et coll. en 2008, mentionnant diverses sources (telles que Perlis et coll., 2004). Un début plus précoce de la maladie s’accompagnait d’un délai plus long avant l’introduction du premier traitement et d’une évolution plus difficile (Leverich et Post, 2006).