Concept de « bloc calcanéopédieux »
Le fonctionnement de l’articulation sous-talienne (ou talocalcanéenne) est bien connu et assez simple à comprendre sur le pied en décharge. Comme l’a décrit Farabeuf, le calcaneus « tangue, vire et roule » sous le talus. Il est également admis que les trois mouvements élémentaires dorsiflexion-flexion plantaire, abduction-adduction et pronosupination sont automatiquement associés dans un mouvement unique d’éversion-inversion autour du classique axe de Henke (décrit en 1859). L’éversion associe dorsiflexion, abduction et pronation, tandis que l’inversion associe flexion plantaire, adduction et supination. Cependant, on oublie trop souvent que cela ne concerne que le pied en décharge (chez le sujet examiné en position assise ou en décubitus).
Tout autre est le fonctionnement de l’articulation sous-talienne lors de la marche, et en particulier pendant la phase d’appui. Son étude, basée sur des travaux également anciens, est habituellement peu connue et relativement complexe ; certaines particularités de l’articulation sous-talienne ont été quelque peu oubliées :
- • son lien indissoluble avec l’articulation talonaviculaire ;
- • son rôle dans le changement de forme du pied au cours de la marche (aplatissement du pied en charge et creusement du pied en décharge) ;
- • son rôle lors de la torsion-détorsion du pied ;
- • son rôle dans les mouvements de rotation axiale de la jambe.
Aucune publication autre que notre conférence d’enseignement à la SOFCOT en 2007 n’a fait une synthèse claire et aisément compréhensible de tous les mécanismes subtils de l’articulation sous-talienne, probablement par méconnaissance du concept de bloc calcanéopédieux (BCP), constitué de l’ensemble des os du pied sauf le talus [1].
Pourtant, ce concept de BCP s’est imposé très tôt. Il était déjà clair en 1867 dans l’esprit de Duchenne de Boulogne [2] : « Le pied tourne sur l’axe de la jambe de manière que son extrémité antérieure se porte en dedans et le talon en dehors. » En 1917, Stresser l’individualise par un schéma, mais c’est McConnail [3] qui reprend ce concept en 1945 sous le terme de « lamina pedis ». Hicks, en 1953 [4], puis Inman de 1964 à 1969 [5,6], sans utiliser une terminologie propre, ont parfaitement intégré dans leurs travaux d’anatomie fonctionnelle le concept de BCP.
En revanche, Kapandji est resté muet sur ce sujet dans son ouvrage Physiologie articulaire [8], très diffusé en France et à l’étranger. Seuls quelques chirurgiens initiés comme P. Rigault en 1966 [9], J.-C. Pouliquen en 1970 [10] utilisent le terme de BCP pour des explications physiopathologiques de déformation des pieds, mais lors du symposium de la SOFCOT sur le pied plat valgus en 1977, ni le mot, ni le concept de BCP ne sont mentionnés…
Description du complexe articulaire sous-talien [11]
Le complexe articulaire comprend quatre articulations indissolublement liées :
- • l’articulation sous-talienne postérieure ;
- • l’articulation sous-talienne moyenne ;
- • l’articulation sous-talienne antérieure ;
- • l’articulation talonaviculaire.
Ces quatre articulations fonctionnent de façon synergique et forment un complexe articulaire où se situent les mouvements entre le BCP et le talus (ou, mieux, l’unité talo-tibio-fibulaire [UTTF], puisque le talus est solidaire de la pince bimalléolaire).
Le bloc calcanéopédieux et ses surfaces articulaires
Le BCP est formé par le calcaneus et le médio- avant-pied, solidement unis entre eux par les ligaments calcanéocuboïdiens, le ligament en Y de Chopart et le ligament calcanéonaviculaire inférieur (ligament glénoïdien) [figure 1]. Cette chaîne ostéoarticulaire se caractérise par une faible mobilité liée à la brièveté et à la solidité du complexe ligamentaire calcanéocuboïdien, en particulier plantaire, du ligament interosseux naviculocuboïdien renforcé par le ligament en Y.

Figure 1 Le bloc calcanéopédieux.
a. Le BCP séparé de l’UTTF (4) par le ligament talocalcanéen interosseux (5). b. Vue dorsale du BCP : il est formé par le calcaneus et le médio-avant-pied solidement unis par les ligaments calcanéonaviculaire plantaire (1), calcanéo-cuboïdo-naviculaire en Y de Chopart (2) et calcanéocuboïdiens (3).
La surface articulaire postérieure est représentée par le thalamus, surface ovalaire à grand axe oblique en avant et en dehors, de forme convexe suivant ce grand axe et rectiligne ou légèrement concave suivant la direction perpendiculaire.
La surface calcanéenne antérieure est parfois unique, parfois décomposée en deux surfaces distinctes : la surface la plus proximale, supportée par la petite apophyse du calcaneus (sustentaculum tali), et la surface la plus distale, supportée par la grande apophyse du calcaneus.
Plus en avant se trouve la face supérieure du ligament calcanéonaviculaire ou glénoïdien, encroûtée de cartilage articulaire et dont le bord médial donne l’insertion à la base du ligament deltoïdien. La surface articulaire postérieure du naviculaire a une forme creuse, sphérique qui, associée à la face supérieure du ligament glénoïdien et aux facettes articulaires antérieures du calcaneus, forme une cavité de réception sphérique pour la tête du talus : c’est l’acetabulum pedis des auteurs anciens.
Le talus et ses surfaces articulaires
Le talus qui, rappelons-le, ne reçoit aucune insertion musculaire a des surfaces articulaires orientées d’une part vers la pince bimalléolaire pour les mouvements de flexion-extension et d’autre part vers le BCP pour les mouvements du complexe articulaire sous-talien. Il comporte plusieurs surfaces articulaires en regard du BCP :
- • une surface postérieure qui s’adapte parfaitement au thalamus ;
- • une ou deux surfaces distinctes à la face inférieure de la tête du talus et qui s’adaptent parfaitement aux surfaces correspondantes de la grande apophyse et de la petite apophyse du calcaneus ;
- • la face antérieure de la tête du talus, sphérique, s’adaptant à la face correspondante postérieure de l’os naviculaire.
L’articulation talonaviculaire
De forme torique à concavité postérieure, à grand axe oblique en bas et en dedans et discrètement concave vers le bas, elle impose au naviculaire, et de ce fait au cuboïde et au calcaneus par l’intermédiaire des ligaments naviculocuboïdiens et de Chopart, une cinématique identique d’inversion/éversion, que ce soit passivement ou activement.
Mouvements élémentaires en décharge du BCP vis-à-vis de l’unité talo-tibio-fibulaire
C’est toujours autour de l’axe de Henke (oblique en bas, en arrière et en dehors) que se font les mouvements élémentaires du BCP par rapport à l’UTTF. L’articulation peut être assimilée à un double cône de révolution uniaxial. Le mouvement d’inversion qui porte la pointe du pied en bas et en dedans s’accompagne d’un mouvement opposé de la tubérosité du calcaneus qui se porte en haut et en dehors. Le pivot est représenté par le ligament interosseux talocalcanéen (figure 1) ou ligament en haie de Farabeuf avec deux faisceaux talocalcanéens antérieur et postérieur, véritable ligament croisé [12]. Il faut y ajouter un certain degré de mouvements automatiques d’avancée du calcaneus sous le talus lors de l’inversion, du fait de l’obliquité du dessin de la surface sous-talienne postérieure sur le cône de révolution.
Les mouvements actifs entre le BCP et l’UTTF sont liés aux muscles suivants :
- • le triceps : il a une action prédominante sur la tibiotarsienne et, sur un pied équilibré, une action nulle sur le BCP. Il peut devenir, du fait de son insertion distale au-dessus de l’axe de Henke, varisant ou valgisant selon les conditions physiologiques ou pathologiques du complexe articulaire sous-talien (par exemple : effet varisant d’Achille dans les pieds bots varus équins, effet valgisant dans les pieds plats valgus « pied plat valgus par Achille court ») ;
- • le tibial postérieur : il a une action prédominante sur le BCP : c’est un inverseur pur quelle que soit la position de la cheville et quel que soit le type de déformation pathologique ;
- • le tibial antérieur : il a toujours une action prédominante de fléchisseur dorsal sur la talocrurale. Il n’a d’effet sur le BCP que dans des conditions pathologiques : le plus souvent, un effet inverseur (pied-varus spastique où la bascule en inversion du BCP augmente son moment vis-à-vis de l’axe de Henke) ; plus rarement, un effet éverseur dans les grands pieds valgus neurologiques ;
- • le troisième fibulaire (quasi constant) et le court fibulaire : ce sont des éverseurs quasi purs dont l’action prédomine sur le BCP ;
- • le long fibulaire : il abaisse la 1re tête métatarsienne, ce qui entraîne une pronation de l’avant-pied qui verrouille la morphologie du BCP, et il devient un éverseur global de celui-ci ;
- • les longs extenseurs et les longs fléchisseurs : leur action prédominante est distale, leur rôle secondaire sur la sous-talienne et la talocrurale se traduit par des griffes des orteils ;
- • les intrinsèques : ils participent à la protection dynamique et statique de la morphologie du BCP, avec une fonction de mise en tension passive et active, lors de la flexion dorsale des métatarsophalangiennes.

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