9. Chocs obstructifs
Rôle de l’échocardiographie dans la démarche diagnostique et la prise en charge thérapeutique
A. Vieillard-Baron and P. Vignon
Cliniquement, le choc obstructif comprend une hypotension artérielle associée à des signes d’insuffisance cardiaque droite, en l’absence d’arguments évocateurs d’insuffisance cardiaque gauche. Il est secondaire à une chute du retour veineux systémique par augmentation de la pression auriculaire droite [1]. L’augmentation de la pression auriculaire droite est liée à deux pathologies très différentes : l’embolie pulmonaire (EP) massive et la tamponnade cardiaque. Leur présentation clinique pouvant être proche, c’est l’échocardiographie qui permet rapidement la bonne orientation diagnostique.
Dans l’EP massive, l’augmentation de la pression auriculaire droite est secondaire à la présence d’un cœur pulmonaire aigu (CPA). Le CPA traduit la dysfonction aiguë du ventricule droit (VD) secondaire à une augmentation brutale de sa postcharge par un obstacle situé entre le tronc de l’artère pulmonaire et les capillaires pulmonaires. Sur un cœur préalablement sain, cette situation se rencontre lorsque l’obstruction de la circulation pulmonaire est au moins de 40 % [2]. L’élévation de la pression auriculaire droite secondaire à l’hypertension artérielle pulmonaire peut inverser le gradient de pression entre les deux oreillettes et rouvrir le foramen ovale. Les deux principales complications du foramen ovale perméable sont l’embolie paradoxale et le shunt interauriculaire droit-gauche qui peut participer à l’hypoxémie associée à l’EP (voir chapitre 18). L’échocardiographie peut suspecter le diagnostic d’EP lorsqu’elle montre un CPA dans un contexte clinique évocateur, et peut parfois l’affirmer en visualisant un thrombus en transit dans les cavités cardiaques ou enclavé dans les artères pulmonaires. Encore plus rarement, le thrombus peut être enclavé dans le foramen ovale, ce qui permet alors d’affirmer l’embolie paradoxale.
La tamponnade cardiaque désigne le retentissement circulatoire d’un épanchement péricardique compressif. La pression auriculaire droite est élevée par simple transmission d’une pression péricardique très positive. En effet, la faible distensibilité du péricarde normal fait que la constitution rapide d’un épanchement péricardique, même de moyenne abondance, entraîne une élévation de la pression péricardique. L’élévation de la pression auriculaire droite gêne le retour veineux, donc le remplissage du cœur, d’où la classique description d’« adiastolie ». En ventilation spontanée, l’inspiration favorise le retour veineux systémique en diminuant la pression péricardique par diminution de la pression intrathoracique (Figure 9-1). Ce phénomène est à l’origine du pouls paradoxal et explique en partie la polypnée compensatrice souvent présente chez ces patients. L’échocardiographie transthoracique est la méthode de choix pour confirmer le diagnostic suspecté cliniquement [3]. Elle permet de visualiser l’épanchement péricardique et d’en apprécier le retentissement hémodynamique. Certaines tamponnades survenant après chirurgie cardiaque ou traumatismes thoraciques sont liées à des hématomes qui siègent en dehors du sac péricardique. Le retentissement hémodynamique est alors lié à la localisation anatomique de l’hématome qui tend à comprimer la cavité cardiaque en regard [4]. Dans ces cas, l’échocardiographie transœsophagienne (ETO) est souvent nécessaire pour le diagnostic si le patient est sous ventilateur.
Figure 9-1 |
Embolie pulmonaire
Le rôle de l’échocardiographie peut être discuté dans la démarche diagnostique et dans la démarche thérapeutique. L’échocardiographie y présente de réels avantages mais aussi certaines limites, surtout depuis le développement de l’angioscanner thoracique hélicoïdal.
Démarche diagnostique
Plusieurs signes échocardiographiques associés à l’EP ont été décrits. En dehors de l’identification directe de l’embole, aucun de ces signes ne permet un diagnostic de certitude, car ils n’évaluent que les conséquences de l’EP sur le VD. Le signe principal est la dilatation du VD qui peut être affirmée de deux façons. Kasper et al. [5] ont décrit qu’un rapport du diamètre télédiastolique du VD et du ventricule gauche (VG) supérieur à 0,5 lorsqu’il était mesuré sur une coupe parasternale grand axe était évocateur d’EP en cas de forte suspicion clinique (Figure 9-2). Jardin et al. [6] ont proposé une valeur seuil de 0,6 pour le rapport des surfaces télédiastoliques VD/VG sur une coupe apicale des 4 cavités (Figure 9-2). C’est semble-t-il la méthode la plus fiable [7]. Sa valeur prédictive positive, dans une population sélectionnée de patients à haute probabilité clinique d’EP, est supérieure à 95 % [8, 9]. La figure 9-3 rapporte dans une série de 72 patients hospitalisés pour une suspicion d’EP la taille du VD en fonction d’un indice angiographique d’obstruction pulmonaire. L’association d’une dilatation du VD avec un mouvement paradoxal du septum interventriculaire en fin de systole et en début de diastole définit le CPA (Figure 9-4) [6]. Ce dernier est présent dans plus de 60 % des EP qui touchent plus de deux artères lobaires [10].
Figure 9-2 |
Figure 9-3 |
Figure 9-4 |
En 1996, l’équipe de Goldhaber a proposé un autre signe évocateur d’EP. Il repose sur l’évaluation subjective de la contractilité de la paroi libre du VD. En cas d’EP anatomiquement importante, l’échocardiographie peut visualiser une hypokinésie des segments basal et médian de la paroi libre du VD, alors que la cinétique du segment apical est normale voire augmentée [11]. Ce signe semble absent dans d’autres causes de défaillance VD comme l’hypertension artérielle pulmonaire primitive où l’hypokinésie touche alors l’ensemble de la paroi libre du VD [11]. L’enregistrement Doppler du jet d’insuffisance tricuspide et du courant d’éjection du VD permet également de détecter des anomalies. Dans l’EP sur cœur préalablement sain, la pression artérielle pulmonaire systolique est généralement inférieure à 60mmHg (Figure 9-4). Elle est calculée à partir de la vitesse maximale de la fuite tricuspide (Figure 9-5), selon l’équation simplifiée suivante qui a été validée par le cathétérisme droit [12] :
PAPs = 4 . (Vmax2) + POD
où PAPs est la pression artérielle pulmonaire systolique, Vmax est la vitesse maximale du jet d’insuffisance tricuspide en Doppler continu et POD, la pression de l’oreillette droite reflétée par la pression veineuse centrale mesurée à partir d’un cathéter central ou estimée à partir de l’examen de la veine cave inférieure (VCI) en vue sous-costale [13]. En pratique, une VCI de petite taille (< 15mm) qui conserve un collapsus inspiratoire reflète une POD basse (< 5mmHg) ; une VCI de taille normale (15 à 25mm) reflète une POD entre 5 et 15mmHg selon l’amplitude de la diminution inspiratoire de son diamètre ; une VCI dilatée (> 25mm) reflète une POD élevée (> 15mmHg) (tableau 9-1). Selon le même principe, la pression artérielle pulmonaire moyenne et diastolique peut être estimée à partir de la vitesse maximale protodiastolique et télédiastolique du profil Doppler de l’insuffisance pulmonaire [13, 14]. Une pression artérielle pulmonaire systolique supérieure à 60mmHg, sans éliminer formellement le diagnostic de CPA, doit plutôt faire suspecter la présence d’un cœur pulmonaire chronique. Dans ce cas, la paroi libre du VD est volontiers hypertrophiée et son épaisseur télédiastolique peut excéder 10mm (normale < 6mm) [15]. Le profil Doppler d’éjection du VD dans l’artère pulmonaire comporte fréquemment un raccourcissement de son temps d’accélération [15, 16] et peut avoir un aspect biphasique typique, avec une incision mésosystolique qui témoigne de la surcharge barométrique du VD (Figure 9-6).
*Le diamètre de la veine cave inférieure diminue physiologiquement pendant l’inspiration. POD : pression de l’oreillette droite ; VCI : veine cave inférieure. | ||
(modifié d’après [13]) | ||
Diamètre de la VCI (mm) | Variations respiratoires du diamètre de la VCI (%) * | POD prédite (mmHg) |
---|---|---|
Diminué : < 15 | Collapsus inspiratoire : 100 | 0–5 |
Normal : 15–25 | > 50 | 6–10 |
< 50 | 11–15 | |
Augmenté : > 25 | < 50 | 16–20 |
Absentes (y compris au sniff test) : 0 | > 20 |
Figure 9-6 |
Compte tenu de la physiopathologie de la défaillance ventriculaire droite rappelée brièvement plus haut, l’échocardiographie n’est anormale que dans l’EP anatomiquement importante. Dans la majorité des EP sans signe de gravité qui sont hospitalisées aux urgences, l’échocardiographie ne sera d’aucune aide diagnostique, a fortiori si la suspicion clinique est faible. Sur une population non sélectionnée, la valeur prédictive négative de l’échocardiographie, quels que soient les paramètres utilisés, est faible car de l’ordre de 37 à 57 % [8, 9, 11, 17]. Cependant, pour le réanimateur qui prend en charge un patient en insuffisance circulatoire, l’EP est très probable en présence d’un CPA si la radiographie du thorax est par ailleurs normale ou subnormale, alors qu’elle est très improbable si le VD apparaît non dilaté.
Une fois le diagnostic suspecté, il en faut la certitude, c’est-à-dire visualiser le thrombus en transit dans les cavités droites ou l’embole enclavé dans l’artère pulmonaire proximale. Sauf situations exceptionnelles, l’échocardiographie transthoracique ne le permet pas (Figure 9-7). Un thrombus dans les cavités cardiaques droites n’est en effet visible que chez moins de 10 % des patients ayant une EP [18]. Dans des situations très particulières, la réalisation d’une ETO peut permettre de faire le diagnostic de certitude au lit du patient (Figure 9-8). Cela permet de débuter sans tarder un traitement fibrinolytique, en visualisant l’embole qui est le plus souvent enclavé dans la partie proximale des artères pulmonaires [19, 20]. Pour des raisons de tolérance évidentes, l’ETO doit être strictement limitée aux seuls patients en insuffisance circulatoire qui sont déjà intubés et ventilés. L’ETO ne concerne donc qu’un très petit nombre de patients, ceux pris en charge par le réanimateur pour inefficacité cardiocirculatoire ou état de choc sévère. Exceptionnellement, dans un contexte fortement évocateur d’embolie paradoxale, l’ETO peut affirmer le diagnostic en identifiant un thrombus serpentin à cheval entre les deux oreillettes à travers le foramen ovale (Figure 9-9).
Figure 9-7 |
Figure 9-8 |
Figure 9-9 |
Démarche thérapeutique
L’évaluation de la fonction VD fait dorénavant partie de la caractérisation de trois sousgroupes d’EP [21]. L’EP massive est définie par la présence d’une insuffisance circulatoire en rapport avec une défaillance du VD. L’EP submassive est définie par un état hémodynamique stable malgré la présence d’une défaillance du VD. Enfin, l’EP dite « périphérique » se définit par l’absence de défaillance cardiaque droite. Nous avons rapporté la fréquence de ces trois sous-groupes dans une population sélectionnée de 161 patients ayant une EP touchant plus de deux artères lobaires. Elle était respectivement de 41 % (EP massive), 20 % (EP submassive) et 39 % (EP « périphérique ») [10].
La place et l’intérêt de l’échocardiographie peuvent être discutés à la lumière de cette classification. L’échocardiographie, en permettant l’évaluation de la fonction du VD, peut facilement et rapidement classer le patient. Néanmoins, l’angioscanner thoracique hélicoïdal permet non seulement un diagnostic de certitude, mais aussi l’évaluation de la taille du VD [22, 23]. Par ailleurs, une telle classification n’a de sens que si le pronostic et donc le traitement diffèrent selon les caractéristiques de l’EP. Plusieurs études de registre ont suggéré que la défaillance du VD était un facteur indépendant de mortalité, proposant un traitement fibrinolytique dans cette indication [24, 25]. Dans notre étude concernant 161 patients, les résultats sont quelque peu différents puisque la mortalité des EP « périphériques » et submassives était de 3 %, alors que seule l’EP massive était grevée d’une surmortalité (31 %) [10]. Ces résultats confirment les études de Grifoni et al. [26] et Hamel et al. [27], et suggèrent que la défaillance du VD, qu’elle soit évaluée par échocardiographie ou par angioscanner, n’est pas nécessairement un facteur indépendant de mauvais pronostic et donc n’indique pas automatiquement une fibrinolyse. C’est ce que semble avoir montré une étude prospective randomisée testant l’efficacité et la tolérance de la fibrinolyse dans l’EP submassive [28].
En revanche, la visualisation, bien que rare, d’un thrombus dans les cavités cardiaques droites a des conséquences pronostiques et thérapeutiques. L’association d’une EP submassive, et a fortiori massive, avec un thrombus en transit dans l’oreillette droite ou le VD est reliée à une mortalité élevée si le traitement ne comporte qu’une anticoagulation [18, 29]. Dans ce cas, un traitement par fibrinolytique ou une embolectomie chirurgicale sont indiqués [18].
Tamponnade cardiaque
Dans sa forme classique, la tamponnade associe un épanchement péricardique circonférentiel non cloisonné compressif et une variation respiratoire accrue du remplissage ventriculaire identifiée en Doppler. Les autres formes échocardiographiques de tamponnade sont liées à des épanchements péricardiques cloisonnés ou extrapéricardiques.
Tamponnade par épanchement péricardique
Le péricarde est un sac fibreux peu extensible et normalement virtuel dont la face interne est recouverte d’une séreuse (feuillet pariétal) qui se réfléchit au niveau des gros vaisseaux pour tapisser l’ensemble du cœur en formant l’épicarde (feuillet viscéral) [30]. C’est la vitesse de constitution plus que le volume de l’épanchement péricardique qui conditionne son retentissement hémodynamique (Figure 9-10). C’est pourquoi l’épanchement péricardique une fois identifié en échocardiographie, il importe plus d’en évaluer la tolérance que de tenter de le quantifier. L’évaluation du retentissement hémodynamique est parfois délicate car la tamponnade est le résultat d’un continuum physiopathologique et non pas un phénomène du « tout ou rien » [31].
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