23. Chimiothérapie du Cancer
PRINCIPES GÉNÉRAUX DU TRAITEMENT
Chez l’homme, les décès dus au cancer bronchopulmonaire (16 % des décès par cancer) occupent la première place, suivi du cancer de l’estomac (12 % des décès par cancer). Chez la femme le cancer du sein (15 % des décès par cancer) occupe la première place, suivi du cancer de l’intestin (12 % des décès par cancer).
Les médicaments anti-cancéreux agissent en s’opposant à la multiplication cellulaire, que cette multiplication soit normale ou néoplasique. Tous les produits utilisés sont donc nocifs aussi bien sur les tissus normaux (surtout ceux dont les cellules se divisent continuellement comme le tissu germinal et le tissu hématopoïétique) que sur les tissus néoplasiques.
ÉTIOLOGIE DES CANCERS
On ne connaît pas encore la cause ou les cause(s) précise(s) du cancer, mais des facteurs (dont les effets s’additionnent probablement) ont été identifiés comme cancérogènes.
■ Facteurs de l’environnement
— Environ 70 % des cancers humains sont attribués à l’existence dans l’environnement de substances mutagènes ou cancérogènes et à des facteurs physiques (rayonnements). La fréquence des leucémies est élevée chez les sujets soumis à des radiations (industrie atomique ou explosions atomiques), ou après radiothérapie. La catastrophe de Tchernobyl en 1986 a entraîné une forte augmentation des cancers thyroïdiens. Enfin, la fréquence des cancers de la peau (carcinomes et mélanomes) est élevée chez les sujets trop exposés aux radiations ultraviolettes du soleil.
■ Facteurs génétiques
■ Facteurs chimiques
— Les sujets manipulant des produits contenant de l’arsenic (mineurs, vignerons, pelletiers), ou travaillant au contact d’eaux riches en arsenic sont à risque de cancer de peau. L’amiante entraîne des mésothéliomes.
Les cancers de la vessie sont assez fréquents chez les ouvriers manipulant des matières colorantes, riches en β-naphtylamine. Les cancers associés à l’usage du tabac ont des localisations diverses (cavité buccale, pharynx, larynx, œsophage, bronches) et, de façon inattendue, cancer de la vessie (il existe dans l’urine des fumeurs des quantités élevées d’orthoaminophénol à propriétés cancérogènes).
► Facteurs diététiques
— Certains déséquilibres alimentaires augmentent la prévalence des cancers : le cancer de l’estomac est fréquent chez les patients atteints d’anémie de Biermer ; le cancer de foie s’observe dans les populations soumises à des déséquilibres nutritionnels.
La prise exagérée d’alcool favorise l’apparition de cancers des voies aérodigestives supérieures et de l’œsophage. Enfin, signalons les cancers du foie dus à une toxine sécrétée par un champignon (Aspergillus flavus) sur les arachides qui sont stockées.
► Facteurs hormonaux
— Les cancers du sein sont plus fréquents chez les femmes célibataires ou qui se sont mariées tard, chez les femmes qui ont eu peu d’enfants ou qui ne les ont pas allaités. Inversement, les cancers de l’utérus sont plus fréquents chez les femmes mariées jeunes et ayant de nombreux enfants.
LES MODALITÉS DE LA CHIMIOTHÉRAPIE
La chimiothérapie a pour but de détruire les cellules tumorales, afin d’obtenir une rémission de durée aussi longue que possible. Un traitement est efficace s’il permet une prolongation maximum de la survie du patient ; s’il n’entraîne aucune amélioration, le traitement doit être modifié.
La chimiothérapie ne détruit jamais 100 % des cellules tumorales : l’association de médicaments antinéoplasiques permet de meilleurs résultats, mais elle ne doit pas être faite de produits ayant des effets toxiques similaires qui s’additionneraient. On associe souvent à la chimiothérapie, l’immunothérapie et la radiothérapie.
– administration continue à petites doses quotidiennes ;
– administration intermittente à fortes doses ; les résultats obtenus sont meilleurs dans ce cas. Chaque administration ne doit être effectuée qu’après retour à la normale de la leucocytose ;
– administration modulée par des pompes programmables (chronothérapie).
LES INDICATIONS DES ANTINÉOPLASIQUES
Les médicaments antinéoplasiques sont utilisés :
• Dans le traitement des leucémies et d’autres cancers hématologiques : leucémies aiguës lymphoblastique et myéloblastique, leucémie aiguë monocytaire, leucémie lymphoïde chronique, leucémie myéloïde chronique, histiocytose X, myélome multiple des os, macroglobulinémie primaire de Waldenström.
• Dans le traitement des hématosarcomes : maladie de Hodgkin, réticulosarcomes, lymphosarcomes, maladie de Burkitt, maladie de Brill-Symmers.
• Dans le traitement des tumeurs : cancers de la prostate, du sein, de l’endomètre, du col utérin ; cancers des glandes endocrines (de l’ovaire, du testicule, de la corticosurrénale) ; cancers de l’appareil urinaire ; cancers de l’appareil digestif (cancers de l’estomac, du pancréas, des glandes salivaires, du côlon et du rectum, du foie) ; cancers des bronches et des poumons ; cancers des tissus nerveux ; cancers de la peau ; tumeurs osseuses (ostéosarcome, sarcome d’Ewing, métastases osseuses).
LA TOXICITÉ DES ANTINÉOPLASIQUES
Tous les antinéoplasiques inhibent les divisions cellulaires des cellules saines comme des cellules cancéreuses. Ils sont donc toxiques pour tous les tissus se renouvelant rapidement. Certaines de ces toxicités leur sont communes.
■ L’atteinte hématologique est la plus fréquente
— Les trois lignées sanguines peuvent être atteintes (leucopénie, parfois agranulocytose, thrombopénie avec risque d’hémorragie, anémie). On observe même parfois une aplasie médullaire globale.
■ L’effet oncogène
— Certains médicaments antinéoplasiques (Alkéran, Chloraminophène, Endoxan, Amétycine…) sont susceptibles par eux-mêmes, en raison de leur très grande toxicité, d’induire chez le patient une maladie maligne, par exemple survenue d’une leucémie secondaire. On dit qu’ils sont oncogènes ou leucémogènes.
■ L’immunodépression
■ L’atteinte des tissus reproducteurs
— Elle entraîne oligospermie, azoospermie, aménorrhée. Un effet tératogène a été montré avec les agents alkylants et le méthotrexate, lorsqu’ils sont administrés en début de grossesse.
■ L’effet hyperuricémiant
— Il est observé lors d’administration d’allopurinol et d’urate oxydase, en cas de traitements à fortes doses.
■ L’effet émétisant peut s’observer avec tous les dérivés nitrés mais surtout la cyclophosphamide, les nitroso-urées, le cisplatine.
■ L’alopécie est fréquente mais toujours réversible. Elle s’observe surtout avec Adriamycine, Taxol, Vincristine.
LES MÉDICAMENTS ANTINÉOPLASIQUES
Les médicaments appartiennent à 3 classes pharmacologiques (tableau 23.1) qui diffèrent par leur mécanisme d’action.
LAL = Leucémie aiguë lymphoblastique ; LAM = Leucémie aiguë myéloblastique ; LMC = Leucémie myéloïde chronique ; LA = Leucémie aiguë | ||
Anticancéreux | Principales substances | Indications |
---|---|---|
I. Agissant sur la synthèse de l’ADN | ||
– Antagonistes de l’acide folique | Méthotrexate | LAL, ostéosarcome tumeurs solides |
– Analogues des purines | Mercaptopurine Thioguanine | LAL, LMC LAM |
– Analogue des pyrimidines | Fluorouracile Cytarabine | Cancer du sein et digestifs LAM, LAL |
– Inhibiteurs de la synthèse protéique | L-Asparaginase | LAL |
II. Agissant sur l’ADN préformé | ||
– Alkylants ; dérivés du platine ; antibiotiques | ||
III. Agissant lors de la mitose | ||
– Alcaloïdes de la pervenche | Vinblastine Vincristine | Lymphomes LA, Hodgkin |
– Taxanes | Taxol Taxotène | Cancers de l’œsophage et du pancréas |
Les médicaments agissant sur la mitose
■ Les alcaloïdes de la pervenche
— Quatre alcaloïdes isolés de la pervenche sont efficaces : la vinblastine (Velbé) la vincristine (Oncovin), la vindésine (Eldisine) et la Vinorelbine (Navelbine). On les emploie par voie veineuse aux doses de 0,25mg/kg par semaine chez l’adulte et 0,50mg/kg par semaine chez l’enfant. La vinblastine est efficace dans la maladie de Hodgkin, dans les tumeurs du sein, des bronches et du pancréas. La vincristine est efficace dans le lymphosarcome et la leucémie aiguë lymphoblastique. La Navelbine est efficace dans le cancer bronchique non à petites cellules. La neurotoxicité est fréquente avec ces produits.
■ Les taxanes
— On utilise Taxol et Taxotère dans le cancer œsophagien ou du pancréas inopérables. La toxicité est médullaire.
Les agents alkylants
Ils agissent en créant des liaisons (ponts) stables entre les 2 brins d’ADN qui ne peuvent plus se séparer et jouer leur rôle dans la mitose. Ils agissent donc en altérant la structure moléculaire de l’ADN. Ce groupe comprend :
■ Les moutardes à l’azote
— Ce sont des analogues de sulfure d’éthyle dichloré (appelé encore ypérite ou gaz moutarde). L’action de ces différents produits serait due à leur transformation en éthylène-immonium. L’action antimitotique puissante de ces produits, se manifestant sur tous les tissus, est gênante au niveau des muqueuses du tractus digestif (vomissements, diarrhées) et de la moelle osseuse (leucopénie, thrombocytopénie).
Plusieurs médicaments sont utilisés :
• Le chlorambucil(Chloraminophène) est employé per os dans le traitement de la leucémie lymphoïde chronique, dans la maladie de Hodgkin et les lymphopathies chroniques. Il possède aussi des propriétés immunosuppressives par dépression des lymphocytes B. Des effets leucémogènes ont été rapportés après usage prolongé.
• La cyclophosphamide(Endoxan) est administrée per os ou par voie intraveineuse dans le traitement des lymphosarcomes et des cancers de l’ovaire et du sein ; elle permet également d’obtenir des rémissions chez des malades atteints de leucémie aiguë, même si celle-ci est résistante aux antimétabolites et aux stéroïdes. Elle a la particularité d’être à la fois un dépresseur de l’immunité cellulaire (lymphocyte T) et humorale (lymphocyte B). Elle est utilisée comme immunodépresseur dans le rejet de greffe, les collagénoses, les glomérulonéphrites. Elle présente un risque de carcinogenèse à long terme.
• Le melphalan(Alkéran) s’administre par voie veineuse ou per os, en cures de 7 jours séparées par des périodes de repos de même durée, dans le traitement du myélome multiple, de la macroglobulinémie primitive, des réticulosarcomes et du cancer de l’ovaire. L’aplasie myéloïde est la complication la plus fréquente du traitement. Un effet oncogène a été observé avec la survenue de leucémies secondaires, risque à prendre en compte en cas d’utilisation prolongée. Le risque est évalué à 5 % après 5 ans.
■ Les sels de platine
— Le cisplatine (Cisplatyl) et le carboplatine (Paraplatine) sont utilisés en perfusion veineuse dans le traitement du cancer de l’ovaire et du testicule. La toxicité aiguë est essentiellement digestive et rénale.
Les analogues structuraux ou antimétabolites
Ce sont des antagonistes des bases puriques et pyrimidiques qui interviennent dans la synthèse des acides nucléiques. Un médicament antagoniste est un composé dont la formule chimique ressemble à un métabolite déterminé (ou à un coenzyme), se substitue à celui-ci dans une chaîne métabolique et inhibe ainsi la suite de la réaction. L’action des analogues est généralement lente, et la durée d’administration doit être longue.
■ Les antagonistes de l’acide folique (Méthotrexate)
— Les anti-foliques agissent en empêchant la formation d’acide tétrahydrofolique qui intervient dans la synthèse des bases puriques et pyrimidiques. Le méthotrexate est un antagoniste puissant de l’acide folique, utilisé dans le traitement des leucémies aiguës lymphoblastiques par voie buccale (0,2mg/kg/24h) ou parentérale (10 à 30mg, 2 à 3 fois par semaine) sur les cancers mammaires et testiculaires, sur l’ostéosarcome et le choriocarcinome.
La toxicité des antifoliques (neurotoxicité, lésions de la muqueuse buccale) est nette à partir du 15e jour du traitement. En cas de surdosage, l’antidote est l’acide folinique, administré par voie intramusculaire ou intraveineuse (3 à 6mg toutes les 6 heures). Les salicylés augmentent le taux plasmatique de méthotrexate. Il faut donc les proscrire aux patients traités.
■ Les analogues des purines
• La 6-mercapto-purine(Purinéthol). Elle empêche la synthèse des bases puriques entrant dans la constitution des acides nucléiques. Le Purinéthol est employé per os aux doses quotidiennes de 2,5 à 5 mg/kg dans les leucémies aiguës. De plus, c’est un dépresseur des lymphocytes T, utilisé donc comme immunodépresseur.
• L’azathioprine(Imurel) transformé dans l’organisme en 6-mercaptopurine est utilisé comme immunodépresseur.
■ Les analogues des pyrimidines
— Ils inhibent la synthèse des bases pyrimidiques entrant dans la constitution des acides nucléiques.
• Le 5-fluoro-uracile (5-FU) inhibe l’incorporation de la thymidine dans les acides nucléiques. On l’administre en perfusion veineuse très lente dans les cancers du tube digestif, les cancers du sein, les cancers cutanés et de la vulve, aux doses quotidiennes de 10 à 15mg/kg.
• La cytarabine(Aracytine) perturbe la synthèse de la désoxycytidine et de l’ADN. Elle est administrée en perfusion veineuse lente dans les leucémies aiguës myélo et lymphoblastiques.
Les substances extraites des micro-organismes
■ Les antibiotiques
— Certains antibiotiques ont une activité cytostatique et sont utilisés comme antinéoplasiques.
• La bléomycine(Bléomycine) est utilisée dans les cancers épidermoïdes ORL, le cancer de la vessie, le lymphome non hodgkinien. Le risque majeur est l’installation d’une fibrose pulmonaire qui s’installe progressivement et est souvent fatale. Il faut éviter de dépasser pour cette raison 200mg/m2.
• La daunorubicine(Cérubidine) est employée par voie veineuse dans les leucémies aiguës lymphoblastiques et myéloblastiques ; sa grande toxicité pour la moelle osseuse nécessite un traitement dans des chambres stériles. Des accidents cardiaques graves sont observés dans les traitements de longue durée d’où la nécessité d’une surveillance échographique du cœur. Ce médicament est contre indiqué en cas d’anomalie cardiaque clinique ou électrocardiographique.
■ L’asparaginase (Kidrolase)
— Extraite à partir des cultures de colibacilles (Escherichia coli), elle entraîne une diminution de l’asparagine nécessaire au développement des cellules. On l’administre dans les leucémies lymphoblastiques. Elle entraîne des accidents allergiques et hépatiques. L’existence de mutants résistants peut limiter son efficacité.