7. Cadre et processus
G. Catoire
[…] Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :
– Tu vois bien… ce n’est pas un mouton, c’est un bélier. Il a des cornes…
Je refis donc encore mon dessin… Mais il fut refusé comme les précédents…
Alors, faute de patience, comme j’avais hâte de commencer le démontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci.
Et je lançai :
– Ça c’est la caisse, le mouton que tu veux est dedans.
Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon jeune juge :
– C’est tout à fait comme ça que je le voulais ! […]
A. de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, 1946.
Définition du cadre
L’extrait ci-dessus est apparu illustrer à merveille mes propos sur le cadre. Le psychisme individuel est ainsi fait que la naissance et l’élaboration d’une pensée se font en relation avec un autre psychisme qui ne peut pas produire systématiquement l’objet du besoin. La caisse qu’a dessinée Saint-Exupéry peut se comprendre comme la métaphore d’un cadre : cadre contenant la rencontre du Petit Prince avec Saint-Exupéry, soutien de l’élan pulsionnel du Petit Prince, contenant de ses angoisses, doutes et conflits.
Le cadre est aboutissement et point de départ
Le cadre est l’aboutissement d’un chemin plus ou moins long, qui mène le patient à vouloir soigner sa souffrance par la voie de l’échange verbal, de la réflexion, de la communication et, de ce fait, demande de l’aide à quelqu’un d’autre. Ce chemin ne se fait pas en un jour ; le psychanalyste n’en a pas la maîtrise, ce qui ne veut pas dire qu’il ne puisse pas le proposer. Il faut savoir patienter pour que l’alliance se fasse et qu’un minimum de régularité soit accepté.
Le cadre est aussi le point de départ et le lieu d’une aventure. Dans ce lieu se déroule, se pense, s’inscrit une histoire des découvertes psychiques successives et des significations psychiques successives. Le cadre analytique, avec ses règles de libre association et d’abstinence, ses conditions matérielles, vient offrir un support au psychisme du patient, psychisme qu’il va envelopper, protéger. Freud a montré que l’histoire d’une découverte est en même temps la découverte d’une histoire, laquelle se répète, se rejoue sous différentes formes, en utilisant, en empruntant à l’analyste et au cadre les éléments qui servent de support aux significations en manque de lettres, de signes, pour être dits et pensés.
Les fonctions du cadre
Le cadre a plusieurs types de fonctions : les fonctions limitantes, contenantes, identitaires et symboligènes. Il peut aussi servir de dépôt.
– Il est limitant en ce que les actes n’y sont pas permis et le corps physique est mis au repos, mais la parole, elle-même, est limitée dans le temps, avec un début et une fin à la communication, située à des moments précis dans la semaine, les semaines actives s’interrompant aux week-ends et aux vacances. Si l’on peut y entrer, nous dit Racamier (2001), on peut aussi en sortir.
– Il est contenant dans le sens que la parole y est accueillie de manière neutre, sans jugement négatif, sans reproche. L’analyste essaie d’être en empathie, sensible aux émotions et aux souffrances du patient, et tout ce que le patient dit est pris au sérieux, même s’il n’est pas pris au mot contrairement à ce que soutient l’école lacanienne. De toute évidence, le cadre s’inspire de la relation mère – enfant, et Winnicott a mis à l’épreuve les termes de holding, de handling et d’object presenting. En ce sens, le cadre est fait pour l’hébergement psychique (Racamier, 2001) et, à ce titre, il n’est pas fait seulement d’espace, il est fait de personnes en relation. Pour suivre Bion, la contenance, c’est la relation contenant – contenu. Mais il est aussi filtrant, « pare-excitation » dirait Freud, et il protège contre les fracas du monde en ce sens qu’il stabilise les tempêtes de la psyché.
– Il est identitaire en ce que l’ensemble des règles qui le composent sont un repère et qu’elles s’appliquent autant au patient qu’à l’analyste ; le mépris des règles et le mépris du cadre vont de pair avec le mépris de la vérité. Il est à la fois symbolique et concret, et modèle de cette association, comme nous vivons à la fois dans un monde symbolique et concret. Pour Bleger (1966), le cadre constitue un monde fantôme grâce à quoi le moi est identifié par rapport à ce qu’il est, autant que par rapport à ce qu’il n’est pas. Il est une sorte de soubassement, le modèle pour l’image du corps, réceptacle vivant et cependant muet, tant qu’il est tenu en équilibre stable par l’analyste et qu’il reste investi par le patient. Il peut être rigidifié, fétichisé, mais d’autres fois perdu ou rompu. Racamier y voit plutôt une matrice qu’un monde fantôme. Paul Valéry disait : « Il ne faut pas que des dieux demeurent sans toits et les âmes sans spectacles. »
– Il est symboligène en ce sens qu’il est fait pour qu’émergent les mots pour dire, pour nommer ce qui n’a pu l’être auparavant. Ida Macalpine fut la première à montrer que c’est la situation analytique qui génère l’analyse dans sa dimension transférentielle et contre-transférentielle. Et c’est la situation analytique qui génère le processus.
On l’aura compris, seuls les sots prennent le cadre pour un carcan (Racamier, 2001).
Définition du processus
H. Sauguet soulignait « l’identité du processus analytique avec les processus psychiques de maturation ». À propos de la structure du psychisme, et de la nature du processus analytique, Meltzer (1967)écrit, lui, « que la seconde représente un produit naturel de la première. Plus précisément on pourrait dire que ce qui fait la valeur du processus analytique, c’est la mesure dans laquelle il est déterminé par la structure du psychisme. Le lien est, bien entendu, le transfert et le contre-transfert en tant que fonctions inconscientes et infantiles des psychismes du patient et de l’analyste ». L’analyste travaille à contenir les aspects infantiles du patient et s’impose seulement de communiquer à leur sujet. C’est là que Meltzer situe l’interprétation. Mais pour lui, l’essentiel du travail de l’analyste est la création de la situation analytique au sein de laquelle les processus transférentiels du psychisme du patient peuvent se découvrir et s’exprimer. Le cadre analytique c’est aussi ce qui rend le processus analysable.