Plus des 2/3 des TV sont asymptomatiques et l’EP est le plus souvent silencieuse, soulignant ainsi l’importance d’une prophylaxie appropriée dans les contextes favorisants. En fait, l’accident résulte de l’intrication complexe de facteurs génétiques, retrouvés chez près de la moitié des patients, avec des facteurs de risque environnementaux (cancer, grossesse, intervention chirurgicale, contraception orale) et/ou des facteurs de risque acquis (syndrome des antiphospholipides [SAPL], hyperhomocystéinémie), transitoires ou persistants. Les facteurs conduisant à un risque thrombotique accru sont donc de nature diverse et leur association apparaît plus souvent potentialisatrice qu’additive (tableaux 5.I et 5.II). Permettant une véritable stratification du risque thrombotique, la connaissance croissante de ces mécanismes autorise une optimisation de la prise en charge des patients et de la prévention des TV.
AT : antithrombine, FVL : facteur V Leiden, PC : protéine C, PS : protéine S, TIH : thrombopénie induite par l’héparine | ||
Facteurs acquis | Facteurs constitutionnels | Facteurs mixtes ou non établis |
---|---|---|
Âge | Déficit en AT | Hyperhomocystéinémie |
Antécédent de thrombose | Déficit en PC | ↗ du FVIII |
Cancer | Déficit en PS | ↗ du FIX |
Immobilisation prolongée > 72h | FVL | ↗ du FXI |
Immobilisation plâtrée | Mutation du FII | ↗ du TAFI |
Acte chirurgical | Dysfibrinogénémie | |
Traumatisme majeur : polytraumatisé, fractures multiples, lésion moelle épinière par exemple | ||
Traitements hormonaux : contraception, traitement substitutif de la ménopause | ||
Grossesse et post-partum | ||
SAPL (exceptionnellement familial) | ||
Syndrome myéloprolifératif (JAK2?) | ||
Cathéter central | ||
Insuffisance cardiaque congestive | ||
Obésité | ||
Varices | ||
TIH |
+ : implication comme facteurs de risque de la triade de Virchow | |||
+/- : implication comme facteurs de risque de la triade de Virchow dans certains cas | |||
IDM : infarctus du myocarde | |||
Stase veineuse | Lésion de la paroi vasculaire | Altération de la coagulation | |
---|---|---|---|
Age > 60 ans | + | ||
Obésité | + | + | |
Grossesse | + | + | |
Immobilisation ou paralysie | + | ||
Chirurgie orthopédique | + | +/- | + |
Traumatisme des membres inférieurs | + | + | + |
Insuffisance cardiaque | + | ||
IDM (phase aiguë) | + | +/- | |
Accident vasculaire cérébral | + | +/- | +/- |
Cancer | +/- | + | |
Chirurgie générale | + | + | + |
Thrombophilie héréditaire ou acquise | + | ||
Insuffisance veineuse ou varices | + | + |
Nous étudierons les localisations habituelles, les facteurs de risque découlant souvent de la triade de Virchow, avant d’analyser les mécanismes de la thrombogenèse veineuse.
Mécanismes et sites privilégiés de l’apparition des TV
Les TV surviennent classiquement au niveau des veines profondes des membres inférieurs, mais elles peuvent encore siéger dans le réseau superficiel aux membres supérieurs, dans les sinus cérébraux, dans le système porte, au niveau rétinien ou dans des sites insolites (maladie de Mondor du sein). Le thrombus veineux apparaît dans les zones dites à bas débit sanguin : les sinus veineux ou les sacs valvulaires des veines profondes des membres inférieurs par exemple (fig. 5.1 et 5.2). L’extension du thrombus responsable de l’occlusion veineuse suit une progression rétrograde. Les valves sont avasculaires et dépendent directement de la qualité du flux circulatoire pour l’apport d’oxygène et d’autres nutriments. La stase entraîne une hypoxémie locale qui favorise l’expression du FT. Les valvules peuvent aussi subir des traumatismes au même titre que la paroi vasculaire. Un bon exemple est l’intervention chirurgicale pour prothèse totale de hanche responsable d’une lésion potentielle de la veine fémorale. De même, le traumatisme engendré par les cathéters centraux peut favoriser des thromboses des membres supérieurs. Les cytokines pro-inflammatoires sont capables d’induire une activation endothéliale responsable d’une surexpression des molécules adhésives, qui favorise alors l’adhésion des leucocytes à la surface vasculaire. Les monocytes liés à la paroi peuvent exprimer du FT tandis que les neutrophiles génèrent des radicaux libres d’oxygène ainsi que des protéases. Les microparticules relarguées par les plaquettes accumulées au niveau du site lésionnel favorisent la formation du caillot. Les TV des membres supérieurs représentent moins de 5 % de l’ensemble des TVP. Leur prévalence ne cesse de croître en rapport, le plus souvent, avec une cause iatrogène. Le syndrome du défilé thoracobrachial est la cause primitive la plus fréquente de TV du membre supérieur (50 % des cas). La compression de la veine sous-clavière ou axillaire se complique dans 30 % des cas de thrombose. Cet accident survient dans plus de 75 % des cas avant 40 ans. Au-delà de 50 ans, une cause secondaire néoplasique doit être recherchée (voirchapitre 6).
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Fig. 5.1 Formation du caillot. (Sevitt S. J Clin Path 1974; 27 : 517–528). |
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Fig. 5.2 Étapes intriquées de l’atteinte endothéliale, de l’activation des plaquettes et de la coagulation plasmatique.Après la survenue d’une lésion endothéliale ou de la rupture d’une plaque athéroscléreuse, l’activation de la cascade de la coagulation est à l’origine d’une génération accrue de thrombine. La thrombine amplifie la réponse plaquettaire qui est elle-même initiée par la mise à nu des fibrilles de collagène présentes dans le sous-endothélium et aboutit à la génération de thromboxane A2 (TxA2) (vasoconstricteur et proagrégant) et à l’induction enzymatique pro-inflammatoire (cyclooxygénase [Cox], phospholipases par exemple) majorant la coopération intercellulaire. Cela illustre bien le caractère plurifocal de la réponse après une lésion vasculaire. |
Stase sanguine
La stase est un élément prépondérant de la thrombogenèse veineuse. Elle favorise d’une part l’accumulation des différents facteurs procoagulants et limite d’autre part l’élimination des facteurs activés. Différents phénomènes peuvent être responsables du ralentissement du flux sanguin.
L’immobilisation ralentit le retour veineux par défaut de contraction musculaire. La réduction de la marche liée à un état grabataire ou à une impotence fonctionnelle est un facteur de risque démontré d’accident thrombotique veineux postopératoire. Ainsi, les TVP sont 4 à 9 fois plus fréquentes dans le membre paralysé chez les sujets hémiplégiques alors que la fréquence est identique dans les deux jambes des patients paraplégiques. La survenue d’un accident thrombotique est aussi liée au type de geste opératoire, à la durée de l’intervention chirurgicale, à la pathologie sous-jacente ou au terrain du patient pouvant aggraver cette stase. L’obésité responsable d’une mobilité réduite et associée à une réduction de l’activité fibrinolytique pourrait ainsi majorer le risque de TVP postopératoire.
La compression extrinsèque (hématome, kyste, tumeur) ou la persistance de séquelles post-thrombotiques gênant le retour veineux majorent le risque thrombotique. Le syndrome de Cockett (ou syndrome de compression veineuse iliocave) correspond à la compression de la veine iliaque primitive gauche entre le disque lombosacré et la 5e vertèbre lombaire en arrière et l’artère iliaque primitive droite en avant. Le plus souvent asymptomatique, ce syndrome peut être responsable d’œdème chronique du membre inférieur gauche avec des signes d’hypertension veineuse ou des varices, de thrombose iliaque gauche en contexte gravide ou après un voyage prolongé, et même d’une compression de l’artère iliaque primitive gauche.
En cas d’hypercytose (polyglobulie, hyperleucocytose, leucémie par exemple), de dysglobulinémie (myélome, Waldenström) ou de syndrome myéloprolifératif, l’hyperviscosité sanguine est un élément à ne pas négliger.
La déshydratation peut renforcer l’hypercoagulabilité plasmatique éventuelle par l’hémoconcentration des facteurs procoagulants. Les diurétiques utilisés au cours d’une défaillance cardiaque congestive peuvent ainsi contribuer à accroître le risque thrombotique par la majoration de l’hémoconcentration associée à la stase sanguine.
Les dilatations veineuses ou varices sont fréquentes. En cas de grossesse ou de prise de contraception orale œstroprogestative, elles peuvent majorer le risque thrombotique en contexte chirurgical postopératoire. La TV superficielle est une complication fréquente de la maladie variqueuse. Elle peut favoriser la survenue de TVP. Les varices représentent la huitième cause d’hospitalisation en France (200 000 interventions/an).
Toutefois, si la stase est un phénomène physique important, elle semble incapable à elle seule de générer un thrombus. En effet, des études ultrastructurales ont révélé l’existence de lésions endothéliales associées, responsables d’une perméabilité vasculaire accrue, d’une adhésion leucocytaire et d’une migration cellulaire importante.
Lésions endothéliales
Elles jouent classiquement un rôle plus important dans le déterminisme des thromboses artérielles que veineuses.
Les causes de l’atteinte endothéliale dans la pathologie des veines sont toutefois assez nombreuses :
– traumatismes opératoires : les interventions pour prothèse de hanche ou du genou sont particulièrement associées à une incidence accrue de TV. Les tractions vasculaires et le traumatisme médullaire lors de l’utilisation d’un garrot seraient responsables de l’activation de la coagulation aboutissant à une génération importante de thrombine. Néanmoins, il ne faut pas méconnaître l’existence de thromboses postopératoires du côté opposé à celui opéré, qui n’obéissent pas à ce mécanisme;
– sclérothérapies : la survenue de TV n’est pas négligeable au décours de séances itératives de sclérothérapie. En cas de thrombophilie constitutionnelle, le rapport bénéfice/risque de ce geste devrait être particulièrement analysé;
– cathéters veineux : la prévalence de thrombose sur cathéter des gros troncs veineux est d’environ 5 % et 1/3 des TV des membres supérieurs seraient dues à un cathéter veineux. Elle est liée au terrain (inflammation, thrombophilie), au matériau (positionnement correct ou non, taille du diamètre plus ou moins importante, nature non mouillable en silicone ou en polyuréthane), à la durée prolongée du maintien du dispositif et au type de produits perfusés (chimiothérapie type bléomycine, microparticules des solutés de perfusion). Ce matériel étranger est classiquement recouvert par un manchon fibrinocruorique mais c’est le thrombus mural en regard de l’extrémité du cathéter qui est responsable de la symptomatologie clinique. Ce type de thrombose est aussi facilité par l’infection secondaire du cathéter (staphylocoque doré, bacille Gram négatif ou Candida albicans);
– mise en place d’une sonde de stimulateur cardiaque : elle se compliquerait de TV du membre supérieur dans près de 30 % des cas;
– injections multiples des toxicomanes : ce contexte associe le caractère traumatique itératif au caractère procoagulant des substances injectées (cocaïne, amphétamines, quinine par exemple);
– antécédents de TV : le risque relatif de récidive serait quintuplé en cas d’épisode thrombotique antérieur. En effet, les séquelles phlébologiques, la dégradation valvulaire et la distension musculaire pariétale limitent le retour veineux et aggravent la stase veineuse;
Conception récente
Dans les TVP des membres inférieurs, la théorie classique indique l’absence d’altération de l’endothélium vasculaire. Cette observation est aujourd’hui remise en question. Ainsi l’hypoxie au niveau des valvules pourrait à elle seule entraîner une altération des cellules endothéliales (fig. 5.3) de même que celle des plaquettes entraîne l’expression à la surface cellulaire de P-sélectine. Cette dernière peut activer les monocytes ce qui se traduit par l’expression de facteur tissulaire à leur surface. Les microparticules d’origine monocytaire possèdent du facteur tissulaire et un ligand de la P-sélectine ou P-selectin glycoprotein ligand 1 (PSGL-1).
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Fig. 5.3 Stase veineuse et thrombogenèse. (Del Conde I, Lopez JA. J Thomb Haemost 2005; 3 :1–3). |
Hypercoagulabilité héréditaire
Décrite dès les années soixante-cinq, la thrombophilie familiale est liée à une génération accrue de thrombine en cas de déficit en inhibiteur physiologique (antithrombine [AT], protéine C [PC], protéine S [PS]), ou beaucoup plus rarement d’hypofibrinolyse (excès de PAI1, défaut d’activateur tissulaire du plasminogène [t-PA]). Les déficits en inhibiteurs sont retrouvés chez 10 à 15 % des patients ayant des antécédents de TVP. La résistance à l’activité anticoagulante de la PC activée (PCa) – le facteur V Leiden (FVL) –, découverte en 1993, et la mutation G20210A du gène du FII, mise en évidence en 1996, représentent les causes constitutionnelles les plus fréquentes (30 à 50 % des patients). L’hétérogénéité de l’expression clinique et la sévérité variable des thrombophilies sont reconnues de façon consensuelle (voir chapitre 3, p. 188).
L’intrication des anomalies génétiques et des facteurs environnementaux dans divers contextes favorisants souligne la pluralité des acteurs thrombogènes potentiels et pourrait expliquer la diversité d’expression clinique des thrombophilies héréditaires. L’hyperhomocystéinémie est la résultante de facteurs génétiques (mutation C677T de la méthylène tétrahydrofolate réductase ou MTHFR) et acquis (déficit vitaminique en B6, B12, acide folique) (voirchapitre 6). Associée à une incidence élevée de TVP, l’augmentation des taux de FVIII (> 150 UI/dl) serait aussi liée à la conjonction de facteurs génétiques et environnementaux. La combinaison de ces facteurs aboutit non pas à une simple sommation mais souvent à une véritable potentialisation du risque thrombotique.
Thrombophilie acquise
La recherche de pathologies connues pour être associées à un risque thrombotique accru sera élargie à partir de l’anamnèse clinicobiologique. La confirmation d’une affection sous-jacente conditionnera la prise en charge du patient avec un traitement étiologique combiné au traitement anticoagulant.
Récemment, l’étude SIRIUS a montré que les patients porteurs d’un accident thromboembolique veineux symptomatique avaient plus d’un facteur de risque par rapport au groupe contrôle (1,7 ± 0,05 vs 0,78 ± 0,03) et que la majorité de ces patients avait en fait plus de deux facteurs de risque identifiés. Ces divers facteurs sont d’une part propres au sujet et à son terrain (facteurs intrinsèques), d’autre part liés à une circonstance favorisante (facteurs extrinsèques).
Âge
Le risque thrombotique augmente singulièrement avec l’âge puisqu’il passe de 1/10 000 avant 40 ans à 1/1 000 après 40 ans et à 1/100 au-delà de 75 ans. Il existe une augmentation exponentielle du risque d’accident thrombotique veineux avec la progression de l’âge (risque relatif × 1,9 par décade). Plusieurs mécanismes sont proposés : limitation de la mobilité physique, stase sanguine accrue, comorbidité (cancer, inflammation chronique), augmentation des taux de FVIII, de fibrinogène ou de PAI1 ou vieillissement de l’endothélium.
Antécédents de thrombose
Ils constituent un facteur de risque très important, retrouvé dans toutes les séries. Le caractère spontané ou provoqué, le nombre d’accidents jouent un rôle essentiel dans l’évaluation du risque. Ainsi, il a été démontré que la fréquence des récidives est bien plus grande pour les thromboses spontanées, sans cause retrouvée, dites idiopathiques que pour les accidents liés à une cause déclenchante. Dans ce dernier cas, sa persistance ou sa disparition doit être prise en compte.
Cancers
Un cancer est objectivé chez 10 à 20 % des patients ayant une TVP. La survenue d’un épisode thrombotique apparemment idiopathique peut précéder de plusieurs années le diagnostic effectif de néoplasie évolutive. Armand Trousseau, professeur de clinique médicale à l’Hôtel-Dieu, a été le premier à souligner l’association d’accidents thrombotiques veineux à des cancers gastriques découverts à l’autopsie. Ces phlébites, superficielles ou profondes, sont volontiers multiples, récidivantes et résistantes au traitement anticoagulant oral bien conduit (voir chapitre 6, p. 201).
Immobilisation prolongée
L’alitement strict est un facteur de risque reconnu de TV. Diverses situations associées à une mobilisation réduite sont aussi des circonstances déclenchantes potentielles. Ainsi, une impotence fonctionnelle ou une paralysie, le port d’un plâtre, un voyage prolongé en avion (> 6h) et même les importants embouteillages citadins peuvent favoriser la constitution de thrombi.
Les travaux récents en milieu médical tendent à distinguer différents stades dans l’immobilisation prolongée selon l’autorisation ou non de déplacement à la salle de bains, de marche de moins ou plus de 10 mètres.
Hémopathies
Différentes hémopathies sont particulièrement associées à un risque thrombotique veineux. Il s’agit principalement des proliférations cellulaires clonales avec les syndromes myéloprolifératifs chroniques (< 10 % des patients) et les hémopathies lymphoïdes comme la maladie de Hodgkin ou les lymphomes non hodgkiniens. En plus du bilan classique d’hémostase, la recherche d’une pousse spontanée des progéniteurs hématopoïétiques fait partie du bilan étiologique des TV portales ou splanchniques.
Chirurgie et traumatismes
Les actes chirurgicaux et les traumatismes sévères favorisent la survenue de TV et l’alitement associé aggrave la stase sanguine. La chirurgie orthopédique et la neurochirurgie sont des situations particulièrement à risque. Ainsi, en dehors de toute prophylaxie, en cas de prothèse totale de hanche ou du genou, les thromboses sont retrouvées par phlébographie dans 40 à 70 % des cas et, en cas de chirurgie générale, chez 15 à 30 % des patients. Les chirurgies gynécologique et urologique sont aussi thrombogènes avec 30 % de cas de TVP proximales. La fréquence des accidents thrombotiques est singulièrement accrue après un traumatisme pelvien ou une fracture du fémur. Cela serait lié au passage systémique de matériel médullaire procoagulant, particulièrement riche en phospholipides, et aux lésions endothéliales combinées avec la stase sanguine.

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