CHAPITRE 9 TRAITEMENT DES ÉTATS DE CHOC
GÉNÉRALITES
L’état de choc correspond à une souffrance cellulaire par défaut de perfusion tissulaire à l’origine d’un manque d’apport d’oxygène (hypoxie cellulaire) et/ou de défaut de production d’adénosine tri-phosphate (carence énergétique), entraînant une défaillance d’organes (= souffrance viscérale) et in fine la mort. Le collapsus est un symptôme différent du choc se définissant par une chute importante et brutale de la tension artérielle (voir Annexe 9.1 en fin de chapitre).
Les différentes étiologies
– soit un défaut d’inotropisme du ventricule gauche (insuffisance ventriculaire gauche aiguë) retrouvé dans l’ischémie myocardique en cas de syndrome coronarien aigu, la décompensation d’une insuffisance cardiaque chronique ou dans les cardiomyopathies aiguës infectieuses (à coksackie ou à virus) ou médicamenteuse (antiarythmiques, antidépresseurs tricycliques, carbamates, anthracyclines) ;
– soit un obstacle à l’éjection du ventricule droit (insuffisance ventriculaire droite aiguë) retrouvé dans l’embolie pulmonaire ou la tamponnade ;
– soit des troubles du rythme (tachycardie ou fibrillation ventriculaire) ou de la conduction (bloc auriculo-ventriculaire) ;
Épidémiologie
Les états de choc concernent plus particulièrement les sujets âgés bien que tous les âges puissent être impliqués. Son incidence dans les services d’urgence varie de 4 à 10 pour 1 000 admissions [1]. Les chocs hypovolémiques et cardio-géniques constituent plus de 90 % des causes d’états de choc [2]. Dans seulement 25 à 50 % des cas, l’étiologie du choc est facilement reconnue dès la prise en charge initiale [3]. La mortalité globale est de 50 % en particulier dans le choc septique où elle est de 40 à 60 %, malgré les protocoles de déchoquage [1]. Dans le choc cardiogénique secondaire à un infarctus aigu, la mortalité globale varie de 50 à 80 %, indépendamment des stratégies de reperfusion [1, 4, 5].
Physiopathologie
Le système cardiovasculaire comprend le volume sanguin circulant, la pompe cardiaque et les résistances vasculaires (systémiques et pulmonaires). L’état de choc résulte de la défaillance d’au moins un de ces trois éléments entraînant un déséquilibre entre l’apport et la demande en oxygène. À l’échelle cellulaire, la production d’adénosine tri-phosphate (ATP), principale forme d’énergie utilisée pour le fonctionnement cellulaire est réalisée à partir des glucides et lipides de l’alimentation. Le rendement maximal se fait en présence d’oxygène transporté jusqu’aux cellules par le cœur (débit cardiaque) et les vaisseaux et grâce au rôle du sang (hémoglobine et plasma). Le ralentissement circulatoire a deux conséquences : anoxie et défaut de stockage de l’ATP conduisant à une acidose (accumulation de CO2). L’hypoxie et l’arrêt de la phosphorylation oxydative mitochondriale aboutissent à une accumulation de lactates. Parallèlement à la déplétion des réserves énergétiques cellulaires, l’hypoxie amène à une défaillance des mécanismes de transports actifs transmembranaires avec accumulation d’eau, de sodium et de calcium. Cette hypoxie cellulaire aboutit à une défaillance organique multiple qui devient irréversible en l’absence de traitement. Sur le plan clinique, le choc est en premier lieu compensé par l’activation des systèmes sympathique, rénine-angiotensine-aldostérone et la libération de cortisol et de l’hormone antidiurétique (ADH). Ces mécanismes temporaires entrainant une augmentation des fréquences cardiaque et respiratoire ainsi que de la contractilité myocardique permettent la redistribution sanguine vers les organes prioritaires (cœur, système nerveux central, rein à un moindre degré) aux dépends de la circulation splanchnique et cutanée. La pression artérielle reste normale, voire élevée. Le choc avéré traduit la défaillance de ces mécanismes de compensation. La survenue d’une acidose lactique au cours du choc est un signe de gravité.
DIAGNOSTICS CLINIQUE ET BIOLOGIQUE
Signes biologiques
Sur le plan biologique, l’hyperlactatémie est le témoin majeur de la souffrance tissulaire qui résulte de l’état de choc. Les lactates sont des marqueurs d’hypoperfusion tissulaire périphérique sévère quand ils sont élevés, c’est-à-dire supérieurs à 2,5 mmol/L. Le taux de lactates doit être interprété en fonction d’une éventuelle insuffisance hépato-cellulaire (et à un moindre degré d’une insuffisance rénale), susceptible d’en affecter le métabolisme. Les défaillances rénale et hépato-cellulaire peuvent néanmoins elle-mêmes être la conséquence de l’état de choc. Une lactatémie supérieure à 10 mmol.l−1 de manière prolongée est prédictive de décès. L’hyperlactatémie favorise l’apparition d’une acidose métabolique, en sachant que d’autres facteurs peuvent également favoriser ce profil métabolique, comme une insuffisance rénale. L’augmentation de l’urée et de la créatinémie signent une insuffisance rénale aiguë, qui peut elle-même favoriser l’acidose et l’hyper-kaliémie. L’augmentation des transaminases signe la cytolyse hépatique, l’augmentation de la lipase traduit au niveau du pancréas une souffrance digestive, l’augmentation de la troponine traduit une souffrance myocardique. Les examens sanguins de routine (numération formule sanguine, ionogramme, enzymes hépatiques, créatinine, urée, coagulation, protéine C-réactive, procalcitonine [PCT]) participent au diagnostic étiologique du choc et permettent d’en apprécier le retentissement. La PCT semble prometteuse pour exclure un état de choc d’origine septique (forte valeur prédictive négative) [6].
TRAITEMENTS
Remplissage vasculaire
Il doit être très précoce et important car ceci va conditionner le pronostic vital. L’absence de réponse hémodynamique au remplissage rapide souligne l’urgence de l’hémostase chirurgicale ou par le biais de la radiologie interventionnelle et impose la perfusion de catécholamines. L’efficacité du remplissage est surveillée grâce aux paramètres cliniques, échographique et par mesure de la pression veineuse centrale. Le remplissage peut être massif (plusieurs litres en quelques heures) en cas de choc hypovolémique. Il consiste en l’administration de cristalloïdes (sérum physiologique à 0,9 %, Ringer-Lactate, sérum salé hypertonique à 7,5 %) ou de colloïdes (albumine, gélatines et hydroxyéthyl-amidon) par une voie veineuse centrale indispensable pour assurer un bon débit de perfusion lors du remplissage. Ces derniers bénéficient d’un meilleur pouvoir d’expansion volémique, au prix néanmoins d’un prix plus élevé et d’effets indésirables plus fréquents ; sans que leur bénéfice clinique soit formellement établi par rapport aux cristalloïdes. L’administration de cristalloïdes isotonique (sérum salé 0,9 %) ou hypotonique (Ringer-Lactate) permet une diffusion rapide à travers les membranes vasculaires vers le secteur interstitiel, mais entraîne la formation d’œdème interstitiel alors que l’administration d’un cristalloïde hypertonique (sérum salé hypertonique 7,5 %) permet le transfert d’eau depuis le secteur intracellulaire vers le secteur plasmatique entrainant un effet remplissage et limitant la formation des œdèmes.