Réactions familiales et phases de la maladie166
Réactions des conjoints172
Réactions des enfants174
Facteurs influençant l’adaptation familiale176
Conclusion181
INTRODUCTION
La maladie cancéreuse affecte non seulement l’individu qui en est atteint mais aussi les membres de la famille. La famille est en effet le lieu des relations affectives les plus proches et l’apparition ou la présence d’une maladie chronique la bouleverse immanquablement. L’anxiété d’un membre de la famille se transmet aux autres membres et peut modifier les relations intrafamiliales.
La dynamique familiale (microsystème), le mode d’adaptation de chacun de ses membres et enfin les différentes phases de la maladie vont influencer l’adaptation de la famille. La figure 9-1 illustre cela et rappelle que l’adaptation dépend aussi de l’adaptation des proches et du système médical (exosystème), du réseau professionnel (mesosysteme) et des facteurs socioculturels (macrosystèmes).
Fig. 9-1 |
L’évaluation de la capacité d’une famille à faire face au cancer comprend l’étude des caractéristiques psychologiques de chacun des membres de la famille et l’étude du système familial dans ses aspects d’adaptabilité, de communication, de cohésion et de développement. Les caractéristiques familiales qui semblent favoriser son adaptation sont une souplesse de l’organisation qui permet des changements de rôles (adaptabilité); des liens émotionnels et des coalitions constructives dans les relations intra- et extrafamiliales (cohésion) qui tolèrent et favorisent l’expression des préoccupations (communication); la capacité à résoudre les conflits; la non-concomitance avec une période de transition dans le développement familial et une capacité de recourir avec confiance aux systèmes de soins. La présence, l’accessibilité et la qualité des apports émanant des professionnels de la santé, collègues de travail ou amis, participent à cette adaptation. Ajoutons que l’appartenance culturelle d’une famille va nuancer les valeurs, les croyances et les attitudes notamment en ce qui concerne l’autonomie du patient, la communication avec les soignants, l’interprétation de l’origine du cancer, l’expression de la douleur et le type de relation dans la phase terminale de la maladie. C’est en prenant en considération ces différences que seront compris les modes culturellement différents d’adaptation individuelle et familiale à la maladie (Cook Gotay, 1996).
RÉACTIONS FAMILIALES ET PHASES DE LA MALADIE
Les réactions familiales seront considérées en fonction des différentes phases de l’évolution de la maladie : celle du diagnostic et des premiers traitements, de la rémission et de la guérison et enfin, de la phase préterminale et terminale. Ces dernières années, l’efficacité des traitements antitumoraux s’est accrue, avec toutefois des effets secondaires et des séquelles à long terme. On ne s’intéresse donc plus uniquement aux répercussions familiales de la phase terminale mais également à celles liées à la réhabilitation des patients.
Phases de diagnostic et de traitement
La phase de diagnostic et de traitement de l’affection cancéreuse comprend les premiers symptômes, les différents examens médicaux, l’annonce du diagnostic de l’affection et des perspectives de traitements, et les traitements eux-mêmes. Cette phase est souvent longue et nécessite des allers et retours de l’hôpital, voire des hospitalisations. Elle entraîne pour la famille de grands bouleversements tant au niveau du vécu émotionnel qu’au niveau fonctionnel, qui peuvent être liés à une crise émotionnelle, à la recherche d’un soutien psychologique et d’une aide instrumentale, à la nécessité de réorganiser les rôles et fonctions familiaux, et à l’établissement des relations avec le monde médical (Rolland, 2005).
Tout d’abord, le diagnostic de cancer précipite la famille dans une crise émotionnelle aigüe (Giacquinta, 1979; Northouse 1984; Northouse, 1988; Northouse et Swain, 1987; Snyder, 1986). Cette crise est principalement déclenchée par la menace de perdre un proche, la remise en question du fantasme d’immortalité et la nécessité de s’adapter au monde médical. La menace de perdre un proche et la remise en question du fantasme d’immortalité induisent des sentiments de peur, d’aliénation, de vulnérabilité, d’impuissance et de culpabilité. La crainte de subir, directement ou indirectement, les effets secondaires des traitements, l’anticipation de la douleur ainsi que l’incertitude («le traitement va-t-il permettre la guérison?»), la recherche de sens («pourquoi lui/ elle?», «pourquoi maintenant?»), le sentiment d’échec, d’être stigmatisé et les problèmes pratiques sont d’autres préoccupations de cette période (Giacquinta, 1979; Haddad, Pitceathly et coll., 1996).
Si la plupart des familles arrivent à faire face au diagnostic de cancer, diverses études témoignent d’une détresse psychologique et d’un dysfonctionnement psychosocial significatif chez un tiers des patients cancéreux adultes, leur conjoint et leurs enfants (Maguire, 1981; Northouse et Swain, 1987; OmnePonten, Holmberg et coll., 1993).
Les conjoints sont en général les membres familiaux les plus affectés. Des études mettent en évidence d’une part un niveau de dépression et d’anxiété aussi grand chez les partenaires que chez les malades (Northouse et Swain, 1987) et d’autre part, des membres familiaux émotionnellement plus perturbés que les patients euxmêmes (Rait et Lederberg, 1989). Cette détresse émotionnelle est cependant plus comparable à celle d’une population normale qu’à celle d’une population psychiatrique (Northouse, 1988). De plus, la capacité adaptative de chacun des conjoints influence l’adaptation de l’autre (Hannum, Giese-Davis et coll., 1991). Le temps mis pour s’adapter à l’impact émotionnel du cancer peut différer selon les conjoints : une étude longitudinale portant sur des conjoints dont l’épouse a été traitée par mastectomie montre que 25 % de celles-ci présentent toujours un an après l’opération un niveau d’anxiété et de dépression significatif alors que leur époux présente un pic de détresse émotionnelle immédiatement après la mastectomie qui a tendance à s’atténuer rapidement ensuite (Wellisch, 1981).
Des différences entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs réactions psychologiques et leurs aptitudes au soutien ont été mises en évidence par une autre étude (Keller, Henrich et coll., 1996). Tout comme l’étude précédente, un même niveau de détresse apparaît chez les conjoints, malades ou en bonne santé. Cependant, les facteurs contribuant à la détresse psychologique des hommes ou des femmes diffèrent. Dans le cas des conjoints de patientes cancéreuses, la détresse est plus associée à l’état émotionnel de leur épouse malade qu’à leur état physique. D’autre part, les épouses paraissent plus se fier aux données médicales objectives que leur époux, et sont d’autant plus en détresse que les traitements sont palliatifs. L’état émotionnel d’une patiente peut donc perturber le couple : si celle-ci s’adapte bien à la maladie, le couple fera face à la crise sans trop de perturbations; si elle souffre sur le plan psychologique, le couple risque de présenter des difficultés d’adaptation. L’état physique d’un patient peut également perturber le couple : plus celui-ci sera dans une situation médicale précaire et/ou en phase palliative, plus le couple risque de présenter des difficultés d’adaptation.
La qualité de l’environnement familial a un impact sur l’équilibre psychologique de ses membres. Ainsi, un environnement familial caractérisé par une cohésion et un niveau bas de conflits va de pair avec un niveau moins élevé de détresse et une meilleure capacité d’adaptation de ses membres par rapport à une famille caractérisée par des liens distants et un niveau élevé de conflits (Arpin, Fitch et coll., 1990; Friedman, Baer et coll., 1988; Fritz, Williams et coll., 1988; Kissane, Bloch et coll., 1996; Lichtman 1984; Lieber et Plumb 1976; Neuling et Winefield 1988). En ce qui concerne l’impact de l’environnement familial sur le bien-être du patient, une étude démontre que dans un échantillon de femmes traitées par mastectomie pour un cancer du sein, les patientes qui se perçoivent émotionnellement soutenues rapportent également de meilleures relations familiales (Bloom, 1996). Ainsi le sentiment d’être soutenue émotionnellement aurait une influence positive directe sur la perception de bonnes relations familiales et inversement; et de là sur le bien-être psychologique de la patiente.
Durant la phase de diagnostic et des premiers traitements, la famille recherche surtout un soutien émotionnel et une aide instrumentale notamment pour les transports à l’hôpital, les tâches domestiques et la garde des jeunes enfants. En ce qui concerne la recherche de soutien émotionnel, les hommes recourent plus à leur épouse que les femmes à leur époux. Autrement dit, la plupart des maris considère leur épouse, même lorsque celle-ci est malade, comme une source prédominante de soutien. Par contre, les femmes cherchent un soutien auprès d’un éventail plus large de personnes, ce recours à un soutien plus varié se répercutant de manière bénéfique sur leur époux. Ceci confirme l’impact psychologique du cancer sur le couple dans son ensemble. Les conjoints sont à la fois source de soutien et de détresse l’un par rapport à l’autre. Néanmoins, certaines particularités liées au sexe peuvent expliquer des différences de réactions. Sur le plan clinique, l’identification d’une détresse psychologique chez l’épouse peut indiquer une souffrance du couple et donc nécessiter une prise en charge plus globale. Par ailleurs, l’élaboration des interventions psychologiques pourrait exploiter d’une part l’usage prépondérant que fait l’époux du soutien de l’épouse et d’autre part le recours plus spontané de l’épouse à un soutien extérieur au couple.
Une fois franchi le seuil de l’hôpital, une relation très intense va se créer entre le système familial et le système médical : les préoccupations familiales vont se centrer sur la maladie et les soignants vont devenir les principaux référents du système familial en quête d’informations et de soutien. Les informations requises par le patient et la famille sont directement liées au stade de la maladie. Ces besoins se manifestent avec acuité aux moments de transition comme en phase prédiagnostique ou terminale. Ainsi, par exemple, en phase de diagnostic, l’information souhaitée concerne le type et le but des procédures diagnostiques, le moment où les résultats vont être connus, la personne responsable du traitement et l’impact psychologique de cette période (Blanchard, Toseland et coll., 1996). Si le médecin doit en partie s’adapter au mode de communication du patient et de sa famille, c’est surtout la famille qui va progressivement «se socialiser» au milieu soignant adoptant son vocabulaire, ses croyances et ses règles (Rait et Lederberg, 1989). Si la plupart des familles parviennent à s’adapter à cette nouvelle culture, diverses réactions familiales face au milieu soignant ont été observées (Rait et Lederberg, 1989). Celles-ci vont d’une acceptation totale des interventions proposées à une discussion à propos de chaque projet thérapeutique. Une disposition ambivalente à l’égard des soignants conduit souvent à de nombreux conflits où dominent les sentiments de déception, de colère et les reproches. L’abandon du malade par ses proches ou encore l’induction ou l’encouragement par ces derniers de sa non-compliance aux traitements sont d’autres types d’attitude familiale particulièrement difficiles à gérer.
Des conflits entre la famille et le personnel soignant compromettent souvent la poursuite des soins. Le refus des investigations médicales et le manque d’adhésion aux règles de l’institution hospitalière et aux traitements, et éventuellement des alliances avec d’autres familles contre l’équipe médicale sont des expressions de ces conflits. Ceux-ci nécessitent une détection précoce en vue d’éviter les problèmes qui en découlent (Zabora, Fetting et coll., 1989). Les membres sains de la famille souhaitent le plus souvent obtenir des informations relatives aux aspects médicaux associés à la maladie mais aussi aux aspects psychologiques, notamment les réactions que celle-ci peut induire. Cependant, l’information qui leur est fournie concernant la maladie et les traitements peut être très lacunaire. Cette limite peut s’expliquer par des soignants qui mettent souvent les familles des patients à l’écart des soins surtout lors des hospitalisations; par les proches des patients euxmêmes pour qui s’informer auprès des médecins et infirmières peut être une démarche difficile par crainte de déranger les soignants perçus comme trop occupés et/ou par crainte des réponses qu’ils pourraient obtenir mais également par l’absence d’espace propice et le haut degré de technicité et de spécialisation du monde médical. Ceci peut accroître l’anxiété et le sentiment d’impuissance des membres de la famille. Une étude menée auprès de patientes atteintes d’un cancer du sein met en évidence les besoins en informations des conjoints ainsi que la difficulté pour les soignants d’y répondre (Zahlis et Shands, 1991). Une aide s’avère nécessaire pour amener les conjoints tout d’abord à percevoir ces besoins en informations, ensuite à les clarifier et enfin à formuler aux soignants les questions qui en découlent.
Cette communication limitée entre les soignants et les familles est à mettre en lien avec une participation aux prises de décision thérapeutique souvent évitée. L’exclusion d’un membre du couple des processus de décision peut affecter les relations conjugales. Une étude montre que les époux des femmes mastectomisées s’adaptent mieux et offrent plus de soutien à leur épouse lorsqu’ils ont été impliqués dans la décision chirurgicale (Wellisch, 1981). Par ailleurs, les proches rapportent une satisfaction importante lorsque les soignants les ont impliqués dans la situation en les informant sur la maladie et les traitements. Si le monde hospitalier peut favoriser parfois la mise à l’écart des membres sains de la famille, il arrive que le patient lui-même exclut ses proches, par gêne ou honte, ou pour d’autres raisons. Il peut arriver au contraire qu’une coalition se crée entre un membre de la famille et le médecin, et isole le malade (Maguire et Faulkner, 1988). Ce mode de relation peut affecter l’adaptation de celui-ci. Si le malade est conscient d’un secret gardé à son insu, il se sent mis à l’écart par son entourage. Par contre, s’il ne se doute pas qu’on lui cache la vérité, le patient peut se trouver alors dans la situation paradoxale de ressentir avec inquiétude des malaises physiques que l’entourage banalise ou feint de ne pas connaître. Cette coalition se crée fréquemment à l’égard de patients qui ne sont pas toujours partie prenante du processus de décision thérapeutique. Les professionnels de la santé se réfèrent parfois aux enfants adultes par crainte que l’âge avancé du malade ne puisse lui permettre d’effectuer un choix raisonnable (Vachon, Robinovitch et coll., 1991). Cette attitude affecte son autonomie et les options choisies ne respectent pas toujours son système de valeurs et de croyances quant à la définition d’une qualité de vie optimale. Ainsi il est recommandé de s’adresser à la famille en présence du patient; cela afin de minimiser le risque de malentendus et de fournir l’occasion de discuter des divergences d’opinions, notamment à propos des choix thérapeutiques, de la participation à une recherche, de la réanimation ou de la nécessité de soins palliatifs.
Le mode de relation intrafamiliale déteint souvent sur les relations entretenues par la famille avec le personnel soignant. Ainsi les familles fusionnelles auront tendance à impliquer exagérément les soignants dans leurs propres difficultés. Des familles méfiantes par contre induiront une relation distante avec ceux-ci. Les attitudes réactionnelles de méfiance des soignants renforceront alors leur vécu d’abandon. Ce mode de relation intrafamiliale peut également déteindre sur le mode de fonctionnement des équipes par les phénomènes de résonance (Elkaïm, 2001) et d’isomorphisme (Lernout, 2005). Ainsi, une équipe soignante prenant en charge une famille marquée par de nombreux conflits peut voir croître la tension voire les conflits entre ses membres également. La même équipe confrontée a une famille marquée par une communication verbale limitée peut voir se réduire la communication interpersonnelle entre ses membres.
Phases de rémission et de guérison
La phase de rémission comprend une étape de réhabilitation et peut être assimilée, lorsqu’elle se prolonge, à une guérison. Les difficultés familiales associées à cette phase sont notamment : la recherche d’une satisfaction des besoins individuels, l’adaptation au changement de rôles et de mode de vie, la gestion de l’incertitude et les répercussions psychologiques liées aux séquelles des traitements (Northouse, 1984). Lorsque la menace de la maladie s’éloigne et que s’amorce un retour à la vie normale, le mouvement familial centripète de focalisation sur le malade s’inverse par un mouvement centrifuge de distanciation. Chacun des membres accroît sa recherche d’une satisfaction des besoins individuels. Pour la famille, les sentiments associés à ce changement sont principalement la peur d’abandonner ou de faire du tort au malade, un ressentiment à son égard dû à l’insatisfaction prolongée des besoins personnels et une certaine culpabilité à éprouver du plaisir dans des activités extérieures. Les séquelles des traitements s’accompagnent souvent du besoin persistant de soutien chez le malade. La satisfaction des besoins des membres de la famille peut en être affectée.
Par ailleurs, le retour à la vie normale signifie une reprise des rôles et du mode de vie antérieurs. Des désaccords entre membres de la famille concernant la réorganisation du fonctionnement familial peuvent se manifester et créer des conflits importants. Un déséquilibre dans l’attribution des rôles peut être maintenu lorsque le patient se trouve psychologiquement ou physiquement incapable de reprendre ses activités. Quelle que soit la situation, il s’agira pour chaque famille de s’adapter au changement de rôles et de mode de vie. Certains membres de la famille doivent alors continuer à gérer des charges qu’ils ne sont parfois pas capables d’assumer durablement, compte tenu de leur âge par exemple. Parfois ce sont les familles qui facilitent la persistance d’un rôle de malade (et de ses bénéfices secondaires comme la perte des obligations et des rôles habituels) et qui favorisent alors la consolidation de cette nouvelle identité au détriment d’une réhabilitation plus complète.
Malgré une rémission de l’affection cancéreuse, un sentiment d’incertitude persiste fréquemment chez chacun des membres de la famille, concernant notamment la ou les raison(s) de la survenue du cancer et les actes et attitudes à promouvoir ou à éviter pour empêcher une récidive de celui-ci. Face à l’incertitude, certaines familles remettent à plus tard les décisions importantes, vivent au jour le jour, aux dépens de réalisations à plus long terme (Rait et Lederberg, 1989). Les besoins de communiquer à propos de l’incertitude varient selon les circonstances et les caractéristiques de chacun. Différentes études rapportent que pour certains époux de femmes mastectomisées, parler de la récidive de la maladie avec leur épouse peut avoir une influence négative sur l’adaptation de celle-ci ou pourrait même susciter la réapparition de la maladie (Northouse, 1984). D’autre part, la famille ou les amis ne sont pas toujours très sûrs des attitudes à adopter face aux peurs du patient et peuvent en conséquence encourager une dissimulation des émotions. Parfois, ce sont les malades eux-mêmes qui décident de ne pas parler de leur cancer pour ne pas tracasser leur famille.
La période de rémission et de guérison constitue un temps d’accalmie après la crise. Le calme n’est cependant que relatif. L’incertitude liée à l’éventualité d’une récidive amène le malade qui a été traité pour une affection cancéreuse à rester le plus souvent anxieux. Le moindre dysfonctionnement ou symptôme physique lui fait craindre cette récidive. La famille reste aussi anxieuse bien qu’elle semble contrôler ses sentiments, invitant le patient à tourner la page (Schweicher, 1987). La durée de la détresse rapportée par les familles des patients et l’importance de celle-ci en phase de rémission ont été peu étudiées. Il semble pourtant que cellesci restent longtemps marquées par l’expérience du cancer (Northouse, 1984). Une étude portant sur l’anxiété des conjoints de patients atteints d’un cancer des voies digestives ou urinaires nécessitant une stomie, met en évidence que leur anxiété est aussi intense que celle des malades eux-mêmes. Cependant, elle ne se manifeste pas au même moment chez l’un et l’autre. L’anxiété du conjoint est présente au retour à domicile alors que durant cette période, celle du patient diminue (Oberst et Scott, 1988).
Les phases de rémission et de guérison comportent très souvent, pour les membres de la famille des répercussions psychologiques liées aux séquelles des traitements. Ainsi, dans l’année qui suit le traitement par greffe de moelle d’une hémopathie maligne, des affects négatifs peuvent persister chez le donneur si l’intervention médicale échoue ou si l’état de santé du malade reste précaire (Chang, McGarigle et coll., 2003; Christopher, 2004; Wolcott, Wellisch et coll., 1986a; Wolcott, Wellisch et coll., 1986b). Néanmoins, dans une étude prospective portant sur des donneurs de moelle issus de la fratrie, Switzer et coll. rapportent que si le fait d’être confronté au décès du patient durant l’année suivant la greffe est associé au sentiment que le don de moelle n’a pas aidé le patient, il est également associé à des effets positifs au niveau psychologique supérieurs aux effets psychologiques ressentis pas les donneurs dont le patient est toujours en vie – augmentation de l’estime de soi, du sentiment d’être heureux et satisfait de la vie (Switzer, Dew et coll., 1998). Les auteurs de cette étude proposent deux interprétations à ces résultats : d’une part les donneurs dont le patient est décédé sont libérés du poids de l’anxiété et des soucis liés à l’efficacité de leur don; d’autre part, le décès du patient a accru l’intensité des liens émotionnels entre les membres de la famille comparativement aux donneurs dont le patient est encore vivant et dont les difficultés médicales peuvent mettre à mal ces liens. En d’autres mots, les donneurs peuvent bénéficier de la gratitude des autres membres de la famille même après le décès du patient).
Les recherches portant sur la qualité de vie du patient cancéreux mettent en évidence les conséquences conjugales des séquelles thérapeutiques, notamment en ce qui concerne la sexualité et la fertilité. Différentes études dont la plupart sont consacrées au cancer du sein montrent que la vie sexuelle reste perturbée après les traitements. Les cancers du sein et leurs traitements – radiothérapie, chimiothérapie et chirurgie reconstructrice – entraînent pour des raisons physiologiques, psychologiques et sociales des problèmes sexuels, une chute de désir et souvent en conséquence des problèmes de couple chez deux tiers des femmes (Cachelou, 1987). La chute ou la disparition du désir est ainsi fréquemment associée aux changements de rôles au sein du couple. Le rôle de soutien que le mari ou le compagnon a dû tenir tout au long des traitements entraîne en effet une relative parentification qui a comme conséquence de «dé-sexualiser» et de «déérotiser» les relations de couple. La maladie, la confrontation à la mort et la modification de l’image corporelle peuvent plonger par ailleurs les femmes dans une irréalité et un état de dissociation qui réduit le désir. La perte de désir peut être vécue comme un traumatisme et entraîner en réaction une recherche de ce désir. Il est aussi possible d’observer, suite à la confrontation à la maladie et à la mort, une réactivation de désirs anciens. Ces réactions peuvent venir s’intégrer de manières très variables au fonctionnement des malades. Une expression de ces réactions est la recherche de relations nouvelles sur lesquelles pourront se projeter des idéalisations construites à partir des blessures narcissiques vécues ou des aspirations narcissiques réactivées. Ces recherches sont aussi fréquemment associées à un rejet des investissements antérieurs vécus comme faisant partie du trauma ou de ce qui a généré celui-ci. Le conjoint peut être ainsi rejeté, même s’il a participé au processus de soutien et de réparation. Cette situation est bien différente de la situation où le conjoint vit la maladie de son épouse/ compagne comme une blessure narcissique qui s’exprime par une difficulté de continuer à aimer un être diminué et mutilé. Ce sentiment peut être amplifié si l’épouse ou la compagne servait de complément narcissique à son conjoint. Dans chacune de ces situations, le rejet de la malade par son conjoint et/ou de son conjoint par la malade entraîne des réactions anxieuses et dépressives qui viennent compliquer le drame vécu. Ces réactions de la femme mutilée et du conjoint parentifié et rejeté peuvent entraver le processus de «re-sexualisation» et de «ré-érotisation» de la relation dans le contexte de la réhabilitation.
La qualité de vie des patients atteints d’un cancer du pénis est bien sûr aussi affectée significativement. Une étude montre que 30 % de ces patients rapportent une détérioration de leur activité sexuelle (Filiberti, Bandieramonte et coll., 1987). D’autre part, les partenaires des patients traités pour un cancer des organes génitaux manifestent eux aussi une baisse de désir et de satisfaction sur le plan sexuel (Tross et Holland, 1989).
Les nombreux problèmes liés à l’apparition d’une stérilité consécutive au traitement d’un cancer du sein (Hassey, 1988) ou d’une maladie de Hodgkin (Horning, Hoppe et coll., 1981) méritent également d’être considérés. D’une part, le diagnostic de cancer confronte ces patients à la réalité de leur mortalité. D’autre part, l’infertilité les confronte à l’idée d’une reproduction interdite. Le patient cancéreux en âge de fonder une famille reste souvent marqué par l’épreuve de ce choix douloureux : accepter les traitements et devenir stérile ou alors les refuser et risquer de mourir (Hubner, 1989). Finalement, il paraît important de noter que les difficultés sexuelles consécutives aux traitements peuvent être en partie la conséquence d’un problème de couple qui précède le diagnostic de cancer et qui se cristallise et se consolide par la suite.
Phases préterminale et terminale
En phase préterminale et terminale de l’affection, les traitements se limitent à pallier aux effets physiques et psychologiques consécutifs à l’évolution de la maladie. Cette période peut être marquée par une dépendance accrue du patient à l’égard de son entourage, son autonomie étant de plus en plus compromise par son incapacité à accomplir les actes les plus anodins de la vie courante. La phase terminale et l’anticipation de l’issue fatale génèrent, pour la famille et le patient, une nouvelle phase de détresse. L’intégrité familiale est menacée et les modes de vie sont à nouveau bouleversés. Les principaux problèmes rencontrés par les membres de la famille lors de cette phase sont : la communication à propos de la mort, les soins physiques et affectifs, et d’importantes difficultés émotionnelles liées notamment aux sentiments de séparation et de perte (Northouse, 1984).
En ce qui concerne la communication à l’approche de la mort, les familles peuvent adopter des attitudes très différentes. Celles-ci vont de la franche communication et des préparatifs de funérailles ou arrangements matériels pour le futur des survivants, aux attitudes d’évitement, voire de déni de cette réalité où l’expression des pensées et sentiments à propos de la mort n’est amenée que par les soignants. Selon deux études, 61 à 78 % des familles rapportent ne pas avoir parlé avec le membre malade de l’issue fatale de l’affection et de la mort possible (Hinton, 1981; Krant et Johnston, 1977). L’absence de communication à ce sujet est souvent en relation avec un souhait, conscient ou non, de préserver l’espoir et d’éviter la détresse associée à ces échanges. Elle peut être également la persistance d’un mode usuel de résolution des problèmes marqué par l’évitement. Cet évitement peut être générateur d’une anxiété supplémentaire. Les familles osant aborder et discuter de la mort et de ses implications rapportent un rapprochement affectif significatif et l’abandon d’un mode de communication souvent jugé superficiel (Hinton, 1981).
Chez les enfants également, une nette diminution de l’anxiété a pu être notée quand ils étaient informés de l’évolution de la maladie terminale de leur parent (Rosenheim et Reicher, 1985). Cependant, il apparaît que même les parents favorisant en général la communication avec leurs enfants, ne le font pas en ce qui concerne le risque de décès ou le font en raison des manifestations extérieures de la maladie, comme la perte de poids, des cheveux, et les hospitalisations fréquentes (Siegel, Karus et coll., 1996). Il apparaît ensuite que les adolescents sont plus susceptibles que les enfants plus jeunes d’être informés de la maladie et du risque de décès à la fois par le parent en bonne santé et le parent malade. Il semble donc que les enfants soient fréquemment confrontés passivement à des messages diffus, non explicites sur les événements médicaux présents et futurs. Ils pourraient donc constituer un groupe présentant un risque important de développement d’un deuil pathologique. D’autre part, les enfants et les adolescents dont la mère, plutôt que le père, est malade rapportent moins d’ouverture à la communication et moins d’informations sur la maladie et sur le décès. Les mères sembleraient donc rencontrer plus de difficultés à communiquer avec leurs enfants à ce sujet et pourraient nécessiter une aide spécifique, en priorité.
Comme lors de la période de crise associée au diagnostic et au traitement, la communication intrafamiliale, lorsqu’elle est réprimée ou discordante avec la réalité, peut être accompagnée d’un retrait du patient (Krant et Johnston, 1977). Une communication paradoxale – par exemple, quand l’entourage assure le malade qu’il a meilleure mine alors qu’il sent personnellement une dégradation de son état – accentue l’isolement de celuici. Une distance entre le patient et les autres membres de la famille peut aussi s’observer lorsque les sentiments qu’éprouvent chacun d’eux sont divergents. Il arrive en effet qu’un deuil anticipé se mette en place chez les membres sains de la famille, ceux-ci se coupant progressivement de projets communs à long terme avec l’être aimé alors que celui-ci n’a pas encore véritablement pris conscience de sa mort prochaine. Ce deuil anticipatoire peut également s’amorcer simultanément au soutien intensif du malade par les membres de la famille. La crise de la phase terminale est alors soustendue par des sentiments ambivalents. Certains membres familiaux rapportent aspirer à la fin de cette souffrance. Une culpabilité consécutive à ces sentiments peut alors compliquer le processus de deuil.
La dépendance du malade, modulée par le degré de disponibilité familiale, va déterminer la nécessité ou non d’organiser des soins à domicile ou d’envisager une admission dans une institution. Les soins à domicile exigent de la famille la capacité de faire face à l’ensemble des soins physiques et affectifs du malade. Ils confrontent les membres de la famille aux angoisses et appréhensions liées à la vue des derniers moments. La plupart des familles se sentent démunies face aux tâches requises pour la prise en charge d’un patient terminal à domicile. Elles témoignent d’un besoin en informations en ce qui concerne les aspects physiques et psychologiques des soins (déplacements, confort, alimentation, soutien émotionnel du patient, etc.).
Ce sont surtout les femmes qui choisissent de prendre en charge leur proche malade à domicile. Celles-ci rencontrent des difficultés importantes lorsqu’elles cumulent à la fois une profession, un rôle de ménagère et de soignante. Les soins de plus en plus complexes à offrir au patient ne facilitent pas la prise en charge (Olson, 1989). D’autre part, confier le parent malade à une institution peut induire un sentiment de culpabilité par rapport à l’être cher malade que l’on aurait voulu entourer davantage. Pourtant, 55 % des familles préfèrent que la mort ait lieu à l’hôpital où les soins et le confort seront plus adéquatement assurés (Northouse, 1984). Ceci contraste avec les attentes des patients qui sont 57 % à exprimer le souhait de décéder à leur domicile (Bernaart et Ricci, 2003).
La famille peut éprouver d’importantes difficultés émotionnelles en phase terminale surtout si elle maintient une relation affective intense avec le malade. La détresse des conjoints peut même excéder celle des patients en phase palliative (Cassileth, Lusk et coll., 1985; Kaye et Gracely, 1993). Des sentiments de frustration et d’impuissance, de séparation et de perte peuvent s’accompagner de problèmes physiques (troubles du sommeil, de l’alimentation, etc.) ou de problèmes sociaux (problèmes financiers, etc.) (Snyder, 1986). Ces problèmes sont d’autant plus marquants que la dégradation de l’état du malade est progressive. Chez les membres de la famille se superpose alors à ces problèmes un état d’épuisement physique et émotionnel. Face à cette détresse émotionnelle, une entraide mutuelle entre le patient et son conjoint est la forme de soutien la plus fréquente. Les enfants, face aux sentiments de tristesse, se sentent le plus souvent livrés à eux-mêmes.
Durant la phase terminale, les modes d’interaction changent non seulement au sein de la famille mais également avec l’entourage car le système familial peut s’isoler du monde extérieur. En effet, la tension émotionnelle associée à l’expérience de la maladie terminale lui laisse peu d’énergie à consacrer aux contacts avec l’extérieur. La famille qui éprouve du ressentiment à l’égard d’un entourage moins «malchanceux» peut aussi s’isoler activement de son réseau social habituel. Enfin, l’entourage encourage fréquemment cet isolement car il a lui-même des difficultés à entrer en contact avec une famille qui s’apprête au deuil.
RÉACTIONS DES CONJOINTS
Les problèmes psychologiques augmentent en fréquence parmi les conjoints au fur et à mesure que la maladie progresse (Cassileth, Lusk et coll., 1985; Given et Given, 1992; Kurtz, Given et coll., 1994; Morse et Fife, 1998). Une étude portant sur le cancer de la prostate souligne à quel point l’impact du diagnostic et des premiers mois de traitement est à considérer au niveau du couple (Couper, Bloch et coll., 2006). Parmi les partenaires des patients inclus dans cette étude, les taux de dépression majeure et de troubles anxieux généralisés sont deux fois plus élevés que ceux retrouvés dans une population contrôle et significativement plus élevés que le taux de ces troubles chez leurs conjoints malades. Alors que six mois plus tard, cette détresse des partenaires a diminué, celle des patients est en augmentation. La satisfaction maritale du partenaire reste altérée.
Des perturbations de l’humeur plus sévères et le sentiment notamment d’être accablé ont été trouvés chez les conjoints de patients en phase terminale de la maladie ou en stade avancé de la maladie par rapport à ceux dont la maladie était localisée non métastatique (Ell, Nishimoto et coll., 1988; Kissane, Boch et coll., 1994; Maguire, Walsh et coll., 1999; Siegel, Karus et coll., 1996; Wellisch, Landsverk et coll., 1983; Williamson et Schultz, 1995). Ces patients requièrent plus de soins physiques, ce qui provoque plus d’inquiétude chez leur conjoint. Sales et coll. concluent qu’il est impossible de déterminer si les problèmes psychosociaux des conjoints sont liés à l’augmentation des responsabilités en tant que source de soutien ou à l’anticipation de la perte de l’être aimé (Sales, Schultz et coll., 1992). Néanmoins, il a été montré que la détresse du conjoint semble augmenter au fur et à mesure que le patient expérimente plus de symptômes physiques comme la douleur et au fur et à mesure que son état fonctionnel se détériore (Kurtz, Kurtz et coll., 1995; Miaskowski, Kragness et coll., 1997; Northouse, Dorris et coll., 1995).
L’adaptation émotionnelle du patient semble également être un facteur de risque de détresse émotionnelle de son conjoint. Des niveaux correspondant de détresse émotionnelle ont été trouvés chez des patientes atteintes d’un cancer du sein et leur époux tout comme chez les patients atteints du cancer du côlon et leur conjoint (Baider et Kaplan De Nour, 1984; Baider, Perez et coll., 1989). Wellish et coll. ont conclu que l’adaptation du patient peut être un déterminant majeur de l’adaptation familiale (Wellisch, Landsverk et coll., 1983). Cependant, la relation entre l’adaptation du patient et de son conjoint peut être expliquée par d’autres facteurs tels que le nombre des symptômes, le pronostic réservé et d’autres composantes de la relation (Northouse, 1984).
Le sexe du conjoint est une variable à prendre en compte. Lorsque les femmes (conjointes) sont la source principale de soutien pour le patient, elles ont une tendance à présenter une détresse émotionnelle, et ce, plus que les hommes (Baider, Walach et coll., 1998; Haddad, 1994; Hagedoorn, Buunk et coll., 2000; Morse et Fife, 1998; Sales, Schultz et coll., 1992; Schumaker, Shea et coll., 1993). Cependant certaines études ne montrent pas de différence de genre en ce qui concerne la détresse du conjoint (Baider, Perry et coll., 1995; Compas, Worsham et coll., 1994; Kurtz, Kurtz et coll., 1995). D’autres recherches mettent en évidence plus de détresse chez les proches masculins donneurs de soutien au patient (Siegel, Karus et coll., 1996). Des différences dans les instruments utilisés et les caractéristiques de la population étudiée peuvent expliquer ces résultats divergents.
L’âge des conjoints a également été étudié comme possible prédicteur de détresse. Des conjoints plus jeunes réagissent plus du point de vue émotionnel face à la maladie du patient que les conjoints plus âgés (Sales, Schultz et coll., 1992). Cependant, ces derniers peuvent expérimenter plus de difficultés avec les tâches ménagères (Wellisch, Landsverk et coll., 1983) ou présentent plus de besoins au niveau des services administratifs ou physiques (Mor, Guadagnoli et coll., 1987).
En ce qui concerne l’adaptation maritale, l’expérience du cancer rapproche la majorité des couples, mais une minorité voit une augmentation de leurs difficultés relationnelles. C’est plus souvent le cas lorsqu’il existait déjà des problèmes antérieurs à l’apparition d’un cancer (Manne, 1998). Par contre, lorsque la qualité de la relation maritale est bonne, l’échange d’amour, de soins et de soutien est beaucoup plus équilibré que dans une relation maritale de qualité médiocre. Dans le cas du cancer du sein, l’adaptation maritale réussie est en relation avec la satisfaction exprimée à propos de la relation maritale avant la maladie, une chirurgie peu invasive, et le soutien apporté par l’époux dans cette épreuve (Lichtman, Taylor et coll., 1987). Les couples qui ont une relation pauvre avant le diagnostic de cancer du sein auront de grandes difficultés à s’adapter après une mastectomie (Pederson et Valanis, 1988).
En ce qui concerne le style de communication, les couples qui parlent ensemble de la maladie s’adaptent plus aux changements de rôles relatifs à la maladie que les autres couples (Vess, Moreland et coll., 1985). Les époux les plus anxieux confient moins leurs inquiétudes et leurs problèmes (Gladsman, Jensen et coll., 1996). Le style de coping du partenaire a également été étudié. L’évitement du patient a été relié à une adaptation pauvre chez le conjoint (Ey, Compas et coll., 1998c; Morse et Fife, 1998; Ptacek et Dodge, 1994; Rodrigue et Hoffmann, 1994). Certaines études n’ont pas trouvé une relation directe entre le fait de se confier et le niveau de détresse psychologique ou le développement de troubles affectifs parmi les conjoints du patient (Keller, Heinrich et coll., 1996; Pitceathly, 1999; Pitceathly et Maguire, 2000; Walker, 1997).
Enfin, les patients cancéreux et leur conjoint expérimentent plus de symptômes dépressifs lorsqu’ils perçoivent un déséquilibre dans leur relation soutenante réciproque. Certaines recherches ont trouvé que les conjoints sont moins en détresse lorsqu’ils perçoivent que les patients les soutiennent (Walker, 1997). La carence de soutien du patient envers son conjoint est l’un des facteurs majeurs intervenant dans la détresse du conjoint sain. Le soutien mutuel patient – conjoint apparaît comme offrant la meilleure prédiction des niveaux de détresse élevés (Douglass, 1997). Lorsque l’équilibre de soutien émotionnel et pratique est perturbé entre le patient et son conjoint, chaque membre du couple peut percevoir le déséquilibre. Le conjoint du patient peut se sentir en détresse lorsqu’il pense qu’il s’investit trop ou que le bénéfice qu’il reçoit de sa relation de soutien envers le malade est trop pauvre. Dans certaines situations, le conjoint peut se sentir coupable car il ne peut pas soutenir le patient de manière adéquate. Il peut aussi considérer qu’il procure trop peu de soutien au patient ou qu’il reçoit en retour un soutien trop important du partenaire malade.
RÉACTIONS DES ENFANTS
Il existe une transmission transgénérationnelle des traumas et des pertes qui doit bien sûr être différenciée d’une transmission de type génétique (Boszormeny-Nagy, 1973). Ce type de transmission – volontaire ou non – influence le fonctionnement psychologique et social de la génération qui suit. Les traumas et les pertes vécues par une génération peuvent en effet, même si elles ne sont pas exprimées, influencer la génération qui suit. Souvent, ceux qui ont vécu traumas et pertes tentent de réduire au maximum la transmission des «épreuves vécues» notamment par le silence. Le silence autour de ce qui a été vécu est souvent sous-tendu par la motivation de ne pas «abîmer» la vie des enfants et de prévenir la survenue de détresses inutiles. Il s’agit d’une tentative parentale de protéger leurs enfants : allusions ou récits en rapport avec ces «épreuves» sont dès lors évités. La «présence» de ces souvenirs occultés déterminera cependant le fonctionnement ultérieur de ces enfants. Ces enfants seront tentés par exemple de protéger à leur tour leurs parents des traumas et pertes qu’ils pourraient expérimenter. Le silence viendra alors masquer systématiquement tous les événements susceptibles de générer une détresse.
Certaines transmissions incluent implicitement ou explicitement des doubles contraintes : «J’ai vécu des épreuves, il ne faut pas que cela te porte préjudice, fais ta vie comme si rien n’était arrivé, je te protège mais je te demande de réparer les pertes que j’ai subies.» Il existe ainsi une alternance ou une concomitance du désir de protection de l’enfant, d’une transmission immanquablement génératrice d’une détresse et du désir de réparation en rapport direct avec les pertes subies. Il est, par exemple, ainsi demandé aux enfants d’adhérer et de s’associer aux efforts réalisés pour la réparation des préjudices ou de protéger les parents de nouvelles épreuves. Cette alternance ou concomitance de deux désirs contradictoires induit au niveau des enfants un investissement des fonctions de protection et de réparation.
Les enfants sont particulièrement perturbés quand l’un de leurs parents est atteint d’un cancer et ce d’autant plus qu’ils sont jeunes. De plus, leurs problèmes ne sont souvent pas détectés par le couple parental qui est souvent préoccupé par ses propres difficultés et activités. Les soignants également, plus attentifs aux malades, peuvent en oublier les enfants. La plupart des enfants éprouvent des sentiments d’abandon, de perte, de colère et de ressentiment face à des parents qui n’ont plus la même disponibilité. La peur d’être également victime d’un cancer et un sentiment de culpabilité lié au fantasme d’être responsable de la maladie du parent peuvent également s’installer. Une étude portant sur 40 familles montre que 33 % des enfants présentent des troubles du comportement lorsqu’un de leurs parents est atteint d’un cancer : énurésie ou encoprésie secondaire, résurgence de cauchemars ou terreurs nocturnes, régression des aptitudes scolaires, isolement par rapport aux camarades et dépendance excessive à la mère (Wellisch, 1981). Cette étude montre aussi que la plupart des parents ne font pas appel aux services d’aide psychologique pour leurs enfants. Il apparaît de plus que les difficultés d’adaptation des enfants sont en relation avec le niveau d’adaptation parentale : des parents présentant des difficultés d’adaptation ont des enfants qui eux aussi s’adaptent mal.
Il convient aussi de considérer le processus de parentification des enfants confrontés à la maladie cancéreuse de leurs parents. Ces enfants sont en effet amenés à prendre des responsabilités plus importantes dans leur famille. Ils peuvent devenir ainsi les soignants de leurs parents. Ils peuvent aussi assurer des rôles de médiation par rapport à des tiers lorsque leurs parents ne peuvent plus assurer ces rôles. L’enfant prend un rôle de confident ou de parent du parent. La parentification peut être «bénigne» et traduire une solidarité bien naturelle. Ceci n’est bien sûr pas nécessairement préjudiciable pour le développement de l’enfant. Une parentification de brève durée – reconnue comme telle par les parents – peut même favoriser le développement psychologique de l’enfant. L’enfant dans ces contextes devient alors souvent sage. Une certaine sagesse peut devenir un bénéfice de ces expériences. La parentification peut cependant devenir «maligne», en d’autres mots destructrice, si elle est de longue durée, si les contraintes qui pèsent sur l’enfant dépassent ses capacités d’adaptation, et si la demande parentale est massive. Le cas d’une «infantilisation» prolongée du parent malade comporte alors des risques pour le développement de l’enfant, avec des conséquences diverses comme une anxiété, une dépression, une culpabilité ou une honte. Dans ces dernières situations, un soutien de l’enfant est nécessaire. Il convient de reconnaître cette parentification et d’établir d’éventuels liens avec des parentification vécues à une autre époque par les parents eux-mêmes. Le but est de rééquilibrer les relations familiales (Boszormeny-Nagy, 1973). Dans le cas d’une parentification d’un enfant liée à un trouble narcissique ou masochique du parent malade, une intervention psychologique s’impose.
L’étude de l’impact du cancer sur les enfants nécessite la prise en considération de l’interrelation de différentes dimensions : le statut socioéconomique familial, la durée de la maladie depuis le diagnostic, la perception qu’ont le père et la mère des contraintes liées à la maladie, le soutien social de la mère et du père, l’humeur des parents, leur capacité d’adaptation individuelle et conjugale, la qualité de la relation parents-enfants et le fonctionnement psychologique des enfants et du couple.