9: Les émotions

Chapitre 9 Les émotions




Les émotions




Dans ce chapitre, je parlerai des émotions en tant que facteurs étiologiques participant aux troubles psychiques et émotionnels. Je présenterai l’étiologie des troubles psychiques et émotionnels dans deux chapitres distincts. Le présent chapitre traite des émotions comme cause de la maladie selon la médecine chinoise ; ce sont de toute évidence les principaux facteurs étiologiques des déséquilibres psychiques et émotionnels. Le chapitre 10 portera sur les autres facteurs qui contribuent à ces troubles, comme l’alimentation et le surmenage ; ces facteurs contributifs aggravent généralement les effets des causes émotionnelles de la maladie.


Il faut noter que le chapitre 14 présente les émotions selon la philosophie occidentale (pas nécessairement comme causes de la maladie) et le chapitre 15 montre l’influence du confucianisme sur la façon dont la médecine chinoise voit les émotions. Le lecteur est invité à se reporter à ces deux chapitres importants qui peuvent être lus indépendamment des autres chapitres.


Le mot chinois que je traduis par « émotion » est qing image, composé du radical du « cœur », à gauche, et d’une autre partie, à droite, (qing image), qui est partiellement phonétique et qui partiellement véhicule l’idée de « plantes qui poussent » car le pictogramme traduit la couleur verte des plantes qui poussent ; il est composé de la clé de la vie (sheng image) et de celle du cinabre, dan image.


D’après moi, le mot « émotion » lui-même n’est pas un bon terme pour traduire ce que la médecine chinoise entend par cause « émotionnelle » de la maladie. Le mot « émotion » vient du latin « e-movere », c’est-à-dire « faire sortir à l’extérieur » ; on emploie ce terme pour évoquer tout ressenti de l’esprit « s’exprimant à l’extérieur » ou « exprimé à l’extérieur », comme étant totalement distinct des états cognitifs ou volontaires de la conscience.


Dans ce sens, le mot « émotion » peut renvoyer à n’importe quel sentiment comme la peur, la joie, l’espoir, la surprise, le désir, l’aversion, le plaisir et la douleur, ce qui n’est pas entièrement compatible avec la notion que la médecine chinoise entend par ce terme. En fait, en médecine chinoise, les émotions sont considérées comme des causes de la maladie et certaines des émotions citées ci-dessus ne sont en aucun cas des causes de la maladie (par exemple, la surprise).


Il est intéressant de constater qu’en médecine chinoise aussi, le mot utilisé pour traduire une souffrance de l’esprit, à l’origine, était le mot de « passion » plutôt que « d’émotion ». Le mot « passion » vient du verbe latin « patire », qui veut dire « souffrir », ce qui serait une meilleure traduction du mot chinois « qing » dans le contexte des émotions comme cause de la maladie.


Le mot « émotion » a remplacé celui de « passion » entre l’époque de Descartes et celle de Rousseau, c’est-à-dire entre 1650 et 1750 (car le premier utilisait le mot « passion » et le second le mot « émotion »).


Ainsi, le mot « passion » véhiculerait mieux que le mot « émotion » l’idée d’une souffrance mentale parce qu’il implique, en outre, l’idée de quelque chose qui est « subi », quelque chose dont nous ne sommes pas maîtres. Effectivement, des sentiments comme la tristesse, la peur ou la colère deviennent des causes de la maladie lorsqu’ils nous submergent, lorsque nous ne les gouvernons plus mais que ce sont eux qui nous « gouvernent ». En vérité, l’expression chinoise que l’on rencontre dans la plupart des ouvrages pour décrire une « stimulation » ou une « excitation » produite par les émotions est ci ji image, dans laquelle « ji » comporte le radical de « l’eau » et signifie « jaillir, déferler », comme le fait la vague, c’est-à-dire un déferlement des émotions, tel une vague qui nous emporte sur son chemin.


Damasio définit six émotions de base (ou émotions universelles), qui sont : le bonheur, la tristesse, la peur, la colère, la surprise et le dégoût1. Comme on peut le voir, cette liste comporte des émotions qui, de toute évidence, ne sont pas des causes de la maladie (par exemple, la surprise ou le dégoût). C’est pourquoi le mot « passion » pourrait sembler plus approprié. La médecine chinoise ne prend en compte que les émotions qui deviennent des causes de la maladie.


Nous savons que les émotions jouent un rôle important dans notre évolution et notre développement, et outre le fait qu’elles peuvent devenir des causes de la maladie dans certaines circonstances, elles jouent aussi un rôle positif. Par exemple, la tristesse peut renforcer les liens sociaux, la colère nous permet de nous mobiliser et d’avoir une forte énergie, la honte assure l’ordre social et la stabilité sociale, la peur nous fait fuir devant le danger, etc2.


Damasio fait une distinction intéressante entre le sentiment et l’émotion. Il considère que le sentiment est tourné vers l’intérieur et privé, alors que l’émotion est tournée vers l’extérieur et publique. Il affirme qu’il y a des sentiments dont nous sommes conscients et des sentiments dont nous ne sommes pas conscients. Il écrit :



Il s’agit d’une distinction intéressante qui présente des similarités surprenantes avec la médecine chinoise. En fait, on pourrait dire que les sentiments dont nous ne sommes pas conscients se rattachent à l’Âme Corporelle (Po) et que les émotions sont de l’ordre de l’Esprit et de l’Âme Éthérée (Hun).


Les émotions sont les stimuli mentaux qui agissent sur notre vie affective ; normalement, elles ne provoquent pas de maladies. Aucun être humain ne peut complètement éviter, à un moment ou à un autre de sa vie, la colère, la tristesse, le chagrin, les soucis ou la peur. Par exemple, la mort d’un proche provoque un sentiment bien naturel de chagrin.


Les émotions ne deviennent causes de maladies que lorsqu’elles sont excessives ou prolongées, et très intenses. Ce n’est que lorsque nous sommes confrontés à un état émotionnel particulier pendant un certain temps (pouvant aller de quelques mois à des années) que cet état émotionnel va provoquer une maladie. Par exemple, si une situation familiale ou professionnelle précise provoque en nous de la colère ou de la frustration de façon durable, cette émotion va affecter le Foie et provoquer un déséquilibre interne. Dans certains cas, si elles sont suffisamment intenses, les émotions peuvent devenir causes de la maladie en un temps très court. Le choc émotionnel en est un bon exemple.



En médecine chinoise, les émotions (considérées comme cause de la maladie) sont de stimuli mentaux qui altèrent la circulation du Qi et perturbent l’Esprit (Shen), l’Âme Éthérée (Hun) et l’Âme Corporelle (Po) et par là même l’équilibre des Organes Internes et l’harmonie entre le Qi et le Sang. Ainsi, la tension émotionnelle est une cause interne de maladie qui va léser directement les Organes Internes et qui va évidemment être la principale cause des troubles psychiques et émotionnels. C’est pourquoi la médecine chinoise parle généralement de la tension émotionnelle comme d’une cause « interne » de la maladie et des « facteurs climatiques » comme d’une cause « externe ». D’autre part, et il s’agit là d’une caractéristique très importante de la médecine chinoise, l’état des Organes Internes affecte aussi notre état émotionnel.


L’interaction mutuelle entre les émotions et les Organes Internes, de même que l’unité entre le corps et l’Esprit est un des aspects distinctifs les plus importants de la médecine chinoise. La tension émotionnelle provoque un déséquilibre des Organes Internes et un déséquilibre de ceux-ci (dû à une autre cause que la tension émotionnelle) va à son tour provoquer un déséquilibre émotionnel. Par exemple, un état de colère prolongé va affecter le Foie et, inversement, un déséquilibre du Foie (dû, par exemple, à l’alimentation et au surmenage), va provoquer un déséquilibre émotionnel et faire que la personne va devenir irritable (Fig. 9.1).



Si le Sang du Foie souffre d’un vide (par exemple, dû à des facteurs alimentaires) et provoque une montée du Yang du Foie, cela peut rendre la personne irritable en permanence. À l’inverse, si un sujet est tout le temps en colère à propos d’une situation particulière ou vis-à-vis d’une personne déterminée, cela peut amener une montée du Yang du Foie.


Le chapitre 8 de L’Axe spirituel illustre bien cette relation de réciprocité entre émotions et organes internes :



On y lit aussi :



Et plus loin, il dit encore :



Ces extraits montrent bien que, d’une part, les tensions émotionnelles blessent les organes internes et que, d’autre part, toute dysharmonie des organes internes provoque un déséquilibre émotionnel.


Chaque émotion survient dans le champ psychique qui relève de l’organe correspondant. Ceci permet d’expliquer, en fait, pourquoi une émotion donnée affecte un organe particulier ; cet organe produit déjà une certaine énergie mentale aux caractéristiques spécifiques qui, en présence d’un stimulus émotionnel, va répondre à une émotion particulière, ou « être en résonance » avec celle-ci. Par exemple, un stimulus externe va entrer en résonance avec l’énergie psychique du Foie qui donne naissance à la colère (Fig. 9.2). Ainsi, les Organes Internes ont déjà une énergie mentale positive qui se transforme en émotions négatives sous l’action de certaines circonstances externes.



Pourquoi, par exemple, la colère affecte-t-elle le Foie ? Si l’on considère les caractéristiques du Foie, comme la libre circulation, les mouvements aisés et rapides, la tendance de son Qi à s’élever, la correspondance avec le printemps, quand la puissance de l’énergie Yang explose, et si l’on considère la correspondance avec le Bois et son mouvement d’expansion, il est facile de comprendre que le Foie puisse être affecté par la colère. Cette émotion, avec ses explosions brèves, la montée du sang à la tête qui se manifeste au cours de fortes colères, le caractère destructeur et explosif de la rage, imite, sur le plan des affects, les caractéristiques du Foie et du Bois que nous avons rappelées plus haut.


Les émotions prises en compte par la médecine chinoise ont changé au cours du temps. C’est pourquoi il ne faut pas adhérer de façon trop rigide aux cinq émotions présentées dans le cadre des Cinq Éléments, pas plus qu’aux « sept émotions » traditionnellement répertoriées dans les livres chinois. Comme nous le verrons plus loin, les émotions prises en compte par la médecine chinoise ont changé au cours du temps ; de plus, comme nous le verrons plus loin, de nombreuses émotions n’ont jamais été prises en compte par la médecine chinoise alors qu’elles sont largement répandues en Occident.


Une des plus anciennes mentions des émotions se trouve dans le Livre des rites (Li Ji) de Confucius. Cet ouvrage remonte aux alentours de 500 AEC. Dans celui-ci, Confucius répertorie sept émotions, à savoir la joie, la colère, le chagrin, la peur, l’amour, la haine et le désir7. Selon La psychologie en médecine chinoise, le taoïste Lao Zi répertoriait sept émotions, différentes de celles données par Confucius, à savoir la joie, la colère, l’inquiétude, la tristesse, l’amour, la haine et le désir8. D’autres textes ne font état que de six émotions qui sont l’amour, la haine, le désir, la colère, le chagrin et la joie9.


Dans le cadre de la théorie des Cinq Éléments, les Questions simples retenaient cinq émotions, chacune affectant un organe Yin particulier10 :




Les cinq émotions ci-dessus ne sont pas, et de loin, les seules évoquées dans le Classique de l’Empereur Jaune. À d’autres endroits de cet ouvrage, on y ajoute la tristesse et le choc émotionnel, ce qui nous amène aux sept émotions répertoriées ci-dessous :



Chen Wu Ze (1174) répertorie sept émotions, qui sont celles généralement prises en compte dans les ouvrages modernes, c’est-à-dire la joie, la colère, l’inquiétude, l’excès de réflexion, la tristesse, la peur et le choc émotionnel.


Zhang Jie Bin, quant à lui, évoque huit émotions dans le Classique des catégories11. Ce sont :



Bien que chaque émotion affecte de façon sélective un organe Yin précis, la relation entre une émotion particulière et un organe particulier ne doit pas être interprétée de façon trop rigide. Chaque émotion peut affecter et affecte effectivement plus d’un organe, souvent selon un schéma qui ne correspond pas à celui des Cinq Éléments, comme nous l’expliquerons plus tard.


De nombreux extraits de L’Axe spirituel et des Questions simples confirment que la relation entre une émotion et un organe (par exemple, la colère et le Foie) ne doit pas être interprétée de façon trop restrictive car chaque émotion peut affecter plusieurs organes. Par exemple, pour ce qui est de l’excès de joie, le chapitre 8 de L’Axe spirituel dit : « L’excès de joie du Poumon lèse l’Âme Corporelle, ce qui peut engendrer une conduite maniaque »12.


Quant à la colère, le chapitre 23 des Questions simples dit : « Lorsque la Vésicule Biliaire est malade, il y a colère »13. On lit, au chapitre 62 des Questions simples : « Lorsque le Sang se précipite vers le haut et le Qi vers le bas, le Cœur est agressé et peut engendrer de la colère »14. Le chapitre 8 de L’Axe spirituel affirme : « La colère qui affecte le Rein lèse la Volonté [Zhi] »15.


Pour ce qui est de l’excès de réflexion, le chapitre 39 des Questions simples dit : « Sous l’effet de l’excès de réflexion, le [Qi] du Cœur s’accumule et fait se concentrer l’Esprit ; le Qi Correct s’installe et ne circule pas, et donc le Qi stagne »16.


Quant à l’inquiétude, le chapitre 23 des Questions simples dit : « Lorsque le Qi se précipite vers le haut, cela affecte le Foie et entraîne de l’inquiétude »17. Le chapitre 8 de L’Axe spirituel affirme : « L’inquiétude de la Rate lèse l’Intellect »18.


Pour ce qui est de la peur, on lit, dans L’Axe spirituel : « L’inquiétude et la peur lèsent le Cœur »19. Le chapitre 62 des Questions simples dit : Lorsque le Sang [du Foie] souffre de vide, la peur s’installe »20. On lit, au chapitre 19 des Questions simples : « La peur fait stagner le Qi de la Rate »21. Le chapitre 23 des Questions simples dit : « Lorsque le Qi de l’Estomac se rebelle et monte, cela entraîne des vomissements et de la peur »22.


Zhang Jie Bin, au chapitre 216 de son livre, le Classique des catégories (Lei Jing, 1624), résume les effets de chaque émotion sur des groupes d’organes :



Pour résumer ce que Zhang Jie Bin dit dans le passage cité, les groupes d’organes affectés par chaque émotion sont les suivants :



De plus, toutes les émotions, outre le fait qu’elles affectent directement l’organe qui leur correspond, affectent indirectement le Cœur parce que le Cœur abrite l’Esprit (Shen) et que c’est l’Esprit qui ressent les émotions. Lorsqu’on est en colère, bien que la colère affecte le Foie, c’est l’Esprit du Cœur qui ressent la colère et qui sait que nous sommes en colère. C’est pourquoi, par définition, toutes les émotions affectent le Cœur et c’est pourquoi une pointe de la langue rouge (zone du Cœur) se rencontre si fréquemment en pratique clinique. Elle traduit la tension émotionnelle provenant de n’importe quelle émotion et pas seulement les émotions qui se rattachent au Cœur.


Dans le Classique des catégories (Lei Jing, 1624), Zhang Jie Bin explique comment toutes les émotions affectent le Cœur.



Fei Bo Xiong (1800-1879) exprime cela très clairement lorsqu’il écrit :



Yu Chang, dans Principes de pratique médicale (1658) dit :



Le chapitre 28 de L’Axe spirituel dit également que toutes les émotions affectent le Cœur : « Le Cœur est le maître des cinq organes Yin et des six organes Yang ; … la tristesse, le choc émotionnel et l’inquiétude agitent le Cœur ; lorsque le Cœur est agité, les cinq organes Yin et les six organes Yang sont ébranlés »27. Les écrits chinois confirment clairement l’idée que toutes les émotions affectent le Cœur car les idéogrammes concernant ces sept émotions comportent tous la clé du « cœur ». Il s’agit probablement ici de l’aspect le plus important des fonctions du Cœur et de la principale raison pour laquelle on le compare à un « monarque ».


Le chapitre 8 de L’Axe spirituel traite en détail les répercussions que les émotions ont sur le mental. On y lit :



La méthode d’insertion d’aiguille doit, en tout premier lieu, concerner au plus profond l’Esprit (Shen). Le Sang, les vaisseaux sanguins, le Qi Nourricier (Ying Qi), le Qi et l’esprit (Jingshen) sont stockés dans les cinq Organes Yin. Lorsqu’ils ne sont pas en harmonie, perturbés par les émotions, l’Essence (Jing) est perdue, l’Âme Éthérée (Hun) et l’Âme Corporelle (Po) sont dispersées, la Volonté (Zhi) et l’Intellect (Yi) sont chaotiques et la personne manque de sagesse et de réflexion. Pourquoi cela ? Le Ciel nous confère la Vertu (De), la Terre nous confère le Qi. Lorsque la Vertu s’écoule et que le Qi bat, la vie est là. Lorsque les deux Essences [du père et de la mère] s’unissent, l’Esprit prend vie. C’est l’Âme Éthérée qui suit l’Esprit dans son va-et-vient, c’est l’Âme Corporelle qui suit l’Essence dans ses entrées-sorties. Le Cœur régit les activités mentales : il abrite la mémoire que l’on appelle l’Intellect (Yi) ; le stockage [des données] de l’Intellect s’appelle la Volonté [ou la mémoire, Zhi] ; la Volonté engendre l’excès de réflexion (si image), l’excès de réflexion engendre l’appréhension (lu image). Ainsi, les sages nourrissent la vie (yang sheng) en suivant les quatre saisons, s’adaptant au froid et à la chaleur, tempérant joie et colère, équilibrant le Yin et le Yang, ce qui les fait vivre longtemps.


La peur, l’excès de réflexion et l’inquiétude lèsent l’Esprit et le Psychisme. Lorsque l’Esprit est endommagé, la peur devient incontrôlable. Lorsque la tristesse agite l’intérieur, elle blesse la vie. La joie disperse l’Esprit et le fait sortir de son logis. L’inquiétude obstrue le Qi, qui se met à stagner. La colère entraîne la perte du contrôle de soi. La peur balaye l’Esprit. La frayeur et l’excès de réflexion du Cœur endommagent l’Esprit. L’inquiétude de la Rate blesse l’Intellect. La tristesse du Foie endommage l’Âme Éthérée, ce qui peut provoquer une conduite maniaque et de la confusion mentale ; on note alors une contracture des tendons, un blocage des hypochondres et un flétrissement des cheveux. La joie du Poumon lèse l’Âme Corporelle ; lorsque l’Âme Corporelle est endommagée, on note une conduite maniaque et le Yin n’a plus de résidence, la peau devient comme du cuir chauffé et les cheveux se flétrissent. La colère du Rein lèse la Volonté ; lorsque la Volonté est endommagée, cela affecte la mémoire et la personne ne se souvient plus de ce qu’elle a dit, elle a des douleurs lombaires, une incapacité à fléchir ou étendre le dos, et les cheveux qui se flétrissent. La peur lèse l’Essence, ce qui endommage les os. Il ne faut donc pas que les cinq Organes Yin, qui stockent l’Essence soient lésés, sinon, il va s’ensuivre un vide de Yin, puis un vide de Qi.


Avant d’insérer les aiguilles, il faut observer le patient pour voir quel est l’état de l’Essence, de l’Esprit, de l’Âme Éthérée et de l’Âme Corporelle, pour savoir s’ils sont encore intacts ou non.


Le Foie stocke le Sang et le Sang abrite l’Âme Éthérée ; lorsque le Qi du Foie souffre de vide, il y a la peur, lorsqu’il souffre de plénitude, il y a la colère. La Rate stocke les nutriments et abrite l’Intellect ; lorsque le Qi de la Rate souffre de vide, les quatre membres sont faibles et il y a un déséquilibre des cinq Organes Yin ; lorsqu’il souffre de plénitude, il y a une distension abdominale et des troubles menstruels et urinaires. Le Cœur stocke les vaisseaux sanguins et abrite l’Esprit ; lorsque le Qi du Cœur souffre de vide, la tristesse apparaît, lorsqu’il souffre de plénitude, il y a des rires incessants. Le Poumon stocke le Qi et abrite l’Âme Corporelle ; lorsque le Qi du Poumon souffre de vide, le nez est bouché, lorsqu’il souffre de plénitude, le souffle est court et il y a une sensation de constriction dans la poitrine. Le Rein stocke l’Essence et abrite la Volonté ; lorsque le Qi du Rein souffre de vide, il y a collapsus, lorsqu’il souffre de plénitude, il y a distension et les cinq Organes Yin ne sont pas en paix28.


Voir la figure 9.3.



Il est intéressant de s’arrêter sur un extrait de cette citation de L’Axe spirituel : « Le Ciel nous confère la Vertu (De), la Terre nous confère le Qi. Lorsque la Vertu s’écoule et que le Qi bat, la vie est là ».


Ces deux phrases montrent très clairement l’influence du confucianisme sur la médecine chinoise, c’est-à-dire l’idée que « Le Ciel nous confère la Vertu ». Le terme utilisé pour la « Vertu », de image, est un terme typique du confucianisme qui traduit les qualités du sage selon Confucius, ce qui veut dire que la traduction par « vertu » est inévitablement inadéquate. Nous nous en expliquerons plus longuement ci-dessous.


Le chapitre 5 des Questions simples dit :



Cet extrait est intéressant dans la mesure où chaque émotion est dite en neutraliser une autre selon le cycle de Domination des Cinq Éléments (Fig. 9.4). Par exemple, la peur se rattache au Rein et à l’Eau, l’Eau contrôle le Feu (Cœur), l’émotion liée au Cœur est la joie, et donc la peur neutralise la joie. Cette pensée introduit certaines idées intéressantes et sans aucun doute vraies en pratique clinique, comme par exemple, « la colère neutralise l’excès de réflexion ».



Les émotions se neutralisent donc les unes les autres selon le schéma suivant illustré par la figure 9.4 :



Outre les émotions ci-dessus, je prendrai aussi en compte certaines émotions qui ne sont généralement pas mentionnées dans les ouvrages chinois modernes mais que l’on trouvait dans les textes anciens. Je présenterai en outre certaines émotions qui ne sont jamais évoquées dans les livres chinois, qu’ils soient anciens ou modernes. La liste des émotions qui ne sont pas mentionnées dans les textes chinois est fort longue, et les émotions citées ci-dessous n’en sont que quelques exemples :



Certaines de ces émotions peuvent être assimilées aux émotions de la médecine traditionnelle chinoise, comme la frustration et l’indignation qui peuvent être assimilées à la « colère ».


Outre les sept émotions classiques, certains médecins chinois prennent aussi en compte d’autres émotions, comme le chagrin, l’amour, la haine et le désir. Le chagrin est naturellement proche de la tristesse. « L’amour », ici, n’évoque pas l’amour normal, comme celui qu’une mère porte à son enfant ou l’amour qui lie deux amoureux, mais un état dans lequel l’amour est devenu une obsession ou lorsque l’amour n’est pas donné à bon escient, par exemple, lorsqu’une personne aime quelqu’un qui la fait souffrir de façon constante.


La haine est une émotion négative courante que l’on peut rapprocher de la colère. Le « désir » correspond à un besoin excessif. L’inclusion de cette émotion dans les causes de la maladie s’explique par l’influence du taoïsme, du confucianisme et du bouddhisme sur la médecine chinoise, car ces trois grandes religions/philosophies voyaient dans le désir la racine de nombreux troubles émotionnels.


Dans la pensée bouddhiste la cause ultime des maladies est le désir, c’est-à-dire l’attachement à des objets extérieurs, à d’autres personnes et à la vie elle-même. Dans le bouddhisme, c’est ce « désir intense » de la chaleur de l’utérus qui, dans le bardo (l’état intermédiaire entre la mort et une nouvelle incarnation), fait qu’une âme cherche à reprendre naissance.


Ce besoin excessif, qui est l’un des aspects de la « joie » en médecine chinoise, amène le Feu Ministre à s’enflammer et à s’élever, ce qui tourmente l’Esprit. Cette émotion comme cause de la maladie sera abordée en détail ci-dessous.


Enfin, il y a encore deux émotions qui ne sont généralement pas citées par la médecine chinoise, ce sont le sentiment de culpabilité et la honte.


On peut donc élargir la liste des émotions que j’aborderai de la manière suivante :



Je commencerai par exposer les effets que les émotions ont sur le Qi de façon générale, puis je présenterai chaque émotion individuellement. Cette présentation des émotions comportera les rubriques suivantes :




Les émotions


Comme je l’ai dit plus haut, les émotions que je détaillerai sont les suivantes :





La colère


Le terme de « colère », peut-être plus que pour toute autre émotion, doit être pris dans un sens large et englober plusieurs autres états émotionnels voisins comme le ressentiment, la colère réprimée, le sentiment d’être blessé, la frustration, l’irritabilité, la fureur, l’indignation, l’animosité et l’amertume.


Chacun de ces états émotionnels, s’il dure suffisamment longtemps, peut affecter le Foie, provoquer une stagnation du Qi du Foie ou du Sang du Foie, une montée du Yang du Foie ou un Feu du Foie. La colère (au sens large mentionné plus haut) fait monter le Qi, si bien que la plupart des symptômes se manifestent au niveau de la tête et du cou. Ceux-ci comprennent des céphalées, des acouphènes, des sensations vertigineuses, des rougeurs sur la face antérieure du cou, une rougeur du visage, de la soif, un goût amer dans la bouche et une langue Rouge avec des bords rouges. (Fig. 9.5).



Au chapitre 8 de L’Axe spirituel, on lit : « La colère engendre la perte du contrôle de soi »30. Au chapitre 39 des Questions simples, il est dit : « La colère fait monter le Qi et provoque des vomissements de Sang et des diarrhées »31. Elle provoque des vomissements de Sang parce qu’elle fait monter le Qi du Foie et le Feu du Foie ; elle provoque des diarrhées parce que le Qi du Foie envahit alors la Rate. Le chapitre 3 des Questions simples dit : « Une forte colère coupe le corps du Qi. Le Sang stagne dans la partie supérieure et la personne peut alors avoir une syncope »32.


Les effets de la colère sur le Foie dépendent, d’une part, de la réaction de la personne aux stimuli émotionnels et, d’autre part, des autres facteurs concomitants. Si la colère est refoulée, il va s’ensuivre une stagnation du Qi du Foie, alors que si elle s’exprime, elle va provoquer une montée du Yang du Foie ou un embrasement du Feu du Foie (Fig. 9.6). Chez la femme, la stagnation du Qi du Foie peut facilement entraîner des stases de Sang du Foie. Si la personne souffre aussi d’un vide de Yin du Rein plus ou moins prononcé (peut-être en raison d’un surmenage), celui-ci va avoir tendance à se transformer en montée du Yang du Foie. Si, d’autre part, cette personne présente une tendance à la Chaleur (par exemple, en raison d’une consommation excessive d’aliments chauds), il va en résulter un embrasement du Feu du Foie.



La colère ne se manifeste pas toujours ouvertement par des explosions de colère, de l’irritabilité, des cris, une face rouge, etc. Certaines personnes portent la colère en elles pendant des années, sans jamais l’exprimer. En particulier, une dépression nerveuse durable est souvent due à de la colère refoulée ou au ressentiment. Une personne qui est très déprimée peut paraître pâle et sans entrain, marcher lentement et parler d’une voix faible, signes qui, tous, font penser à un épuisement du Qi et du Sang dû à la tristesse ou au chagrin. Toutefois, lorsque c’est la colère et non la tristesse qui est la cause de la maladie, le pouls et la langue l’indiquent très clairement car le pouls est alors Plein et en Corde, et la langue est Rouge avec des bords plus rouges et un enduit jaune et sec. Ce type de dépression est très probablement dû à un ressentiment ancien, généralement nourri à l’encontre d’un membre de la famille.


Parfois, la colère peut masquer d’autres émotions, comme le sentiment de culpabilité. Certaines personnes nourrissent parfois un sentiment de culpabilité pendant des années et ne peuvent pas ou ne veulent pas le reconnaître. La colère peut alors être un masque destiné à cacher ce sentiment de culpabilité.


De plus, dans certaines familles, tous les membres sont perpétuellement en colère. Dans ces familles là, la colère sert de masque destiné à cacher d’autres émotions comme le sentiment de culpabilité, la peur, l’insatisfaction d’être toujours sous contrôle, la faiblesse ou le sentiment d’infériorité. Dans ces cas là, il est important de prendre conscience de la situation car ce n’est pas la colère qu’il faut traiter mais le trouble psychologique et émotionnel sous-jacent.


Dans certains cas, la colère peut affecter d’autres organes que le Foie, surtout l’Estomac. Ceci s’explique par le fait que le Qi du Foie est bloqué et envahit alors l’Estomac et la Rate. Cette pathologie apparaît plus volontiers lorsque la personne se met en colère au moment des repas ; c’est ce qui se passe lorsque les repas pris en famille donnent régulièrement lieu à des disputes. On trouve aussi cette pathologie en cas de faiblesse préexistante de l’Estomac, auquel cas la colère peut affecter l’Estomac uniquement, sans même toucher le Foie.


Si quelqu’un se met régulièrement en colère une ou deux heures après le repas, alors la colère va affecter les Intestins de préférence à l’Estomac. C’est ce qui arrive lorsqu’une personne retourne, immédiatement après le déjeuner, à un travail stressant et frustrant ; le Qi du Foie qui stagne va alors envahir les Intestins et engendrer une douleur et une distension abdominales avec alternance de constipation et de diarrhées.


Enfin, la colère, comme toutes les autres émotions, peut aussi affecter le Cœur. Cet organe est particulièrement susceptible d’être affecté par la colère parce que, selon la théorie des Cinq Éléments, le Foie est la Mère du Cœur, et souvent le Feu du Foie se transmet au Cœur et engendre un Feu du Cœur. La colère remplit le Cœur et y fait affluer le sang. Au bout d’un certain temps, cela entraîne une Chaleur du Sang qui touche le Cœur, et donc l’Esprit. La colère a d’autant plus tendance à affecter le Cœur que la personne pratique énormément le jogging et les exercices physiques, ou qu’elle est sans arrêt pressée.


Ainsi, de façon générale, la colère affecte principalement le Foie et peut engendrer soit une stagnation du Qi du Foie soit une montée du Yang du Foie. Lorsqu’on conseille les patients sur la façon de gérer leur colère, il faut préciser que si la colère a provoqué une stagnation du Qi du Foie, exprimer cette colère peut être bénéfique. Toutefois, si la colère a engendré une montée du Yang du Foie, l’exprimer n’aura généralement aucun effet positif car il est trop tard pour cela, et exprimer cette colère à tout prix ne ferait que renforcer la montée du Yang du Foie. La figure 9.7 résume les effets de la colère et les organes qu’elle affecte.


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May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 9: Les émotions

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