15: L’influence du confucianisme sur la vision chinoise de l’Esprit et du Psychisme

Chapitre 15 L’influence du confucianisme sur la vision chinoise de l’Esprit et du Psychisme




L’influence du confucianisme sur la vision chinoise de l’Esprit et du Psychisme


Dans ce chapitre, je présenterai tout d’abord la nature et les enseignements du confucianisme et du néoconfucianisme, puis les différences entre le concept de moi dans la philosophie occidentale et la philosophie chinoise, et enfin j’examinerai la façon dont le confucianisme envisage les émotions afin de voir si celle-ci peut s’appliquer à la notion occidentale de moi.


Je m’attarderai sur le confucianisme parce que je crois que celui-ci a eu une forte influence sur la médecine chinoise, surtout pour ce qui est de la vision qu’elle a des émotions. Sans aucun doute, il y a deux autres courants philosophiques importants qui se retrouvent dans la médecine chinoise. Ce sont l’école du Yin et du Yang (et des Cinq Éléments) et l’école du Tao (ou école taoïste).


Toutefois, le point qui est souvent négligé est que certaines des pensées et des idées de ces deux dernières écoles n’ont été intégrées à la médecine chinoise que relativement tard par des philosophes néoconfucianistes des dynasties des Song et des Ming. Par exemple, de nombreuses idées de la médecine chinoise sur le Qi, plus particulièrement sur sa condensation et sa dispersion, donnant naissance en même temps à des phénomènes matériels et des phénomènes subtiles dans l’univers, viennent du philosophe néoconfucianiste Zhang Zai (1020-1077).


Une autre chose dont on ne se souvient pas souvent est que l’École Légaliste aussi a influencé la médecine chinoise, au moins à ses débuts, c’est-à-dire au cours des Royaumes Combattants (475-221 AEC) et de la dynastie de Qin (221-206 AEC).


L’École Légaliste était appelée École de la Loi (Fa Jia) dans la Chine ancienne. L’École Légaliste s’est épanouie lors de Royaumes Combattants et bien qu’elle n’ait pas laissé de traces profondes dans la culture chinoise, contrairement au confucianisme ou au taoïsme, c’est elle qui dominait sous la dynastie des Qin (221-206 AEC), brève dynastie qui a commencé avec le premier empereur, Qin Shi Di Huang, qui avait, avec grand enthousiasme, adopté les principes de gouvernement préconisés par l’École Légaliste. Le plus connu des représentants de l’École Légaliste était Han Fei Zi.


Selon l’École Légaliste, ce n’est ni la sagesse des anciens rois ni le code éthique (comme chez les confucianistes) qui pouvaient rendre fort un gouvernement. Au contraire, le « bien » et le « mal » étaient plutôt définis par n’importe quel intérêt particulier du dirigeant. Un système de châtiments durs et de récompenses régi par des lois strictes et appliqué sans exception, devait garantir une bonne conduite au sein du royaume. Pour les légalistes, l’armée et l’agriculture étaient les seules occupations bénéfiques à l’État et ils décourageaient toute forme d’études. En fait, le premier empereur qui a unifié la Chine et qui était un fervent défenseur de l’École Légaliste, Qin Shi Di Huang, a fait brûler les livres (sauf ceux qui traitaient d’agriculture et de médecine) et enterrer vivants de nombreux érudits confucianistes.


La province des Qin, dans la Chine de l’Ouest, a été la première à adopter la doctrine légaliste. Les Qin ont eu tellement de succès qu’en 221 AEC ils avaient conquis les autres provinces chinoises et unifié l’empire après des siècles de guerre. Les idées légalistes sur la nature humaine, la société et le gouvernement ne pouvaient être plus éloignées de celles de Confucius ; les légalistes pensaient que la nature humaine était naturellement indisciplinée et que l’ordre social ne pouvait être acquis que grâce à des lois strictes et des châtiments durs et non grâce à une conduite éthique comme les confucianistes le pensaient.


Ce qui est intéressant dans l’École Légaliste, du point de vue de la médecine chinoise, c’est le fait que la dynastie des Qin (qui avait adopté les idées légalistes) a été la première à unifier la Chine. Elle a instauré l’irrigation, a unifié les poids et les mesures, la monnaie, l’écriture chinoise et bien d’autres choses encore, comme le gabarit des essieux des roues dans la Chine entière. Le premier empereur a aussi promulgué un vaste programme de construction de routes et de creusement de canaux. Une autre innovation importante de la dynastie des Qi a été d’encourager le commerce à grande échelle entre les diverses régions de Chine.


La dynastie des Qin a donc fourni le premier modèle d’un État unifié avec un empereur, un gouvernement central, des officiels locaux, une économie unifiée et un vaste système d’irrigation dans tout l’État. C’est de là que vient la première métaphore de la médecine chinoise qui voit le cœur comme l’empereur et les autres organes internes comme des ministres, la physiologie du corps comme une économie unifiée, et les méridiens d’acupuncture comme les canaux d’irrigation.


Unschuld écrit :



Dans un autre passage, Unschuld dit :



L’École des légalistes a toutefois pu avoir une autre influence intéressante sur la médecine chinoise. Si la médecine chinoise avait principalement été influencée par le taoïsme (ce que j’appelle la vision « romantique » de la médecine chinoise que les occidentaux véhiculent souvent), on pourrait s’attendre à un traitement régi par une philosophie proche de celle de la naturopathie moderne et de sa croyance en le pouvoir de guérison de la force de vie et donc l’idée qu’il faut laisser la Nature suivre son cours.


Mais ce n’est pas là l’approche thérapeutique de la médecine chinoise, qui « attaque » directement et expulse les facteurs pathogènes, combat le Froid par la Chaleur et inversement, et utilise la transpiration, la purge et le vomissement comme méthodes de traitement. En fait, une bonne proportion de termes de la médecine chinoise sont des termes militaires, par exemple, le caractère wei qui désigne le Qi Protecteur, évoque l’idée d’une « patrouille de sentinelles », le caractère ying, qui désigne le Qi Nourricier, évoque l’idée des « camps de l’armée », le cycle de Domination des Cinq Éléments se nomme ke¸ ce qui veut dire « soumettre ».


On peut ainsi voir une influence de l’École Légaliste dans cette approche thérapeutique ; de la même façon qu’on ne peut pas se fier à la nature humaine et qu’il faut la « redresser » grâce à des lois strictes et des châtiments durs, le Qi du corps doit être régulé grâce à une attaque décisive des facteurs pathogènes et à l’assurance que le « gouverneur » et ses subordonnés font leur travail correctement.



Bien sûr, une partie de la médecine chinoise a fortement été influencée par le taoïsme et elle affirme haut et fort que l’harmonie avec le Tao et les saisons ainsi qu’une vie bien réglée sont les clés pour garder une bonne santé. L’influence du taoïsme sur la médecine chinoise se voit aussi clairement dans les exercices respiratoires et la vie sexuelle.


Dans ce chapitre, je développerai les thèmes suivants :




Le confucianisme




Confucius


Confucius (551-479 AEC) était un penseur, une figure politique et un éducateur né pendant la période des Royaumes Combattants (770-476 AEC). C’est lui qui a fondé l’École des Lettrés (Ru jia). Confucius est la version latinisée du nom Kong Zi ou « Maître Kong ». Son nom de famille était Kong et son nom personnel Jiu. Il est né dans le pays de Lu, dans le sud du Shandong. Ses ancêtres appartenaient à la maison ducale du pays des Song et descendaient de la maison royale des Shang, la dynastie qui a précédé celle des Zhou.


Les Six Classiques de Confucius sont le Yi Jing (Livre des mutations), le Shi Jing (Canon des poèmes), le Shu Jing (Canon de l’histoire), le Li Jing (Livre des rites), le Yue Jing (Canon de la musique) et le Chun Qiu Jing (Annales des printemps et des automnes). Comme, sous les Royaumes Combattants, le féodalisme commençait à se désintégrer, les tuteurs des aristocrates commencèrent à se disperser dans la population. Ils gagnaient leur vie en enseignant les textes classiques ou en servant « d’assistants » expérimentés, car ils étaient bien au fait des rites, lors de funérailles, de sacrifices, de mariages ou autres cérémonies. Cette classe d’hommes était connue comme la classe des ru ou des lettrés et l’école confucianiste comme l’École des Lettrés (Ru).


Cette école était l’une des principales écoles de pensée sous les Royaumes Combattants (475-221 AEC). Parmi les autres écoles importantes de cette époque, il y avait l’École du Tao (les taoïstes), l’École du Yin et du Yang et l’École Légaliste. Bien que Confucius n’ait pas réussi à imposer ses idées de son vivant, son école de pensée est devenue la philosophe officielle de l’État sous la dynastie des Han (206 AEC-220 EC) et l’est restée pendant 2000 ans.


À l’origine, la philosophie de Confucius reposait de façon ferme sur l’éthique et ne se préoccupait pas de questions ontologiques. C’est une philosophie selon laquelle l’ordre social repose sur les devoirs et les responsabilités de chacun en fonction de règles hiérarchiques très rigides. Ce système est devenu le fondement de la société chinoise et a encore cours aujourd’hui. Confucius a insisté sur l’importance de l’ordre social et la dignité sur la base des responsabilités inhérentes dans les relations humaines selon une pyramide toujours grandissante : le cadet respecte l’aîné, les enfants respectent leurs parents, la femme respecte son mari, les élèves respectent leur maître, et tous les sujets respectent l’empereur. Confucius pensait que la seule façon d’obtenir l’ordre dans la société était que chacun reconnaisse et assume la place qui était la sienne. La rigidité des relations familiales et de l’ordre hiérarchique au sein de la famille est parfaitement illustrée par le fait que chaque membre de la famille a un nom spécifique (Fig. 15.1).



Les enseignements de Confucius, conservés dans le Lunyu et les Analectes, constituent la base d’une grande partie de la pensée chinoise ultérieure sur l’éducation et le comportement de la personne idéale. Les idées de Confucius ont véritablement façonné la famille, la société et l’État chinois pendant 2000 ans, et elles ont constitué la base de l’éthique et d’un gouvernement éthique jusqu’aux temps modernes (et, d’après moi, même pendant la période du communisme).


En mettant l’accent sur la tradition, les rites, les obligations filiales et le respect des ancêtres, le confucianisme est véritablement devenu l’âme du peuple chinois et il le reste encore actuellement. La plupart des Chinois suivent les préceptes de Confucius, même sans avoir eu une connaissance de première main de ses Analectes. En fait, pour moi, de très nombreux aspects de la famille, de la société et du gouvernement chinois actuels ne reflètent pas des vues marxistes mais de vues confucianistes.


Sous la dynastie des Han, le confucianisme est devenu la doctrine officielle de la société bureaucratique, définie à tort par les communistes chinois modernes comme une « société féodale ». Cette société n’était pas féodale car les dirigeants ne tiraient pas leur pouvoir de leur naissance comme c’est le cas dans une société féodale, mais accédaient au pouvoir par des examens reposant sur la connaissance des Classiques de Confucius ; c’était donc, à cette époque, une société « méritocratique ».



Tian (Ciel)


Confucius parlait souvent du Ciel (Tian image) et de la Volonté du Ciel. Il pensait que la vie des gens se déroulait selon des paramètres solidement établis par le « Ciel », mais estimait que chacun était responsable de ses actions et plus particulièrement de la façon dont il traitait les autres. Bien que nous ne puissions pas influencer la destinée que le « Ciel » nous a forgée, nous pouvons agir dans le monde en nous comportant de façon éthique, comme Confucius le préconisait.


Hall et Ames répertorient trois sens principaux de Tian :



C’est probablement ce fondement courant du culte des ancêtres qui rend compte de la réunion du Di de la dynastie des Shang et du Tian importée avec les tribus des Zhou. Tian ne parle pas mais communique réellement, bien que pas toujours clairement, au travers des oracles, des perturbations climatiques et des modifications des conditions naturelles dans le monde humain3.


Comme le terme « Ciel » revient très fréquemment dans la médecine chinoise, il n’est pas inutile d’essayer de décrire son sens. Ames choisit de ne pas traduire le mot chinois Tian car, selon lui, le mot « Ciel » véhiculerait immédiatement des connotations judéo-chrétiennes. Il rejette aussi la traduction de Tian par « Nature »4. Il écrit :



Mais Tian a aussi un autre sens qui est important dans l’optique de la médecine chinoise ; en effet, Tian représente aussi l’ensemble de la communauté des morts (et c’est pourquoi l’Âme Éthérée va au « Ciel » après la mort). Ames dit :



Le classique taoïste Huai Nan Zi, souvent cité par Zhu Xi, décrit clairement l’origine du Ciel et de la Terre.




L’éthique confucianiste


L’homme idéal de Confucius est une personne qui cultive li (les rites), yi (la correction), et ren (l’humanité, la bienveillance et la compassion). Tous ces termes sont très difficiles, voire impossibles à traduire. En fait, quelle que soit l’expression que l’on utilise pour les traduire, celle-ci aura inévitablement une connotation culturelle occidentale.


Pour éclairer la philosophie de Confucius, je vais expliquer les principales qualités qu’un être humain, selon lui, devrait posséder. Ce sont :




Ren

Par essence, Ren est impossible à traduire. On peut le traduire de diverses façons, comme « bienveillance », « gentillesse », « compassion », « humanité », « bon cœur », « altruisme », « amour » ou « bonté » mais aucun de ces termes n’expriment de façon exacte ce que le confucianisme appelle ren.


Le caractère chinois de ren montre une « personne » et le chiffre « deux » (Fig. 15.2). Ames dit :




Toute traduction du mot ren par « bienveillance » ou « compassion » risque de lui donner un aspect chrétien ou bouddhiste. La caractéristique essentielle de ren est que ce n’est pas la description d’un état psychologique mais d’un état social déterminé.


Voilà comment Ames décrit ren :



Ames dit aussi, à propos de ren :



Ames dit donc clairement que ren n’est pas une disposition psychologique du moi de l’individu, celui-ci n’existant tout simplement pas dans la philosophie de Confucius. Fingarette affirme clairement :



Fingarette est encore plus explicite lorsqu’il traite du sens de ren :




Ainsi, ren est un comportement éthique socialement construit qui vise à remplir ses devoirs selon son propre statut dans la famille et la société. Le père se conduit comme un père doit se conduire par amour. Confucius dit « Ren consiste à aimer les autres ». La pratique de ren amène à assumer ses responsabilités et ses devoirs dans la société, parmi lesquels on trouve yi (voir plus bas). La piété filiale et l’amour fraternel sont des aspects de ren et la pierre angulaire de la structure sociale. Le principe formel des devoirs est yi mais le principe formel de ces devoirs est ren, « aimer les autres » (Fig. 15.3).



Ainsi, ren concerne les liens et les relations sociales et n’a rien à voir avec le sentiment individuel de « compassion » ou « d’amour » venant d’une psyché personnelle. Dans le monde de Confucius, il n’y a pas d’essence des choses ou des personnes mais uniquement des interrelations ou des corrélations. Cette corrélation est intrinsèque et non extrinsèque (Fig. 15.4) ; une rupture de la corrélation intrinsèque va affecter les deux. La figure 15.5 essaye d’illustrer la différence entre le moi en Occident (partie supérieure de la figure) et le moi en Chine (partie inférieure de la figure).




Ames insiste beaucoup sur le fait que ren ne vient pas d’une notion occidentale du moi et de « l’altruisme ». Il écrit :




Selon Cheng Hao (1032-1085), ren représente également la compréhension que le Ciel, la Terre et les myriades de choses ne sont qu’une même substance et font tous partie du moi. Il fait aussi un parallèle intéressant entre l’engourdissement des mains et des pieds, qu’il appelle bu ren, c’est-à-dire « manque de ren » en médecine chinoise, montrant une fois de plus l’influence que le confucianisme a eu sur la médecine chinoise.


Cheng Hao dit :



Autrement dit, une personne qui a du ren est quelqu’un qui considère les autres comme une extension d’elle-même, comme ses membres. Une telle personne est naturellement attentive aux besoins et aux sentiments des autres car être insensible à leurs sentiments est comme être insensible à ses propres membres.


De façon pratique, pour Confucius ren commence dans la famille, qui est la première unité dans laquelle chacun est exposé aux relations sociales. Gardner écrit :







Li

Li peut se traduire par « rites ». Il faut préciser que c’est un mot différent du mot Li (Principes), étudié ci-dessous, dont il est homophone. Pour Confucius, les rites ne sont pas de simples répétitions de certaines cérémonies mais font partie de la vie quotidienne. Confucius pensait que les rites étaient ce qui différenciait les êtres humains des animaux. On peut aussi traduire Li par « convenance » ; lorsque chacun assume le rôle qui est le sien dans la famille et la société, cela se traduit par certains rites. Bien qu’à première vue cette idée puisse paraître étrange à un Occidental, il n’en est pas moins vrai que nous observons des rites dans notre vie quotidienne, comme de serrer la main à quelqu’un que nous rencontrons.


Li, ou les rites, étaient considérés comme une partie très formelle et très importante réservée à ceux qui vivaient une vie d’être humain. En fait, on décrit li comme l’essence d’une vie humaine en bonne harmonie avec les autres. Selon Bockover :



Ames insiste sur la dimension sociale des « rites » dans la culture chinoise.



Li et ren sont liés de façon indissoluble : li représente les modes de conduites effectuées avec le bon esprit, ren nous dit ce qu’est ce bon esprit, c’est-à-dire approcher les autres avec empathie. Fingarette écrit :



Ce serait une erreur que de croire que Confucius préconisait une adhésion aveugle et systématique à des rites et cérémonies codifiés ; bien au contraire, Confucius disait sans relâche que la signification des rites ne relevait pas du rite même mais du ressenti et de la signification dont on l’investissait.



L’éthique, la société et l’État chez Confucius


Une caractéristique importante de l’éthique confucianiste est aussi l’idée que la conduite éthique individuelle influence la famille, la société et l’État, et inversement. Cet extrait de Confucius montre à quel point la conduite individuelle et l’ordre social sont intimement liés.
















Les figures 15.6 et 15.7 illustrent ce concept.




Avec le temps, Confucius a codifié de façon très rigide toutes les zones de la conduite humaine dans la famille, la société et l’État, de sorte que chaque personne devait se comporter selon des règles rigides et chaque personne devait assumer son propre rôle dans la famille et la société. Par exemple, voici quelles étaient les règles de conduite éthique énoncées par Zhu Xi (1130-1200) :







Il explique plus loin comment on peut y arriver :






La citation qui suit, venant d’un penseur confucianiste et relayée par Needham, est probablement la meilleure illustration de combien la théorie de la médecine chinoise sur les Organes Internes, vus comme des « ministres », reflète la vision néoconfucianiste de l’éthique personnelle quant au rôle que chacun doit assumer et quant à la société et au gouvernement. Ko Hong, dans Bao Pu Zi¸ dit :




Unschuld confirme que le confucianisme a très tôt, sous la dynastie des Han, influencé la médecine chinoise.




De nombreux chapitres du Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune montrent clairement cette influence confucianiste venue des derniers siècles au cours desquels le confucianisme était l’orthodoxie. Regardons les deux affirmations suivantes que cite Unschuld. La première est de l’érudit confucianiste Xun Xi : Le vrai dirigeant commence par mettre l’État en ordre alors que l’ordre est déjà établi. Il n’attend pas que des insurrections se soient déjà levées. La seconde affirmation vient du chapitre 1 du Nei Jing : Les sages ne menacent pas ceux qui sont déjà tombés malades mais plutôt ceux qui ne sont pas encore malades. Ils ne mettent pas de l’ordre dans leur État lorsque la révolte gronde mais avant qu’une insurrection ne survienne25. Ces deux citations montrent clairement la forte influence que le confucianisme a exercée sur le concept de santé en médecine chinoise et l’assimilation des Organes Internes aux ministres d’un gouvernement.


On trouve la même chose au chapitre 29 de L’Axe spirituel, qui dit :



Le commentaire intitulé Explication du Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune, écrit par Yang Shang Shan (581-618), sous la dynastie de Sui, commente cet extrait :



À la fois l’extrait du chapitre 29 de L’Axe spirituel et le commentaire de Yang Shang Shan reflètent clairement et à plusieurs titres la pensée confucianiste. Tout d’abord, on y trouve le concept confucianiste de l’équivalence entre le corps, la famille et l’État tout entier. « L’ordre » dans le corps est à l’image de l’ordre dans la famille et dans l’État tout entier, et inversement.


Ensuite, il y a un accent fort mis sur l’idée qu’il faut « se conformer » ou « suivre les règles » (shun) et sur son contraire, « se rebeller » ou « ne pas suivre les règles » (ni). Comme nous l’avons vu, ces deux expressions servent en médecine chinoise à désigner le « Qi rebelle » (ni) ou le Qi qui circule dans le bon sens (shun). Enfin, cet extrait reflète l’idée confucianiste qu’il faut « gouverner » le corps comme on gouverne la famille ou l’État. Comme nous l’avons vu plus haut, cette idée vient aussi de la pensée de l’École Légaliste.


À partir de la dynastie des Song, le néoconfucianisme a encouragé une forme stricte de gouvernement autoritariste avec l’établissement d’une censure, d’un contrôle de la pensée et d’autres caractéristiques autoritaristes. À l’époque des Ming et des Qing, l’accusation d’hétérodoxie (bu jing) véhiculée par les autorités a été une excuse facile pour se débarrasser d’opposants politiques et autres personnes dont les idées étaient considérées comme dangereuses pour la sécurité de l’État, exactement comme sous le régime communiste. Ainsi, le marxisme, loin d’être l’antithèse du confucianisme, s’est parfaitement greffé sur cette doctrine pour poursuivre l’assujettissement politique du peuple chinois qui avait commencé avec le néoconfucianisme. En fait, je dirais que l’idéologie marxiste et la structure administrative, politique et sociale du communisme est la continuité logique et la plus cohérente de la tradition néoconfucianiste.



Sous la dynastie des Yuan, le bouddhisme a connu une renaissance, mais sous la dynastie des Ming, c’est le néoconfucianisme (et surtout la philosophie de Zhu Xi) qui est devenu l’idéologie dominante incontestée. Les autorités en sont venues à trouver suspecte toute pensée qui ne relevait pas du néoconfucianisme et, à des moments divers, à exercer une censure et prendre des mesures pour contrôler la pensée. À la fin de la dynastie de Ming, l’État était devenu très tyrannique.


La morale de Confucius et sa conception de la famille et de la société sont bien différentes de celles du taoïsme. Les taoïstes ne croyaient pas en l’observance des règles mais en la spontanéité, l’accord avec la nature et la non action (wu wei). Graham écrit :



L’extrait ci-dessous, dû à Chuang Zi, est un rejet on ne peut plus absolu des vues éthiques confucianistes sur la famille et la société :




Le néoconfucianisme


Le mot « néoconfucianisme » est un terme occidental jamais utilisé en Chine, que ce soit à son époque ou plus tard. En gros, il indique les nouvelles écoles du confucianisme qui se sont développées sous les dynasties des Song et des Ming (surtout sous les Song) et qui reposent sur une inclusion de concepts bouddhistes et taoïstes dans le confucianisme. C’est à cette époque que le confucianisme est passé d’une philosophie essentiellement concernée par l’éthique à une philosophie intéressée par l’ontologie et la métaphysique. Les écoles de pensées dites « néoconfucianistes » sont en réalité au nombre de trois : l’École des Principes (Li), l’École de l’Esprit (Xin) et l’École des Noms (Ming).


Pour combattre les théories bouddhistes sur l’impermanence et la vacuité, le néoconfucianisme a construit une nouvelle philosophie reposant sur le confucianisme. Les initiateurs de cette nouvelle philosophie ont dû élaborer un système englobant une cosmologie capable de rendre compte de la création de l’Univers, une éthique considérant l’humanité comme un tout et affirmant la valeur de l’effort humain, et une épistémologie capable d’expliquer les fondements du savoir.


Les graines de ce mouvement ont été semées par Han Yu, sous la dynastie des Tang, et se sont développées sous la dynastie de Song grâce à Zhou Dun Yi, les frères Cheng, Zhang Zai et surtout Zhu Xi.


Zhou Dun Yi (1017-1073) fut le premier représentant de la philosophie cosmologique, l’auteur du célèbre diagramme du Tai Ji qui a suscité de nombreuses discussions au sein des néoconfucianistes plus tardifs. Le néoconfucianisme a ensuite décliné et son influence a périclité vers la fin de la dynastie des Qing, mais il est resté l’idéologie dominante en Chine jusqu’en 1949 (et je dirais même au-delà) du fait de l’inertie. Le néoconfucianisme a donc dominé la pensée, la société, la politique, l’éthique et la médecine chinoises pendant 1000 ans (et le confucianisme pendant 2000 ans).


Sous la dynastie des Yuan, le bouddhisme a connu un renouveau et les philosophes confucianistes ont eu bien du mal à créer une nouvelle philosophie complète capable de rivaliser avec le bouddhisme. Avec la dynastie des Ming, le néoconfucianisme (et surtout la philosophie de Zhu Xi) a été consacré comme l’idéologie dominante incontestée. Les autorités en sont venues à trouver suspecte tout pensée qui ne relevait pas du néoconfucianisme et, à des moments divers, à exercer une censure et à prendre des mesures pour contrôler la pensée.


Dans les années qui suivirent, le gouvernement, sous la dynastie des Ming, est devenu tyrannique. Favorisés par le gouvernement, les principes confucianistes ont commencé à infiltrer la vie quotidienne des gens. La séparation des sexes a vu le jour et l’isolement des femmes est devenu réalité. La chasteté des femmes a été érigée en véritable culte, le remariage des veuves était l’objet d’opprobre (ce qui est toujours le cas actuellement) et le divorce considéré comme un déshonneur pour la femme, quel qu’en soit le motif.


Il est intéressant de voir qu’alors que les hommes, de façon générale, s’intéressaient de manière égale au confucianisme, au taoïsme et au bouddhisme, les femmes avaient un penchant pour le bouddhisme. Le crédo du bouddhisme était l’amour et la compassion universels, il prêchait l’égalité de tous les êtres, et répondait aux aspirations spirituelles des femmes. Ses cérémonies éblouissantes, centrées autour de nombreuses divinités féminines magnifiques, comme Guan Yin, la déesse de la compassion qui aidait les personnes en détresse et donnait des enfants aux femmes stériles, amenaient de la couleur dans une vie quotidienne relativement monotone.


Le néoconfucianisme a eu une profonde influence sur la médecine chinoise, plus importante, d’après moi, que celle exercée par le taoïsme. Lorsqu’on lit le Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune, il faut se garder de penser que la référence au « Tao » est toujours la marque de l’influence du taoïsme. Il est très clair que Confucius et tous les autres penseurs confucianistes (et surtout les néoconfucianistes) parlent du Tao. En fait, même les légalistes parlent du Tao.


Par exemple, le néoconfucianiste Wang ming Sheng (1722-1798) dit que « les textes classiques servent à comprendre le Tao30 ». Dai Zhen affirme que « les textes classiques montrent le chemin du Tao31 ». Ng dit de façon très explicite : « le Tao que Wang et Dai célèbrent et recherchent n’était pas le Tao des bouddhistes ou des taoïstes ; c’était le même Tao confucianiste que les Song et les Ming vénéraient32».


Pour chacune de ces écoles, le terme « Tao » revêt des connotations différentes. Pour les taoïstes, le « Tao » est le Tao, c’est-à-dire une force ou un principe insondable qui régit l’univers sans effort et sans difficulté. Pour les confucianistes, le Tao est synonyme de ren. Pour les néoconfucianistes, le Tao est synonyme de Li (Principes), pour les légalistes, le Tao est l’origine des lois destinées à gouverner l’État. Voilà ce que dit un passage d’un texte de Ma Wang Dui, d’inspiration légaliste : « C’est grâce au Tao que la loi prend corps »33. C’est une affirmation qui n’a absolument rien de taoïste mais qui emploie néanmoins le mot « Tao ».


L’influence de la pensée néoconfucianiste dans le champ des émotions est présentée plus bas. Outre cela, on trouve de nombreux exemples de superposition de la vision confucianiste et de concepts de médecine chinoise, comme on le verra plus loin.


Comme nous le savons, le confucianisme se préoccupait de l’établissement de règles d’éthique et de conduite claires destinées à apporter l’harmonie au sein de l’individu, de la famille, de la société et de l’État. Chaque individu devait se conformer aux principes de bienveillance (ren), de correction (yi), de principe (li), d’altruisme (shun), d’honnêteté (zhong) et de sagesse (zhi) afin que l’harmonie règne à chaque niveau de la société. En fait, l’empereur lui-même, et donc les officiels du gouvernement, devaient respecter ces mêmes règles et leur conduite avait une influence sur la société toute entière. Parfois, on attribuait même les calamités naturelles à l’empereur, soupçonnant qu’il n’avait pas respecté « le mandat du Ciel ».


On retrouve fortement cette vision dans la médecine chinoise, dans laquelle les Organes Internes sont comparés aux officiels du gouvernement régis par un empereur qui prend la forme du Cœur. Chaque organe interne est comparé à un Ministre et la santé dépend d’une bonne « gouvernance » des Organes Internes. La mauvaise santé n’est pas tant un problème médical qu’un problème éthique né de ce que la personne ne s’est pas conformée aux règles de conduite.


Il est également intéressant de noter qu’une grande partie du vocabulaire de l’acupuncture est influencée par la métaphore des systèmes d’irrigation de l’eau. Par exemple, les méridiens principaux sont comparés à des canaux et les huit merveilleux vaisseaux à des réservoirs ou des lacs qui absorbent l’excédant d’eau des canaux en cas de fortes pluies. Le Réchauffeur Inférieur est un « fossé d’irrigation ».


Cette métaphore reflète probablement le fait que, dans la Chine ancienne, les systèmes d’irrigation les plus vastes étaient sous le contrôle direct du gouvernement central. On retrouve cette métaphore dans la médecine chinoise, qui a son empereur (le Cœur) et ses 11 ministres.


Cette idée est absolument flagrante dans les écrits de Dong Zhong Shu (179-104 AEC), érudit confucianiste qui a activement critiqué et combattu les modes de gouvernement et de leadership inspirés du taoïsme. Le parallèle entre de la vision du corps et de l’esprit en médecine chinoise et la vision d’un gouvernement politique confucianiste est visible dans ces lignes écrites par Dong :


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May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 15: L’influence du confucianisme sur la vision chinoise de l’Esprit et du Psychisme

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