22: Épilogue : le rôle de la médecine chinoise dans les troubles de la psyché

Chapitre 22 Épilogue


le rôle de la médecine chinoise dans les troubles de la psyché


J’étais très jeune (28 ans) lorsque j’ai commencé à pratiquer l’acupuncture et je n’avais aucune connaissance en accompagnement psychologique ou en psychothérapie. À cette époque déjà ancienne, les écoles de médecine chinoise n’enseignaient pas comment « aider les patients » comme elles le font aujourd’hui. Je me suis donc retrouvé seul, confronté aux troubles psychiques et émotionnels de ceux qui étaient en proie à des souffrances psychiques, que celles-ci soient la cause principale ou non de leurs troubles physiques.


Comme il me fallait faire face tout seul aux souffrances psychiques de mes patients, je m’y suis appliqué du mieux que j’ai pu. Par exemple, si un patient commençais à pleurer quelque minutes après l’insertion des aiguilles (c’est quelque chose que j’ai souvent constaté à mon cabinet alors que c’est une réaction que je n’ai jamais vue en Chine), qu’étais-je censé faire ? Fallait-il faire comme si de rien n’était et prétendre que rien ne s’était passé ? Fallait-il réconforter le patient ? Jusqu’où le contact physique (par exemple, caresser la joue) faisait-il encore partie d’un geste professionnel ? Fallait-il me plonger dans leur vie émotionnelle ou non ? Mais était-ce là mon rôle ? N’ayant aucune formation de psychologue ou de psychothérapeute, étais-je habilité à le faire ? Et si le patient commençait à se livrer et à me raconter ses malheurs, comment étais-je supposé utiliser ces informations ? Si un patient souffrait de chagrin et de tristesse, fallait-il changer le traitement initial en fonction de cette tristesse provenant d’une perte ou d’une dépression ? Que faire si cette tristesse masquait en réalité un sentiment de culpabilité ? Comment adapter le traitement dans ce cas ?


Dans le cadre de mes études de médecine chinoise, j’ai lu de nombreux livres sur le taoïsme et le bouddhisme, et j’ai aussi pratiqué le bouddhisme et la méditation bouddhiste. Je me suis demandé comment je pouvais appliquer ces enseignements au traitement de la souffrance émotionnelle de mes patients. Je me suis vite aperçu que lorsqu’un patient est submergé par l’émotion, il ne sert à rien de lui expliquer que sa souffrance émotionnelle n’est qu’une illusion car il n’y a pas de moi en soi (anata, qui, en sanscrit, signifie « non moi »), que cette souffrance relève, en fait, des cinq skandhas (agrégats).


Parfois, certains de mes patients ont trouvé très utile d’évoquer avec moi la façon dont le bouddhisme voit l’esprit et les émotions. Mais cela ne marche pas lorsque, par exemple, une femme a son mari qui vient de la quitter et qu’elle se trouve au cœur d’un véritable cataclysme émotionnel. J’ai très souvent eu de longues conversations avec les patients intéressés par le taoïsme et le bouddhisme.


Il y a une autre question qui a souvent surgi. Si une personne vient nous voir pour un problème relativement bénin comme une ténosynovite du poignet et que, au cours d’une séance, elle avoue qu’elle a été victime d’abus sexuels pendant son adolescence, que faire de cette révélation ? Faut-il traiter Shen ? Faut-il le faire quoi qu’il arrive ou uniquement si cette personne en fait la demande ? Est-ce dépasser nos prérogatives que de vouloir traiter Shen alors que la personne vient uniquement pour traiter un problème tendinomusculaire ? Faut-il traiter Shen sans même le lui dire ou faut-il l’en avertir ?


Ma propre expérience m’incite à répondre « oui » à cette dernière question, c’est-à-dire que je considère qu’il est toujours pertinent de traiter Shen lorsque la personne présente un passé de lourdes souffrances émotionnelles. La façon dont je procède est flexible et dépend entièrement des dispositions de la personne, et je respecte toujours ses souhaits. Certains patients veulent se décharger du poids de leurs souffrances émotionnelles passées et viennent demander de l’aide à cet effet ; d’autres non. Je respecte toujours leur choix et ne force jamais leur décision.


Cela ne veut toutefois pas dire que je ne vais pas prendre cette situation en compte dans l’élaboration du traitement. Dans l’exemple cité ci-dessus, je vais bien évidemment traiter la ténosynovite mais je vais aussi nourrir Shen en douceur, peut-être simplement en piquant C-7 Shenmen et RM-15 Jiuwei. L’expérience m’a montré que nourrir Shen lorsque celui-ci a été blessé par des souffrances émotionnelles dans le passé est toujours utile, quelle que soit la pathologie que présente le patient. En fait, C-7 Shenmen a aussi un effet analgésique.


Je me suis ainsi retrouvé devoir faire du mieux que je pouvais avec des stratégies de soutien de mon propre cru. Aujourd’hui, après plus de 35 ans de pratique, je n’ai toujours pas la réponse à certaines questions, même si j’aime à penser que j’ai acquis une bien plus grande expérience pour savoir comment gérer les crises émotionnelles de mes patients. Mais je dois aussi avouer que ce n’est pas la médecine chinoise qui m’a fourni cette capacité mais plutôt les lectures que j’ai faites des livres de Freud, de Jung (surtout), d’ouvrages de psychothérapie et de psychologie et de nombreux autres livres sur les émotions vues par la philosophie occidentale et la neurophysiologie moderne.


Bien évidemment, mes propres capacités sont aussi le simple fruit de mon expérience et de mon approche pragmatique et souple de la gestion des crises émotionnelles de mes patients. J’ai très vite compris qu’il n’y avait pas de façon « standard » de traiter ce genre de crises et qu’il fallait adapter notre approche en fonction de la personnalité du patient (souvent aussi de son sexe, car les femmes ont généralement plus de facilité que les hommes à aborder leurs souffrances émotionnelles).


Que faire lorsqu’un patient commence à parler des expériences vécues dans son enfance qui sont à la source de sa souffrance ? Ma formation en médecine chinoise ne m’a pas préparé à faire face à cela et elle n’avait rien à offrir dans ce domaine. J’estime qu’actuellement la situation n’a pas évolué, même après la parution de livres chinois bien plus nombreux à aborder les troubles psychiques et émotionnels.


Comme nous l’avons vu plusieurs fois dans les chapitres précédents, je considère que la façon dont les Chinois voient les émotions vient de Confucius, et le concept confucianiste de « moi » est totalement différent de celui que nous avons en Occident. En conséquence, les émotions sont considérées comme des déséquilibres objectifs du Qi presque sans lien aucun avec le moi, qu’il faut rééquilibrer uniquement pour le bien de l’équilibre social, et les émotions sont des problèmes sociaux, éthiques, plutôt que des passions personnelles et intenses de la personne occidentale, autonome et tournée vers elle-même. En médecine chinoise, « redresser » les déséquilibres créés par les émotions est un problème éthique plutôt que psychologique. C’est pourquoi la médecine chinoise ne parle jamais des expériences de l’enfance comme étant la racine de nos émotions, de nos complexes et de nos projections plus tard dans la vie.


Qu’est-ce que la médecine chinoise peut offrir pour traiter les souffrances émotionnelles des patients occidentaux ? Beaucoup, comme nous le savons tous. Même si la façon d’envisager les émotions est empreinte de confucianisme et que le concept du moi est totalement différent de celui de l’Occident, la médecine chinoise a une influence thérapeutique profonde sur l’esprit et le psychisme lorsque ceux-ci sont touchés par des troubles émotionnels.


La médecine chinoise soulage la souffrance émotionnelle de différentes façons La vision qu’a la médecine chinoise des émotions (comme causes de la maladie) en tant que déséquilibres du Qi inextricablement à la fois physiques, émotionnels et mentaux est lumineuse.


Tout d’abord, en faisant tout simplement circuler le Qi, on élimine la stagnation qui est souvent présente dans les troubles émotionnels. Ensuite, en faisant circuler le Qi, la médecine chinoise aide le patient à exprimer ses émotions lorsque celles-ci sont refoulées. Troisièmement, et plus important encore, l’acupuncture et les plantes « nourrissent » tout simplement le Shen (compris à la fois au sens d’Esprit du Cœur et de Psychisme) ; quels que soient la maladie et les tableaux pathologiques, l’acupuncture et les plantes nourrissent tout simplement le Shen et ont un profond effet calmant sur le patient. Enfin, en nourrissant le Shen, l’acupuncture et les plantes semblent rendre le patient plus sensible et plus en accord avec ses émotions.


Une question que je me suis posé des centaines de fois est le rôle respectif de la médecine chinoise et de la psychothérapie dans le traitement des troubles psychiques et émotionnels. Jusqu’où la médecine chinoise peut-elle aller lorsqu’un patient a un lourd passé de souffrances émotionnelles sur de nombreuses années ? Quelles sont les limites (s’il y en a) de la médecine chinoise ? Comme arriver à conseiller utilement un patient sans aucune formation en psychothérapie ?


C’est au fil des ans que les réponses à ces questions ont pris forme. Je pense sans aucun doute que la médecine chinoise a ses limites lorsque les patients ont un passé émotionnel complexe, tout simplement parce que la médecine chinoise ne fournit pas le cadre nécessaire pour interpréter la souffrance émotionnelle de patients dont le lourd passé émotionnel remonte à l’enfance.


La médecine chinoise n’a rien à fournir quant à la construction émotionnelle de notre enfance, aux questions d’attachement, de liens et de pertes, aux complexes, projections et défenses mis en place dans l’enfance. Une des raisons est tout simplement, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, que le concept confucianiste de moi n’envisage pas un centre conscient individuel, autonome, tourné vers lui-même, qui se serait formé au cours des expériences de l’enfance et qui influencerait notre vie adulte.


C’est pourquoi, lorsque je traite un patient dont le lourd passé émotionnel remonte à l’enfance, je commence tout doucement à lui suggérer que l’aide d’un psychothérapeute pourrait lui être utile. Il faut faire cela avec beaucoup de tact car, dans certains pays, cette simple suggestion peut paraître offensante. Chaque fois que l’un de mes patients a été suivi par un psychothérapeute en même temps qu’il a été traité par la médecine chinoise, j’ai toujours éprouvé un grand « soulagement » ; je pouvais continuer à interpréter et à traiter la souffrance émotionnelle de cette personne grâce à la médecine chinoise tout en sachant que ses troubles émotionnels les plus profonds étaient pris en charge par son psychothérapeute.


Cela ne veut toutefois pas dire que je ne continuais pas à aborder ses problèmes émotionnels avec le patient et que je me bornais à lui administrer un traitement de médecine chinoise. Lorsque je traite un patient qui souffre de perturbations émotionnelles, au fond de moi, j’ai tendance à mettre deux « casquettes », l’une étant celle du praticien de médecine chinoise et l’autre celle du psychothérapeute (bien que je n’en aie pas la qualification officielle). Je suis plus particulièrement attiré par la psychologie jungienne car c’est pour moi celle qui offre les explications les plus éclairantes sur la psyché humaine. Lorsque je dis que je porte la « casquette du psychothérapeute », je ne veux pas dire que je donne des conseils au patient comme le ferait un psychothérapeute, mais simplement que je m’efforce d’interpréter sa souffrance émotionnelle par rapport à la psychologie jungienne pour mieux comprendre sa situation.


La question épineuse mais intéressante que cela soulève est de savoir si l’on peut intégrer ces deux approches et si oui, comment. Autrement dit, si l’on pense, dans une perspective jungienne, qu’une femme est peut-être dominée par un animus négatif, comment interpréter cela en termes de médecine chinoise ? Y a-t-il une possibilité d’interprétation, et donc de traitement, par la médecine chinoise. Je pense que oui, mais ces questions ne peuvent trouver une réponse que grâce à une longue expérience accumulée par de nombreux praticiens sur plusieurs générations.


Personnellement, je commence à élaborer un embryon de théorie. Si l’on revient à l’exemple précédent, il me semble que l’Âme Éthérée est semblable à l’anima alors que l’animus est proche de l’Esprit (le Shen du Cœur) et de l’Intellect (le Yi de la Rate). C’est pourquoi, lorsque l’animus d’une patiente est négatif, l’Âme Éthérée est entravée, et l’Esprit et l’Intellect fonctionnent sur un mode négatif plutôt que positif. Aussi, traiter le Foie (et donc l’Âme Éthérée), le Cœur (et donc l’Esprit) et la Rate (et donc l’Intellect) peut aider cette patiente à surmonter son animus négatif et à développer les côtés positifs de son Esprit et de son Intellect.


C’est, je l’admets, une simple supposition, mais l’expérience semble la confirmer. Ceci peut-il remplacer la psychothérapie ? Sûrement pas ! Nous ne pouvons véritablement surmonter notre souffrance mentale et émotionnelle qu’en engageant notre esprit dans la compréhension de nos tendances inconscientes ; personne ne peut le faire à notre place. Ainsi, je n’ai jamais envisagé la médecine chinoise comme pouvant se substituer à la psychothérapie.


En fait, l’association de la médecine chinoise et de la psychothérapie marche très bien. Toutes deux travaillent à l’unisson et la médecine chinoise peut permettre d’accélérer la psychothérapie. C’est quelque chose que j’ai souvent constaté. Les patients qui suivaient une psychothérapie m’ont toujours dit qu’après une séance de médecine chinoise, ils avaient de nombreux moments de plus grande lucidité qui leur permettaient d’avancer plus vite dans leur psychothérapie.


Il y a un texte intéressant de Xu Chun Fu (1570), qui aborde l’association du traitement par les plantes prescrit par un médecin et des incantations d’un shaman. Il dit qu’une faiblesse préexistante du Qi de la personne permet l’attaque d’un esprit malin, et il conseille d’associer le traitement par les plantes et les incantations d’un shaman dans un passage très intéressant qui est cité dans la Préface. Le fait qu’il recommande l’association d’un traitement par les plantes et les incantations d’un shaman est significatif ; il est tentant de remplacer le mot « exorciste » par celui de « psychothérapeute » et d’en déduire que Xu Chun Fu conseillait d’associer un traitement physique comme la prescription de plantes et une psychothérapie.


Cela ne veut pas dire que chaque patient doive s’engager dans une psychothérapie. Mais si celui-ci n’est pas prêt à le faire, la médecine chinoise peut grandement l’aider en soulageant sa souffrance psychique. Elle va aussi permettre au Qi de mieux circuler, à l’Esprit (Shen) et à l’Âme Éthérée (Hun) d’avoir des activités mieux coordonnées, à l’Âme Corporelle (Po), à l’Intellect (Yi) ou à la Volonté (Zhi) de susciter des changements psychologiques profonds.


C’est pourquoi, au cours des 10 dernières années, j’ai quelque peu modifié mon approche du traitement des troubles psychiques et émotionnels. Au fil du temps, j’en suis venu à penser que si le traitement des tableaux pathologiques était essentiel, traiter tout simplement l’Esprit, l’Âme Éthérée, l’Âme Corporelle, l’Intellect et la Volonté pouvait provoquer des changements psychologiques importants.


Autrement dit, bien que je procède toujours au diagnostic des tableaux pathologiques, je procède toujours aussi au diagnostic de la pathologie de l’Esprit (Shen), de l’Âme Éthérée (Hun) de l’Âme Corporelle (Po), de l’Intellect (Yi) et de la Volonté (Zhi). J’estime que lorsqu’on « nourrit » (au sens large du terme) ces cinq shen, cela apporte des changements psychiques et émotionnels profonds, indépendamment des tableaux pathologiques présents. Ceci s’applique surtout à l’acupuncture. J’ai tendance à utiliser l’acupuncture pour « nourrir » les cinq shen alors que je prescris plus volontiers des plantes pour traiter les tableaux pathologiques.


Par exemple, quel que soit le tableau pathologique impliqué, je vois la dépression comme une manifestation de l’insuffisance de mouvement de l’Âme Éthérée qui, lui-même, peut provenir d’un contrôle excessif exercé par l’Esprit sur cette dernière. Si le mouvement de l’Âme Éthérée est insuffisant en lui-même, je vais alors traiter le Foie et la Vésicule Biliaire ; si le mouvement de l’Âme Éthérée est insuffisant parce que l’Esprit le contrôle de façon excessive, je vais alors traiter le Foie, la Vésicule Biliaire et le Cœur.


Inversement, si une personne a un comportement légèrement maniaque, cela vient d’un mouvement excessif de l’Âme Éthérée, quel que soit le tableau pathologique impliqué, et je vais donc traiter le Foie. Dans l’autisme, il y aussi une insuffisance de mouvement de l’Âme Éthérée et une blessure de l’Esprit, et je vais donc traiter le Foie et le Cœur. Par contre, dans le TDAH, il y a un mouvement excessif de l’Âme Éthérée, un manque de contrôle de l’Esprit et une déficience de l’Intellect, et je vais donc traiter le Foie, le Cœur et la Rate.


Je n’utilise pas le terme « nourrir » le Shen nécessairement dans le sens spécifique de tonifier (en tant que méthode de traitement) mais simplement d’utiliser l’acupuncture pour agir sur l’Esprit, l’Âme Éthérée, l’Âme Corporelle, l’Intellect et la Volonté. Par exemple, c’est dans ce sens que je dis que C-7 Shenmen va « nourrir » l’Esprit même si, dans le cadre strict des actions des points, il peut drainer le Feu du Cœur ou nourrir le Sang du Cœur. Dans ces deux tableaux pathologiques, ce point va « nourrir » l’Esprit.


Comme je l’ai expliqué dans la Préface, ces 10 dernières années, je me suis absorbé dans l’étude de la philosophie de Confucius et des néoconfucianistes afin de voir l’influence qu’ils avaient exercée sur la médecine chinoise. J’en ai conclu qu’ils avaient eu une profonde influence sur la médecine chinoise, et plus particulièrement sur la façon dont elle considère les émotions. Comme je l’ai dit dans la Préface, le concept confucianiste de « moi » est dominé par la famille et la société et il est totalement différent du concept de « moi » que l’on a en Occident. De même, les trois grandes philosophies que l’on trouve en Chine, c’est-à-dire le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme, considèrent les émotions comme des facteurs qui obscurcissent l’Esprit.


Il est intéressant de constater qu’en tant que praticiens occidentaux, bien qu’ayant étudié la médecine chinoise, nous nous tournons vers la conception occidentale et non confucianiste du moi lorsque nous sommes confrontés à des perturbations émotionnelles profondes. Face à un patient dans un grand désarroi émotionnel, nous n’allons pas lui expliquer que les émotions « obscurcissent notre nature humaine » (comme le dit le confucianisme), et il vaut mieux ne pas le faire, pas plus que lui expliquer que les émotions nous détournent du Tao, la voie, (comme le prétend le taoïsme), ou que les émotions ne sont qu’illusion car le moi n’existe pas en soi (comme le veut le bouddhisme).


Nous n’essayons rien de tout cela mais nous disons à notre patient qu’il est normal de ressentir ces émotions, qu’il est bon de les exprimer, que leur expression même peut être cathartique, que ces émotions font partie de notre nature humaine. Instinctivement, nous conseillons donc ce patient en fonction de la conception occidentale et non confucianiste du moi.


Une autre question importante relative au traitement des troubles psychiques et émotionnels est comment intégrer notre traitement de médecine chinoise aux traitements médicamenteux occidentaux. De façon générale, malgré de grandes avancées dans l’approche pharmacologique des troubles psychiques et émotionnels, je considère, pour ma part, que le traitement par les neurotransmetteurs reste très rudimentaire.


Effectivement, l’utilisation de neurotransmetteurs (comme la sérotonine et la noradrénaline) pour traiter la dépression a maintenant au moins 30 ou 40 ans. Elle est donc à la traîne par rapport aux avancées que la neurophysiologie a connues ces 10 à 15 dernières années avec l’introduction de la TEP et de l’IRMf.


Les neurotransmetteurs sont les symptômes plutôt que la cause des déséquilibres psychiques et émotionnels. La neurophysiologie moderne le confirme et un grand nombre de nouvelles découvertes très stimulantes sont faites chaque semaine grâce à la PET et l’IRMf du cerveau.


Comme je l’ai dit dans le chapitre 14, les centres émotionnels du cerveau sont très complexes et interagissent sans cesse avec les centres corticaux. Penser que nous pourrions agir sur notre vie psychique et émotionnelle uniquement en manipulant un neurotransmetteur est une vision simpliste et mécanique.


Mais ceci dit, il y a des situations dans lesquelles l’utilisation d’antidépresseurs pour un temps court en cas de dépression grave est utile pour briser le cercle vicieux et la spirale de la dépression dans lesquels le patient se trouve. Entre parenthèses, je n’ai jamais constaté la moindre interaction négative entre les plantes chinoises et l’utilisation d’antidépresseurs, et il est évident qu’on peut associer les deux sans problème. Il en va de même pour l’acupuncture.


Au cours des 10 dernières années, j’ai concentré ma recherche sur trois axes qui m’ont offert une vision différente de la médecine chinoise et plus particulièrement de la façon dont la médecine chinoise voyait les émotions. Ces trois axes de recherche sont les émotions dans la philosophie occidentale, la philosophie des néoconfucianistes, et les émotions vues par les neurosciences modernes. J’ai été étonné de découvrir que pratiquement tous les philosophes occidentaux de Platon à Sartre, abordaient la question des émotions.


J’ai vite découvert que les Grecs de l’Antiquité avaient déjà une vision très sophistiquée des émotions, en comparaison de laquelle la vision qu’avait la médecine chinoise des émotions était très rudimentaire. Par exemple, Platon envisageait une âme composée de trois parties, dont une partie rationnelle (logistikon), une partie en relation avec le monde éternel (thumoeides) et une partie faite de désirs (epithumetikon). C’est cette vision qui a inspiré le concept de ça à Freud. Les anciens stoïciens ont élaboré des techniques très sophistiquées pour dompter les émotions ; ils sont les précurseurs de notre thérapie cognitive et comportementale moderne. Les stoïciens ont même conçu la musicothérapie pour les tout jeunes enfants afin de leur éviter des perturbations émotionnelles plus tard dans la vie.


Mon étude sur la vision des émotions par la philosophie occidentale et la neurophysiologie moderne m’a amené à comprendre que les émotions sont bien plus que de simples causes de la maladie comme les envisage la médecine chinoise. Bien loin d’obscurcir notre nature humaine comme le disent les néoconfucianistes, ce sont elles qui la définissent et qui donnent un sens à notre vie.


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May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 22: Épilogue : le rôle de la médecine chinoise dans les troubles de la psyché

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