CHAPITRE 8 TRAITEMENT DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
L’insuffisance cardiaque (IC) est un état pathologique dans lequel une anomalie de la fonction cardiaque est responsable de l’incapacité du cœur à assurer un débit circulatoire suffisant pour faire face aux besoins des différents organes en oxygène.
ÉPIDÉMIOLOGIE
La prévalence de l’IC est estimée entre 2 et 3 % au sein de la population européenne [1], ce qui en fait un véritable problème de santé publique. Il s’agit d’une maladie touchant principalement le sujet âgé dans la mesure où la prévalence et l’incidence augmentent fortement à partir de 75 ans [2]. Dans la tranche d’âge 70-80 ans, la prévalence se situe entre 10 et 20 % [3]. Dans les pays développés, l’âge moyen des patients atteints d’IC est de 75 ans.
En France, le nombre de décès en 2006 pour lesquels l’insuffisance cardiaque était notifiée comme cause initiale du décès s’élevait à 21 011 [2]. La quasi-totalité concernait des personnes âgées de 65 ans ou plus (96 %) : 35 % sont survenus entre 65 et 84 ans et 61,5 % chez des personnes de 85 ans ou plus. Malgré le vieillissement de la population française, le nombre de décès pour lesquels la cause initiale notifiée est l’IC a diminué de 23 % entre 1990 et 2006.
GÉNÉRALITES
Système rénine/angiotensine/aldostérone
L’angiotensine II exerce deux actions fondamentales :
– action vasoconstrictrice. Cette action repose sur une action directe sur les cellules musculaires lisses vasculaires. De plus, l’angiotensine II facilite la libération de noradrénaline par les terminaisons nerveuses sympathiques ;
– action directe au niveau de la zone glomérulée des cortico-surrénales pour stimuler la libération d’aldostérone.
Enfin, l’aldostérone est une hormone stéroïdienne synthétisée par les corticosurrénales. Son action s’exerce notamment au niveau rénal où elle stimule la réabsorption de Na+ (figure 8.1).
PHYSIOPATHOLOGIE
Les mécanismes de l’IC diffèrent selon la conservation ou l’altération de la fonction systolique.
L’insuffisance cardiaque comprend une évolution en deux phases : la phase compensée et la phase décompensée.
Phase compensée
Elle est caractérisée par des modifications typiques.
– Dilatation du cœur en réponse à la surcharge de volume représentée par le résidu post systolique qui augmente : application de la loi de Starling (les fibres plus longues ont une force de contraction plus grande).
– Hypertrophie du cœur en réponse à l’augmentation de la post charge (musculation cardiaque due aux fibres plus épaisses). À la différence d’un cœur sain dont la forme est conique, le cœur devient alors sphérique et de plus grosse taille (cardiomégalie).
– Augmentation de sécrétion de catécholamines en raison d’une hyperactivité sympathique et medullosurrénalienne. Il s’agit d’une conséquence de l’absence de stimulation des barorecepteurs de sinus carotidien et de la crosse aortique, par suite de la chute du débit cardiaque, situation qui inhibe de façon intense et prolongée l’arc baroreflexe. Cette sécrétion induit des effets chronotropes et inotropes positifs et stimule ainsi la contractilité du myocarde.
– Augmentation de l’extraction de l’oxygène par les divers tissus objectivée par l’augmentation de la différence artério-veineuse de la concentration sanguine d’oxygène. Cette augmentation compense le déficit d’irrigation tissulaire.
Le débit cardiaque est ainsi maintenu à un niveau normal ou subnormal.
Phase décompensée
– Les mécanismes de compensation ne parviennent plus à maintenir un débit cardiaque correct et à éviter l’augmentation du résidu sanguin postsystolique et l’augmentation de la pression télédiastolique intraventriculaire.
– À partir d’un certain degré d’élongation des fibres myocardiques, la loi de Starling est dépassée et l’efficacité de la contraction s’abaisse rapidement.
– L’hyperactivité sympathique est responsable d’une constriction du lit artériel, d’une augmentation des résistances périphériques, d’une aggravation de la détresse circulatoire et d’un surcroît de fatigue pour le cœur.
ASPECTS CLINIQUE ET SÉMIOLOGIQUE
L’IC est un syndrome qui se définit par l’association :
– de nombreux signes cliniques non spécifiques dont la survenue plus ou moins brutale peut signer une aggravation de la maladie : dyspnée au repos ou à l’effort, fatigue, œdèmes prenant le godet, signes de rétention hydrique (congestion pulmonaire, œdèmes), hépatomégalie ;
– d’une preuve objective d’une dysfonction cardiaque principalement apportée par une échographie cardiaque.
Signes de décompensation
Les principaux signes sont les suivants :
– œdèmes massifs des jambes, du foie et du réseau veineux (turgescence jugulaire) ;
– galop du cœur en rapport avec une fuite des valves ;
Classification
Il existe plusieurs classifications de l’insuffisance cardiaque.
IC gauche, droite, globale
L’IC globale correspond enfin à l’association d’une insuffisance ventriculaire gauche et droite.
IC aiguë ou chronique
Les patients avec une IC aiguë vont présenter un de ces tableaux cliniques suivants :
– décompensation d’une IC chronique (congestion, œdème périphérique) ;
– œdème pulmonaire (détresse respiratoire sévère, tachypnée, orthopnée, râles, saturation en oxygène < 90 %) ;
– IC hypertensive (symptômes et signes cliniques d’IC accompagnés d’une hypertension et la plupart du temps avec une fonction systolique préservée) ;
– choc cardiogénique (hypoperfusion caractérisée par une réduction de la pression systolique, l’absence ou très peu d’urines – diurèse < 0,5 mL/kg/h) ;
– IC droite isolée (augmentation pression jugulaire, avec ou sans hépatomégalie) ;
IC systolique ou diastolique
L’origine du dysfonctionnement diastolique est fréquemment une hypertrophie ventriculaire gauche (suite à une hypertension artérielle, une ischémie myocardique, un rétrécissement aortique, etc.), une ischémie myocardique ou une maladie infiltrante. L’insuffisance cardiaque diastolique peut être aiguë ou chronique (tableau 8.1).
Facteurs déclenchants une décompensation de l’IC
Les facteurs déclenchant une IC aiguë sont ceux qui ont un impact sur la physiopathologie de l’IC :
– inobservance du traitement (régime hyposodé ou traitement médicamenteux) ;
– grippe, infection broncho-pulmonaire ;
– arythmie cardiaque de type fibrillation auriculaire (AC/FA) ;
– poussée d’hypertension artérielle ;
– prise de comprimés effervescents (sels) ;
– utilisation de certains médicaments : inotropes négatifs (inhibiteurs calciques, antiarythmiques).
Les résultats préliminaires communiqués par l’Observatoire National de l’Insuffisance Cardiaque Aiguë (OFICA) en 2010 ont rapporté que les principaux facteurs déclenchants une IC aiguë étaient les infections et les arythmies [4], l’inobservance au traitement représentant plus de 1 % des causes de décompensation.
Étiologies – Facteurs de risques
La survenue d’une insuffisance cardiaque est potentiellement multifactorielle et les principales étiologies sont les suivantes (figure 8.2) :
– les myocardiopathies dilatées ;
– les myocardiopathies hypertrophiques ;
– les valvulopathies (prédominance des valvulopathies dégénératives) ;
– les pathologies neuro-musculaires et métaboliques ;
– les troubles du rythme supraventriculaires ou ventriculaires.
Les principaux facteurs de risques sont communs aux pathologies cardiovasculaires :
Diagnostic et classification
– classe NYHA I : pas de limitation ; les efforts physiques habituels ne provoquent pas de fatigue, dyspnée ou palpitations habituelles ;
– classe NYHA II : il existe une petite limitation des capacités physiques ; le patient n’a pas de symptômes au repos mais des efforts normaux provoquent fatigue, palpitations ou dyspnée ;
– classe NYHA III : il existe une limitation évidente de la capacité d’effort ; le patient se sent toujours bien au repos mais un effort minime provoque déjà des symptômes ;
– classe NYHA IV : le patient ne peut plus effectuer un effort sans éprouver de symptômes ; les symptômes de l’IC sont déjà présents au repos et s’aggravent au moindre effort.
CLASSIFICATION DES MÉDICAMENTS UTILISABLES ET MÉCANISME D’ACTION
Autres médicaments
Ivabradine
Elle agit en réduisant la fréquence cardiaque par inhibition sélective et spécifique du courant pacemaker if qui contrôle la dépolarisation diastolique spontanée au niveau du nœud sinusal et régule la fréquence cardiaque. Ces effets cardiaques sont spécifiques du nœud sinusal, sans effet sur les temps de conduction intra-auriculaires, auriculo-ventriculaire ou intraventriculaires, sur la contractilité myocardique ou sur la repolarisation ventriculaire.
Les données d’efficacité de l’ivabradine seront présentées dans la partie suivante.
Inhibiteurs calciques
Sur le plan physiopathologique, les inhibiteurs calciques pourraient présenter un double intérêt :
– un effet vasodilatateur réduisant les conditions de charge du myocarde ;
– un effet anticalcique cardiaque direct réduisant la surcharge calcique intracellulaire et pouvant jouer un rôle délétère à long terme sur les fibres musculaires myocardiques.
Nous verrons cependant que leur place dans la stratégie est très limitée.
Hétérosides cardiotoniques
– une action inotrope positive qui permet l’adaptation de la contraction du myocarde à l’effort. Cette action est utilisée depuis de nombreuses années mais n’a été expliquée que récemment. La contractilité serait renforcée par une augmentation du calcium intracellulaire par inhibition de la pompe Na+ K+ ATPase membranaire ;
– une action chronotrope négative : ils réduisent le rythme cardiaque par un mécanisme nerveux et hémodynamique ;
– une action dromotrope négative : ils entraînent un ralentissement de la conduction ;
– une action bathmotrope positive : ils augmentent l’automatisme dans les oreillettes, les ventricules et le tissu de Purkinje. De ce fait, ils peuvent entraîner une fibrillation irréversible.
CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE (INSUFFISANCE CARDIAQUE CHRONIQUE)
Objectifs thérapeutiques
Les objectifs de la prise en charge du patient insuffisant cardiaque sont de trois ordres :
– pronostique afin de réduire la mortalité ;
– d’amélioration de la morbidité pour ainsi diminuer les symptômes cliniques, augmenter la qualité de vie et la capacité à l’exercice physique, diminuer les œdèmes et la rétention liquidienne, réduire la fatigue, la dyspnée et la fréquence d’hospitalisation ;
– préventif et diminuer ainsi l’incidence des hospitalisations, de la survenue de complications ou d’aggravation myocardique et de décompensation cardiaque.
Référentiels scientifiques
Cette présentation se base essentiellement sur les recommandations actuellement en vigueur de la Société Européenne de Cardiologie en se limitant aux médicaments commercialisés en France [1].
Insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection ventriculaire abaissée
Traitements médicamenteux spécifiques
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion
Le bénéfice des IEC est prouvé en termes de réduction de la mortalité globale, de la mortalité cardio-vasculaire, par insuffisance cardiaque et par mort subite, quel que soit le stade d’IC selon la classification NYHA. Ce bénéfice est étayé par des essais cliniques de haut niveau de preuve (études SOLVD [5, 6], V-Heft II [7], Consensus [8]). Ils réduisent également la mortalité et le passage à l’IC clinique s’ils sont rapidement administrés chez les sujets en post-infarctus présentant un dysfonctionnement ventriculaire gauche asymptomatique ou une IC transitoire (SAVE [9]). Enfin, ils réduisent l’incidence des hospitalisations non programmées pour aggravation de l’insuffisance cardiaque.
Antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II (ARA II)
Leur bénéfice est prouvé sur la fonction ventriculaire, le confort du patient et sur la réduction des admissions à l’hôpital pour aggravation de l’IC. Ils produisent une réduction des symptômes d’IC et une augmentation de la tolérance à l’effort. Selon l’étude ELITE II visant des patients IC symptomatiques de classe II-III, le losartan ne modifie pas le risque relatif de décès toutes causes par rapport au captopril ; le nombre de patients ayant interrompu l’étude en raison d’un effet indésirable est cependant moindre dans le groupe losartan [10].
Selon la méta-analyse de Lee et al. [11], les essais réalisés dans l’IC mettent en évidence une réduction significative de la mortalité totale (RR : 0,83 ; IC 95 % : 0,69-1,00) et du risque d’hospitalisation pour IC (RR : 0,64 ; IC 95 % : 0,53-0,78) des patients sous ARAII. Dans les mêmes essais, les ARA II ne sont ni supérieurs, ni inférieurs aux IEC pour diminuer la mortalité toutes causes ou le risque d’hospitalisation pour aggravation de l’IC. De fait, les ARA II constituent une alternative en cas d’intolérance aux IEC (valsartan/étude VALIANT [12]) ou un complément aux IEC (candesartan/étude CHARM-added [13]), en opérant cependant une surveillance stricte clinique, rénale et de la kaliémie et en veillant à l’hydratation du patient.
Bêtabloquants
Le carvedilol réduit de 65 % le risque de décès et de 27 % le risque d’hospitalisation pour cause cardiovasculaire chez les patients dont l’IC est déjà traitée de façon optimale avec un diurétique, un IEC, un digitalique et éventuellement un vasodilatateur d’action directe (US Carvedilol Herat Failure Study [14]). Les études CAPRICORN [15] et COPERNICUS [16] mettent en évidence l’intérêt du carvedilol dans le post-infarctus avec dysfonction du VG, avec ou sans manifestations cliniques d’IC et dans l’IC sévère.
L’étude CIBIS II [17] a également montré que le bisoprolol, administré chez les IC de stade III et IV en association à un IEC et à un diurétique, réduisait la mortalité de 32 %, le nombre d’hospitalisations, toutes causes confondues, de 15 %. Une analyse par sous-groupe de ces données met en évidence qu’une plus forte posologie (10 mg/j VS 5 ou 7,5 mg/j) est associée à un meilleur pronostic [18].
L’étude MERIT-HF a mis en évidence l’efficacité du métoprolol sur la mortalité, en association avec le traitement conventionnel (IEC-diurétiques ± digitalique) dans le traitement de l’IC chronique de niveaux II à IV [19].
Plus récemment, l’essai SENIORS met en évidence l’impact du nébivolol chez la personne âgée insuffisante cardiaque (> 70 ans) en termes de réduction des décès pour cause cardiovasculaire [20].
Diurétiques
L’étude RALES [21] a montré l’intérêt d’associer la spironolactone aux autres traitements classiques (IEC à dose optimale et diurétique à dose minimale) dans l’IC chronique sévère (stades III et IV) à fonction rénale peu ou pas altérée. L’éplérénone, antagoniste sélectif de l’aldostérone, est indiquée en complément des traitements standards chez les patients stables avec FEVG ≤ 40 %, en post-infarctus compliqué d’une dysfonctionnement ventriculaire gauche symptomatique. Dans ce cadre, l’adjonction d’eplerenone aux traitements conventionnels permet de réduire la morbimortalité de manière significative (étude EPHESUS [22]).
Récemment, l’étude EMPHASIS HF a montré un bénéfice à l’utilisation de l’éplérenone à la posologie de 50 mg par jour dans l’IC systolique avec symptômes modérés (NYHA II) en réduisant de 37 % par rapport au placebo l’incidence des décès cardio-vasculaires et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque [23]. Il n’existe cependant à ce jour pas d’indication dans cette situation.
Ivabradine
L’ivabradine, initialement indiqué dans l’angor stable chronique, a montré son efficacité dans le cadre de l’étude SHIFT portant sur des patients avec IC chronique et avec une fraction d’éjection inférieure ou égale à 35 % [24]. Par rapport au placebo, il a été rapporté une réduction de l’incidence des décès d’origine cardio-vasculaire et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Cette étude a permis à la spécialité PROCORALAN d’obtenir fin 2011 une extension de son autorisation de mise sur le marché chez les patients avec IC de classe NYHA de II à IV.
Le positionnement de cette spécialité dans le cadre des recommandations de pratique reste à définir.