CHAPITRE 8 TRAITEMENT DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
L’insuffisance cardiaque (IC) est un état pathologique dans lequel une anomalie de la fonction cardiaque est responsable de l’incapacité du cœur à assurer un débit circulatoire suffisant pour faire face aux besoins des différents organes en oxygène.
ÉPIDÉMIOLOGIE
La prévalence de l’IC est estimée entre 2 et 3 % au sein de la population européenne [1], ce qui en fait un véritable problème de santé publique. Il s’agit d’une maladie touchant principalement le sujet âgé dans la mesure où la prévalence et l’incidence augmentent fortement à partir de 75 ans [2]. Dans la tranche d’âge 70-80 ans, la prévalence se situe entre 10 et 20 % [3]. Dans les pays développés, l’âge moyen des patients atteints d’IC est de 75 ans.
L’augmentation de la prévalence dans la population générale s’explique par plusieurs facteurs, en particulier le vieillissement de la population, les traitements mis en place pour augmenter la survie des patients souffrant d’événements coronaires, le succès de la prévention chez les patients à haut risque et enfin la prévention secondaire chez les patients ayant déjà eu un premier événement cardiaque.
En France, le nombre de décès en 2006 pour lesquels l’insuffisance cardiaque était notifiée comme cause initiale du décès s’élevait à 21 011 [2]. La quasi-totalité concernait des personnes âgées de 65 ans ou plus (96 %) : 35 % sont survenus entre 65 et 84 ans et 61,5 % chez des personnes de 85 ans ou plus. Malgré le vieillissement de la population française, le nombre de décès pour lesquels la cause initiale notifiée est l’IC a diminué de 23 % entre 1990 et 2006.
GÉNÉRALITES
Quelques rappels physiologiques sur le fonctionnement cardiaque sont exposés avant d’appréhender le processus physio-pathologique de l’insuffisance cardiaque.
Circulation sanguine
Le cœur, véritable double pompe (cœur droit et cœur gauche), assure la circulation sanguine pulmonaire (petite circulation) et systémique (grande circulation).
Le sang oxygéné venant des veines pulmonaires (au nombre de 4) arrive dans l’oreillette gauche (OG) puis, à travers la valve mitrale, se déverse dans le ventricule gauche (VG). Celui-ci est ensuite propulsé à travers la valve aortique pour être distribué aux organes. Le retour du sang veineux au cœur se fait par le cœur droit à travers la veine cave supérieure et inférieure. Il y a ensuite un passage du sang de l’oreillette droite (OD) au ventricule droit (VD) à travers la valve tricuspide puis éjection par la valve pulmonaire en direction des poumons.
Pré-charge et post-charge
La pré-charge caractérise les conditions de remplissage des ventricules et correspond ainsi à la performance diastolique. La post-charge représente la force que doit vaincre le myocarde pour éjecter le sang, ce qui correspond ainsi à la performance systolique.
Système rénine/angiotensine/aldostérone
La rénine est une enzyme protéolytique sécrétée par les cellules granuleuses de l’artériole glomérulaire afférente situées au niveau de l’appareil juxta glomérulaire. Elle agit sur l’angiotensinogène pour la transformer en angiotensine I (déca-peptide inactif). Sous l’action de l’enzyme de conversion, l’angiotensine I est transformée en angiotensine II (octapeptide actif).
L’angiotensine II exerce deux actions fondamentales :
– action vasoconstrictrice. Cette action repose sur une action directe sur les cellules musculaires lisses vasculaires. De plus, l’angiotensine II facilite la libération de noradrénaline par les terminaisons nerveuses sympathiques ;
– action directe au niveau de la zone glomérulée des cortico-surrénales pour stimuler la libération d’aldostérone.
Enfin, l’aldostérone est une hormone stéroïdienne synthétisée par les corticosurrénales. Son action s’exerce notamment au niveau rénal où elle stimule la réabsorption de Na+ (figure 8.1).
PHYSIOPATHOLOGIE
Les mécanismes de l’IC diffèrent selon la conservation ou l’altération de la fonction systolique.
Dans la majorité des cas, l’IC présente une altération de la fonction systolique. Les mécanismes sont alors soit une surcharge mécanique du ventricule, soit une diminution de la contractilité. La surcharge du ventricule peut être causée par une augmentation du travail du ventricule à éjecter le sang (fuites valvulaires) ou par une gêne lors de l’éjection (hypertension artérielle, rétrécissement aortique). La diminution de la contractilité peut être d’origine primaire (cardiopathies dilatées) ou secondaire (infarctus, toxique, myocardite …).
Dans le reste des cas, l’IC présente une fonction systolique préservée. Le mécanisme fait intervenir une gêne au remplissage ventriculaire par un obstacle lors de l’écoulement intracardiaque (infarctus du myocarde, hypertrophie myocardique).
Il existe aussi des insuffisances cardiaques dites à débit élevé dans la mesure où l’élévation permanente du débit est la cause (et non la conséquence) de la défaillance cardiaque par épuisement du muscle pour assumer un tel débit.
L’insuffisance cardiaque comprend une évolution en deux phases : la phase compensée et la phase décompensée.
Phase compensée
Elle est caractérisée par des modifications typiques.
– Dilatation du cœur en réponse à la surcharge de volume représentée par le résidu post systolique qui augmente : application de la loi de Starling (les fibres plus longues ont une force de contraction plus grande).
– Hypertrophie du cœur en réponse à l’augmentation de la post charge (musculation cardiaque due aux fibres plus épaisses). À la différence d’un cœur sain dont la forme est conique, le cœur devient alors sphérique et de plus grosse taille (cardiomégalie).
– Augmentation de sécrétion de catécholamines en raison d’une hyperactivité sympathique et medullosurrénalienne. Il s’agit d’une conséquence de l’absence de stimulation des barorecepteurs de sinus carotidien et de la crosse aortique, par suite de la chute du débit cardiaque, situation qui inhibe de façon intense et prolongée l’arc baroreflexe. Cette sécrétion induit des effets chronotropes et inotropes positifs et stimule ainsi la contractilité du myocarde.
– Augmentation de l’extraction de l’oxygène par les divers tissus objectivée par l’augmentation de la différence artério-veineuse de la concentration sanguine d’oxygène. Cette augmentation compense le déficit d’irrigation tissulaire.
Le débit cardiaque est ainsi maintenu à un niveau normal ou subnormal.
Phase décompensée
– Les mécanismes de compensation ne parviennent plus à maintenir un débit cardiaque correct et à éviter l’augmentation du résidu sanguin postsystolique et l’augmentation de la pression télédiastolique intraventriculaire.
– À partir d’un certain degré d’élongation des fibres myocardiques, la loi de Starling est dépassée et l’efficacité de la contraction s’abaisse rapidement.
– L’hyperactivité sympathique est responsable d’une constriction du lit artériel, d’une augmentation des résistances périphériques, d’une aggravation de la détresse circulatoire et d’un surcroît de fatigue pour le cœur.
L’hyperactivité sympathique et la chute du débit sanguin rénal se conjuguent pour entraîner une stimulation intense du système rénine-angiotensine-aldostérone, une forte vasoconstriction donc une augmentation de la post charge et de la pré charge, une abondante rétention hydrosodée donc une augmentation de la volémie (qui aggrave la surcharge pour le cœur) et de la natrémie (plus forte réactivité à l’action des agents presseurs).
L’augmentation de la pression veineuse entraîne ainsi une stase sanguine (petite et/ou grande circulation), des œdèmes au niveau des poumons et ou au sein des milieux interstitiels et une symptomatologie typique de l’IC.
ASPECTS CLINIQUE ET SÉMIOLOGIQUE
L’IC est un syndrome qui se définit par l’association :
– de nombreux signes cliniques non spécifiques dont la survenue plus ou moins brutale peut signer une aggravation de la maladie : dyspnée au repos ou à l’effort, fatigue, œdèmes prenant le godet, signes de rétention hydrique (congestion pulmonaire, œdèmes), hépatomégalie ;
– d’une preuve objective d’une dysfonction cardiaque principalement apportée par une échographie cardiaque.
Signes de décompensation
Les principaux signes sont les suivants :
– œdèmes massifs des jambes, du foie et du réseau veineux (turgescence jugulaire) ;
– galop du cœur en rapport avec une fuite des valves ;
Les autres signes de décompensation sont notamment la survenue d’une tachycardie, d’une cyanose d’une oligurie, d’une ascite ou encore d’une thrombose veineuse (liée à la stase).
Classification
Il existe plusieurs classifications de l’insuffisance cardiaque.
IC gauche, droite, globale
L’IC gauche représente la forme la plus fréquente d’IC. Elle est due le plus souvent à une insuffisance ventriculaire gauche définit par une incapacité du ventricule gauche à assurer un débit systémique suffisant pour couvrir les besoins métaboliques et fonctionnels de l’organisme. Elle provient essentiellement d’une congestion veineuse pulmonaire expliquant les principaux symptômes associés (râles crépitants pulmonaires et tachycardie).
L’IC droite se définit par une incapacité du ventricule droit à éjecter le sang veineux de la circulation systémique dans la circulation pulmonaire. Elle provient essentiellement d’une congestion veineuse systémique. Elle est, soit directement liée à une cardiomyopathie droite, soit, plus fréquemment, secondaire à une hypertension artérielle pulmonaire (maladie pulmonaire ou insuffisance cardiaque gauche).
L’IC globale correspond enfin à l’association d’une insuffisance ventriculaire gauche et droite.
IC aiguë ou chronique
L’IC aiguë se manifeste lorsque les mécanismes d’adaptation ne sont pas mis en place (infarctus du myocarde, bloc auriculo-ventriculaire…). C’est une IC d’apparition récente et brutale ou une décompensation d’IC chronique avec des signes de congestion pulmonaire ou périphérique.
Les patients avec une IC aiguë vont présenter un de ces tableaux cliniques suivants :
– décompensation d’une IC chronique (congestion, œdème périphérique) ;
– œdème pulmonaire (détresse respiratoire sévère, tachypnée, orthopnée, râles, saturation en oxygène < 90 %) ;
– IC hypertensive (symptômes et signes cliniques d’IC accompagnés d’une hypertension et la plupart du temps avec une fonction systolique préservée) ;
– choc cardiogénique (hypoperfusion caractérisée par une réduction de la pression systolique, l’absence ou très peu d’urines – diurèse < 0,5 mL/kg/h) ;
– IC droite isolée (augmentation pression jugulaire, avec ou sans hépatomégalie) ;
L’IC chronique peut être longtemps bien tolérée grâce aux mécanismes d’adaptation. Les symptômes sont présents en permanence. Des facteurs surajoutés peuvent déclencher une décompensation aiguë (infection, trouble du rythme, arrêt de traitement…).
IC de bas débit ou de haut débit
L’IC de bas débit présente une baisse de débit cardiaque au repos ou à l’effort. C’est le cas de la plupart des formes de cardiopathies (congénitales, valvulaires, hypertensives, coronarienne, cardiomyopathie).
Cependant, un certains nombre d’affections sont responsables d’IC à haut débit : thrétoxicose, fistule artério-veineuse, Béri béri, septicémie, maladie de Paget. Dans ce cas là, l’IC n’est pas due à une anomalie cardiaque et peut être réversible avec un traitement adéquate.
IC systolique ou diastolique
L’insuffisance cardiaque présentant une altération de la fonction systolique est la forme la plus représentée (60 % des IC symptomatiques). Elle se manifeste lorsque la capacité de vidange est incorrecte. Le cœur envoie alors difficilement le sang jusqu’aux organes. L’IC systolique peut être aiguë, soit avec une pression artérielle conservée (œdème aigu du poumon), soit avec une pression artérielle effondrée (choc cardiogénique) ou enfin peut être chronique.
Certains patients présentent un tableau d’insuffisance cardiaque diastolique, à fonction systolique préservée. Ce syndrome associe des symptômes d’IC (au repos ou à l’effort), présents et retrouvés dans les antécédents objectivés par une poussée d’IC aiguë congestive (sous forme d’oedème pulmonaire) ; un signe objectif (parmi ECG, radiographie, échographie, peptide natriurétique BNP) de dysfonction cardiaque au repos, avec une fonction systolique préservée ou modérément altérée (FEVG > 45-50 %) et enfin une réponse au traitement pharmacologique de l’IC lorsque le diagnostic est en doute. Il s’agit d’une anomalie de remplissage du ventricule par difficulté du cœur à se relâcher suffisamment.
L’origine du dysfonctionnement diastolique est fréquemment une hypertrophie ventriculaire gauche (suite à une hypertension artérielle, une ischémie myocardique, un rétrécissement aortique, etc.), une ischémie myocardique ou une maladie infiltrante. L’insuffisance cardiaque diastolique peut être aiguë ou chronique (tableau 8.1).
Facteurs déclenchants une décompensation de l’IC
Les facteurs déclenchant une IC aiguë sont ceux qui ont un impact sur la physiopathologie de l’IC :
– inobservance du traitement (régime hyposodé ou traitement médicamenteux) ;
– grippe, infection broncho-pulmonaire ;
– arythmie cardiaque de type fibrillation auriculaire (AC/FA) ;
– poussée d’hypertension artérielle ;
– prise de comprimés effervescents (sels) ;
– utilisation de certains médicaments : inotropes négatifs (inhibiteurs calciques, antiarythmiques).
Les résultats préliminaires communiqués par l’Observatoire National de l’Insuffisance Cardiaque Aiguë (OFICA) en 2010 ont rapporté que les principaux facteurs déclenchants une IC aiguë étaient les infections et les arythmies [4], l’inobservance au traitement représentant plus de 1 % des causes de décompensation.
Étiologies – Facteurs de risques
La survenue d’une insuffisance cardiaque est potentiellement multifactorielle et les principales étiologies sont les suivantes (figure 8.2) :
– les myocardiopathies dilatées ;
– les myocardiopathies hypertrophiques ;
– les valvulopathies (prédominance des valvulopathies dégénératives) ;
– les pathologies neuro-musculaires et métaboliques ;
– les troubles du rythme supraventriculaires ou ventriculaires.
Les principaux facteurs de risques sont communs aux pathologies cardiovasculaires :
Diagnostic et classification
Selon la définition de la Société européenne de cardiologie, le diagnostic d’une insuffisance cardiaque est principalement porté devant la présence de signes cliniques et devant une preuve objective (de préférence écho-cardiographique) d’une dysfonction cardiaque, systolique ou diastolique.
Le tableau clinique d’insuffisance cardiaque, principalement marquée par la survenue d’une dyspnée fait l’objet d’une évaluation fonctionnelle utilisée en routine correspondant à la classe NYHA (New York Heart Association). Cette classification permet en pratique d’estimer la sévérité de l’IC chronique en fonction des symptômes et des capacités physiques du patient. Les quatre grades décrits sont les suivants :
– classe NYHA I : pas de limitation ; les efforts physiques habituels ne provoquent pas de fatigue, dyspnée ou palpitations habituelles ;
– classe NYHA II : il existe une petite limitation des capacités physiques ; le patient n’a pas de symptômes au repos mais des efforts normaux provoquent fatigue, palpitations ou dyspnée ;
– classe NYHA III : il existe une limitation évidente de la capacité d’effort ; le patient se sent toujours bien au repos mais un effort minime provoque déjà des symptômes ;
– classe NYHA IV : le patient ne peut plus effectuer un effort sans éprouver de symptômes ; les symptômes de l’IC sont déjà présents au repos et s’aggravent au moindre effort.
L’examen écho-cardiographique permet d’apporter des preuves objectives de la dysfonction cardiaque. Parmi les différents paramètres évalués, on retiendra principalement la mesure de la FEVG qui permet une classification anatomique de l’IC en quatre stades :
Le diagnostic comprend également un versant biologique avec la recherche d’une anémie, d’origine multifactorielle et fréquemment retrouvée chez les patients avec IC, l’évaluation de la clairance à la créatinine ou encore le dosage des marqueurs BNP (Brain Natriuretic Peptide) et du pro-BNP, peptide natriurétique sécrété par les ventricules en cas de surcharge volumique.
CLASSIFICATION DES MÉDICAMENTS UTILISABLES ET MÉCANISME D’ACTION
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion
L’enzyme de conversion est l’enzyme responsable de la synthèse d’angiotensine II, hormone à propriétés vasoconstrictrices puissantes, ainsi que de la dégradation de la bradykinine, à propriétés vasodilatatrices.
Le blocage de cette enzyme entraîne un double effet vasodilatateur : réduction du taux d’angiotensine II et augmentation du taux de bradykinine.
Les IEC agissent en déchargeant le cœur par la diminution de l’effet vasoconstricteur de l’angiotensine II, la diminution de la rétention sodée par l’aldostérone et par inhibition des phénomènes de remodelage liés aux effets directs de l’angiotensine II et de l’aldostérone sur le myocarde.
Les conséquences hémodynamiques sont les suivantes :
Antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II (ARA II)
L’angiotensine II est la principale hormone vaso-active du système rénine-angiotensine-aldostérone qui joue un rôle essentiel dans la physiopathologie de l’insuffisance cardiaque. Les effets physiologiques majeurs de l’angiotensine II tels que la vasoconstriction, la stimulation d’aldostérone, la régulation de l’homéostase hydrosodée et la stimulation de la croissance cellulaire s’exercent par l’intermédiaire du récepteur de type 1 (AT1).
L’antagonisme des récepteurs de l’angiotensine II (AT1) se traduit par une augmentation dose-dépendante des taux plasmatiques de rénine, d’angiotensine I et d’angiotensine II et par une diminution de la concentration plasmatique d’aldostérone et induit par conséquent un effet vasodilatateur.
Les conséquences hémodynamiques liées à l’utilisation des ARA II sont donc comparables à celles induites par les IEC.
Bêtabloquants
Les bêtabloquants ont été jusqu’au début des années 2000 contre-indiqués dans l’IC non contrôlée. Cette recommandation reposait sur le principe simple que tout agent inotrope négatif était susceptible de diminuer la force contractile du myocarde et, de ce fait, était délétère pour les patients souffrant d’IC. Depuis, une recherche clinique de grande ampleur a été développée sur l’utilisation des bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque.
Il est aujourd’hui montré que les bêtabloquants induisent une diminution des pré- et post-charges ventriculaires, une augmentation de la fraction d’éjection et une diminution de la taille du ventricule gauche.
Diurétiques
L’efficacité des diurétiques dans le traitement de l’IC est liée à la réduction de la rétention d’eau et de sel diminuant ainsi les symptômes de congestion et les œdèmes périphériques. Il existe cinq classes de diurétique : les diurétiques osmotiques (mannitol) et les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (acetazolamide, diclofenamide) n’ont pas d’indication dans le traitement de l’IC.
Les trois autres classes sont utilisées dans l’IC avec principalement les diurétiques de l’anse et les épargneurs potassiques. Tous les diurétiques sont efficaces dans le traitement de l’IC mais leur puissance d’action peut différer. Les diurétiques de l’anse sont préférentiellement utilisés car ils sont plus puissants et demeurent efficaces même en cas de filtration glomérulaire réduite. Les diurétiques thiazidiques peuvent également être utilisés mais doivent être réservés aux IC modérées.
Autres médicaments
Ivabradine
Elle agit en réduisant la fréquence cardiaque par inhibition sélective et spécifique du courant pacemaker if qui contrôle la dépolarisation diastolique spontanée au niveau du nœud sinusal et régule la fréquence cardiaque. Ces effets cardiaques sont spécifiques du nœud sinusal, sans effet sur les temps de conduction intra-auriculaires, auriculo-ventriculaire ou intraventriculaires, sur la contractilité myocardique ou sur la repolarisation ventriculaire.
Les données d’efficacité de l’ivabradine seront présentées dans la partie suivante.
Inhibiteurs calciques
Sur le plan physiopathologique, les inhibiteurs calciques pourraient présenter un double intérêt :
– un effet vasodilatateur réduisant les conditions de charge du myocarde ;
– un effet anticalcique cardiaque direct réduisant la surcharge calcique intracellulaire et pouvant jouer un rôle délétère à long terme sur les fibres musculaires myocardiques.
Nous verrons cependant que leur place dans la stratégie est très limitée.
Vasodilatateurs musculotropes (dihydralazine, hydralazine)
Ils agissent préférentiellement sur le système artériel et ne sont plus aujourd’hui utilisables dans l’insuffisance cardiaque.
Dérivés nitrés
Ils se transforment en oxyde nitrique NO et entraînent une relaxation des fibres musculaires lisses, préférentiellement au niveau de la circulation veineuse. Ils peuvent, de ce fait, avoir un effet bénéfique sur la vasoconstriction veineuse, lié à l’activation des systèmes neurohormonaux observée lors de l’IC.
À fortes doses apparaît une vasodilatation artérielle et artériolaire, entraînant une baisse des résistances artérielles systémiques et donc de la postcharge.
Hétérosides cardiotoniques
Les hétérosides ou glycosides cardiotoniques sont composés d’une génine ou aglycone liée à un ou plusieurs sucres. Les différents hétérosides cardiotoniques ne diffèrent que par leur pharmacocinétique. Leur activité est similaire et comprend :
– une action inotrope positive qui permet l’adaptation de la contraction du myocarde à l’effort. Cette action est utilisée depuis de nombreuses années mais n’a été expliquée que récemment. La contractilité serait renforcée par une augmentation du calcium intracellulaire par inhibition de la pompe Na+ K+ ATPase membranaire ;
– une action chronotrope négative : ils réduisent le rythme cardiaque par un mécanisme nerveux et hémodynamique ;
– une action dromotrope négative : ils entraînent un ralentissement de la conduction ;
– une action bathmotrope positive : ils augmentent l’automatisme dans les oreillettes, les ventricules et le tissu de Purkinje. De ce fait, ils peuvent entraîner une fibrillation irréversible.
CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE (INSUFFISANCE CARDIAQUE CHRONIQUE)
Objectifs thérapeutiques
Les objectifs de la prise en charge du patient insuffisant cardiaque sont de trois ordres :
– pronostique afin de réduire la mortalité ;
– d’amélioration de la morbidité pour ainsi diminuer les symptômes cliniques, augmenter la qualité de vie et la capacité à l’exercice physique, diminuer les œdèmes et la rétention liquidienne, réduire la fatigue, la dyspnée et la fréquence d’hospitalisation ;
– préventif et diminuer ainsi l’incidence des hospitalisations, de la survenue de complications ou d’aggravation myocardique et de décompensation cardiaque.
Ces objectifs peuvent être partiellement ou totalement atteints par la combinaison de mesures non pharmacologiques et de traitements médicamenteux.
Référentiels scientifiques
Les traitements médicamenteux sont présentés ci-après en distinguant les traitements spécifiques à visée cardio-vasculaire et les traitements médicamenteux dits non spécifiques.
Cette présentation se base essentiellement sur les recommandations actuellement en vigueur de la Société Européenne de Cardiologie en se limitant aux médicaments commercialisés en France [1].
Insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection ventriculaire abaissée
Traitements médicamenteux spécifiques
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion
Sauf contre-indication ou intolérance, les IEC sont recommandés chez tout patient avec IC symptomatique et une FEV ≤ 40 %.
Le bénéfice des IEC est prouvé en termes de réduction de la mortalité globale, de la mortalité cardio-vasculaire, par insuffisance cardiaque et par mort subite, quel que soit le stade d’IC selon la classification NYHA. Ce bénéfice est étayé par des essais cliniques de haut niveau de preuve (études SOLVD [5, 6], V-Heft II [7], Consensus [8]). Ils réduisent également la mortalité et le passage à l’IC clinique s’ils sont rapidement administrés chez les sujets en post-infarctus présentant un dysfonctionnement ventriculaire gauche asymptomatique ou une IC transitoire (SAVE [9]). Enfin, ils réduisent l’incidence des hospitalisations non programmées pour aggravation de l’insuffisance cardiaque.
À l’heure actuelle, dans le traitement de l’IC chronique, 9 IEC disposent d’une autorisation de mise sur le marché : captopril, cizalapril, énalapril, fosinopril, lisinopril, périndopril, quinapril, ramipril et trandolapril.
Antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II (ARA II)
Sauf contre-indication ou intolérance, les ARA II sont recommandés chez tout patient avec IC restant symptomatique et avec une FEV ≤ 40 % malgré un traitement bien conduit par IEC et bêtabloquant, sauf si les patients sont déjà traités par antagoniste de l’aldostérone.
Leur place se situe également en cas d’intolérance aux IEC dans les stades NYHA II dans la mesure où ils n’apportent pas de bénéfice clinique supplémentaire par rapport aux IEC.
Leur bénéfice est prouvé sur la fonction ventriculaire, le confort du patient et sur la réduction des admissions à l’hôpital pour aggravation de l’IC. Ils produisent une réduction des symptômes d’IC et une augmentation de la tolérance à l’effort. Selon l’étude ELITE II visant des patients IC symptomatiques de classe II-III, le losartan ne modifie pas le risque relatif de décès toutes causes par rapport au captopril ; le nombre de patients ayant interrompu l’étude en raison d’un effet indésirable est cependant moindre dans le groupe losartan [10].
Selon la méta-analyse de Lee et al. [11], les essais réalisés dans l’IC mettent en évidence une réduction significative de la mortalité totale (RR : 0,83 ; IC 95 % : 0,69-1,00) et du risque d’hospitalisation pour IC (RR : 0,64 ; IC 95 % : 0,53-0,78) des patients sous ARAII. Dans les mêmes essais, les ARA II ne sont ni supérieurs, ni inférieurs aux IEC pour diminuer la mortalité toutes causes ou le risque d’hospitalisation pour aggravation de l’IC. De fait, les ARA II constituent une alternative en cas d’intolérance aux IEC (valsartan/étude VALIANT [12]) ou un complément aux IEC (candesartan/étude CHARM-added [13]), en opérant cependant une surveillance stricte clinique, rénale et de la kaliémie et en veillant à l’hydratation du patient.
Bêtabloquants
Sauf contre-indication ou intolérance, l’utilisation des bêta-bloquants est recommandée chez tout patient avec IC symptomatique et une FEV ≤ 40 %.
Leur bénéfice est largement prouvé en termes d’augmentation de la survie globale, amélioration de la qualité de vie, amélioration de la fonction ventriculaire, diminution des hospitalisations.
Le carvedilol réduit de 65 % le risque de décès et de 27 % le risque d’hospitalisation pour cause cardiovasculaire chez les patients dont l’IC est déjà traitée de façon optimale avec un diurétique, un IEC, un digitalique et éventuellement un vasodilatateur d’action directe (US Carvedilol Herat Failure Study [14]). Les études CAPRICORN [15] et COPERNICUS [16] mettent en évidence l’intérêt du carvedilol dans le post-infarctus avec dysfonction du VG, avec ou sans manifestations cliniques d’IC et dans l’IC sévère.
L’étude CIBIS II [17] a également montré que le bisoprolol, administré chez les IC de stade III et IV en association à un IEC et à un diurétique, réduisait la mortalité de 32 %, le nombre d’hospitalisations, toutes causes confondues, de 15 %. Une analyse par sous-groupe de ces données met en évidence qu’une plus forte posologie (10 mg/j VS 5 ou 7,5 mg/j) est associée à un meilleur pronostic [18].
L’étude MERIT-HF a mis en évidence l’efficacité du métoprolol sur la mortalité, en association avec le traitement conventionnel (IEC-diurétiques ± digitalique) dans le traitement de l’IC chronique de niveaux II à IV [19].
Plus récemment, l’essai SENIORS met en évidence l’impact du nébivolol chez la personne âgée insuffisante cardiaque (> 70 ans) en termes de réduction des décès pour cause cardiovasculaire [20].
Diurétiques
Les diurétiques sont recommandés chez tout patient avec une IC présentant des signes cliniques d’aggravation ou de décompensation (symptômes de congestion).
Les antagonistes de l’aldostérone sont recommandés chez tout patient avec IC symptomatique, une FEV ≤ 35 % et en l’absence d’hyperkaliémie ou de dysfonction rénale, ce qui correspond à la classe NYHA III et IV.
L’étude RALES [21] a montré l’intérêt d’associer la spironolactone aux autres traitements classiques (IEC à dose optimale et diurétique à dose minimale) dans l’IC chronique sévère (stades III et IV) à fonction rénale peu ou pas altérée. L’éplérénone, antagoniste sélectif de l’aldostérone, est indiquée en complément des traitements standards chez les patients stables avec FEVG ≤ 40 %, en post-infarctus compliqué d’une dysfonctionnement ventriculaire gauche symptomatique. Dans ce cadre, l’adjonction d’eplerenone aux traitements conventionnels permet de réduire la morbimortalité de manière significative (étude EPHESUS [22]).
Récemment, l’étude EMPHASIS HF a montré un bénéfice à l’utilisation de l’éplérenone à la posologie de 50 mg par jour dans l’IC systolique avec symptômes modérés (NYHA II) en réduisant de 37 % par rapport au placebo l’incidence des décès cardio-vasculaires et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque [23]. Il n’existe cependant à ce jour pas d’indication dans cette situation.
Ivabradine
L’ivabradine, initialement indiqué dans l’angor stable chronique, a montré son efficacité dans le cadre de l’étude SHIFT portant sur des patients avec IC chronique et avec une fraction d’éjection inférieure ou égale à 35 % [24]. Par rapport au placebo, il a été rapporté une réduction de l’incidence des décès d’origine cardio-vasculaire et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Cette étude a permis à la spécialité PROCORALAN d’obtenir fin 2011 une extension de son autorisation de mise sur le marché chez les patients avec IC de classe NYHA de II à IV.
Le positionnement de cette spécialité dans le cadre des recommandations de pratique reste à définir.
Inhibiteurs calciques
Les inhibiteurs calciques n’apparaissent pas dans les dernières recommandations européennes sur la prise en charge de l’IC chronique.
Leur place est donc très limitée. Les inhibiteurs calciques non dihydropyridiniques (vérapamil, diltiazem) et la nifédipine n’ont pas leur place dans le traitement de l’IC par dysfonctionnement systolique du fait de leur effet inotrope négatif néfaste. En revanche, le vérapamil ou le diltiazem sont potentiellement utilisables dans le traitement de l’IC par dysfonctionnement diastolique. De même, les dihydropyridiniques plus récents (amlodipine, felodipine), du fait d’une faible activité inotrope négatif, pourraient avoir une place dans le traitement de l’IC par dysfonctionnement systolique de stades II et III.
Dérivés nitrés
Aucune étude à ce jour n’a montré l’efficacité des dérives nitrés seuls dans le traitement de l’IC chronique. Les deux études V-Heft 1 et V-Heft 2 ont montré que l’association dérivés nitrés-hydralazine réduisait la mortalité à un an mais en pratique, l’hydralazine n’est plus disponible en France.
Au cours de l’IC chronique, les dérivés nitrés seuls n’ont donc pas de place dans la stratégie thérapeutique. En revanche, au cours de l’IC aiguë avec œdème pulmonaire et pression artérielle conservée, l’administration des dérivés nitrés ne se discute pas. Ils sont alors utilisés par voie sublinguale, puis par voie IV en débutant à posologies standards et en augmentant les doses en fonction de l’amélioration hémodynamique ainsi que de la tolérance.

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