Chapitre 8 Les cartes d’épaisseur cornéenne (représentation des données pachymétriques)
La pachymétrie cornéenne est la mesure de l’épaisseur du mur cornéen au moyen d’un instrument : le pachymètre [1]. Cette épaisseur n’est pas uniforme, et décroît progressivement de la périphérie vers un point d’épaisseur minimale (physiologiquement situé dans la région centrale). La pachymétrie ultrasonore fut la première technique permettant au clinicien de connaître l’épaisseur cornéenne. Les mesures fournies par cette technique sont effectuées de manière relativement aléatoire à la surface de la cornée après contact, même s’il est possible de définir grossièrement des territoires (centre, périphérie, quadrants cornéens, etc.) en y plaçant préférentiellement la sonde pour y réaliser plusieurs mesures et calculer une moyenne locale.
D’autres techniques utilisant les propriétés de la lumière sont capables de mesurer avec précision et sans contact l’épaisseur du mur cornéen comme la tomographie par cohérence optique (Optical Coherence Tomography : OCT). Cette technique ne permet pas de réaliser une concordance parfaite entre les cartes topographiques antérieures et postérieures. En revanche, la pachymétrie optique fournie par les topographes cornéens à balayage par fente ou caméra Scheimpflug permet de réaliser une cartographie complète de l’épaisseur cornéenne, dont la réalisation est déduite des données de l’élévation antérieure et postérieure (Fig. 8.1) [2]. L’acquisition conjointe des données pachymétriques et topographiques représente un avantage certain dans le cadre du dépistage de pathologies comme le kératocône ou la dégénérescence pellucide marginale. En plus de la mesure locale de l’épaisseur cornéenne, l’étude des variations de l’épaisseur au sein du mur stromal est une donnée importante pour la détection des formes précoces de kératocône.
La mesure pachymétrique optique topographique correspond à la représentation de la distance entre les faces antérieure et postérieure de la cornée. La mesure étant effectuée en différents points, elle fournit un relevé pachymétrique complet du mur cornéen. Malgré ses limitations intrinsèques, la mesure pachymétrique ultrasonore est aujourd’hui considérée comme la technique de référence pour l’appréciation de l’épaisseur cornéenne. Il est possible d’étalonner certains topographes optiques pour maximiser la corrélation entre les valeurs fournies par ces instruments et la mesure ultrasonique (ex : facteur acoustique, indiqué sur les cartes pachymétriques optiques effectuées par l’Orbscan) [2].
On peut synthétiser les informations fournies en représentant des moyennes calculées sur des zones (surfaces) définies, ou encore en représentant un profil pachymétrique moyen. Ceci est particulièrement intéressant dans le cadre du dépistage du kératocône infraclinique.
Interprétation des cartes d’épaisseur totales
L’analyse d’une carte d’épaisseur (carte pachymétrique totale) (Fig. 8.2) doit porter sur les points suivants.
Point d’épaisseur minimale
L’épaisseur minimale de la cornée est une donnée importante en chirurgie réfractive, que ce soit pour planifier l’épaisseur de découpe et de photoablation stromale (Lasik) ou dépister une forme fruste de kératocône.
Le point d’épaisseur minimale (thinnest point) est généralement situé à moins de 1 mm du centre géométrique de la cornée. Indépendamment de sa valeur, l’augmentation de la distance avec le centre géométrique de la cornée doit faire évoquer la possibilité d’un kératocône débutant (Fig. 8.3), en particulier quand cet éloignement s’effectue vers le bas (composante verticale négative ; la composante horizontale du déplacement doit être interprétée en fonction de la valeur de l’angle kappa ; cf. chapitre 3Fig 3.6), et quand l’emplacement du point le plus fin est proche ou confondu avec l’apex et l’élévation maximale antérieure et surtout postérieure.
Fig. 8.3 Relevé Quad Map (Orbscan) de la cornée gauche, chez un patient greffé pour un kératocône avéré de l’œil droit.
Noter le décentrement relatif du point le plus fin en temporal inférieur, alors que l’élévation antérieure est relativement centrée. Cette carte souligne la précocité de la modification de l’épaisseur cornéenne dans l’évolution du kératocône. Chez ce patient, l’élévation antérieure, l’élévation postérieure et la courbure axiale sont sans particularités.
Une étude réalisée avec le topographe Pentacam a retrouvé chez des sujets sains une épaisseur moyenne de 520 ± 33 µm au centre de la pupille, et de 515 ± 36 µm pour le point d’épaisseur minimale, localisé dans le quadrant temporal inférieur pour la majorité des sujets [3]. L’écart en distance avec le centre géométrique de la cornée est corrélé avec la différence entre l’épaisseur centrale moyenne et ce point [4].
Pachymétrie centrale
La valeur moyenne pachymétrique centrale peut être mesurée au centre géométrique de la cornée, en regard du centre de la pupille, du vertex, ou encore estimé selon une moyenne calculée pour un diamètre spécifié par l’utilisateur (exemple : 2 mm centraux ; Fig. 8.4). Elle renseigne sur l’épaisseur de la partie centrale de la cornée, qui est physiologiquement la moins épaisse du mur cornéen. Il existe de larges variations interindividuelles (facteurs génétiques, ethniques, etc.), et la valeur de la pachymétrie centrale moyenne est estimée à 536 ± 31 µm dans la population caucasienne [5].
L’utilisation du mode Normal Band Scale avec le topographe Orbscan permet d’identifier rapidement les zones plus minces (à plus de deux écarts-types sous la moyenne) ou plus épaisses (à plus de deux écarts-types au-dessus de la moyenne) (Fig. 8.5). Ce mode ne fournit pas d’indication sur la manière dont varie l’épaisseur cornéenne (il ne permet pas de détecter un amincissement rapide de la cornée si la valeur d’épaisseur minimale demeure « dans la norme »).