5: Pouvoir optique, cartes de puissance réfractive et de front d’onde cornéen

Chapitre 5 Pouvoir optique, cartes de puissance réfractive et de front d’onde cornéen



La topographie cornéenne est à la fois un outil diagnostique qui permet d’identifier diverses conditions susceptibles d’altérer le relief cornéen, mais également d’étudier les propriétés fonctionnelles de celui-ci. Ce rôle est dévolu aux cartes de puissance optique (ou « cartes de puissance réfractive », cartes en « mode réfractif », etc.). La quête d’une mesure quantitative des propriétés du sommet et des bords de la cornée est principalement liée à deux nécessités cliniques : y adapter une lentille de contact, et calculer sa puissance optique.


Les cartes de puissance optique fournissent des informations fonctionnelles, et les valeurs qu’elles fournissent doivent être distinguées de celles les cartes de courbure, malgré une terminologie parfois confuse, et l’ambiguïté introduite par l’utilisation de l’unité « dioptrie » pour qualifier des données de courbure.



Généralités


La puissance optique fait ici référence à la capacité d’une lentille à focaliser la lumière vers un foyer, une puissance plus élevée étant corrélée à une réfraction plus élevée (foyer proche de la lentille) et une puissance plus faible à une réfraction plus faible (foyer plus lointain).


La puissance optique de la cornée dépend de sa courbure, mais aussi d’autres facteurs comme la différence d’indice entre les milieux réfractant, ainsi que l’angle que forment avec leur surface les rayons lumineux incidents [1].


La distance focale d’un système optique comme une lentille mince correspond à la distance séparant la lentille du point d’intersection entre un rayon réfracté (proche de l’axe optique) et l’axe optique. Une distance focale plus courte est associée à une puissance plus élevée et une distance focale plus longue est associée à une puissance plus faible.


La cornée peut être modélisée sous forme d’une surface réfractive unique aux fins de déterminer sa contribution à la puissance globale du système optique de l’œil. Nous choisirons pour commencer un profil cornéen simplement circulaire (Fig. 5.1). La cornée correspond alors un dioptre sphérique, centré sur son axe optique.



À ce stade, il est important de concevoir que les topographes spéculaires ne recueillent des informations que pour la seule face antérieure de la cornée. Pour estimer de manière plus réaliste la puissance totale du dioptre cornéen, il est nécessaire d’extrapoler l’effet de la face postérieure de la cornée. Ce point a son importance, comme nous le verrons plus loin.



Calcul du pouvoir optique du dioptre cornéen


L’estimation de la puissance optique cornéenne est une donnée importante pour de nombreuses applications, dont le calcul biométrique (biométrie, calcul de la puissance d’implants phakes, etc.), et la chirurgie réfractive cornéenne. La puissance optique de la cornée est définie dans ce contexte comme celle de la zone apicale : elle permet de calculer une distance focale (d), qui est exprimée en mètres et définie comme l’inverse de la valeur de la puissance optique apicale (exprimée en dioptries) : d = 1/P (Fig. 5.1).


Dans cette approche simplifiée, l’axe optique et l’axe géométrique de la cornée sont confondus, et la distance focale de la cornée est définie comme la distance entre le vertex cornéen et le point d’intersection des rayons réfractés par la portion centrale de la cornée (région apicale ou paraxiale) avec l’axe optique. Les rayons lumineux y sont incidents à proximité du centre de la cornée, et font un angle d’incidence faible par rapport à la normale de la surface cornéenne au point d’incidence considéré (la normale à la surface cornéenne est la droite localement perpendiculaire à la surface de la cornée au point considéré).



Calcul de la puissance apicale de la face antérieure de la cornée


Dans les conditions où l’on considère les rayons proches de l’axe optique, appelées « conditions paraxiales » (et dans ces conditions seulement, en pratique pour des points situés à environ moins de 2 mm du sommet), le pouvoir optique de la cornée antérieure peut être calculé en utilisant une formule dite « de vergence » :



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où d est la distance focale, n est l’indice de réfraction (pour le stroma, l’indice de réfraction physique est proche de la valeur : 1,376, mais on utilise dans certains cas une valeur minorée dite kératométrique proche de 1,33) et R le rayon de courbure apical du méridien considéré.


En cas de toricité apicale importante (astigmatisme cornéen), la valeur de R peut être choisie comme la moyenne entre les rayons apicaux extrêmes (le plus petit et le plus grand) si l’on souhaite obtenir une valeur moyenne de la puissance apicale antérieure.


La valeur ainsi obtenue pour P est exprimée en dioptries et correspond véritablement au pouvoir optique de la région apicale de la face antérieure cornée.


La formule de vergence est obtenue à partir d’un calcul utilisant les lois de la réfraction (Snell) et quelques simplifications qui ne sont valables pour les points situés à proximité immédiate de l’axe optique.


En effet, ces simplifications ne sont plus valides pour prédire la valeur de la puissance optique de la face antérieure de la cornée pour les points localisés à distance de l’axe optique. Ceci est lié au fait que les rayons lumineux réfractés au niveau de la cornée non paracentrale et de la cornée périphérique ont un angle d’incidence plus élevé (cet angle est formé entre la direction du rayon incident et la direction normale — ou perpendiculaire — à la surface). En périphérie, cet angle est donc plus important, car la direction correspondant à la normale à la surface tend à être de plus en plus « verticale ». Ceci conduit à augmenter la valeur de l’angle de réfraction (Fig. 5.2). On ne peut alors utiliser la formule de vergence pour estimer le pouvoir optique de la cornée vis-à-vis d’un faisceau de rayons incidents parallèle à l’axe optique.



L’utilisation de la formule de vergence pour des points situés « loin » de l’axe optique est pourtant effectuée pour la conversion en échelle dioptrique des cartes de topographie en courbure axiale et instantanée initialement exprimées en millimètres (rayon de courbure). On parle alors de puissance « kératométrique » [2] ; le terme « kératométrique » fait implicitement référence à l’utilisation d’un indice de réfraction volontairement minoré, comme nous le verrons plus loin. La formule de vergence simplifiée est appliquée sans distinction à tous les points de la surface cornéenne, et utilise les valeurs du rayon de courbure qui est mesuré en chacun de ces points (Fig. 5.3). Elle conduit à une sous-estimation de la puissance optique réelle pour les points situés à distance de l’axe optique (hors conditions paraxiales), et on ne doit pas utiliser de manière interchangeable ces « dioptries de courbure » en « dioptries de puissance optique » en dehors des conditions paraxiales. Les Fig. 5.4 et 5.5 illustrent cette différence fondamentale.


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Fig. 5.3 Représentation schématique du calcul de la puissance kératométrique locale, à partir de la formule de vergence.


Cette puissance optique est inversement proportionnelle à la valeur du rayon de courbure local R, puisqu’elle est calculée au moyen de la formule de vergence simplifiée. Cette formule, qui convertit des « millimètres de rayon de courbure » en « dioptries de courbure », suppose que l’angle d’incidence des rayons avec la normale au point de mesure est faible. La puissance kératométrique serait celle du faisceau de rayons lumineux (dont le diamètre a été volontairement exagéré sur la figure) qui frapperait toujours de manière perpendiculaire la surface de la cornée au point de mesure, quelle que soit sa distance avec l’axe optique (en pointillés jaunes). Cette puissance est l’inverse de la distance d (exprimée en mètres) qui sépare la surface cornéenne et l’endroit où focalise le faisceau incident réfracté au point de mesure. La puissance kératométrique ne doit pas être confondue avec la puissance optique de la cornée ; elle n’est égale à celle-ci qu’au sommet (et à condition d’utiliser la même valeur d’indice de réfraction pour leur calcul). L’utilisation d’un indice de réfraction n = 1,376 dans la formule de vergence permet de calculer la puissance kératométrique locale (courbure axiale ou instantanée exprimée en dioptries) de la face antérieure de la cornée (interface air/cornée antérieure). L’utilisation d’un indice de réfraction de valeur minorée (n = 1,33) fournit une estimation de la puissance kératométrique totale. Si la surface cornéenne était parfaitement sphérique, la puissance kératométrique y serait identique en tous points.






Estimation de la puissance apicale totale de la cornée


Quand les données de la face postérieure ne sont pas accessibles (topographie spéculaire antérieure pure), la puissance cornéenne totale apicale ne peut pas être calculée : elle ne peut être qu’estimée.


Contrairement à la face antérieure, la réfraction à travers la face postérieure de la cornée fait passer la lumière d’un milieu plus réfringent (le stroma) à un milieu moins réfringent (l’humeur aqueuse). Cette variation d’indice (de signe opposé à celle qui existe entre l’air et le film lacrymal) explique que la face postérieure, bien que convexe, possède dans l’œil un effet divergent. Cet effet est modéré, car même si la région apicale de la face postérieure cornéenne est plus convexe que celle de la face antérieure, la différence d’indice de réfraction est faible à ce niveau (1,376 pour le stroma contre 1,33 pour l’humeur aqueuse, soit une valeur proche de 0,046).


L’exemple numérique exposé sur la Fig. 5.6 établi à partir de valeurs typiques de rayons apicaux mesurés pour la face antérieure et postérieure de la cornée montre que la face postérieure atténue environ 10 % de la vergence antérieure apicale. Cette réduction est généralement vérifiée pour la plupart des cornées saines et vierges de toute chirurgie, car il existe une corrélation entre les courbures antérieures et postérieures (plus la face antérieure est convexe, plus la face postérieure tend à l’être aussi).



En minorant la valeur de l’indice de réfraction du stroma cornéen (ex : n = 1,333, n = 4/3, n = 1,3375 selon les fabricants) dans la formule de vergence, on obtient une valeur moindre que celle obtenue avec l’indice physique. La réduction est du même ordre que celle induite par la face postérieure de la cornée à la puissance cornéenne centrale totale. Choisir une valeur d’indice plus faible entraîne une réduction équivalente de la puissance cornéenne antérieure (environ 10 %), sans pour autant avoir à mesurer la puissance de la face postérieure de la cornée.


Cet indice minoré doit être qualifié de « kératométrique », car il n’est pas un véritable indice de réfraction au sens physique du terme. Cette « astuce » est utilisée par les logiciels des topographes antérieurs purs. Elle ne « fonctionne » toutefois qu’à la condition que l’écart entre les courbures antérieures et postérieures ne soit pas augmenté. Cette condition n’est pas respectée après chirurgie photoablative, qui modifie intentionnellement le rayon de courbure antérieur de la cornée.


Les cartes qui utilisent une valeur minorée (indice kératométrique) sont dénommées sans surprise « cartes de courbure ou puissance kératométrique ». À partir de la valeur des rayons de courbure de l’ensemble de la surface cornéenne, il est également possible d’établir des « cartes de puissance kératométrique antérieure », à condition d’utiliser la valeur réelle de l’indice de réfraction stromal. Les chiffres obtenus sont alors majorés d’environ 10 %.




Kératométrie simulée (Sim-K)


Le calcul de la kératométrie simulée (Sim-K) est destiné à fournir les mêmes valeurs que celles que l’on obtiendrait en réalisant une mesure avec un kératomètre de type Javal. Ce kératomètre utilisait la réflexion de deux mires sur la face antérieure de la cornée pour en déduire la valeur de la courbure à 1,5 mm environ de part et d’autre du vertex cornéen. Une fois les valeurs kératométriques obtenues par le logiciel du topographe, les valeurs de la courbure des points situés sur un cercle distant de 1,5 mm du centre est exploré et l’emplacement du point de kératométrie maximale noté. L’axe du segment reliant ce point au sommet est repéré (Fig. 5.7). Cet axe est alors défini comme celui de l’axe du méridien le plus cambré. À partir de cet axe, une mesure du rayon de courbure est alors automatiquement effectuée à 1,5 mm du centre, mais cette fois-ci sur le méridien d’axe perpendiculaire, qui est a priori le plus plat (ceci n’est vrai que si la cornée ne présente pas de déformation majeure ; en cas d’irrégularité ou d’asymétrie, cette assomption n’est pas forcément respectée). À partir de la valeur de ces deux rayons, et de l’utilisation de la valeur « minorée » de l’indice de réfraction (indice dit « kératométrique ») une expression du Sim-K en dioptries est obtenue (ex : 41 D × 105°, 43 D × 15°). Ces valeurs peuvent être utilisées avant chirurgie de la cataracte pour le calcul biométrique d’un implant torique destiné à corriger un astigmatisme régulier d’origine cornéenne.


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Jun 29, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 5: Pouvoir optique, cartes de puissance réfractive et de front d’onde cornéen

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