CHAPITRE 65 PHARMACIE CLINIQUE EN SUISSE ROMANDE
INTRODUCTION
Définition de la pharmacie clinique en Suisse
– Axe lié au traitement : analyser la thérapie médicamenteuse pour l’optimiser et limiter la sur-, sous- et mauvaise utilisation des médicaments.
– Axe lié au patient : collaborer à l’éducation du patient et à la continuité des soins.
– Axe lié au processus : sécuriser le circuit du médicament pour s’assurer que le patient reçoive le bon médicament, au bon moment et de la bonne manière selon la prescription.
Cette définition est plus large que celles décrivant la pharmacie clinique ou les soins pharmaceutiques en Amérique du Nord [1, 2] qui considèrent exclusivement les interactions directes du pharmacien clinicien avec les autres professionnels de la santé ou le patient, avec une présence physique obligatoire dans les unités de soins pour toutes ses activités. En Suisse, certaines activités indirectes, mais ayant un impact sur la thérapeutique médicamenteuse des patients, ont été intégrées dans la définition ; c’est par exemple le cas des recommandations thérapeutiques et des aides à la décision informatisées développées conjointement à une activité régulière au chevet du patient. En revanche, la définition suisse est plus restrictive que la définition européenne de l’European Society of Clinical Pharmacy (ESCP), qui inclut également des activités qui ne sont pas en lien direct avec le patient et l’unité de soins, comprenant par exemple la recherche clinique, l’information sur le médicament, la préparation de formulations individualisées ou des analyses pharmacoéconomiques (ESCP : What Is Clinical Pharmacy ?).
Système de santé en Suisse et rôle du pharmacien
La Suisse comprend 26 cantons, liés en une confédération, selon un même modèle que les États des États-Unis. Bien qu’étant un petit pays géographiquement au cœur de l’Europe, la Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne. Environ 70 % de la population parlent l’allemand, 20 % parlent le français (Suisse romande) et 10 % l’italien. Malgré l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’assurance maladie [3] en 1996, le système de santé helvétique demeure morcelé : chaque canton possède sa propre législation et gère entre autres la planification et l’organisation hospitalière de manière individuelle (Loi fédérale sur l’assurance-maladie ou LAMal) [3, 4]. À titre d’exemple, certains cantons (essentiellement en Suisse alémanique) autorisent la vente de médicaments par des médecins au niveau ambulatoire, qui à la fois prescrivent et dispensent, ce qui constitue un particularisme singulier de ces régions.
La LAMal impose la validation pharmaceutique des prescriptions médicales au niveau ambulatoire. Le pharmacien d’officine est donc reconnu au niveau légal comme un professionnel de la santé partageant avec le médecin la responsabilité de l’adéquation du traitement du patient, dans la mesure des informations dont il dispose (âge, poids, historique médicamenteux des patients fidèles à une pharmacie, parfois allergies, rarement fonction rénale, antécédents et diagnostics). En revanche, contrairement aux législations françaises ou québécoises, cette disposition n’existe pas en Suisse au niveau de la pratique hospitalière ou en institutions de soins. En effet, le cadre légal n’impose pas aux hôpitaux de validation des ordres médicaux par le pharmacien [4, 5]. À noter que les pharmaciens hospitaliers en Suisse seraient de toute manière en effectif insuffisant pour absorber l’éventuelle nouvelle mission de valider correctement tous les ordres médicaux à l’hôpital. La distribution des médicaments se fait essentiellement de manière globalisée, chaque unité de soins possédant son propre assortiment de médicaments. L’administration des médicaments aux patients est effectuée et documentée par les infirmières. Certaines prescriptions particulières sont toutefois validées par le pharmacien et dispensées nominativement, tels les cytostatiques injectables ou les nutritions parentérales pédiatriques individualisées.
Il faut également souligner que la loi sur les professions médicales (LPMéd), dont la pharmacie fait partie, a récemment été modifiée avec pour objectifs d’améliorer la qualité de la formation universitaire et de la formation postgrade et de considérer non seulement les aspects techniques de l’exercice de la profession, mais aussi les aspects sociaux, psychosociaux, éthiques et économiques [6].
FORMATION
La Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) de 1994 stipulait qu’étaient admis comme pharmaciens fournisseurs de prestations les pharmaciens titulaires du diplôme fédéral et d’une formation post-diplôme reconnue par le Conseil fédéral [3]. La loi fédérale sur les professions médicales (LPMéd) règlemente depuis 2006 la formation universitaire et postgrade ainsi que l’exercice des professions médicales universitaires [6]. Un catalogue fédéral d’objectifs de formation en pharmacie selon la LPMéd définit ainsi les connaissances, les aptitudes et les capacités professionnelles (pharmaceutiques, sociales, éthiques et économiques) dont doivent disposer les pharmaciens pour exercer leur profession. La LPMéd prescrit également l’accréditation des filières d’études sanctionnées par un diplôme fédéral. L’accréditation doit aussi satisfaire aux critères de la Loi fédérale sur l’aide aux universités (LAU).
Les universités suisses avaient au préalable déjà adapté leurs curricula pré- et postgrades aux exigences européennes de la Déclaration de Bologne, visant à créer et à consolider un espace européen de l’enseignement supérieur [7]. L’évolution du rôle du pharmacien en hôpital comme en officine a également contribué au développement de nouveaux enseignements axés sur la pharmacie clinique. Le cursus de formation du pharmacien en Suisse, au niveau prégradué et post-gradué, est illustré par la figure 65.1.
Fig. 65.1 Cursus de formation du pharmacien clinicien en Suisse.
(Adapté avec l’aimable autorisation de la GSASA.)
Formation universitaire de base
La création en 2007 d’une chaire de pharmacie clinique à raison de 50 % en pharmacie communautaire et de 50 % en pharmacie hospitalière et clinique, au sein de la Section des sciences pharmaceutiques de l’Université de Genève, a contribué à l’évolution du cursus universitaire de base. Pour la première fois, des enseignants ont été sélectionnés sur la base de leur activité clinique en hôpital ou en officine, en plus de leurs compétences en recherche et en enseignement, à l’image des professeurs de clinique d’Amérique du Nord qui partagent leur temps entre hôpital et université. Ce virage a été stimulé par pharmaSuisse, qui a financé cette chaire durant 5 ans, comme d’ailleurs une chaire équivalente à l’Université de Bâle en Suisse alémanique. En 2011, le financement de cette nouvelle chaire de pharmacie clinique a été repris par les budgets usuels de l’Université de Genève. Dans l’intervalle, les deux pharmaciens-chefs des hôpitaux universitaires avaient été nommés comme professeurs associés à 15 %. La formation de base a ainsi subi de profonds changements avec une orientation plus clinique, tout en restant très axée sur les sciences pharmaceutiques fondamentales (chimie analytique, chimie thérapeutique, galénique, etc.) par rapport aux études en pharmacie dispensées dans certains autres pays, notamment en Amérique du Nord. La Suisse est reconnue pour ses industries pharmaceutiques et ses universités et ces dernières restent très attachées à proposer des cursus qui ouvrent des portes aussi bien du côté des sciences pharmaceutiques que de la pratique de la pharmacie d’officine ou d’hôpital ; la pharmacie appartient d’ailleurs à la Faculté des sciences dans les universités de Genève et de Bâle et à l’École polytechnique fédérale de Zürich (Eidgenössische Technische Hochschule Zürich, ETHZ) à Zürich.
En revanche, la deuxième année de maîtrise, également nommée année d’assistanat, est consacrée presque exclusivement à l’acquisition de connaissances et de compétences cliniques, avec 12 semaines de cours-blocs (dont une à l’hôpital) centrés sur la pharmacothérapie, la communication et le système de santé, suivies de 20 semaines de stage obligatoire en officine et de 10 semaines de stage à option, soit en officine, soit en hôpital. Les cours-blocs comprennent plusieurs modules consacrés à la connaissance des médicaments (validation d’ordonnances, dispositifs médicaux, médecines complémentaires et phytothérapie, pharmacie vétérinaire), au suivi pharmaceutique, au triage pharmaceutique, au droit et à l’économie de la santé, à la santé des populations, à la communication et à la fabrication en petites quantités. Dans le cadre de la semaine hospitalière obligatoire de cours-blocs, les étudiants sont confrontés par groupe de 6 à des exemples pratiques de « suivi pharmaceutique hospitalier » permettant à chacun de comprendre l’organisation de la prise en charge hospitalière, le circuit du médicament, le rôle du pharmacien en clinique et la problématique de la continuité des soins. Le stage en officine de 20 ou 30 semaines permet à l’étudiant de pratiquer sous supervision le triage (prise en charge des problèmes bénins par le pharmacien, envoi du patient chez le médecin ou aux urgences pour les problèmes plus sévères), la validation des ordonnances (adéquation des posologies, détection des interactions, etc.) et le suivi pharmaceutique de patients chroniques avec les exigences de communication que cela nécessite (Année d’assistanat en pharmacie). Le stage à option en hôpital de 10 semaines, offert aux candidats qui le souhaitent (environ une dizaine par année), est axé principalement sur la pharmacie clinique, avec un fort accent sur la continuité des soins, la pharmacothérapie et la communication, tout en sensibilisant l’étudiant aux autres aspects de la pharmacie hospitalière (achat et distribution, fabrication, assurance qualité) (Objectifs du stage en hôpital). L’étudiant a notamment l’occasion de participer aux activités d’assistance pharmaceutique (centre d’information sur les médicaments, rédaction de documents destinés au corps médico-soignant) et de pharmacie clinique (suivi de visites médicales ou de consultations d’enseignement thérapeutique aux patients). Il doit en outre présenter au moins un cas clinique qu’il a rencontré durant son stage et mener à bien un projet correspondant à 10 jours de travail.
Formation post-diplôme
Le diplôme FPH en pharmacie hospitalière, désormais renommé « titre fédéral de spécialiste en pharmacie hospitalière » est obtenu en trois ans et a pour objectif de procurer aux candidats les compétences nécessaires pour pouvoir exercer de manière indépendante dans les différents domaines de la pharmacie hospitalière (Formation postgraduée FPH en pharmacie hospitalière). Cette formation non universitaire s’est largement inspirée du MAS universitaire (Master of Advanced Studies) en pharmacie hospitalière, créé en 1998 dans les deux centres hospitaliers universitaires de Genève et de Lausanne et uniquement disponible pour deux candidats par an [7, 8]. Le diplôme FPH constitue une formation non universitaire alternative au MAS qui peut être suivie également dans les hôpitaux non universitaires accrédités. Le MAS et le diplôme FPH en pharmacie hospitalière consacrent une partie importante de leur programme (environ une année) à la dimension clinique du médicament (centre d’information téléphonique, pharmacie clinique). Le reste de la formation porte sur les autres domaines de la pharmacie hospitalière (production, contrôle analytique, assurance qualité, pharma-coéconomie et flux du médicament), ainsi qu’à la recherche puisqu’une période de 6 mois à un an est consacrée à un travail personnel de recherche (travail de diplôme). Les compétences cliniques acquises peuvent être très variables selon les sites de formation. Ainsi, en milieu universitaire, les candidats peuvent acquérir une formation théorique approfondie et spécialisée dans des domaines comme la pharmacologie clinique (demandes de consultations par des médecins sur des problématiques pharmacologiques complexes, Therapeutic Drug Monitoring, prise en compte de la pharmacogénétique du patient, pharmacovigilance et tératovigilance), les bonnes pratiques d’administration des médicaments (administration des médicaments par sonde naso-gastrique, incompatibilités physicochimiques entre perfusions intraveineuses, aide aux calculs de dose pour le personnel médico-soignant) ou le circuit du médicament. En milieu non universitaire, les candidats sont plus exposés à la pharmacie clinique en pratique, avec une présence fréquente à l’étage. Compte tenu de ces différences, le diplôme FPH et le MAS en pharmacie hospitalière ne suffisent en général pas aux candidats pour développer une activité clinique indépendante.
Une formation spécifique en pharmacie clinique d’un an, non universitaire, existe en Suisse romande depuis 1990, à l’Institut central des hôpitaux valaisans (ICHV) [9]. Cette formation, est disponible pour deux candidats par an et s’articule sur une formation théorique, une formation pratique et un court travail de recherche dans le domaine de la pharmacie clinique. Le certificat complémentaire FPH en pharmacie clinique, largement inspiré du programme de l’ICHV, a vu le jour en 2008 et est maintenant offert dans d’autres sites hospitaliers, en plus de l’ICHV où il a remplacé la formation initiale (Formation complémantaire FPH en pharmacie clinique). Les objectifs de ce certificat FPH en pharmacie clinique, organisé par les associations professionnelles, sont les suivants :
– prise en charge pharmaceutique adéquate de l’admission du patient jusqu’à sa sortie de l’établissement ;
– interventions visant à apporter lors des visites interdisciplinaires une vision pharmaceutique adéquate ;
– optimisation du rapport risque/bénéfice et coût/bénéfice des traitements médicamenteux ;
– réponses appropriées aux questions des professionnels de santé concernant les médicaments ;
– interventions visant à renforcer la sécurité du circuit du médicament et à réduire les erreurs médicamenteuses ;
– participation à la décision thérapeutique et capacité à transmettre des recommandations thérapeutiques.