CHAPITRE 64 SOINS PHARMACEUTIQUES EN BELGIQUE
INTRODUCTION
Au cours des dix dernières années, la Belgique a connu des évolutions significatives visant à donner au pharmacien un rôle plus important dans l’optimisation de l’utilisation des médicaments, et ce en étant plus proche du patient et des autres professionnels de la santé. Les changements ont eu lieu principalement en milieu hospitalier [1, 2], mais des évolutions importantes sont en cours également dans le milieu ambulatoire.
DÉVELOPPEMENT ET PRATIQUE DES SOINS PHARMACEUTIQUES EN MILIEU HOSPITALIER
Activités en unités de soins et activités transversales
D’un point de vue conceptuel, les activités appelées de « pharmacie clinique » réalisées en milieu hospitalier peuvent être structurées en deux catégories. D’une part, les activités de soins pharmaceutiques réalisées en unités de soins (de façon similaire à ce qui se fait au Canada par exemple) et, d’autre part, les activités transversales. Ces dernières ont pour caractéristique de cibler des (classes de) médicaments ou autre situations à risque et de mettre en place des mesures d’optimisation pour un groupe large de patients ou de prestataires de soins (et donc pas uniquement les patients d’une unité de soins particulière). Les interventions sont variées et peuvent inclure la mise en place de procédures de prescription, d’outils éducationnels pour d’autres professionnels, de participation à des tours multidisciplinaires dans diverses unités de soins. Par exemple, une étude réalisée dans un hôpital universitaire belge et réalisée dans le cadre d’un service d’infectiologie actif de façon transversale a montré qu’un programme d’interventions proactives par un pharmacien clinicien dans trois unités de soins, visant à améliorer le passage de la voie intraveineuse à la voie orale pour les fluoroquinolones, a permis de diminuer de façon significative la durée des traitements intraveineux et donc les coûts [3].
Aspects légaux/réglementaires
Les textes légaux reprenant les missions du pharmacien hospitalier en Belgique mentionnent clairement les missions en rapport avec la pharmacie clinique ou les soins pharmaceutiques, et ce depuis 1991 déjà. Ainsi, l’arrêté royal du 4 mars de cette année stipule que « les activités cliniques du pharmacien hospitalier ont pour but un usage aussi efficace, aussi sûr et aussi économique que possible des médicaments, et ce tant dans l’intérêt du patient que de la société ». Dans ce cadre, la loi détaille une série de tâches que le pharmacien hospitalier doit assurer, y compris dans les domaines suivants : optimisation des traitements ; accompagnement sanitaire des patients ; intégration aux équipes multidisciplinaires en vue d’optimiser l’efficacité et la sécurité des thérapeutiques ; service de pharmacovigilance. Cette reconnaissance dans les textes légaux a joué un rôle facilitateur lorsque les premiers projets pilotes de soins pharmaceutiques ont débuté, à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Développement initial
Comme dans beaucoup d’autres pays, l’expérience a débuté avec un petit nombre de pharmaciens qui ont commencé – le plus souvent dans des hôpitaux universitaires – quelques projets pilotes dans quelques unités de soins. Ces projets ont majoritairement été initiés par des pharmaciens qui avaient eu l’occasion de voir la pratique de soins pharmaceutiques développée dans les pays anglo-saxons. En parallèle, certains pharmaciens ont associé ces projets pilotes à des projets de recherche ayant pour but d’évaluer et de démontrer l’intérêt de cette nouvelle activité. À titre d’exemple, une étude randomisée contrôlée réalisée dans une unité de gériatrie aiguë a permis de démontrer que l’activité du pharmacien clinicien était associée à une augmentation significative de la qualité des prescriptions et que cette activité était particulièrement bien acceptée par les autres professionnels [4, 5].
En plus de la reconnaissance légale du rôle du pharmacien hospitalier en rapport avec les soins pharmaceutiques, d’autres facteurs ont facilité le développement des soins pharmaceutiques en unités de soins dont notamment : (1) une volonté politique d’améliorer la qualité d’utilisation des médicaments, (2) l’informatisation progressive des prescriptions et (3) un changement important dans la politique de financement des médicaments pour les patients hospitalisés, avec la mise en place d’un système de forfait [6] ; l’hôpital perçoit un montant forfaitaire par séjour hospitalier qui lui est propre et dépend entre autres du type de patients hospitalisés. Les pharmaciens hospitaliers ont joué un rôle important dans le succès de cette nouvelle forme de financement en assurant un choix plus rationnel de médicaments. Ceci a permis, à l’échelle nationale, de faire des économies significatives dans les coûts liés à la consommation des médicaments en milieu hospitalier, et une partie de ces économies ont été utilisées pour financer le développement de projets pilotes de pharmacie clinique en unités de soins. Ces projets sont explicités plus bas.
Mise en place de « projets » d’initiative ministérielle dans les hôpitaux
Premiers projets pilotes (2008-2009)
Par des contacts directs entre les promoteurs de la pharmacie clinique en Belgique et le service public fédéral « Santé Publique1 », les autorités belges ont pris conscience de ce que le suivi du patient et les conseils concernant les médicaments demandaient une approche plus globale, intégrée et orientée vers le patient. Il a donc été décidé de prendre des initiatives « orientées vers le patient » et permettant une meilleure gestion de la prise médicamenteuse et de prévention des erreurs médicamenteuses. Il existait déjà à l’hôpital une approche multidisciplinaire du médicament via divers comités rassemblant les prestataires de soins, la pharmacie hospitalière et la direction de l’hôpital (comités médico-pharmaceutiques). Cependant, le besoin d’encadrement pharmacothérapeutique sur le lieu des soins (en contact direct avec le patient) n’était pas rencontré. Le gouvernement fédéral a donc décidé de lancer des initiatives permettant au pharmacien de donner toute sa mesure comme partenaire dans l’équipe de soins.
Dans un premier temps, les objectifs de ces initiatives ont été définis par un « Groupe de travail national » rassemblant des pharmaciens hospitaliers, des médecins praticiens et des universitaires actifs en pharmacie clinique. L’objectif général était d’évaluer l’impact de la pharmacie clinique dans les hôpitaux belges afin de préparer, en cas de succès, le déploiement de cette nouvelle discipline, et ceci en fonction de trois critères principaux :
– contribution significative à l’avancement de la qualité générale des soins ;
– garantie de qualité, de sécurité et d’efficacité de la thérapie médicamenteuse ;
– gains en termes de coûts et de qualité mesurés au moyens d’indicateurs adéquats. Un appel a été fait vis-à-vis de tous les hôpitaux belges (taux de réponse : environ 50 %) pour soumission de projets précis visant un ou plusieurs des objectifs spécifiques dans un cadre de suivi pharmaceutique du patient « de l’admission à la sortie » :
– partager les informations et expériences entre hôpitaux participants aux initiatives et hôpitaux universitaires ;
– communiquer aux personnes actives en Santé publique l’essentiel des résultats2.
– la transparence, la communication, la réflexion, les conseils pratiques concernant le médicament au sein de l’équipe de soins et vis-à-vis des patients ;
– un meilleur suivi du patient, une optimisation du traitement médicamenteux, une identification plus précise des médicaments, une meilleure éducation du patient selon ses besoins, en collaboration avec les médecins. Les points négatifs soulevés concernaient le manque de pharmaciens cliniciens, et pour certains hôpitaux une faible efficacité dans le dialogue du pharmacien clinicien avec les médecins, parfois due à sa trop faible disponibilité et/ou une certaine méfiance (ces points ont souvent pu être corrigés).
Extension et nouveaux projets pilotes (2009- …)
– sur le transfert optimal des données relatives à la pharma-cothérapie à l’admission, pendant le séjour et au moment de la sortie de l’unité de soins du patient et l’intégration des données relatives au traitement médicamenteux dans le dossier électronique du patient (opérationnel dans la plupart des hôpitaux belges) ;
– et sur l’évaluation et la documentation des activités et interventions du pharmacien clinicien en termes d’efficience et d’amélioration de la qualité.
Tous les hôpitaux belges ont été invités à présenter un projet. Cinquante-quatre projets ont été retenus. L’analyse des résultats de cette deuxième phase est en cours en examinant systématiquement les points forts, les points faibles, les opportunités et les menaces. Mais au-delà de ce travail, on peut déjà affirmer que cette expérience belge presque « grandeur nature » a pu montrer que « le pharmacien clinicien apporte une plus-value à une thérapie médicale sûre grâce à sa large connaissance des médicaments et son expérience. Les autorités ont reconnu ce fait et soutiennent le rôle du pharmacien [dans les hôpitaux] au moyen de lois et de projets » [7].
Perspectives
– L’approfondissement du dialogue et de la collaboration entre pharmaciens et médecins pour que les soins pharmaceutiques fassent davantage partie intégrante de l’ensemble des soins donnés au patient. Ceci implique : (i) une disponibilité suffisante du pharmacien et (ii) une communication aisée entre médecins et pharmaciens. Il existe ici de réelles opportunités mais elles doivent être saisies.
– La formation adéquate des pharmaciens cliniciens. Ceci ne peut faire l’objet que d’une solution à moyen et long terme au travers de l’amélioration des programmes de formation des pharmaciens hospitaliers dans les domaines de la pharmacie clinique3. Il est donc essentiel d’investir dans cette formation. Cette formation doit dépasser le simple cadre d’un accroissement des connaissances mais doit aussi donner au pharmacien le sens des responsabilités et la prise de décision (sans que celles-ci ne soient imposées). Trop souvent, en effet, la formation des pharmaciens tend à les rendre « experts passifs », ce qui rend le dialogue avec les médecins (formés à la prise de décision) parfois difficile. Elle doit aussi contribuer à donner au pharmacien une vue globale des enjeux et des défis que posent le diagnostic et le traitement correct d’une maladie afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle dans l’approche multidisciplinaire nécessaire à l’hôpital.
– Le financement adéquat des activités de pharmacie clinique. Celles-ci ne donnent pas accès à des honoraires de type prestations (comme d’autres intervenants) et dès lors doivent trouver leur financement dans le budget général de l’hôpital. Le danger ici est que ces activités soient envisagées uniquement sous leur aspect pécuniaire. Mais on peut espérer que les progrès en qualités de soins seront jugés comme suffisamment importants afin de rendre la présence du pharmacien clinicien indispensable. Néanmoins, la dimension économique de la pharmacie clinique ne peut pas être négligée et des efforts pour la mise en place de véritables analyses pharmacoéconomiques de l’activité des pharmaciens cliniciens est indispensable.