CHAPITRE 61 CONCEPT DES SOINS PHARMACEUTIQUES (PHARMACEUTICAL CARE) AU QUÉBEC : UNE APPROCHE SYSTÉMATIQUE DU SUIVI DU PATIENT
INTRODUCTION
La terminologie « Soins pharmaceutiques » utilisée en Amérique du Nord est née d’un besoin de définir de façon plus uniforme la pratique de la pharmacie « axée sur le patient ». Selon Hepler et Strand [1], on peut distinguer trois grandes phases dans l’évolution de la pharmacie au cours des 30 dernières années : la phase traditionnelle de préparation et de distribution de médicaments ; la phase transitionnelle de pharmacie clinique ; et enfin, la phase des soins pharmaceutiques. Selon ces auteurs, le concept des soins pharmaceutiques permet d’intégrer à la pratique pharmaceutique une notion qui n’était pas clairement énoncée auparavant, c’est-à-dire, la responsabilité du pharmacien envers le patient. À cette notion de responsabilité se greffe l’imputabilité du pharmacien envers les résultats pharmacothérapeutiques. Pour s’acquitter de ces tâches, le pharmacien doit apporter des modifications à l’organisation de sa pratique, aux fonctions qu’il exerce et aux principes auxquels il souscrit. Certains éléments permettent de distinguer la prestation des soins pharmaceutique de la pratique transitionnelle :
– on attribue au patient un rôle plus important en le reconnaissant comme partie prenante dans la sélection et le suivi de sa pharmacothérapie ; ainsi, une relation de confiance et de collaboration réelle s’installe entre le pharmacien et le patient ;
– le pharmacien effectue un suivi du patient afin de s’assurer que les résultats pharmacothérapeutiques désirés soient atteints ;
– le rôle du pharmacien complète celui des autres professionnels de la santé ; il adopte une approche interdisciplinaire ;
– les résultats de l’analyse du pharmacien sont clairement consignés au dossier patient (opinion pharmaceutique, note au dossier, etc.) ;
– le pharmacien s’intéresse au patient dans son intégralité, c’est-à-dire qu’il n’effectue pas uniquement l’évaluation de son dossier, ou l’analyse de la pharmacocinétique d’un médicament mais une évaluation globale des problèmes du patient et de l’ensemble de sa pharmacothérapie.
En 1990, la Société Canadienne des pharmaciens d’hôpitaux (SCPH) établissait des niveaux de pratique des services de pharmacie clinique [2]. En fait, les niveaux 3 et 4 définis par la SCPH correspondaient à ce que Hepler et Strand ont par la suite défini comme « soins pharmaceutiques » [1]. Ainsi, il semble logique de considérer les soins pharmaceutiques comme un continuum de la pharmacie clinique. Plus récemment, Hepler [3] réaffirmait que la pharmacie clinique et les soins pharmaceutiques poursuivent les mêmes buts, en utilisant un vocabulaire différent. Selon lui, afin d’assurer la sécurité du patient et la qualité des soins, il est important que l’ensemble des organisations pharmaceutiques unissent leurs efforts pour élever les standards de pratique en pharmacie.
SOINS PHARMACEUTIQUES
En 1990, Hepler et Strand définissaient le concept des soins pharmaceutiques comme l’engagement du pharmacien à assumer envers son patient la responsabilité de l’atteinte clinique des objectifs préventifs curatifs ou palliatifs de la pharmacothérapie [1].
– 1. identifier les problèmes liés aux médicaments (réels et potentiels) chez un patient ;
– 2. résoudre les problèmes réels liés aux médicaments ;
Pourquoi les soins pharmaceutiques doivent-ils être au cœur de la mission des pharmaciens ? Tout d’abord, parce que les médicaments ne sont pas utilisés de façon optimale, ce qui entraîne des coûts de santé considérables. Aux États-Unis, en 1994, on estimait à 76 milliards de dollars par an, le coût des problèmes liés aux médicaments [4, 5]. Plus récemment, une étude utilisant un modèle semblable à celui de Johnson et Bootman estimait que le coût de la morbidité et de la mortalité liées aux médicaments excède 177,4 milliards de dollars pour l’année 2000 [6]. Une revue des études économiques fait état des coûts importants liés aux effets indésirables des médicaments et à la valeur que les patients accordent à leur prévention [7]. Au Canada, Coambs et al. évaluaient en 1995 que le problème de non-fidélité au traitement coûtait entre 7 et 9 milliards de dollars par année [8]. Dans une étude effectuée aux Pays-Bas en 2011, Leendertse et al. rapportaient que le coût moyen d’une hospitalisation évitable associée aux effets indésirables des médicaments était de 5 461 euros [9].
Des problèmes d’observance au traitement médicamenteux ont été fréquemment rapportés auprès de diverses populations de patients européens [10–17]. Le pharmacien, par ses connaissances et compétences en ce qui concerne le médicament, par sa position stratégique entre le patient et son médicament et par la fréquence des rencontres avec son patient, est le professionnel le mieux placé pour identifier, résoudre et prévenir les problèmes liés aux médicaments.
PROBLÈMES LIÉS AUX MÉDICAMENTS
Strand et al. définissent un problème lié aux médicaments comme étant « une réaction indésirable ou un effet chez le patient qui sont liés certainement ou vraisemblablement à une pharmacothérapie, et qui compromettent effectivement ou potentiellement un résultat thérapeutique recherché chez le patient » [18, 19]. Ici, le mot « problème » doit donc être pris au sens large et il inclut tous les signes, symptômes, affections ou maladies susceptibles de survenir chez un patient. Un problème lié aux médicaments peut presque toujours être classé dans l’une des huit catégories indiquées au tableau 61.1.
PRESTATION DES SOINS PHARMACEUTIQUES : LES ÉTAPES
En 1996, la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal a adopté un modèle constitué de six étapes. Ce modèle, développé par Diane Lamarre et Jude Goulet est inspiré des travaux de Hepler et Strand [20, 21]. Nous utiliserons ici des extraits du manuel utilisé pour les cours d’enseignement clinique de la faculté jusqu’en 2009 [20, 21] ainsi qu’un résumé de chacune de ces étapes en expliquant sa raison d’être, la façon de l’accomplir et les résultats attendus.
Madame Anna Proxène se présente à l’officine avec l’ordonnance suivante :
• poursuivre Metoject (méthotrexate), une injection IM effectuée par un(e) aide médicale à domicile, chaque semaine, à la dose de 15 mg par semaine (au lieu de 7,5 mg jusque-là) ;
• prendre Cortancyl (prednisone) 5, un comprimé le matin pendant 10 jours, puis 1/2 comprimé pendant 10 jours et cesser ;
• poursuivre Tilcotil (tenoxicam), un tous les soirs au repas et Profenid (kétoprofène), suppositoires, un à deux par jour.
Étape 1 : établir une relation de confiance avec le patient
Les divers éléments faisant partie de cette étape sont décrits au tableau 61.2 [20, 21].
A. | Aborder le patient avec courtoisie et respect. |
B. | Lors d’une première rencontre, expliquer au patient les objectifs de l’entrevue et les avantages pour le patient. |
C. | Reconnaître le patient lors d’une deuxième rencontre. |
D. | Accorder une attention exclusive au patient. Dans les cas où il est dérangé, s’excuser auprès du patient. |
E. | Faire preuve d’efficacité dans ses échanges avec le patient. |
F. | Reconnaître les aspects où il doit vérifier ses connaissances avant de répondre au patient et rechercher avec efficacité les solutions requises. |
G. | Respecter le patient en l’acceptant avec ses caractéristiques sociales, ethniques, religieuses, intellectuelles, physiques et psychiques. |
H. | Respecter les engagements pris envers le patient. |
Étape 2 : obtenir l’information (recueillir les renseignements pertinents et en faire la synthèse)
La principale fonction du pharmacien qui dispense des soins pharmaceutiques est d’identifier les problèmes liés aux médicaments, de résoudre les problèmes existants et de prévenir ceux susceptibles de survenir. Afin de vérifier cette fonction avec succès, le pharmacien devra disposer de toutes les données essentielles à l’analyse de la pharmacothérapie. Pour chaque cas, le pharmacien devra identifier les données pertinentes dont il aura besoin. L’ensemble des renseignements pouvant être requis pour identifier et résoudre les problèmes est présenté au tableau 61.3 [22].
Le recueil d’informations peut s’effectuer en plusieurs étapes. L’utilisation d’un dossier patient où sont colligées toutes ces données s’avère essentielle au fonctionnement du processus. Il est entendu que tous les éléments ne sont pas indispensables pour chaque patient. Il faut s’adapter aux besoins spécifiques liés à un patient donné et à l’ordonnance qu’il nous remet.
Conditions pathologiques (actuelles et antérieures)
Pas de diagnostic d’ostéoporose.
Pas d’histoire antérieure de maladie ulcéreuse.
Il est important de s’assurer que la patiente ne présente aucune des pathologies identifiées comme contre-indication absolue à l’utilisation du méthotrexate : insuffisance rénale sévère, maladie hépatique, anémie sévère, leucopénie, maladie infectieuse évolutive, alcoolisme [23, 24].
Médication antérieure
– Naproxène, 500 mg 2 fois/j pendant 3 ans (contrôle des symptômes insuffisant [cessé, il y a 6 mois]).
– Hydroxychloroquine, 10 semaines (peu d’amélioration) (cessé, il y a 6 mois).
– Méthotrexate, 7,5 mg IM (1 fois par semaine depuis 6 mois) (bonne réponse thérapeutique jusqu’à ce jour mais incomplète).
– Ténoxican, 20 mg per os par jour depuis 6 mois.