Chapitre 6 Évaluation du patient
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ d’illustrer l’importance de l’évaluation dans le processus de prise en charge du patient ;
✓ de systématiser les diverses étapes de l’évaluation et de la prise en charge du patient traumatisé de façon organisée et rationnelle ;
✓ en fonction d’un scénario donné, d’adapter l’examen global de 15 secondes et l’examen primaire aux particularités d’une situation ;
✓ de faire usage d’un questionnement critique pour établir un lien entre l’examen physique et les données de la scène, avec leurs causes et conséquences probables.
Ce chapitre couvre les aspects essentiels de l’évaluation des patients et de leur prise en charge initiale, et il se fonde sur l’approche enseignée aux médecins dans le programme Advanced Trauma Life Support (ATLS) [1]. Les principes enseignés sont les mêmes que dans les cours de base ou avancés, bien que la terminologie soit parfois différente. Par exemple, l’expression « examen primaire » est utilisée dans le cours ATLS et dans le programme Prehospital Trauma Life Support (PHTLS) pour décrire l’évaluation primaire du patient dans la formation d’emergency medical technician (EMT ; techniciens médicaux d’urgences). L’expression « examen secondaire », dans le cours PHTLS, équivaut à l’ « évaluation secondaire » du patient traumatisé. La plupart du temps, les actions réalisées au cours de chaque phase sont identiques ; les diverses formations utilisent simplement des terminologies différentes (tableau 6-1).
PHTLS | National EMS Éducation Standards |
---|---|
Évaluation de la scène (scene assessment) | Évaluation des lieux (scene size-up) |
Examen primaire | Évaluation primaire |
Examen secondaire | Évaluation secondaire |
Monitorage et réévaluation | Réévaluation |
Établir les priorités
Il y a trois priorités à l’arrivée sur les lieux :
1. La première priorité pour tout intervenant impliqué lors d’un accident traumatique est l’évaluation du site. Cela est abordé en détail au chapitre 5.
2. Lors de la reconnaissance, l’existence d’accidents à plusieurs victimes et de situations de catastrophe changent les priorités : il ne s’agit plus de s’occuper en priorité des blessés les plus graves mais de tenter de sauver un maximum de victimes (faire le maximum pour le plus grand nombre). Le triage est également présenté dans le chapitre 5.
3. Une fois l’évaluation du site terminée, l’attention est portée sur l’évaluation des victimes. Les patients qui semblent le plus gravement atteints devraient si possible être examinés en premier. Les priorités à respecter sont les suivantes, dans l’ordre : a) les lésions menaçant la vie du patient, b) les lésions pouvant provoquer la perte d’un membre, et c) les autres lésions non vitales qui ne menacent ni la vie ni les membres. En fonction de la gravité des lésions, du nombre de victimes et de la proximité des hôpitaux, il est possible que les sauveteurs ne s’occupent pas des lésions qui ne menacent ni la vie du patient, ni l’intégrité de ses membres.
Examen primaire (évaluation initiale)
Chez le patient polytraumatisé en état critique, la priorité est l’identification et la prise en charge rapides des lésions menaçant la vie (encadré 6-1). Plus de 90 % des victimes d’accidents souffrent de blessures simples ne touchant qu’un système (par exemple, une fracture isolée d’un membre). Chez ces patients, il faut prendre le temps de réaliser consciencieusement les examens primaire et secondaire. Chez un patient instable, les intervenants n’auront souvent pas le temps de dépasser le stade de l’examen primaire. Les points clés sont l’évaluation rapide, la mise en route des manœuvres de réanimation et le transport vers un hôpital adapté. Cela ne veut pas dire que les traitements en phase préhospitalière sont inutiles, mais qu’ils doivent être faits plus rapidement, de manière plus efficace et, si possible, réalisés pendant le trajet vers l’hôpital.
Encadré 6-1 Patient monotraumatisé versus patient polytraumatisé
Un patient polytraumatisé présente des lésions touchant plusieurs systèmes, que ce soit le système pulmonaire, circulatoire, nerveux, digestif, musculosquelettique ou cutané. Il peut s’agir par exemple d’une victime d’un accident de la route présentant un traumatisme crânien, une contusion pulmonaire, une rupture de la rate avec état de choc et une fracture du fémur.
Un patient monotraumatisé présente une lésion ne touchant qu’un seul système. Un exemple serait un patient présentant une fracture isolée de la cheville sans hémorragie ni état de choc.
Étape A. Prise en charge des voies aériennes et protection de la colonne cervicale
Voies aériennes
Les voies respiratoires du patient sont rapidement évaluées pour vérifier qu’elles sont libres (c’est-à-dire dégagées et protégées) et qu’aucun risque d’obstruction n’est présent. Si les voies aériennes sont obstruées, il sera pratiqué une manœuvre de dégagement manuel (traction du menton ou subluxation antérieure de la mâchoire), et l’aspiration de sang, de sécrétions et de corps étrangers si nécessaire (figure 6-1). Puis, une fois que l’équipement est déballé, l’utilisation des moyens mécaniques peut être nécessaire (canule oro- ou nasotrachéale, utilisation d’un masque laryngé ou intubation endotrachéale), voire une méthode de ventilation transtrachéale (voir chapitre 7).
Protection de la colonne cervicale
Comme nous l’apprenons lors des programmes de formation, tout patient traumatisé ayant été soumis à une force violente doit être considéré comme étant porteur d’une lésion de la colonne vertébrale jusqu’à preuve du contraire (voir chapitre 10 pour la liste des différentes indications de l’immobilisation). C’est pourquoi, lors du dégagement des voies aériennes, il faut toujours considérer que le patient peut être porteur d’une fracture cervicale instable. Toute mobilisation intempestive peut produire ou aggraver une lésion neurologique due à une compression par des fragments osseux que l’on trouve dans les fractures cervicales. La solution consiste à s’assurer que la colonne cervicale du patient est maintenue en ligne durant les manœuvres de dégagement des voies aériennes et de ventilation. Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas appliquer les manœuvres habituelles de dégagement des voies aériennes. Mais cela se fera en protégeant la colonne cervicale de toute mobilisation. Après avoir pris les mesures nécessaires pour protéger la colonne cervicale, il faut immobiliser la colonne entière. Par conséquent, le corps entier doit être immobilisé en ligne.
Étape B. Respiration (ventilation)
1. Vérifiez si le patient respire.
2. Si la victime ne respire pas, commencez immédiatement une ventilation assistée à l’aide d’un ballon autoremplisseur muni d’un apport d’oxygène avant de continuer votre évaluation.
3. Vérifiez que les voies aériennes de la victime sont dégagées, continuez à assister la ventilation et préparez-vous à insérer une canule oropharyngée ou nasopharyngée, une sonde endotrachéale ou un autre dispositif de protection des voies aériennes.
4. Si la victime respire, estimez la fréquence et l’amplitude des mouvements ventilatoires pour déterminer si l’échange d’air est suffisant, et évaluez l’oxygénation. Veillez à ce que la concentration d’oxygène inspiré soit égale ou supérieure à 85 %.
5. Observez rapidement l’amplitude des mouvements du thorax, et, si le patient est conscient, écoutez-le pour déterminer s’il est capable de faire une phrase complète sans reprendre son souffle.
La fréquence ventilatoire peut être classée en cinq niveaux.
1. Apnée. La victime ne respire plus.
2. Lente. Une fréquence ventilatoire très lente peut indiquer une ischémie (défaut d’apport d’oxygène) au niveau du cerveau. Si la fréquence ventilatoire est égale ou inférieure à 12/minute (bradypnée), il est nécessaire d’assister la ventilation à l’aide d’un ballon autoremplisseur. Cette ventilation assistée doit se faire avec une fraction d’oxygène inspiré (FiO2) égale ou supérieure à 85 % (tableau 6-2).
3. Normale. Si la fréquence ventilatoire est entre 12 et 20 inspirations/minute (fréquence normale pour un adulte), le patient doit être surveillé attentivement. Bien que le patient soit apparemment stable, il devrait recevoir un apport d’oxygène.
4. Rapide. Si la fréquence ventilatoire est entre 20 et 30/minute (tachypnée), le patient doit être surveillé attentivement pour voir si son état se stabilise ou se détériore. L’augmentation de la fréquence ventilatoire est provoquée par une accumulation de CO2 dans le sang ou par un manque d’oxygène. Quand un patient présente une fréquence ventilatoire anormale, la raison doit en être recherchée. Une fréquence ventilatoire rapide indique que les tissus du corps ne reçoivent pas suffisamment d’oxygène. Ce manque d’oxygène provoque l’apparition d’un métabolisme anaérobie (voir chapitre 7) et, finalement, une augmentation du taux de CO2. Les centres de contrôle ventilatoire du cerveau détectent cet excès de CO2 et accélèrent la fréquence ventilatoire pour l’évacuer. C’est pourquoi une fréquence ventilatoire augmentée signale que le patient a besoin d’une meilleure oxygénation, d’une meilleure perfusion ou les deux. Un apport d’oxygène à haute concentration (FiO2 ≥ 85 %) est impératif pour ce patient, du moins jusqu’à ce qu’il ait été évalué complètement. Il importe de s’assurer que la victime maintienne une oxygénation adéquate et d’être attentif à tout changement.
5. Anormalement rapide. Une fréquence ventilatoire supérieure à 30/minute (tachypnée sévère) signale une hypoxie, un métabolisme anaérobie et l’acidose qui en résulte. Une ventilation assistée à l’aide d’un ballon autoremplisseur délivrant une haute concentration d’oxygène (FiO2 ≥ 85 %) doit être immédiatement initiée. Simultanément, on recherche activement la cause de cette fréquence ventilatoire augmentée afin de vérifier si l’étiologie est un problème d’oxygénation ou une mauvaise circulation des globules rouges. Une fois la cause identifiée, l’intervention doit débuter afin de corriger le problème.
Fréquence ventilatoire (inspiration/minute) | Prise en charge |
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Lente (< 12) | Assistance ou ventilation complète avec ≥ 85 % d’oxygène (FiO2 ≥ 0,85) |
Normale (12–20) | Observation ; envisager l’oxygénothérapie |
Rapide (20–30) | Administration de ≥ 85 % d’oxygène (FiO2 ≥ 0,85) |
Anormallement rapide (> 30) | Ventilation assistée (FiO2 ≥ 0,85) |
FiO2 : fraction d’oxygène inspirée.
Lors de l’évaluation de l’état ventilatoire de la victime, il s’agit d’évaluer aussi bien la fréquence que la profondeur de la ventilation. Un patient peut présenter une fréquence ventilatoire de 16/minute mais prendre de très petits volumes. Inversement, un patient peut prendre des inspirations d’amplitude normale mais avec une fréquence très augmentée. La fréquence ventilatoire et l’amplitude des volumes inspirés forment la ventilation minute du patient (voir chapitre 7).
Étape C. Circulation (saignements et perfusion périphérique)
Contrôle des hémorragies
1. Le saignement capillaire est causé par des lésions superficielles qui ouvrent des capillaires de petit calibre situés juste sous la surface de la peau. Ce genre de saignement s’est souvent arrêté spontanément avant même l’arrivée des secours.
2. Le saignement veineux provient de couches plus profondes des tissus. Une compression externe modérée suffit souvent à stopper ce type de saignement. Les hémorragies externes d’origine veineuse ne menacent généralement pas la vie, à moins que les lésions soient très étendues ou que l’hémorragie ne soit pas contrôlée.
3. Le saignement d’origine artérielle est dû à une lésion ayant lacéré une artère. Ce type de saignement est le plus important et aussi le plus difficile à contrôler. Il est caractérisé par un saignement en jet de sang rouge vif. Même une perforation de petite taille peut provoquer une hémorragie mortelle si elle touche une artère en profondeur.
Le contrôle des hémorragies peut être obtenu des façons suivantes.
1. Pression directe. Comme son nom l’indique, le contrôle des saignements consiste à appliquer une pression directe sur le site du saignement. Cela peut être fait au moyen d’une compresse ou d’un pansement compressif directement sur le site du saignement. Ce geste requiert toute l’attention d’un intervenant, et ne lui permet souvent pas d’administrer d’autres soins. Cependant, si l’équipe est limitée, il peut improviser un pansement compressif avec des compresses et une bande élastique. Tant que l’hémorragie n’est pas contrôlée, la perfusion des tissus ne s’améliorera pas, quelle que soit la quantité d’oxygène ou de liquide que le patient reçoit.
2. Garrot. Le garrot a souvent été décrit comme une technique de dernier recours. Diverses expériences en zone de guerre en Afghanistan et en Irak ainsi que leur usage de routine en chirurgie ont conduit à reconsidérer ce jugement [2–4]. La surélévation du membre blessé et l’usage de points de compression artériels ne sont plus recommandés, car on ne dispose pas de preuves de leur efficacité [5,6]. Un garrot est très efficace pour contrôler une hémorragie sévère et doit être utilisé si un saignement d’un membre ne peut être stoppé par compression directe ou pansement compressif.
Étape D. Déficit neurologique
Des troubles de l’état de conscience doivent faire évoquer quatre possibilités :
1. un manque d’oxygénation cérébrale, causé par une hypoxie ou une hypoperfusion ;
2. une lésion du système nerveux central ;
3. l’action de l’alcool ou de drogues ;
4. un dérangement métabolique (diabète, épilepsie, arrêt cardiaque).
Le score de Glasgow est un score utilisé pour mesurer l’état de conscience [7]. C’est une méthode simple et rapide pour mesurer le fonctionnement du cerveau, qui permet aussi de prédire le devenir du patient ; c’est particulièrement vrai pour la meilleure réponse motrice. Il permet également de déterminer une valeur de départ qui servira de référence pour suivre l’évolution du patient. Ce score est divisé en trois sections : 1) ouverture des yeux, 2) meilleure réponse verbale, et 3) meilleure réponse motrice. Le patient se voit attribuer un score correspondant au meilleur résultat de chaque composante (figure 6-2). Par exemple, si l’œil gauche de la victime est trop enflé pour qu’elle puisse l’ouvrir mais qu’elle ouvre spontanément son œil droit, le patient aura le score maximal de 4 pour l’ouverture des yeux. Si le patient n’ouvre pas spontanément les yeux, l’intervenant doit utiliser une commande verbale (« Ouvrez les yeux »). Si la victime ne réagit pas à l’appel, on applique un stimulus douloureux comme d’appuyer un stylo sur un ongle ou de pincer la peau de l’aisselle.