Chapitre 6 Cornée
Topographie
La cornée normale se compose de cinq couches : l’épithélium, la membrane de Bowman, le stroma, la membrane de Descemet et l’endothélium (fig. 6-1). Voir la Section 2 du BCSC, Fundamentals and Principles of Ophthalmology (Fondamentaux et principes d’ophtalmologie) et la Section 8, External Disease and Cornea (Maladies de la surface oculaire et cornée), pour une discussion de l’embryologie, de la structure et de la physiologie de la cornée.
Figure 6-1 Cornée normale. A. La cornée se compose de l’épithélium (Ep), de la couche de Bowman (B), du stroma (S), de la membrane de Descemet (D) et de l’endothélium (En). B. À plus fort grossissement, la coloration par le PAS met en évidence la membrane basale épithéliale (MBE) en la distinguant de la couche de Bowman (B). En raison de la déshydratation tissulaire durant le procédé d’inclusion en paraffine, de multiples zones de séparation des lamelles cornéennes (fentes) sont mises en évidence (flèches). En cas d’absence de ces fentes stromales, un œdème stromal ou une fibrose sont suspectés (le premier si la cornée est épaisse, et la dernière si elle est fine). C. Un grossissement supérieur (coloration H&E) distingue la membrane de Descemet (D) et l’endothélium (En). Les noyaux des kératocytes sont apparents (flèche). Noter que la coloration PAS révèle aussi la membrane de Descemet.
(Remerciements au Dr. Georges J. Harocopos.)
L’épithélium cornéen est de type stratifié, squameux et non kératinisé, comprenant entre 5 et 7 couches en épaisseur. La membrane basale épithéliale est mince et vue au mieux après coloration par le PAS (periodic acid-Schiff). La membrane basale est plus aisément visualisée lorsque survient un épaississement pathologique, tel que dans la dystrophie de la basale antérieure (c’est-à-dire dystrophie en carte-points-empreintes digitales) ou secondairement à une décompensation endothéliale.
La couche de Bowman se situe immédiatement sous la membrane basale épithéliale. Elle est aussi appelée « membrane » de Bowman, mais ce terme peut être trompeur parce que cette couche n’est pas une vraie membrane basale ; c’est-à-dire qu’elle n’est pas produite par les cellules épithéliales. Il est plus approprié de la considérer comme la couche la plus antérieure du stroma. La membrane de Bowman est acellulaire et composée de fibrilles de collagène organisées irrégulièrement. Elle n’est pas reconstituée après traumatisme mais remplacée par un tissu cicatriciel fibroconjonctif.
Le stroma cornéen constitue 90 % de l’épaisseur cornéenne totale. Il consiste en kératocytes sécrétant du collagène, en des lamelles de collagène, et en une substance fondamentale de protéoglycanes. Les lamelles de collagène étirées sont régulièrement espacées et précisément orientées pour entraîner la transparence, qui permet le passage ordonné de la lumière à travers la cornée.
La couche suivante, la membrane de Descemet, est la membrane basale élaborée par l’endothélium cornéen. La production de la membrane de Descemet commence pendant le développement fœtal et se poursuit au cours de l’âge adulte. L’épaisseur de cette membrane peut encore augmenter en cas d’affections endothéliales. La membrane de Descemet (comme la membrane basale épithéliale) est une vraie membrane basale, composée de collagène IV en majorité, et est fortement PAS positive.
L’endothélium cornéen se compose d’une unique couche cellulaire. Les cellules ont un aspect hexagonal qui prédomine lorsque vues de face, comme en microscopie confocale. En coupe histologique perpendiculaire à la cornée, les cellules endothéliales ont une apparence cubique. La fonction première de l’endothélium est de maintenir la transparence cornéenne en déshydratant le stroma cornéen à l’aide de pompes aqueuses. Le nombre de cellules endothéliales diminue progressivement avec l’âge et la perte cellulaire endothéliale s’accélère en cas de maladies endothéliales. Les cellules endothéliales humaines ne peuvent se régénérer. Donc, lorsque le nombre de cellules diminue, les cellules restantes s’amincissent et s’élargissent afin de maintenir un recouvrement de la surface cornéenne postérieure.
Introduction à l’anatomie pathologique cornéenne
Les échantillons cornéens comptent parmi les plus fréquemment adressés à l’anatomopathologiste de l’œil. Au laboratoire d’anatomie pathologique, les spécimens adressés après kératoplastie perforante sont désignés en tant que « boutons » cornéens. Les indications les plus fréquentes de kératoplastie sont citées en tableau 6-1 et abordées ultérieurement dans ce chapitre. Ces dernières années, des alternatives à la chirurgie perforante sont devenues plus fréquemment utilisées pour certaines affections de la cornée. Par exemple, si la cornée antérieure est malade mais que l’endothélium est sain, alors la kératoplastie lamellaire antérieure profonde peut être une option. D’un autre côté, si seul l’endothélium est malade, alors la kératoplastie endothéliale peut être une option (par exemple kératoplastie endothéliale par ablation de la Descemet), dans laquelle seuls l’endothélium et la membrane de Descemet sont enlevés. Des exemples de spécimens à partir de ces interventions sont montrés dans les sections qui leur correspondent.
Kératopathie bulleuse du pseudophaque ou de l’aphaque
Kératocône
Opacité cornéenne visuelle importante (par exemple suite à une kératite infectieuse, particulièrement herpétique)
Échec d’un greffon cornéen existant
Anomalies congénitales
Dystrophie endothéliale congénitale héréditaire
Il existe deux formes de dystrophie endothéliale congénitale héréditaire (DECH) entraînant toutes les deux un œdème cornéen bilatéral. La forme autosomique récessive, qui est la plus commune, est apparente à la naissance, associée à un nystagmus, mais non progressive. La forme autosomique dominante se manifeste pendant les premières années de vie, sans nystagmus, mais progressive (fig. 6-2A). Les loci génétiques de la forme autosomique dominante et récessive de la DECH ont été cartographiés en respectivement 20p11.2-q11.2 et 20p13. En dépit de leurs différences cliniques, les deux formes de DECH ont une apparence histologique similaire. Le stroma cornéen est le siège d’un œdème diffus, rendant compte de l’épaississement majeur observé cliniquement. La membrane de Descemet apparaît épaissie, sans gouttes (fig. 6-2B). La perte cellulaire endothéliale peut être diffuse ou focale. Les caractéristiques histologiques sont globalement très similaires à celles obtenues dans la kératopathie bulleuse du pseudophaque ou de l’aphaque. L’anomalie primitive dans la CHED est supposée être une dégénérescence des cellules endothéliales après ou au cours du 5e mois de gestation. Aucune anomalie systémique n’est constamment associée. Voir aussi la Section 8 du BCSC, External Disease and Cornea (Maladies de la surface oculaire et cornée).
Figure 6-2 Dystrophie endothéliale congénitale héréditaire. A. Apparence clinique avec opacification cornéenne bilatérale. B. Noter l’œdème diffus avec kératopathie bulleuse (flèche). La membrane de Descemet est épaissie de façon diffuse, sans gouttes, et les cellules endothéliales sont absentes.
(Remerciements au Dr. Hans E. Grossniklaus.)
Dystrophie postérieure polymorphe
La dystrophie postérieure polymorphe (fig. 6-3) est une autre dystrophie endothéliale dont l’hérédité peut être autosomique dominante ou récessive, avec la mutation rapportée au locus 20q11. Dans cette affection, l’endothélium a des caractéristiques analogues à l’épithélium. Celles-ci comprennent une multistratification, qui peut être vue en routine sur les coupes histologiques en microscopie optique, et des microvillosités, qui sont au mieux mises en évidence en microscopie électronique. Le nombre total de cellules endothéliales peut être diminué. Un épaississement variable de la membrane de Descemet et des gouttes peuvent être observés. Il peut aussi y avoir un glaucome secondaire soit à angle ouvert, soit associé à des synéchies iridocornéennes. L’opacification cornéenne qui en résulte est typiquement centrale, mais le degré d’opacification est hautement variable, avec quelques patients ne nécessitant jamais de transplantation cornéenne et d’autres en ayant besoin dans l’enfance ou même dans la petite enfance. Voir aussi la Section 8 du BCSC, External Disease and Cornea (Maladies de la surface oculaire et cornée).
Figure 6-3 Dystrophie postérieure polymorphe. A. Apparence clinique montrant des opacités nummulaires (flèches) sur la surface endothéliale. B. Noter la multistratification des cellules endothéliales (flèche).
(Partie A : remerciements au Dr. Andrew J.W. Huang ; partie B : remerciements au Dr. George J. Harocopos.)
Dermoïde
Le dermoïde, un type de choristome qui peut intéresser la cornée, est traité au chapitre 5 (voir fig. 5-2). Les dermoïdes sont typiquement localisés au limbe, mais peuvent atteindre la cornée centrale. Voir aussi la Section 6 du BCSC, Pediatric Ophthalmology and Strabismus (Ophtalmologie pédiatrique et strabisme).
Anomalie de Peters
L’anomalie de Peters représente l’extrémité la plus sévère du spectre des syndromes de dysgénésie du segment antérieur, dans lesquels la migration des cellules de la crête neurale ne se fait pas adéquatement en ce qui concerne le développement de l’angle et le clivage du cristallin à partir de l’endothélium cornéen. Cette anomalie est typiquement bilatérale et sporadique, bien que des modes d’hérédité autosomique dominante et récessive aient aussi été rapportés. Dans cette anomalie, il y a un déficit localisé de la portion centrale ou paracentrale de la membrane de Descemet, appelé ulcère interne de Von Hippel, sur les bords duquel s’insèrent, typiquement, des fibres iriennes adhérentes à la surface postérieure de la cornée. Dans les formes les plus sévères de l’anomalie de Peters, le cristallin est aussi adhérent à la surface cornéenne postérieure. Ces défauts entraînant des degrés variables d’opacification cornéenne, nécessitant souvent une transplantation cornéenne (fig. 6-4).
Figure 6-4 Anomalie de Peters. A. Présentation clinique. Noter les opacités cornéennes centrales, l’opacification cornéenne diffuse et la vascularisation. B. La coloration PAS met en évidence l’ulcère de Von Hippel. La membrane de Descemet s’interrompt sur les bords de l’ulcère interne (flèche). Du tissu irien (à droite de la flèche) adhère à la surface cornéenne postérieure jusqu’au bord de l’ulcère interne. Noter aussi la perte cellulaire endothéliale. C. Cas sévère montrant du tissu cristallinien adhérant à la surface cornéenne postérieure. La flèche signale les bords de l’ulcère interne. Noter la capsule cristallinienne (têtes de flèche), les cellules cristalliniennes épithéliales gonflées (E), les fibres cristalliniennes (F) et du tissu irien avec pigment mélanique (I).
(Partie A : remerciements au Dr Andrew J.W. Huang ; parties B et C : remerciements au Dr George J. Harocopos.)
Inflammations
Kératite infectieuse
Infections bactériennes
Les frottis de grattage obtenus à partir des cornées infectées montrent des amas de polynucléaires mélangés à des débris nécrotiques. La présence de micro-organismes peut être révélée par la coloration de Gram. La mise en culture est utile pour l’identification exacte du micro- organisme et l’évaluation de sa sensibilité aux antibiotiques. Après stérilisation par antibiothérapie de l’ulcère, une kératoplastie transfixiante peut s’avérer nécessaire en cas de cicatrice cornéenne visuellement significative. La kératoplastie est parfois indiquée en urgence pendant la phase infectieuse aiguë, en cas de perforation ou de menace de perforation (fig. 6-5).
Figure 6-5 Ulcère bactérien. A. Apparence clinique d’un ulcère à Pseudomonas. B. Chez ce patient, une kératoplastie perforante a été pratiquée pendant la phase infectieuse aiguë. Sur cette lame en coloration H&E, le bouton cornéen montre une kératite ulcérée avec nécrose stromale et infiltration à polynucléaires neutrophiles (flèche). C. Spécimen de kératoplastie (patient différent) montrant une cicatrice de kératite guérie. Noter la perte de la membrane de Bowman (entre les têtes de flèche), l’amincissement et la fibrose du stroma (flèche), avec un épaississement épithélial compensatoire.
(Partie A : remerciements au Dr. Andrew J.W. Huang ; parties B et C : remerciements au Dr. Georges J. Harocopos.)
Kératites à virus herpès simplex
Le plus souvent limitée à une maladie épithéliale spontanément résolutive, la kératite à herpès simplex se caractérise par un mode d’arborisation linéaire de l’ulcération superficielle et un gonflement des cellules épithéliales appelé dendrite (fig. 6-6A). Le diagnostic est généralement porté par la clinique. Un grattage cornéen obtenu à partir d’un dendrite et coloré au Giemsa révèle la présence d’inclusions virales intranucléaires. Dans les cas atypiques, la détection d’antigènes, la culture de virus ou la réaction de polymérisation en chaîne (polymerase chain reaction [PCR]) peuvent être utiles. Un dendrite est associé à un infiltrat sous-épithélial de cellules inflammatoires et à une perte de la couche de Bowman. Une kératite stromale (fig. 6-6B) peut accompagner ou suivre l’infection épithéliale et conduire à une cicatrice stromale possiblement néovascularisée. Histologiquement, des cellules inflammatoires chroniques et des vaisseaux sanguins peuvent être observés s’introduisant entre les lamelles stromales, d’où le terme de kératite interstitielle (fig. 6-6C) (abordée plus loin). Une endothélite peut aussi survenir avec une réaction granulomateuse au niveau de la membrane de Descemet (fig. 6-6D), qui correspond cliniquement à la kératite disciforme. Les cicatrices cornéennes de kératite herpétique sont l’indication de cause infectieuse la plus fréquente de kératoplastie perforante. La kératite neurotrophique postherpétique peut découler d’une anesthésie ou hypoesthésie et se caractérise en histologie par un stroma non altéré avec une pauvreté en kératocytes (fig. 6-6E).
Figure 6-6 Kératite à virus herpès simplex. Photographies cliniques illustrant une kératite dendritique (A) et stromale (B). C. L’histologie d’un bouton cornéen montre une kératite stromale avec perte de la couche de Bowman (astérisque), cicatrisation et vascularisation stromales (tête de flèche), et cellules inflammatoires disséminées (flèches). D. Un plus fort grossissement sur la microphotographie montre une réaction granulomateuse (entre les flèches) dans la région de la membrane de Descemet (tête de flèche). Noter la membrane fibreuse rétrocornéenne (astérisque) des cellules inflammatoires disséminées et des vaisseaux sanguins (flèche vide). E. Kératite neurotrophique métaherpétique. La photomicrographie montre un stroma cornéen indistinct (astérisques) avec seulement de rares kératocytes (flèche).
(Parties A et B : remerciements au Dr Anthony J. Lubniewski ; parties C et D : remerciements au Dr Tatyana Milman ; partie E : remerciements au Dr Robert H. Rosa Jr.)
Kératite fongique
La kératite mycotique est souvent une complication d’un traumatisme, surtout lorsqu’une matière végétale ou une plante est impliquée, ou bien d’un microtraumatisme relié au port de lentilles de contact. L’usage de corticoïdes, surtout topiques, est un autre facteur de risque majeur. À la différence de la plupart des bactéries, les champignons sont capables de pénétrer la cornée et d’atteindre la chambre antérieure à travers la membrane de Descemet. Les organismes les plus fréquents sont les espèces filamenteuses avec septum, Aspergillus et Fusarium ainsi que la levure Candida. Les Mucorales (filamenteux sans septum) sont moins communs. La culture, particulièrement sur agar de Sabouraud, est utile pour l’identification exacte des organismes spécifiques et l’évaluation de la sensibilité aux antifongiques. Lorsque la culture est négative et que l’identité de l’organisme reste douteuse, une biopsie cornéenne peut être envisagée, pour l’évaluation histologique et par PCR. De nombreux champignons peuvent être vus en coupes tissulaires grâce à des colorations spéciales telles que le Gomori-Grocott au méthénamine–nitrate d’argent (GMS) ou le PAS (fig. 6-7). Des champignons (tels que Mucor) apparaissent quelquefois sur les coupes de routine en hématoxyline-éosine (H&E).
Figure 6-7 Kératite à Fusarium. A. Photographie clinique montrant un infiltrat stromal blanc-gris d’aspect sec, à bords duveteux. B. La coloration Gomori-Grocott-méthénanine–nitrate d’argent (GMS) du bouton cornéen révèle des hyphes fongiques (en noir). Noter que les champignons ont pénétré à travers la membrane de Descemet (flèche).
(Partie A : remerciements au Dr Andrew J.W Huang ; partie B : remerciements au Dr George J. Harocopos.)