CHAPITRE 59 MÉDICAMENTS ET PERSONNES ÂGÉES
GÉNÉRALITÉS
D’un point de vue clinique et pharmaceutique, les personnes âgées ont souvent de multiples comorbidités qui nécessitent la prise de plusieurs médicaments. En moyenne, 40 % des personnes âgées de plus de 75 ans prennent au moins 5 médicaments par jour, et les chiffres sont généralement plus élevés pour les personnes institutionnalisées et hospitalisées. Dans une étude récente menée dans plusieurs hôpitaux en Europe, le nombre médian de médicaments pris était de 6 et 44 % des patients qui prenaient plus de 5 médicaments par jour [1]. Une autre particularité de la population âgée concerne la présentation clinique des problèmes médicaux qui est souvent atypique. Par exemple, environ seulement la moitié des personnes âgées avec un infarctus du myocarde rapportent une douleur rétrosternale. De façon similaire, une douleur aiguë ou un problème infectieux peut se présenter uniquement avec de la confusion, sans les autres symptômes typiquement rencontrés chez l’adulte plus jeune. Cela rend le diagnostic plus difficile et retarde donc potentiellement la prise en charge adéquate du patient.
MODIFICATIONS PHARMACOCINÉTIQUES ET PHARMACODYNAMIQUES LIÉES À L’ÂGE
D’un point de vue pharmacocinétique, plusieurs modifications liées à l’âge sont susceptibles de modifier l’absorption, la distribution, le métabolisme ou encore l’élimination des médicaments. Le tableau 59.1 présente les modifications pharmacocinétiques qui ont un impact clinique connu.
Un paramètre important à prendre en compte dans le cadre de soins pharmaceutiques est la diminution de la filtration glomérulaire. Il est important de pouvoir évaluer ce paramètre et ne pas se limiter à la valeur de la créatinine sérique. En effet, une valeur normale de créatinine sérique cache régulièrement, au vu de l’âge avancé et d’un poids parfois faible, une diminution significative de la fonction rénale. Il n’y a pas de consensus clair sur la meilleure formule à utiliser. La formule MDRD semble être un meilleur indicateur de la fonction rénale chez les personnes âgées. Cependant, lorsque la posologie des médicaments doit être adaptée, plusieurs sources recommandent l’utilisation de la formule de Cockroft & Gault.
PROBLÈMES LIÉS À L’UTILISATION DES MÉDICAMENTS CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE : GÉNÉRALITÉS
Pourquoi la personne âgée est-elle plus à risque ?
Ensuite, comme expliqué plus haut, les modifications phar-macocinétiques et pharmacodynamiques augmentent le risque iatrogène si le prescripteur n’en tient pas compte (principalement pour adapter les doses). D’autres facteurs moins directement liés à l’aspect médical peuvent jouer un rôle déterminant dans l’iatrogenèse. Il s’agit par exemple de problèmes de compliance, dont les causes peuvent être nombreuses.
PRESCRIPTION ET SUIVI DE LA PRESCRIPTION
Catégories de prescription inappropriée
Les erreurs de prescription, ou prescriptions dites « inappropriées «, sont une des causes principales d’événements iatrogènes chez la personne âgée. On distingue en général trois catégories de prescriptions inappropriées. Le tableau 59.2 illustre quelques exemples fréquents pour chacune de ces catégories.
– choix de médicament : certains médicaments sont considérés comme n’étant pas appropriés pour les personnes âgées, parce que les risques liés à leur utilisation l’emportent sur les bénéfices ; dans la plupart des cas, il existe une option thérapeutique plus acceptable ou plus appropriée ;
– modalités d’administration, qui peuvent être non correctes ou non pratiques pour le patient ;
– interaction médicament-médicament ou médicament-maladie ;
– durée de traitement (ce qui peut de surcroît avoir des conséquences sur le coût pour le patient et la société) ;
Outils pour évaluer la prescription chez la personne âgée
Certains consistent en des listes explicites de médicaments ou situations à risque impliquant des médicaments. Par exemple, aux États-Unis et au Canada, des consensus d’experts ont établi des listes de médicaments à éviter chez la personne âgée, parce que les risques liés à leur utilisation sont supérieurs aux bénéfices. La liste la plus connue est celle de Beers [5, 6]. Cette liste a le mérite d’attirer l’attention sur le rapport bénéfice : risque régulièrement défavorable chez la personne âgée. Elle présente toutefois de nombreux inconvénients. Tout d’abord, plusieurs médicaments figurant sur cette liste ne sont pas commercialisés dans d’autres pays, et inversément il est probable que certains médicaments commercialisés dans d’autres et non aux États-Unis pourraient y être ajoutés. Plusieurs équipes en Europe ont utilisé cette liste pour développer une liste plus adaptée à leur pays. C’est par exemple le cas de la France [7]. Ensuite, il y a des controverses sur certains médicaments inclus dans ces listes, comme par exemple l’amiodarone. Enfin, il ne faut pas tomber dans le travers de limiter la prescription inappropriée à la prescription de médicaments « à éviter en gériatrie «. En effet, les chiffres issus de la littérature montrent clairement que d’autres problèmes tels que la sur- ou sous-prescription ou que les problèmes d’interactions sont au moins aussi fréquents.
Un nouvel outil intéressant a été créé en 2008 par une équipe irlandaise [8]. Il s’agit des critères STOPP et START. Ces critères reprennent 65 situations cliniques où un médicament ne devrait pas être prescrit (STOPP) et 22 situations où un traitement devrait être introduit (START). Cette liste présente plusieurs avantages par rapport à la liste de Beers, en termes de pertinence, d’exhaustivité et de valeur prédictive pour les événements iatrogènes. Il a même été démontré que l’utilisation de cette liste en routine clinique permettait de diminuer les conséquences cliniques délétères en lien avec la prescription inappropriée. Une nouvelle version est en préparation. Il est à ce jour tout à fait envisageable pour des pharmaciens d’utiliser cette liste pour les aider à évaluer les prescriptions chez les personnes âgées.
D’autres outils sont moins explicites et proposent une liste de questions à se poser ainsi qu’une méthode pour y répondre. La plus connue est le MAI (« Medication Appropriateness Index «) [9]. Cet outil propose, pour chaque médicament pris par le patient, de répondre à 10 questions permettant d’évaluer la qualité de prescription de ce médicament. Une question concerne la surprescription (« y a-t-il une indication valable ?), les neuf autres concernent le « misprescribing «. Son avantage principal est qu’il est très complet, avec donc pour inconvénient le temps nécessaire pour pouvoir l’appliquer. D’un point de vue pédagogique, l’utilisation de cet outil est un excellent moyen de former les pharmaciens à la démarche d’analyse des prescriptions en gériatrie.