58: ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT : CONTEXTE, CONCEPTS ET MÉTHODES

CHAPITRE 58 ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT : CONTEXTE, CONCEPTS ET MÉTHODES








Les deux enquêtes nationales sur les événements indésirables graves (EIG) liés aux soins (ENEIS 1 et 2), menées en 2004 et en 2009 [1], mettent en évidence l’importance de l’iatrogenèse en France et plus particulièrement de l’iatrogenèse médicamenteuse. Ces résultats nous imposent de proposer des stratégies d’actions concertées entre acteurs du circuit du médicament (médicaux, paramédicaux, patients et/ou entourage), afin de prévenir, identifier et corriger les erreurs médicamenteuses pouvant survenir aux différentes étapes de ce circuit (se reporter au chapitre 2 « L’iatrogenèse : quels enjeux pour la pharmacie clinique ? «).


Entre la prise en charge « techniquement optimale « telle que peut la définir un professionnel de santé (et que s’attache à décrire l’ensemble des chapitres de cet ouvrage) et la prise en charge « la plus adaptée possible « aux réalités du patient, il existe souvent un décalage. C’est ce décalage qui est en jeu, dans la notion d’observance (ou compliance en anglais). Selon la définition fondatrice de Haynes, dès 1979, la notion d’observance thérapeutique se définit comme « l’importance avec laquelle les comportements d’un individu (en termes de prise de médicaments, de suivi de régime ou de changements de mode de vie) coïncident avec les conseils médicaux ou de santé « [2]. L’observance et son absence, la non-observance, touchent non seulement au respect de la prise des médicaments prescrits mais aussi à tous les aspects des traitements. Les taux d’observance observés dans la littérature sont très fluctuants, compte tenu de la complexité du phénomène : de 20 % (traitement de l’asthme) à 71 % (traitement de l’arthrose), avec une médiane aux alentours de 40 à 50 %, représentée par le traitement du diabète ou de l’hypertension [35]. La sémantique évolue de la notion d’observance (reflet de postures paternaliste du soignant et passive du patient) vers la notion d’adhésion (ou adherence en anglais), reflet d’une participation active du patient à la décision et d’une acceptation de s’engager et de persister dans la mise en pratique d’un comportement prescrit. Ce comportement possède un caractère dynamique, évolutif dans le temps du fait de l’influence de différents facteurs en fonction des événements de vie du patient. Ces différents déterminants de l’observance ont été structurés selon cinq dimensions par l’OMS (2003) :



Les conséquences de la non-observance sont médicales : inefficacité de la prise en charge, aggravation de la pathologie, apparition de complications. À titre d’exemple, une observance de moins de 95 % dans le cas d’un traitement du VIH risque d’induire une inefficacité thérapeutique, voire un développement de virus résistants [6]. De même, une diminution de 10 % d’observance dans la prise des traitements antidiabétiques oraux dans une population de diabétiques de type 2 conduit à une augmentation de 0,16 % du taux d’HbAlc [7], conduisant à une escalade thérapeutique. Ces conséquences sont, in fine, économiques : augmentation des coûts de traitement et des taux d’hospitalisation [8]. Par exemple, la non-observance des prises d’antidiabétiques oraux augmente de manière significative les réhospitalisations [9], de même pour les traitements antihypertenseurs [10]. Selon une revue Cochrane de 2005, le coût global de la non-observance aux États-Unis est estimé à 100 millions de dollars [11].


Au final, le patient se retrouve seul face à son traitement, pour décider de se soigner : qu’a-t-il compris ? Qu’a-t-il accepté de comprendre ? Quelles vont être ses habiletés à mettre en œuvre les actions adaptées ? Comment est-il préparé sur le plan organisationnel à cette nouvelle épreuve ? Que représente pour lui la maladie ? A-t-il la motivation à se soigner ? S’en sent-il capable, a-t-il confiance en lui et en ses actes ? A-t-il identifié ses ressources ?


Le pharmacien clinicien, dans l’équipe de soins, est coresponsable de la sécurité du patient et, spécifiquement, de la prise des médicaments. La réflexion qui fonde ce chapitre porte sur les moyens pédagogiques disponibles pour minimiser l’écart entre le projet du professionnel et celui du patient.


Nous proposons dans ce chapitre de définir les concepts qui sous-tendent cette démarche éducative, de présenter quelques modèles issus des sciences sociales auxquelles elle se réfère, de discuter de l’impact médical de ce type de stratégie et de ses perspectives pour la pharmacie clinique.



L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT : QUELS CONCEPTS MAJEURS ?


Aujourd’hui, la santé est considérée comme un service pour lequel les « usagers « et les associations de patients demandent de mieux connaître les modalités et les finalités des démarches de santé. La loi du 4 mars 2002 confère aux patients des droits nouveaux, dont la possibilité de participer à des décisions thérapeutiques qui les concernent, à partir de connaissances qui leur auront été transmises. Cette approche vise à responsabiliser les patients en leur permettant d’être des utilisateurs avisés du système de santé. Cette politique a pour but de favoriser les comportements individuels pouvant contribuer à réduire le risque de maladie et d’accident iatrogénes. Elle tend à développer des actions d’information et d’éducation pour la santé et des actions d’éducation thérapeutique.


Définir santé et éducation est un préalable nécessaire à cette démarche. Deccache et Meremans [12] proposent une synthèse des concepts majeurs (tableau 58.1). Pour définir la santé, les auteurs distinguent le système biomédical et le système biopsychosocial. Le premier système appréhende la santé comme l’absence de maladie, elle-même définie comme un problème organique (biophysiologique), objectivable, déterminé par une ou plusieurs cause(s) qui doivent être identifiées et traitées. Le second modèle englobe le premier, auquel il ajoute plusieurs éléments : la santé y est définie comme un état de bien-être physique, mental et social, et pas seulement comme l’absence de maladie (Art. 1er de la Constitution de 1948 – OMS) ; la santé y est à la fois objective (contrôlable par des mesures biophysiologiques) et subjective (en tant que volet d’une construction personnelle et/ou sociale, variant selon les groupes et les périodes) ; la santé concerne l’individu, son entourage ainsi que la société.



Deux modèles d’éducation sont à leur tour proposés : le premier décrit une logique classique d’enseignement, centrée sur l’enseignant utilisant des méthodes « transmissives « et inductives des savoirs à acquérir. Il est illustré par l’enseignement formel où les objectifs et les contenus de formation sont prédéfinis et où le but est la transmission de savoirs. Le deuxième modèle s’inscrit dans une logique dite d’apprentissage, l’acteur principal étant la personne qui apprend. Cette personne contribue en priorité à la définition des objectifs et des contenus de son apprentissage. L’acte éducatif commence alors par l’aide à la définition des objectifs d’apprentissage et vise à l’acquisition des savoirs, savoir-faire et des savoir-être nécessaires pour atteindre le but fixé par l’apprenant, ou conjointement par le formateur et l’apprenant. Les méthodes y sont participatives et déductives [13, 14]. Le croisement des modèles de santé et d’éducation fournit quatre types possibles d’éducation pour la santé présentés dans le tableau 58.1.


L’information du patient s’insère très souvent dans le modèle de type 1, à savoir une logique de diffusion d’information d’un savant (le professionnel) à un naïf (le patient) sur des données biomédicales. Les démarches d’éducation en santé visent à intégrer le modèle biopsychosocial dans lequel le patient est acteur de son apprentissage (type 4).



L’information des patients : une obligation légale


Le droit à l’information est affirmé par la loi hospitalière du 31 juillet 1991. Il est fait obligation aux établissements de veiller à la mise en œuvre effective des droits des patients, et en particulier celle de délivrer des informations : « dans le respect des règles déontologiques qui leur sont applicables, les praticiens des établissements assurent l’information des personnes soignées « [15]. Cette obligation est rappelée dans la charte du patient hospitalisé [16]. La loi du 4 mars 2002 a consolidé l’obligation d’information pour tout professionnel de santé : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposées … Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel « (article L.1111-2) [17]. Le manuel de certification des établissements de santé V2010, dans son chapitre « prise en charge des patients « intègre une partie sur les « droits et place des patients « ciblant, entre autres, l’information donnée aux patients (ses modalités, son accès facilité, son évaluation) qui prend en compte la loi du 4 mars 2002 [18]. L’obligation d’information n’est pas spécifique aux médecins, elle incombe à tous les professionnels de santé. Elle est protégée par les règles de confidentialité et du secret professionnel. Cette information doit être organisée pour garantir la cohérence des renseignements donnés par chacun des intervenants. L’information donnée au patient doit lui permettre d’être en mesure de faire des choix « éclairés « à partir des différents renseignements communiqués par le professionnel. Le patient devient un acteur à part entière de sa prise en charge, capable de prendre une décision éclairée le concernant. Le défaut d’information engage la responsabilité des établissements et des professionnels de santé.



L’éducation pour la santé : en amont de la maladie


L’éducation pour la santé s’intéresse aux comportements de santé et au mode de vie du patient actuel ou potentiel [19]. Elle se situe dans un registre de santé primaire, au sens de l’OMS. L’éducation pour la santé s’adresse à des personnes en bonne santé et vise une information du grand public pour réduire le risque d’apparition de maladies. Les actions envisagées reposent sur des campagnes de communication, des mises à disposition d’informations sur les maladies, sur les moyens de prévention, voire des actions éducatives de proximité ciblant des besoins ou attentes particulières de groupes d’individus. À ce titre, cette activité repose autant sur des soignants que sur des éducateurs pour la santé.



L’éducation thérapeutique du patient : un projet construit et partagé entre le patient et le soignant


Le mot « éduquer « a pour origine étymologique ex ducere, qui signifie littéralement « conduire hors de «, et renvoie à une conception endogène dans laquelle l’éducation a pour but premier d’aider la personne à se découvrir, à s’épanouir, à utiliser au mieux ses potentialités. L’éducation thérapeutique conduit la personne à grandir, à se dépasser [20].


Ces dernières années, différentes définitions de l’Éducation thérapeutique du patient (ETP) ont été proposées et apportent chacune des éléments caractéristiques du processus [2125]. Retenons celle adaptée de Deccache et Lavendhomme [15] et de la définition de l’OMS [16] : « L’éducation du patient est un processus continu, par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un ensemble d’activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’aide psychologique et sociale, concernant la maladie, les traitements, les soins, l’organisation et procédures de soins, le traitement, les comportements de santé et ceux liés à la maladie, et leurs facteurs d’influence (représentations de santé et maladie, représentations de rôle, pouvoir sur la santé, sentiment d’efficacité, sens de la maladie et de la santé, etc.). Ce processus est destiné à aider le patient (et sa famille) à comprendre la maladie et les traitements, participer aux soins, prendre en charge son état de santé et favoriser un retour aux activités normales et au projet de vie. Il s’effectue entre des acteurs (institution, soignants, patients et familles), vise des objectifs de santé définis à partir d’aspirations et de besoins objectifs et subjectifs, se réalise dans un contexte institutionnel et organisationnel impliquant des ressources et des contraintes, utilise des méthodes et moyens éducatifs et nécessite des compétences et des structures de coordination « [15, 16].


L’objectif est d’aider le patient à acquérir ou maintenir les compétences (d’auto-soins et d’adaptation) dont il a besoin pour gérer au mieux sa vie avec une maladie chronique dans le but d’améliorer ou de stabiliser sa santé objective et sa santé perçue (sa qualité de vie). Cette démarche multiprofessionnelle est centrée sur le patient, continue, planifiée et intégrée à la démarche de soins.


En définitive, les trois niveaux d’action décrits précédemment (information, éducation pour la santé, éducation thérapeutique du patient) sont conceptuellement disjoints mais bien évidemment complémentaires, dans une chronologie d’accompagnement du patient.



L’éducation thérapeutique du patient : quels modèles psychosociaux sous-jacents ?


Pour les sciences sociales, l’existence d’une discordance entre la prescription médicale et les conduites réelles des patients n’est pas surprenante. En effet, l’élaboration de sa propre tâche par le patient prendra en compte la tâche prescrite, mais elle fera aussi intervenir les caractéristiques du patient : ses compétences, ses motivations, sa personnalité, ses objectifs personnels, ses représentations, son vécu, etc. [26].



Appréhender les représentations des patients …


Les représentations peuvent se définir comme « l’idée que l’on se fait de … « et correspondent à des états de connaissances antérieurs à un apprentissage systématique [27]. Les connaissances initiales sont construites à partir d’expériences vécues, de connaissances transmises par la famille, les médias, la société. Herzlich (1969) définit les représentations comme des phénomènes de nature double. En effet, les propos recueillis sur la santé peuvent refléter les opinions individuelles et/ou la façon dont la société a construit ces idées (in [17]).


D’un point de vue didactique, si les représentations ne sont pas prises en compte par l’enseignant, les idées en place font obstacle aux explications données [28, 29]. Cette nouvelle information doit trouver sa place, ce qui signifie qu’elle n’apporte aucune contradiction aux connaissances antérieures ni ne remet en cause la cohérence de leurs constructions [19].



… afin de donner à ce dernier les clés pour faire évoluer ses comportements


Un ensemble de modèles a proposé d’analyser, de structurer le lien entre représentations et comportements (actes) [30]. Ils s’inspirent de la théorie de l’utilité espérée (Subjective Expected Utility) de Edwards (1954) qui considère l’adoption de certains comportements qu’ils soient à risques ou sains comme résultant d’une évaluation préalable de leurs coûts et bénéfices.


Parmi ces modèles, le « Health Belief Model « ou modèle des croyances de santé [31, 32] a été construit pour prédire les comportements sains ou à risques à partir de quelques facteurs cognitifs (évaluations, perceptions, croyances), afin d’essayer de comprendre les réticences des patients à adopter des mesures préventives et à être observant. Ce modèle est appliqué à la perception que peut avoir un patient de sa maladie et de son traitement [27]. Il est fondé sur les croyances et motivations à se traiter des patients. Les perceptions individuelles (niveau de susceptibilité à développer la maladie, de sévérité de la maladie) dépendent du niveau de connaissances de la personne et ont une influence sur la perception de la menace de la maladie. Les perceptions individuelles des bénéfices et des obstacles à l’adoption de comportements ont un impact sur la probabilité d’adhérer à ce comportement. Les déclencheurs de l’action peuvent être internes (signes cliniques perçus) ou externes (médias, interactions interpersonnelles).


La théorie sociale d’apprentissage de Bandura (1977, 1986) a montré que l’auto-efficacité perçue ou sentiment d’efficacité personnelle, caractéristique individuelle qui se développe à travers les expériences personnelles de succès et d’échec, joue un rôle de médiateur vis-à-vis de l’adoption effective de certains comportements. Elle postule que l’adhésion d’une personne à un comportement est influencée par ses croyances en, d’une part, sa capacité à réaliser un comportement, d’autre part l’impact positif attendu de ce comportement. Chez un fumeur, par exemple, on peut recueillir les attentes d’auto-efficacité « je pourrais m’arrêter de fumer si je voulais «, les attentes concernant les conséquences des comportements « fumer peut provoquer un cancer des poumons, arrêter de fumer peut réduire ce risque «, les motifs qui renforcent les comportements « fumer réduit l’anxiété «.


Les théories de l’action raisonnée [33] et du comportement planifié [34] postulent que le déterminant immédiat du comportement est l’intention. Ce modèle intègre quatre composantes : les croyances, les valeurs, les normes sociales ou subjectives et les motivations. Il inclut les croyances relatives aux conséquences d’un comportement et l’évaluation de ces conséquences, l’ensemble constituant les attitudes. Ainsi, l’adoption d’un comportement sain, comme faire de l’exercice, est prédite par l’intention de s’engager dans cette action.


À ce stade de la réflexion, il est intéressant de noter que la synthèse des trois modèles cités précédemment permet d’extraire trois types de facteurs, à savoir la motivation à agir, en lien avec les croyances, la perception des bénéfices attendus ; l’intention d’agir en lien avec l’estime de soi (la perception que j’ai de ma propre valeur, qui se construit sur la base des interactions que j’opère avec mon environnement) et le soutien social perçu (la perception que j’ai d’appartenir à un réseau sur qui je peux compter) – qui paraissent influencer les comportements des patients et seront par conséquent à identifier et intégrer afin d’avancer dans un processus d’éducation thérapeutique.


De plus, le modèle transthéorique de changements de Prochaska et Di Clemente [35] nous indique que le changement de comportement ne progresse pas de façon linéaire mais selon un modèle de spirale [36] : le patient réévalue constamment sa position, en fonction du contexte et de ses contraintes, de l’évaluation des bénéfices et risques de la stratégie de soins, de l’estimation de son auto-efficacité. Il traverse ainsi ces différents stades d’acceptation évolutifs, qui peuvent se succéder, se répéter, se modifier en fonction du contexte. Des applications du modèle de Prochaska existent dans le cadre du sevrage tabagique et des addictions ainsi que plus récemment dans le domaine de la diabétologie [37].



L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT : QUELLE OPÉRATIONNALISATION ?


Différents organismes se sont investis dans la mise en place de démarches structurées concernant les pratiques en éducation thérapeutique : l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) dont le rôle est de concevoir et produire différents programmes nationaux de prévention et d’éducation thérapeutique, d’établir avec les professionnels concernés les critères de qualité pour les actions, les outils pédagogiques et les formations d’éducation thérapeutique ; la Haute autorité de santé (HAS) qui a, en 2007, élaboré des recommandations destinées à tous les professionnels de santé s’orientant vers une démarche d’éducation thérapeutique dans la prise en charge d’un patient.


À ce jour, la France est le seul pays à avoir légiféré sur l’ETP, son cadre conceptuel et sa pratique. L’ETP se fonde dans la pluri-professionnalité. À ce titre, le pharmacien, quel que soit son mode d’exercice, peut devenir acteur d’ETP, dans le champ de toutes les maladies chroniques relevant d’ALD (affection longue durée). Un ensemble de textes réglementaires impose le cadre de cette pratique, avec comme socle l’Article 84 de la Loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST) promulguée le 21 juillet 2009. Les articles L. 1161-1 et L. 1161-2 du code de la Santé publique (CSP) insérés par l’article 84 de la loi définissent l’ETP et l’inscrivent dans le parcours de soins du patient [38]. On y trouve la notion de programme et de compétences en ETP. Ces programmes personnalisés sont proposés au patient par le médecin prescripteur. L’ETP n’est pas opposable au patient et ne peut conditionner le taux de remboursement des actes et des médicaments afférents à sa maladie. L’évaluation des programmes d’ETP est entre les mains de la HAS. Ces articles définissent également le rôle des Agences régionales de santé (ARS) : autorisation des programmes, coordination de l’offre territoriale en ETP. Les articles L. 1161-2, 3 et 5 du CSP distinguent les programmes d’éducation thérapeutique proprement dits, les actions d’accompagnement et les programmes d’apprentissage.


En effet, les actions d’accompagnement font partie de l’éducation thérapeutique et « ont pour objet d’apporter une assistance et un soutien aux malades, ou à leur entourage, dans la prise en charge de la maladie «. L’ETP stricto sensu s’en distingue en ce qu’elle fait partie intégrante des soins pratiqués par les professionnels de santé qui ont en charge le patient. Les programmes d’apprentissage visent à l’appropriation, par le patient, de gestes techniques lui permettant le bon usage d’un médicament ou d’un dispositif médical Ils permettent de donner des conseils dans la « manière de faire « (ingestion, injection, pose d’appareils etc.). Ils peuvent être demandés par les industriels qui souhaitent renforcer les précautions d’emploi ou diminuer l’iatrogénie et sont soumis à l’autorisation de l’ANSM (dans le respect de ses recommandations et de celles de la HAS).


En août 2010 sont parus deux décrets et deux arrêtés d’application de la loi HPST concernant l’ETP, qui spécifient : 1, le format des dispositifs éducatifs ; 2, les compétences attendues des professionnels impliqués.


Que nous disent ces textes ?



L’ETP : par qui ?


Deux types d’intervenants peuvent être distingués : les promoteurs et les acteurs.


Concernant les promoteurs, le rôle des associations de patients est primordial dans le soutien de l’éducation thérapeutique du patient, la diffusion des messages, la participation à la formation des acteurs et à l’organisation des dispositifs. Les associations de santé, les institutions, les maisons de santé, les services hospitaliers et les structures de santé en général sont des promoteurs potentiels de ce processus. La place de l’industrie pharmaceutique est clarifiée : le financement est possible, mais aucun contact avec les patients n’est autorisé.


Concernant les acteurs, le processus d’éducation thérapeutique nécessite une équipe pluri- et/ou multiprofessionnelle de personnels soignants formés à la démarche d’éducation thérapeutique (médecin, pharmacien, infirmier, kinésithérapeute, ergothérapeute, diététicienne, podologue, dentiste, psychologue, etc.), associée à un partenariat fort avec des intervenants non soignants (le patient lui-même, des associations de patients ou des représentants des patients, des travailleurs sociaux). L’éducation thérapeutique qui n’est pas un acte spécifique attribué à une profession de santé particulière, trouve au contraire, sa richesse dans son organisation en équipes multiprofessionnelles. Chaque membre a une spécificité dont l’apport enrichi l’éducation thérapeutique [19, 39]. Participer à l’équipe d’éducation thérapeutique nécessite la cohérence des décisions thérapeutiques, des discours énoncés et des approches pédagogiques et psychosociales. L’instauration de réunions régulières d’équipe permettant d’effectuer des synthèses pour chaque patient, d’échanger sur les pratiques éducatives et la mise en place d’un outil commun coordonnant les actions réalisées du type « dossier d’éducation « sont des moyens nécessaires à la cohérence et la qualité du système.


Le décret nº 2010-906 du 2 août 2010 et l’arrêté correspondant définissent précisément les compétences requises pour la pratique de l’ETP, qui passent par une formation initiale ou continue d’une durée minimale de 40 heures. Elles peuvent être partagées au sein d’une équipe pluri professionnelle. Le texte définit quinze compétences, regroupées en sept compétences génériques, et associées à quatre domaines : compétences relationnelles, pédagogiques et d’animation, méthodologiques et organisationnelles, biomédicales et de soins.


Les sept compétences génériques attendues sont :



Si certaines de ces compétences sont déjà partagées par les professionnels de santé dont les pharmaciens (2 et 3 notamment), il ne s’agit plus seulement d’informer le patient, comme l’impose la loi du 4 mars 2002, ni de diffuser une information « générique «, c’est-à-dire définie en amont, pour une diffusion de masse : ceci est l’objet de l’éducation pour la santé, qui s’adresse à des personnes en bonne santé et vise le grand public pour réduire le risque d’apparition de maladies. En ce qui concerne l’ETP, il s’agit de partir des besoins du patient (exprimés ou révélés), ce qui suppose une posture d’écoute active, de définir des objectifs éducatifs adaptés à chaque patient, les négocier avec lui et évaluer l’atteinte de ces objectifs. Tout ceci passe par une remise en cause de la pratique des soignants, une formalisation de leurs façons de faire (tournées vers les besoins du patient) et l’apprentissage de certaines techniques (d’écoute active, de négociation, de renforcement de la motivation …).


Dans cette perspective, le pharmacien intègre les équipes multiprofessionnelles et apporte son expertise autour du médicament. Il peut être plus particulièrement chargé d’accompagner les patients dans la maladie et spécifiquement dans la compréhension, l’adhésion au traitement prescrit, dans le respect des prises et dans le bon usage des médicaments en termes de modalités, de précautions et d’organisation pratique [40]. Nous reviendrons sur ce point en synthèse du paragraphe.




L’ETP : quels objectifs ?


Rappelons que l’éducation thérapeutique n’est pas une simple diffusion d’informations. La démarche d’éducation thérapeutique s’appuie sur des modèles théoriques de l’apprentissage. Houssaye [41] définit l’apprentissage comme l’acquisition d’un comportement nouveau ; cette acquisition étant consciente ou inconsciente. L’apprentissage est un processus actif au cours duquel l’apprenant sélectionne l’information en fonction de l’importance qu’il lui accorde. L’apprenant réfléchit avant, pendant et après l’action ; au cours de sa réflexion, il mobilise des représentations et des savoirs de sources diverses.


Il existe trois types de savoirs que l’apprenant peut acquérir [42].



La compétence peut alors se définir comme la potentialité d’une personne à mobiliser dans l’action un certain nombre de savoirs combinés de façon spécifique, en fonction d’un contexte particulier, dans une situation spécifique [43].


Sans cette capacité de mobilisation et d’actualisation des savoirs, il n’y a pas de compétences, mais seulement des connaissances.


Sur cette base, l’éducation thérapeutique vise, de manière opérationnelle, à :




L’ETP : quelle structuration ?


Le décret nº 2010-904 et l’arrêté du 2 août 2010 relatifs aux conditions d’autorisation des programmes d’ETP imposent une demande d’autorisation des programmes auprès de l’ARS. L’équipe soumet le programme, et l’accord est donné pour quatre ans. Les modifications par rapport à la déclaration initiale sont à déclarer annuellement. Le retrait de l’accord est possible, si le contexte de santé publique ou les conditions initiales de déroulement du programme sont modifiés.


Dans la demande d’autorisation doivent figurer :



–  le statut et la qualification des personnes impliquées (au moins 40 heures d’une formation reconnue et validée pour un des éducateurs du dispositif) ;


–  la coordination : deux professionnels de santé au moins (dont un médecin s’il n’est pas le coordonnateur) de professions différentes, dont l’un au moins justifie de compétences en ETP ou d’une expérience rapportée par écrit d’au moins 2 ans ;


–  les types d’échanges prévus entre intervenants et avec l’extérieur ; en particulier, les stratégies de communication envisagées avec le médecin traitant doivent être notifiées (comptes rendus) ;


–  les objectifs : critères d’efficacité (qualité de vie, autonomie, critères psychosociaux, recours au système de soins), objectifs éducatifs partagés et programme ETP personnalisé ;


–  la population concernée (trente affections de longue durée, asthme, maladies rares, ou problèmes de santé prioritaires au niveau régional, grand âge, gravité de la maladie, vulnérabilité, particularité géographique, précarité, médicaments à risques) ;


–  les modalités de confidentialité, de traçabilité, de déontologie : dossier d’ETP (dossier de consultation), consentement du patient, accord pour la transmission des informations, engagements de confidentialité et de déontologie des intervenants ;


–  l’évaluation de l’atteinte des objectifs pour les patients ;


–  une autoévaluation annuelle de l’activité globale et du déroulement du programme complétée par une évaluation quadriennale concernant l’activité, le processus et les résultats.

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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 58: ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT : CONTEXTE, CONCEPTS ET MÉTHODES

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