57: TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX DE LA GREFFE

CHAPITRE 57 TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX DE LA GREFFE







ÉPIDÉMIOLOGIE


La greffe fait partie de l’arsenal thérapeutique permettant de suppléer à l’insuffisance fonctionnelle chronique de nombreux tissus ou cellules par transplantation d’un donneur vers un receveur, de tissus ou de cellules. L’espérance de vie des patients transplantés a nettement augmenté ces dernières décennies, en raison des progrès réalisés dans les techniques chirurgicales et de conservation des organes, mais également suite au développement de nouveaux agents immunosuppresseurs résultant d’une meilleure compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans la réponse immunitaire [1].


En France, entre 2003 et 2009, le nombre de patients inscrits en attente de greffe est passé de 6 440 à 8 216. Le nombre de greffes d’organes effectuées de 2003 à 2008 est passé de 3 409 à 4 620.


Plus de 50 ans après les premières greffes rénales en France, la greffe rénale est la plus fréquente et la plus emblématique des greffes de par l’amélioration des conditions de vie des malades et l’augmentation de la durée de vie par rapport à l’hémodialyse. En 2003, 2126 greffes rénales ont été réalisées, dont 136 avec des donneurs vivants. En 2008, 2 937 greffes, dont 222 avec donneurs vivants, ont été réalisées. La survie est de 92,8 % à 1 an, 80,4 % à 5 ans. La survie à 10 ans est significativement meilleure avec donneur vivant (76,7 % contre 62,8 % avec donneur décédé p < 0,0001). Elle est en revanche diminuée chez les receveurs hyperimmunisés et pour les retransplantations [2, 3].


Après une période d’activité intense à la fin des années 1980, avec plus de 600 greffes cardiaques par an, ce nombre a chuté pour atteindre 283 greffes cardiaques en 2003 et 360 greffes en 2008. La survie après une greffe cardiaque réalisée entre 1993 et 2007 est de 74 % à un an 65,5 % à 5 ans et de 53 % à 10 ans. Elle dépend en particulier de l’âge du receveur : les malades de plus de 60 ans ont une survie significativement plus faible. La survie après une retransplantation est plus faible qu’après une première greffe [2, 4].


La greffe hépatique peut être réalisée avec tout ou partie du foie d’un donneur cadavérique ou d’un lobe de donneur vivant, selon le poids du receveur et du donneur. L’indication principale est la cirrhose, suivie par les hépatocarcinomes et les hépatites fulminantes. 833 greffes hépatiques, dont 42 sur donneur vivant, ont été réalisées en 2003. 1 011 greffes hépatiques, dont 10 sur donneur vivant, ont été réalisées en 2008. La survie du receveur après une greffe hépatique est de 92,5 % à 1 mois, 83,9 % à 1 an, de 72,7 % à 5 ans et 62,8 % à 10 ans. [2, 5].




PHYSIOPATHOLOGIE


L’objectif thérapeutique en transplantation est le contrôle de la réponse immunitaire normale du receveur afin d’éviter le phénomène de rejet.


Trois types de rejet sont observés.



Des réactions à l’encontre du greffon médiées par les anticorps sont également observées, dues à des immunoglobulines de type G dirigées contre les cellules du greffon, entraînant un dysfonctionnement endothélial et une atteinte ischémique. Ce rejet humoral peut évoluer de façon aiguë ou faire partie des composantes d’un rejet chronique concomitamment ou non d’un rejet cellulaire [1, 6, 7].


Le système immunitaire a pour rôle de protéger l’individu contre toute substance étrangère. La réponse immune met en jeu plusieurs acteurs immunologiques pour aboutir à la prolifération des lymphocytes activés. Schématiquement, les étapes du développement d’une réponse immune sont :



La figure 57.1 illustre les sites d’action des médicaments immunosuppresseurs dans les étapes clés de la réponse immunitaires.




ASPECTS CLINIQUE ET SÉMÉIOLOGIQUE


Le traitement du phénomène de rejet est une balance constante entre la nécessité d’induire une immunosuppression élevée et la prévention des complications infectieuses induites par l’immunosuppression.


Parmi les complications infectieuses, les infections bactériennes représentent la principale cause de mortalité par infection. Les principaux germes impliqués sont Pseudomonas aeruginosa, Staphylococcus aureus et Haemophilus influenzae. Dans la période postopératoire, des infections du site opératoire, du cathéter central, des pneumopathies, infections urinaires ou septicémies sont observées. Le patient transplanté garde, tout au long de sa vie, un risque d’infections bactériennes potentiellement graves comme la pyélonéphrite, l’angiocholite ou la pneumopathie, même si l’incidence est moins importante qu’en post-greffe immédiat [9]. L’infection à cytomégalovirus (CMV) est la complication infectieuse la plus fréquente. Le lien entre l’infection à CMV et le phénomène de rejet aigu ou chronique en transplantation a été établi [10, 11]. Des infections par d’autres agents viraux (Herpes simplex, Epstein-Barr virus, varicelle, zona, HHV8, HPV) ont été observées. Certaines infections (HIV1, HTLV1, hépatite B) sont prévenues par la sélection du donneur après les sérologies virales. Les infections parasitaires à Pneumocystis jiroveci sont efficacement prévenues par un traitement prophylactique approprié. Les conséquences d’une toxoplasmose chez le sujet déprimé sont importantes : pneumopathies, hépatite, abcès cérébral. Un traitement précoce est efficace. Il en est de même pour les infections fongiques (aspergilloses). Enfin, des manifestations malignes (cancers) peuvent survenir dont certaines sont associées à un virus (EBV, HHV8, HPV).




MÉCANISME D’ACTION






RELATION STRUCTURE – ACTIVITÉ








PARAMÈTRES PHARMACOCINÉTIQUES












CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUES





Stratégies thérapeutiques



Traitement préventif du rejet de greffe


Le traitement immunosuppresseur de référence est constitué d’une trithérapie associant ciclosporine, glucocorticoïdes et mycophénolate mofétil en première intention. Cependant, le tacrolimus, le sirolimus, l’évérolimus, l’azathioprine et le mycophénolate sodique offrent aux prescripteurs des alternatives thérapeutiques intéressantes [12].


La ciclosporine est indiquée en prévention du rejet du greffon.


Le tacrolimus commercialisé sous le nom de Prograf et Modigraf est indiqué dans la prévention du rejet de greffe en transplantation rénale, cardiaque et hépatique. L’Advagraf est indiqué en prévention du rejet de greffe rénale et hépatique uniquement.


Le sirolimus (Rapamune) est indiqué dans la prévention du rejet d’organe chez l’adulte présentant un risque immunologique faible à modéré recevant une transplantation rénale.


L’évérolimus (Certican) est indiqué pour la prévention du rejet d’organe chez les patients adultes présentant un risque immunologique faible à modéré recevant une allogreffe rénale ou cardiaque.


L’azathioprine (Imurel) est indiquée en transplantation d’organes pour la prévention du rejet du greffon en association avec des corticostéroïdes ou d’autres agents immunodépresseurs. Elle est en général utilisée en deuxième intention en cas d’intolérance avec le mycophénolate mofétil.


Le mycophénolate mofétil (Cellcept) est indiqué en prévention des rejets aigus d’organe après greffe rénale, cardiaque ou hépatique.


Le mycophénolate sodique (Myfortic) est indiqué en association avec la ciclosporine et les corticoïdes, pour la prévention du rejet aigu d’organe chez les patients adultes ayant bénéficié d’une allogreffe rénale.


Les critères de choix sont définis par l’état physiopathologique et d’immunisation du patient, l’efficacité et la tolérance du traitement. Ils pourront être modulés en fonction de la nature de l’organe greffé et seront également fonction des « habitudes » des centres de transplantation.



Traitement d’induction


Dans la période périopératoire, un traitement d’induction est mis en place. L’objectif est de limiter rapidement et au mieux la réactivité immunologique du receveur lors du premier contact antigénique. Les protocoles d’induction recourent actuellement à l’administration d’anticorps à visée immunosuppressive diminuant ou modifiant l’activité du système immunitaire du patient contre l’organe transplanté et permettant d’introduire plus tardivement des médicaments d’entretien dont la toxicité est plus importante.


Deux protocoles d’induction sont proposés : la quadruple thérapie et le traitement séquentiel. La quadruple thérapie consiste à associer quatre immunosuppresseurs : ciclosporine ou tacrolimus, mycophénolate ou azathioprine, corticoïdes et anticorps. Le traitement séquentiel consiste en l’association de mycophénolate mofétil, corticoïdes, anticorps, avec introduction différée de la ciclosporine ou du tacrolimus. Ce schéma a pour objectif de limiter l’effet néphrotoxique de la ciclosporine ou du tacrolimus. Il est souvent utilisé en transplantation rénale afin de n’introduire l’inhibiteur de la calcineurine qu’à partir du moment où le rein a récupéré certaines fonctions, en général à partir du 5e jour post-greffe. Les modalités d’administration des médicaments sont les mêmes que pour la quadrithérapie.


En transplantation rénale, le traitement d’induction n’améliore pas la survie des patients ni celle des greffons à long terme, mais diminue le risque de rejet aigu. En France, en transplantation rénale, le traitement d’induction est réalisé par la majorité des centres de transplantation. Le basiliximab est utilisé chez les patients à faible risque de rejet aigu (sexe masculin, 1re greffe rénale, pas d’anticorps anti HLA préformés). La thymoglobuline est utilisée chez les patients ayant un risque immunologique élevé (greffe rénale itérativre, présence d’anticorps anti-HLA, femme ayant eu des grossesses) ou en cas de reprise retardée de fonction du greffon [8, 13]. En transplantation rénale, l’association du sirolimus à la ciclosporine microémulsion et aux glucocorticoïdes est une alternative intéressante. L’utilisation concomitante d’anticorps antilymphocytaires n’a pas été testée lors des essais cliniques du sirolimus.


En transplantation cardiaque, les bénéfices du traitement d’induction observés après greffe rénale sont controversés. De par l’augmentation des risques d’infection et de cancer, l’utilisation systématique d’un traitement d’induction n’est pas recommandée. Deux écoles s’opposent aujourd’hui : l’Europe favorable à l’induction et les États-Unis plus en retrait. En revanche, chez les patients ayant un risque immunologique élevé (retransplantation, patients jeunes), un traitement d’induction à base de basiliximab ou d’anticorps polyclonaux a un rapport bénéfice risque favorable [14].



Traitements adjuvants antimicrobiens


Un traitement prophylactique antibiotique pendant les 48 premières heures après la transplantation permet de prévenir les infections liées aux prélèvements et à la transplantation elle-même. Une association de β-lactamines (uréidopénicilline, par exemple) et d’une fluoroquinolone administrée par voie IV à J1 et J2 peut être proposée. Une antibioprophylaxie à faible dose par le triméthoprime-sulfaméthoxazole ou la ciprofloxacine au cours des 6 premiers mois posttransplantation est utile dans la prévention des infections urinaires et des infections opportunistes (Listeria, Pneumocystis, mycobactéries).


Le traitement préventif, antifongique et antiparasitaire repose sur l’administration dès J1 postopératoire d’amphotéricine B et d’une association à base de sulfamides (triméthoprime-sulfaméthoxazole ou sulfadoxine-pyriméthamine).


Une prophylaxie antivirale des infections à CMV ou herpès peut être entreprise pendant les premiers mois post-transplantation, selon le type de transplantation, la nature du traitement immunosuppresseur et la sérologie du donneur par rapport à celle du receveur. Un traitement prophylactique de plus de 6 mois est recommandé en transplantation pulmonaire. Le ganciclovir ou le valganciclovir (prodrogue) sont les molécules de référence du traitement préventif ou curatif. Le valaciclovir peut être utilisé en prévention d’une infection à CMV chez les transplantés rénaux ou cardiaques, mais n’est pas recommandé dans les autres types de greffe de par un manque d’efficacité. Des traitements préemptifs peuvent également être proposés [10].




Traitement d’entretien


Après 4 à 6 semaines post-transplantation, le protocole d’entretien associant classiquement une trithérapie ciclosporine, mycophénolate, corticoïde est le schéma le plus utilisé. Le tacrolimus, l’évérolimus, l’azathioprine représentent bien entendu des alternatives thérapeutiques à la ciclosporine et au mycophénolate en fonction de la nature de l’organe greffé, de l’efficacité et de la tolérance du traitement.


Des protocoles de conversion peuvent être instaurés dans le but de diminuer les effets indésirables des médicaments immunosuppresseurs présents (néphrotoxicité de la ciclosporine, complication au long cours de la corticothérapie, leucopénie ou toxicité digestive du mycophénolate mofétil par exemple).


Lors d’un traitement par le sirolimus, la ciclosporine doit être progressivement supprimée sur une période de 4 à 8 semaines. Les posologies de sirolimus devront alors être réadaptées en fonction des concentrations résiduelles.


Certains centres de transplantation arrêtent la ciclosporine après 6 mois post-transplantation, ce qui contribue à une amélioration de 20 à 30 % de la fonction rénale mais ce gain est contrebalancé par une incidence accrue d’épisodes de rejet. La mise en place d’une corticothérapie à fortes doses simultanément à l’arrêt de la ciclosporine permet de limiter les épisodes de rejet. L’arrêt des corticoïdes à partir du 6e mois post-transplantation est préconisé par certaines équipes afin de limiter les complications. L’arrêt de la corticothérapie ne doit être envisagé que chez les patients ayant présenté peu ou pas d’épisodes de rejet.


Les protocoles de conversion sont à envisager avec prudence, aucun critère ne permettant de savoir chez quel patient la suppression d’un immunosuppresseur peut être faite en toute sécurité.


En transplantation rénale ou cardiaque en France, l’association ciclosporine, mycophénolate et stéroïdes reste la plus utilisée. Néanmoins, la tendance est à une augmentation de l’utilisation du tacrolimus aux dépens de la ciclosporine, à une élimination précoce ou une non-utilisation des stéroïdes, puis au remplacement dès que possible de l’inhibiteur de la calcineurine par un inhibiteur de la mTOR [8]. En transplantation rénale, le bélatacept, molécule d’apparition récente, dans un essai comparatif de phase III versus anticalcineurine, est associé à une diminution importante de l’incidence de la néphropathie d’allogreffe, de l’hypertension artérielle et de l’hypercholestérolémie. Les immunoglobulines intraveineuses font l’objet d’un protocole thérapeutique temporaire dans la prophylaxie du rejet humoral de greffe rénale chez les patients immunisés ou l’ayant été [17, 18].



Traitement curatif du rejet de greffe


Malgré la mise en place d’un traitement préventif, une crise de rejet peut survenir, le risque maximal se situant pendant la première année. Le traitement mis en œuvre est fonction de la gravité et de l’évolution du rejet.


Le traitement du rejet de greffe repose sur la mise en place d’une corticothérapie à forte dose par voie parentérale. La méthylprednisolone à une posologie de 10 à 15 mg/kg/jour pendant trois jours est préconisée.


En cas de persistance de rejet, d’aggravation et dans les cas de rejet précoce dans le premier mois posttransplantation, des immunoglobulines antilymphocytaires sont associées à la corticothérapie à forte dose.


Le basiliximab est actuellement testé en cas de rejet de greffe, de par sa sélectivité d’action vis-à-vis des lymphocytes porteurs de la chaîne α du récepteur de l’IL2.


En cas d’absence d’amélioration par les corticoïdes à forte dose, ou les immunoglobulines antilymphocytaires, un rejet corticorésistant réfractaire doit être suspecté et confirmé par l’examen histologique. Le traitement du rejet de greffe corticorésistant comprend le tacrolimus administré par voie orale à la posologie de 0,1 à 0,3 mg/kg/j. La voie IV ne sera utilisée que dans l’impossibilité absolue d’utiliser la voie orale.


En cas de rejet humoral, plusieurs traitements ont été proposés pour bloquer l’action des anticorps en cause : immunogloblines polyvalentes intraveineuses, plasmaphérèse, photochimiothérapie extracorporelle. Le traitement curatif du rejet humoral de greffe rénal par immunoglobulines intraveineuses fait l’objet d’un protocole thérapeutique temporaire. La dose d’IgIV recommandée est soit de 0,1 g/kg après chaque échange plasmatique puis 2 g/kg sur 2 à 4 jours à la fin de la cure d’échanges plasmatiques, soit de 2 g/kg sur 2 à 4 jours [17, 18].



Molécules en développement


Le rituximab (Mab Thera) a également été proposé en deuxième intention hors AMM dans le traitement curatif du rejet humoral de greffe rénal à la posologie de 375 mg/m2 par semaine pendant 4 semaines. Le rituximab est un anticorps monoclonal chimérique dirigé contre le CD 20, entraînant une diminution forte et rapide du nombre de lymphocytes B. Son efficacité à court terme a été rapportée plusieurs fois. Il présente par ailleurs un bon profil de tolérance [6]. Cependant, l’utilisation en cas de traitement préventif ou curatif du rejet de greffe cardiaque ou rénale ou en traitement du rejet de greffe hépatique n’est pas recommandée par l’ANSM de par l’insuffisance de données permettant d’évaluer le rapport bénéfice/risque [17, 18].


Des études sont en cours pour l’utilisation du bortezomib (Velcade) dans des protocoles de désensibilisation dans la greffe rénale chez les malades ayant un haut risque immunologique. Il pourrait permettre de diminuer le nombre d’anticorps anti-donneur chez des patients hyperimmunisés [Dossier du CNHIM 2011].


Les études BENEFIT et BENEFIT-EXT ont comparé l’utilisation du belatacept versus ciclosporine chez des patients transplantés rénaux, en association avec une induction par basiliximab, mycophénolate mofétil et corticostéroïdes. Chez les patients sous belatacep, la fonction rénale s’est améliorée, alors que sous ciclosporine, la fonction rénale des patients diminue de 2 mL/min par an. En revanche, une moindre incidence des rejets aigus a été observée dans le groupe ciclosporine. Chez les patients traités par belatacept, la pression artérielle est plus faible et le bilan lipidique meilleur que chez les patients traités par ciclosporine [19].



May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 57: TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX DE LA GREFFE

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