Chapitre 5. Pour qui ?
L’enfant
Il s’agit d’enfants malades et hospitalisés, ayant subi un trauma ou encore souffrant de troublestrouble(s) de la concentration. Le thérapeutethérapeute doit mettre l’accent sur l’effort créatif afin de ne pas renforcer la connotation scolaire que peut avoir l’injonction d’écrire.
Les modalités sont les suivantes : de préférence un travail en groupe en multipliant les exercices effectués deux à deux ou à plusieurs (à partir d’une association libre telle que les cadavres exquis, les logogreffes, les contes à trois, rédiger à la manière de, faire des listings à la manière de Georges Perec, etc.). Il est possible chez l’enfant de favoriser le travail continu d’une séance à l’autre dans le cas où son temps de concentration serait limité par la souffrancesouffrance(s) physique, le traitement, la pathologie, etc. L’utilisation d’un carnet ou d’un cahier qu’il peut garder ou emporter chez lui, comportant ses écrits, semble mieux convenir que les feuilles volantes utilisées à l’atelier. L’objectif est le même : s’exprimer, communiquer, élaborer et changer ; nous favorisons néanmoins les points suivants :
• l’imagination ;
• l’invention ;
• la cohésion du groupe ;
• l’interaction littéraire ;
• la poésiepoésie, qui est naturelle chez l’enfant ;
• la projection dans l’avenir.
Dans le cas d’un enfant atteint d’un traumatismetraumatisme(s) psychique, ses troubles doivent être, selon Ferenczi, considérés comme résultant d’une absence de réponse de l’adulte face à une situation de détresse de l’enfant. Le thérapeute, par sa présence contenante surajoutée à un étayageétayage par l’écrit, formera un appui solide afin de réconcilier l’enfant avec le monde extérieur et rétablir certaines règles extérieures floues, voire bafouées. Ainsi, pour l’enfant abusé qui se sent fragmenté, la sensation d’un tout retrouvé avec la possibilité d’exprimer ses émotions dans un cadrecadre(s) de confiance établi par un poème à réaliser peut avoir un effet de reconstruction (Mazza, 1999). Également, l’utilisation de l’œuvre d’un poète et la ou les réponses que peuvent donner les enfants sont un départ pour l’expression de leurs émotions, comme un étayageétayage d’abord et une élaborationélaboration ensuite. Le groupegroupe pour ce genre de pathologiepathologie(s) a aussi un effet de renforcement de l’estime de soisoi, souvent ébranlée chez ces enfants.
Winnicott (1982, 1987) expliquait sa méthode des « squiggles » comme étant dans certains cas le seul moyen d’entrer en contact avec un enfant. Ces squiggles peuvent être considérés comme le modèle préexistant aux ateliers d’écritureécriture pour enfants. Afin de mieux comprendre ce que l’on entend par cette idée un peu audacieuse, revenons un instant sur ce que Winnicott entendait par squiggle. Le modèle de l’activité représentative, avec Freud, s’appuyait sur le rêve qui pouvait soutenir l’illusion d’une capacité représentative auto-engendrée. Avec Winnicott, l’exploration de zones non représentées de la psyché suppose un modèle différent, celui du jeu. Le jeu favoriserait l’apparition de ce que la symbolisationsymbolisation(s) doit aux objets. Le jeu, le « playing », se ferait dans un environnement qui soutient et maintient le sujet, tel un lieu thérapeutiquethérapeutique(s). Le jeu impliquerait la transitionnalité chère à Winnicott ; il se déroulerait donc entre un dedans et un dehors, c’est-à-dire entre le « créé » intérieur et le « trouvé » extérieur. Le squiggle, ce jeu du tracé construit à deux, lors des séances de psychothérapie, en est une application, « une espèce de test de projection dans lequel je joue un rôle. Voici en quoi consiste le jeu : je fais un gribouillis et il [le patient] le transforme, il en fait un à son tour, et c’est à moi de le transformer » (Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalysepsychanalyse, éd. 1987, p. 297). Il existerait donc une forme de symbolisation primaire qui ne se concevrait que grâce à l’activité transitionnelle, cette « aire intermédiaire » qui se situe entre le dedans et le dehors. Le corollaire sera que là où le jeu est impossible, le travail du thérapeutethérapeute visera à amener le patient d’un état où il n’est pas capable de jouer à un état où il en sera capable.
Rappelons – afin de préciser ce que nous entendons par jeu – la définition par Winnicott (éd. 1982) de la psychothérapie et de la psychanalyse. Il considère qu’il s’agit d’« une forme très sophistiquée du jeu ». Le squiggle, ce jeu du tracé entre le thérapeute et l’enfant, permet de symboliser l’union de la séparation et, par la voie du jeu, d’accéder à la symbolisation dans une forme de lien et de cadre soutenant. Pour Winnicott, le jeu apparaît ainsi comme l’élément central de la thérapeutique analytique ; il permet la mise en route des processus de symbolisation et de représentationreprésentation(s). Le cadre de l’atelier d’écriture où la manière de présenter les consignesconsigne(s) d’écriture permet de voir cette dernière comme un jeu est conçu par nous comme un lieu de symbolisationsymbolisation(s), non seulement du fait du travail de déconstruction-reconstruction propre à l’écritureécriture, mais du fait même du lien qui se noue entre le psychisme du thérapeutethérapeute, du patient et des autres membres du groupegroupe. Toujours en référence à Winnicott, l’atelieratelier(s) aura le rôle du cadrecadre(s) maternel de holding pour l’enfant, et éventuellement pour les patients adultes dans des périodes de régression.
1. Forme : poème ; sans sujet mais où le premier vers et les vers impairs qui suivront commencent par : « Si je pouvais être… ».
2. Forme : libre ; sujet : « Quel masque aimeriez-vous porter ? ».
3. Forme : haïku ; support visuel : un tableau, une photo.
4. Forme : liste de Perec ; deux listes : « J’aime, j’aime pas ».
5. Forme : assemblage en poème à partir de mots découpés dans un journal ou tirés d’un poème.
6. Forme : conte déjà connu ; inventer une fin, par exemple : « Une autre fin au Petit Poucet ».
7. Forme : lettre au père Noël à qui l’on peut demander ce que l’on veut sauf un objet.
8. Forme : logogreffe (greffer deux mots d’une liste) ; donner une nouvelle définition du mot greffé.
9. Forme : poème dont chaque vers commence par « J’ai peur de ».
10. Forme : dialogue entre deux animaux différents.
L’adolescent
Lorsque l’on évoque l’adolescenceadolescence, on pense spontanément au journal intime et aux écrits de témoignage. Mais également à la crise d’adolescence qui sera peut-être réactivée plus tard dans la vie (Chidiac, 1995). Quoi qu’il en soit, la clinique et la psychopathologiepathologie(s) de l’adolescence s’inscrivent dans le développement du sujet, tant dans son histoire que dans celle de sa famille, nécessitant ainsi de prendre en compte la linéarité et l’historicité du développement, ce qui s’est passé pendant sa petite enfanceenfance et son enfance, et ce qui risque de se passer ultérieurement. Il en est ainsi de ceux qui ont depuis l’enfance une maladie somatique au long cours telle que le diabète ou l’asthme et qui, à l’adolescence, vont réactiver des questionnements divers, ou encore de ceux qui présentent essentiellement des troublestrouble(s) des conduites pouvant inaugurer à l’âge adulte une organisation psychopathologique stable sous la forme de troubles de la personnalité et/ou de l’humeur. On retrouve aussi, mais essentiellement chez les adolescentes, les troubles des conduites alimentairesconduites alimentaires (troubles)troubles des conduites alimentaires et les scarifications, souvent révélatrices lors de l’hospitalisation d’abus sexuels et/ou d’incesteinceste. L’écriture, dans une prise en charge multidisciplinaire, a dans ces moments un effet cathartique important, à condition que le cadre soit contenant.
Ce qui est fréquemment retrouvé à l’adolescenceadolescence et qui peut orienter le choix de certaines consignesconsigne(s) que nous privilégierons, c’est la tentative de suicidesuicide envisagée comme seule solution, comme seule issue possible face à la thématique récurrente de la perte, tant symbolique que réelle et imaginaire. L’atelieratelier(s) d’écriture, par la diversité des thématiques et des formes, va montrer à l’adolescent ses capacités d’adaptation aux différentes consignes ainsi que sa richesse interne ; cette prise de conscience, certes pas toujours évidente, permet à l’adolescent non seulement de mettre à distance par l’écrit des affects qui le submergent, mais en outre de se rendre compte de ses propres capacités, qu’il niait, ainsi que d’une créativité qu’il ne suspectait même pas. Cette voie de découverte de possibilités enfouies ou nouvelles permet une restauration de l’estime de soisoi et surtout une possibilité de mentalisation et de résolution de conflits. Néanmoins, ce processus de changementchangement(s) que l’on cherche à favoriser doit être fait avec précaution, avec une orientation spécifique des consignes.
L’important est de veiller à la continuité, au suivi, dans un atelier de groupegroupe et/ou en face à face avec l’écriture comme étayageétayage supplémentaire. La discontinuité, typique de l’adolescence, peut rendre ce travail difficile et complexe. L’aspect scolaire que peut revêtir la médiation par l’écriture peut rebuter les garçons, tout comme le sera pour les filles l’aspect répétitif, elles qui bien souvent tiennent un journal. D’où une adaptation suffisante et une recherche de consignes spécifiques requises par le thérapeutethérapeute qui connaît ces éventuelles difficultés. Avec des adolescents, il est ainsi conseillé d’atténuer, en début de thérapie, les contraintescontrainte(s) d’écriture. Nous savons que l’agir, le passage à l’acte, représente un mode privilégié d’expression à cet âge, et que les facteurs favorisant l’agir à l’adolescence sont les contraintes excessives de la réalité. Le processus de changement induit par l’écriture, grâce aux consignes multiples et variées, est aussi un partenaire précieux. Le résultat sera une adaptation perçue comme possible, suivie de changement. Pour un adolescent en plein changement physique, psychique et social, avec ce que cela comporte comme demande de liberté, d’autonomie et d’indépendance, le dosage est difficile à faire mais fort heureusement possible grâce à la distanciation favorisée par l’écriture.