5 L’onde P
Après avoir déterminé la fréquence cardiaque, le rythme et l’axe, il faut examiner tour à tour chaque onde de l’ECG, en commençant par l’onde P. On peut déjà avoir remarqué des ondes P anormales lors de l’appréciation du rythme cardiaque, mais dans ce chapitre, il vous sera enseigné comment examiner l’onde P plus en détail, et quelles sont les anomalies à rechercher.
Lorsqu’on examine les ondes P dans chaque dérivation, il faut se poser les questions suivantes :
On se souviendra qu’au chapitre 1, on a vu que l’onde P représentait la dépolarisation auriculaire. Il ne s’agit pas, comme certains le pensent à tort, de la dépolarisation du nœud sinusal ; il est possible d’observer des ondes P en l’absence de dépolarisation du nœud sinusal (liées par exemple à un rythme ectopique auriculaire) ou, à l’inverse, une dépolarisation du nœud sinusal sans ondes P (bloc sino-auriculaire).
Certaines ondes P sont-elles absentes ?
Normalement, le nœud sinusal est un pacemaker naturel régulier et fiable. La dépolarisation auriculaire, qui génère l’onde P, est donc normalement si régulière qu’il est facile de prédire le moment où l’onde P suivante apparaîtra figure 5.1).
La seule circonstance normale dans laquelle la fréquence de l’onde P est variable est l’arythmie sinusale, habituellement observée chez les patients âgés de moins de 40 ans. L’arythmie sinusale a été décrite page 30.
Dans ce paragraphe, on décrira les diagnostics envisageables en l’absence d’ondes P. Ceci sous-entend que les ondes P sont :
Les ondes P sont complètement absentes
Deux raisons peuvent expliquer l’absence d’ondes P sur l’ECG. La première est qu’il n’existe pas de dépolarisation auriculaire coordonnée, avec pour conséquence l’absence de formation d’ondes P. La seconde est que les ondes P sont présentes mais seulement invisibles.
L’absence de dépolarisation auriculaire coordonnée s’observe au cours de la fibrillation auriculaire, c’est la raison la plus courante pour expliquer que les ondes P soient réellement absentes sur l’ECG (figure 5.2). À la place des ondes P, l’activité auriculaire chaotique produit des oscillations de faible amplitude (fibrillation ou ondes « f ») sur l’ECG. La fibrillation auriculaire peut être reconnue sur l’absence d’ondes P et la survenue irrégulière de complexes QRS. Les causes et le traitement de la fibrillation auriculaire sont développés page 38.
Les ondes P seront aussi complètement absentes s’il existe une période prolongée d’bloc sino-auriculaire (figure 5.3). Dans ces conditions, l’activation auriculaire ne survient pas car : soit le nœud sinusal ne peut se dépolariser (arrêt sinusal), soit il ne peut transmettre la dépolarisation aux oreillettes (bloc sino-auriculaire). N’importe quelle situation peut provoquer une asystolie ventriculaire mais plus communément c’est un rythme d’échappement qui prend le relais (p. 53). Pour une information plus détaillée sur l’arrêt sinusal et le bloc sino-auriculaire, voir p. 31.
L’absence d’ondes P est aussi l’un des possibles aspects ECG de l’hyperkaliémie (p. 169). Si cela est possible, recherchez des anomalies ECG associées et programmez un dosage de la kaliémie en urgence.
Il est très fréquent que des ondes P soient présentes mais non visibles dans l’immédiat. Il est nécessaire d’examiner soigneusement l’ECG à la recherche d’ondes P avant de conclure à leur absence, car les ondes P sont souvent masquées par une tachycardie à fréquence élevée. Au cours du rythme sinusal normal, les ondes P sont habituellement mieux visibles en DII et V1, et ces dérivations doivent donc être examinées de très près. La figure 5.4 montre une tachycardie jonctionnelle auriculo-ventriculaire à la fréquence de 130 battements/minute. À première vue, les ondes P paraissent absentes. En y regardant de plus près, on peut voir qu’elles sont enfouies à l’intérieur du segment ST.