CHAPITRE 49 TRAITEMENT DES INFECTIONS FONGIQUES INVASIVES ET SUPERFICIELLES
PHYSIOPATHOLOGIE
Candidoses
Facteurs de risque
Les candidoses superficielles peuvent se produire aussi bien chez des sujets immunocompétents que chez des patients immunodéprimés. Elles sont principalement dues à des modifications de l’hydratation, du pH, des concentrations de nutriments ou de l’environnement microbien de la peau et des muqueuses.
– neutropénie profonde (neutrophiles < 500/μL) et prolongée (> 7 jours) ;
– voies veineuses (cathéters centraux en particuliers) ;
– colonisation : en oncologie et en hématologie, 50 % à 80 % des patients sont colonisés en particulier au niveau digestif. Le risque est directement lié au nombre de sites colonisés. Chez les patients atteints d’hémopathie maligne, le risque de candidémie a été évalué à 0, 5 % en l’absence de colonisation, à 1 % avec un site colonisé et à 23 % lorsqu’il existe au moins deux sites de colonisation non contigus ; la valeur prédictive positive de candidémie est plus forte s’il s’agit d’une espèce non albicans.
Aspergilloses
Facteurs de risque
Au cours d’une immunodépression profonde, le risque de contracter une aspergillose invasive augmente parallèlement à la concentration en spores d’Aspergillus dans l’air ambiant. Des travaux de rénovation ou de construction dans les hôpitaux mettent en suspension dans l’air des poussières souvent riches en spores et peuvent entraîner l’apparition de véritables épidémies d’aspergilloses nosocomiales chez des patients fragiles. Ainsi l’importance du facteur environnemental a rendu nécessaire l’hospitalisation des patients à risque dans des unités équipées de système de filtration d’air assurant une réduction de la concentration en spores. De même, en cas de travaux, il convient de mettre en œuvre des mesures de protection spécifiques [1].
Cryptococcoses
Espèces rencontrées
Cryptococcus neoformans comprend la variété neoformans, cosmopolite, présente dans les fientes de pigeons (sérotypes A et D) et la variété gattii (sérotypes B et C) confinée aux régions subtropicales. En France, la majorité des infections est liée au sérotype A (80 %), au sérotype D (environ 20 %) et quelques cas d’importation au séroptype B.
ASPECTS CLINIQUE ET SÉMÉIOLOGIQUE SUCCINCTS
Candidoses
Candidoses cutanées et unguéales
Intertrigos
Les intertrigos sont des lésions des grands plis (axillaires, sous-mammaires, abdominaux, inguinaux, cruraux, fessiers) ou des petits plis (rétro-auriculaires, interdigitaux, inter-digitoplantaires, sertissures unguéales et commissures labiales. Ils font souvent suite à une candidose des muqueuses digestives et/ou vulvo-vaginale. L’atteinte est caractérisée par un érythème symétrique par rapport au fond du pli, accompagné d’un dépôt blanchâtre et d’une collerette pustuleuse ou desquamative à distance du foyer principal. Les intertrigos sont fréquents chez les obèses ou chez les patients ayant une peau séborrhéique, ainsi que chez les diabétiques.
Candidoses muqueuses
Aspergilloses
Aspergillose pulmonaire invasive
Les aspergilloses invasives sont primitivement pulmonaires dans la grande majorité des cas (sinusiennes moins fréquemment). L’infection pulmonaire peut être uni- ou bilatérale, localisée ou rapidement extensive. Le tableau habituel est celui d’une pneumopathie infectieuse résistante à l’anti-biothérapie à large spectre chez un patient à haut risque d’infection fongique. L’hyperthermie est quasi constante. La toux est parfois accompagnée d’une expectoration blanchâtre ou hémoptoïque. La dyspnée est fréquente, dépendante de l’extension des lésions. Les hémoptysies et les douleurs thoraciques sont très évocatrices d’aspergillose.
Localisations extrapulmonaires de l’aspergillose
Le diagnostic d’une aspergillose repose sur les quatre points suivants.
– Le diagnostic radiologique à l’aide de la radiographie pulmonaire (mise en évidence d’un ou plusieurs infiltrats non spécifiques) et du scanner thoracique (Il permet de mettre en évidence un signe précoce très évocateur le signe du halo). Ce signe est hautement évocateur d’aspergillose pulmonaire chez un patient neutropénique et correspondant à une atténuation progressive de la densité autour d’un nodule d’aspergillose. Plus tardivement dans l’évolution de l’infection apparaît un autre signe très suggestif du diagnostic : le signe du croissant gazeux témoignant d’un début d’excavation de la lésion pulmonaire.
– Le diagnostic mycologique par la mise en évidence d’Aspergillus sp. dans les expectorations ou dans les prélèvements nasaux. Ce diagnostic a une bonne corrélation avec une infection aspergillaire chez le patient neutro-pénique mais cela est de moindre valeur chez les autres immunodéprimés. La sensibilité des examens est cependant faible pour les expectorations (environ 30 %) et le lavage broncho-alvéolaire (environ 50 %). La sensibilité est meilleure pour les biopsies pulmonaires à l’aiguille fine sous guidage scanographique (environ 70 %) et les biopsies par voie chirurgicale (supérieure à 90 %).
– Le diagnostic sérologique : chez le patient immunodéprimé, la sérologie aspergillaire a peu d’intérêt en raison d’une faible capacité de produire des anticorps ; néanmoins la sérologie peut se positiver secondairement en cas d’évolution favorable sous traitement et constitue parfois un argument de diagnostic rétrospectif d’API. En revanche, chez les patients neutropéniques ou greffés de moelle, la détection de l’antigène aspergillaire (galactomannane) dans le sérum par technique ELISA (Platelia Aspergillus, Bio-rad) est évocatrice du diagnostic d’aspergillose [2]. Pour être optimale, la recherche de l’antigénémie doit se faire de façon systémique et répétée pendant la période à risque.
– Le diagnostic histologique : toute biopsie doit être examinée en histologie parallèlement à l’analyse mycologique. Il est fréquent que l’examen anatomo-pathologique mette en évidence des filaments mycéliens et que la culture reste négative, en particulier chez les patients déjà traités par antifongique. De plus, l’histologie permettra quelquefois de corriger la suspicion clinique en posant un autre diagnostic (métastases, lymphome, etc.).
Cryptococcoses
– méningo-encéphalite avec particularités : fièvre et signes méningés inconstants ; LCR classiquement clair, hypertendu, pauci-cellulaire, lymphocytaire avec hypoglycorachie et hyperprotéinorachie, parfois normal ; voire méningite asymptomatique ;
– pulmonaire avec toux, dyspnée et à la radiographie, mise en évidence d’une pneumopathie interstitielle bilatérale, mais aussi lésions nodulaires ou abcédées et pleurésies ;
– autres localisations : cutanée (papules ou nodules ombiliqués aux régions découvertes), oculaire, sinusienne, médullaire, ganglionnaire, splénique, digestive, urogénitale, plus rarement osseuse ou cardiaque, localisations plus ou moins associées, réalisant la forme disséminée.
– le diagnostic mycologique par l’identification de Cryptococcus spp. à l’examen direct ou en histologie de levures entourées d’un halo clair au niveau des lésions superficielles, dans le liquide céphalo-rachidien, dans les crachats ou, dans certains cas, dans le lavage bronchoalvéolaire à partir des poumons. La mise en évidence de la levure se pratique à l’examen direct, à l’encre de Chine (sphère bleue entouré d’un halo clair). Ce champignon, de forme ronde à ovalaire, de 4-20 μm, se reproduit par bourgeonnement. Une culture sur milieu spécifique (niger agar) peut se faire. Une réaction tissulaire se produit avec afflux d’histiocytes, granulomes ;
– le diagnostic sérologique par la détection de l’antigène spécifique dans le sérum et/ou le liquide céphalorachidien.
CLASSIFICATION DES ANTIFONGIQUES SYSTÉMIQUES UTILISABLES
Les agents antifongiques à usage systémique actuellement disponibles sont :
– les polyènes : l’amphotéricine B conventionnelle (Fungizone) et ses formulations lipidiques (Ambisome et Abelcet) ;
– les triazolés [itraconazole (Sporanox, Itraconazole), voriconazole (Vfend), fluconazole (Triflucan, Fluconazole), posaconazole (Noxafil)],
– les échinocandines [caspofungine (Cancidas), micafungine (Mycamine), anidulafungine (Eraxis)],
Les différents antifongiques systémiques utilisés dans le traitement des infections fongiques invasives sont classés dans le tableau 49.1.
MÉCANISME D’ACTION ET SPECTRE D’ACTIVITÉ DES ANTIFONGIQUES SYSTÉMIQUES
Flucytosine
La flucytosine interfère avec la synthèse de l’acide nucléique en inhibant la thymidylate synthétase. Elle n’est active que sur les cellules capables de la transporter dans le milieu intracellulaire via une cytosine-perméase et de la convertir par la cytosine déaminase en 5-fluorouracile qui est le métabolite actif. Elle est ensuite métabolisée par une uridine monophosphate pyrophosphorylase et incorporée dans l’ARN, ou transformée en acide 5-fluorodéosyuridylique qui est un puissant inhibiteur de la thymidylate synthétase. Le résultat est l’arrêt de la synthèse de l’ADN. L’action observée in vivo est fongistatique.
Triazolés
Le posaconazole présente un spectre d’activité similaire au voriconazole élargi aux Mucorales. Il est actif in vitro contre les micro-organismes suivants : Aspergillus spp. (A. fumigatus, A. flavus, A. terreus, A. nidulans, A. niger, A. ustus), Candida spp. (y compris C. glabrata et C. krusei), Cryptococcus neoformans, Coccidioides immitis, Fonsecaea pedrosoi, Fusarium spp. et certaines Mucorales. Le posaconazole exerce une activité fongistatique sur les espèces à Candida, et une activité fongicide sur Cryptococcus neoformans et Aspergillus spp. [3].
Échinocandines
Comme les autres échinocandines, la micafungine possède in vitro une activité fongicide sur Candida sp. essentiellement sur C. albicans, C. tropicalis, C. glabrata puis par ordre de moindre sensiblité C. dubliniensis, C. lusitaniae et C. krusei. Les valeurs de CMI sont plus élevées pour C. parapsilosis et C. guilliermondii. L’activité de la micafungine sur les Aspergillus spp. montre des CMI inférieures à celles observées avec l’amphotéricine B ou l’itraconazole mais ne paraît pas fongicide. La micafungine est inactive sur Fusarium spp. et les Mucorales.
PHARMACOCINÉTIQUE
Polyènes
Les principales caractéristiques pharmacocinétiques de l’amphotéricine B désoxycholate sont résumées et comparées à celles de ses formulations lipidiques dans le tableau 49.2. La pharmacocinétique de l’amphotéricine B est complexe et partiellement étudiée chez l’homme.
Flucytosine
La flucytosine est bien résorbée par le tube digestif (90 %). Le pic plasmatique est obtenu en 2 à 6 heures après administration de 2 grammes per os. Après administration IV unique, les concentrations sériques maximales sont approximativement équivalentes, en μg/mL, à la dose administrée en mg/kg.
Triazolés
Les principales caractéristiques pharmacocinétiques des antifongiques triazolés sont résumées dans le tableau 49.3.
Fluconazole
Les formes orale et intraveineuse du fluconazole sont équivalentes du point de vue pharmacocinétique. Le fluconazole a un profil pharmacocinétique linéaire. Les principales caractéristiques pharmacocinétiques sont présentées tableau 49.2.
Le volume apparent de distribution est voisin de celui de l’eau corporelle totale (0,6-0,7 L/kg). La liaison aux protéines plasmatiques est faible (12 %). Le fluconazole pénètre bien l’ensemble des tissus de l’organisme où après dose unique il atteint 0,8 à 3 fois les concentrations plasmatiques. Après doses réitérées, les concentrations tissulaires fluctuent entre 3 et 20 μg/mL. La pénétration est également satisfaisante dans les tissus de l’œil chez l’animal, comme chez l’homme. Elle est aussi bonne dans la salive, tant chez les patients atteints de sida qu’après radiothérapie ORL puisque dans ces deux cas les concentrations observées sont du même ordre ou sensiblement supérieures à celles chez le volontaires sains. Chez les patients présentant une méningite d’origine fongique, les taux dans le LCR sont équivalents à 80 % environ des taux sanguins.
Voriconazole
Le voriconazole a un profil pharmacocinétique non linéaire dû à une saturation de son métabolisme.
Le volume de distribution à l’état d’équilibre du voriconazole est d’environ 4,6 L/kg, ce qui suggère une distribution importante dans les tissus. La liaison aux protéines plasmatiques est d’environ 58 %. Plusieurs études ont évalué les concentrations du voriconazole dans des échantillons de LCR et d’humeur aqueuse. La littérature confirme les données pharmacocinétiques du voriconazole dans le LCR en rapportant plusieurs succès thérapeutiques au cours d’une atteinte fongique cérébrale chez des patients réfractaires au traitement antifongique antérieur. Concernant les endophtalmies fongiques, les concentrations efficaces dans les tissus de l’œil sont atteintes pour les infections à Aspergillus et Candida. Au cours d’une kératite, il est en revanche recommandé d’avoir recours à une administration locale de voriconazole en plus du traitement systémique pour atteindre une concentration optimale au niveau de la cornée.