CHAPITRE 48 TRAITEMENT DE L’INFECTION PAR LE VIRUS DE L’IMMUNODÉFICIENCE HUMAINE
PHYSIOPATHOLOGIE
Les événements précoces sont :
– la reconnaissance et l’entrée du virus dans la cellule hôte : fixation du virus sur le récepteur cellulaire principal, le CD4, associé à un corécepteur membre de la famille des récepteurs des chimiokines, CCR-5 ou CXCR-4, puis fusion des membranes virale et cellulaire ;
– la rétrotranscription de l’ARN viral en un ADN complémentaire (grâce à la transcriptase inverse) ;
– l’intégration de l’ADN viral dans l’ADN de la cellule hôte (grâce à l’intégrase).
– la fabrication des éléments constitutifs de nouveaux virions ;
– le découpage et l’assemblage des composants des nouvelles particules virales matures (grâce à la protéase) ;
– le bourgeonnement et la libération de virions matures infectieux.
Les cellules cibles du virus de l’immunodéficience humaine sont :
– les lymphocytes CD4 dans lesquels le VIH se réplique rapidement. À ce jour, on considère que l’élément essentiel dans la pathogenèse du VIH est le niveau massif de la production virale et de son renouvellement. Les estimations actuelles suggèrent qu’au moins 10 milliards de particules de VIH sont produites et détruites chaque jour et que la demi-vie du virus dans le plasma est d’environ 6 heures ;
– les cellules présentatrices d’antigène porteuses du récepteur CD4 telles que les macrophages, les cellules microgliales, les cellules de Langerhans ou encore les cellules dendritiques. Dans la plupart de ces cellules présentatrices d’antigène, le VIH se réplique peu. Le rôle de ces cellules et de leur infection persistante en tant que réservoir de virus est démontré. De plus, les cellules de Langerhans et les cellules dendritiques jouent un rôle déterminant dans la transmission du virus au niveau des muqueuses génitales.
CLINIQUE
Stade avancé et sida
– la mesure de l’ARN VIH plasmatique (charge virale) qui a une valeur prédictive quant à la vitesse de progression de la maladie (le déficit immunitaire progresse plus vite si la charge virale est élevée) et dont la variation sous traitement permet de prévoir l’efficacité à long terme de celui-ci. Des études ont montré qu’un impact significatif sur la survie est associé à l’obtention d’un niveau d’ARN VIH au-dessous du seuil de 50 copies/mL (charge virale indétectable) ;
– le nombre de lymphocytes CD4 qui reflète l’importance de la destruction du système immunitaire par le VIH. Prévenir leur diminution et restaurer un nombre > 350/mm3 sont les objectifs du traitement. C’est également en fonction du nombre de lymphocytes CD4 que sera instauré un traitement prophylactique des infections opportunistes.
CLASSIFICATION DE L’INFECTION PAR LE VIH
Lorsqu’un sujet a présenté une pathologie sida, il est classé définitivement dans cette catégorie (tableaux 48.1 et 48.2).
PHARMACIE CLINIQUE DES ANTIRÉTROVIRAUX
Mécanisme d’action, relation structure-activité
– les inhibiteurs de la transcriptase inverse analogues nucléosidiques ou nucléotidique (INTI) ou non (INNTI), qui bloquent la transcription de l’ARN viral en ADN proviral ;
– les inhibiteurs de la protéase virale (IP) qui inhibent le clivage des protéines virales ;
– un inhibiteur d’entrée, l’enfuvirtide ou T20 ;
– un inhibiteur des récepteurs CCR-5, le maraviroc ;
– un inhibiteur de l’intégrase qui bloque l’intégration de l’ADN viral dans le génome cellulaire, le raltégravir.
Médicaments inhibiteurs de la transcriptase inverse
Analogues nucléosidiques (zidovudine, didanosine, zalcitabine, stavudine, lamivudine, emtricitabine, abacavir) ou nucléotidique (ténofovir)
Médicaments inhibiteurs de la protéase (indinavir, nelfinavir, ritonavir, saquinavir, (fos)amprénavir, lopinavir, atazanavir, tipranavir, darunavir)
Inhibiteur de l’intégrase (raltégravir, elvitégravir, dolutégravir)
– formation du complexe enzyme/ADN viral ;
– préparation des extrémités 3′de l’ADN viral double brin par l’intégrase ;
– import du complexe de pré-intégration du cytoplasme vers le noyau de la cellule infectée ;
– intégration de l’ADN viral dans l’ADN génomique (transfert de brin) ;
Inhibiteur de CCR5 (maraviroc)
Pour le premier traitement ARV, il est recommandé de :
– réaliser un test génotypique de résistance lors du diagnostic de l’infection à VIH et de fonder le choix du premier traitement en tenant compte de ces données ;
– commencer un traitement ARV sans délai chez les patients symptomatiques (catégories B et C de la classification CDC 1993), en tenant compte du traitement éventuel d’une infection opportuniste et des interactions possibles, ainsi que chez les patients asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes CD4 < 350/mm3 ou < 15 % ;
– de commencer un traitement ARV chez les patients asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes CD4 compris entre 350 et 500/mm3 ;
– chez les patients asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes CD4 > 500/mm3, les données sont insuffisantes pour recommander l’instauration systématique d’un traitement ARV. Il est toutefois possible de l’envisager dans les circonstances suivantes :
– de recourir préférentiellement à une trithérapie comportant 2 INTI + 1 IP/r ou 1 INNTI :
– de ne prescrire abacavir que chez des patients négatif pour le HLA B*5701 et ayant une charge virale < à 100 000 copies/mL.
– Dans ces situations d’échec virologique, les facteurs associés à une plus grande chance de succès virologique du nouveau traitement sont :
– Dans les situations d’échec les recommandations sont de :
– Dans le cas d’un traitement ARV efficace, les recommandations sont :
NOUVELLES STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES
Changement d’un traitement antirétroviral comportant un INTI thymidinique
Changement par une association comportant deux INTI et un nouvel IP/r
Simplification par une association comportant deux INTI et un INNTI
Allègement d’une trithérapie avec un IP/r par une monothérapie d’IP/r
Plusieurs essais cliniques ont évalué l’efficacité des stratégies de maintenance par des IP/r en monothérapie pour atazanavir/r, lopinavir/r et darunavir/r (tableau 48.3).
– que la charge virale plasmatique soit < 50 copies/mL depuis au moins 6 mois et qu’il n’y ait pas d’antériorité d’échec virologique aux IP ;
– que le nadir des CD4 soit > 100/mm3 ;
– d’une surveillance rapprochée de la charge virale, avec réintensification par combinaison fixe d’INTI lorsque la charge virale repasse à une valeur > 50 copies/mL. C’est le cas pour 10 % des patients après un an de monothérapie.
Stratégie en cours d’évaluation :
Antirétroviraux en cours de développement clinique ou approuvés en 2012
Inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse
Rilpivirine-Édurant, inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse
La rilpivirine est utilisée à la dose de 25 mg par jour en une seule prise. Elle est indiquée en association avec d’autres antirétroviraux chez les patients naïfs de traitement. Cette indication fait suite aux résultats de deux essais cliniques de phase 3 évalués à 48 semaines : ECHO (TMC278-C09) et THRIVE (TMC278-C215) et d’un essai de phase 2b évalué à 96 semaines avec une extension à 192 semaines chez les patients infectés par le VIH-1 et naïfs de traitement. La pharmacocinétique de la rilpivirine est proche de celle des deux autres INNTI. La concentration maximale est obtenue entre 4 et 5 heures après l’administration de rilpivirine. Son administration nécessite la prise d’un repas standard car son exposition est diminuée de l’ordre de 40 % à jeun. La rilpivirine est fortement fixée aux protéines plasmatiques 99,7 % et sa fixation concerne essentiellement l’albumine. La rilpivirine est biotransformée par le CYP3A et sa fraction éliminée intacte dans les urines est inférieure à 1 %. La rilpivirine associée à des inducteurs et inhibiteurs du CYP3A imposera une adaptation de la dose en rilpivirine pour s’assurer de l’obtention d’une exposition totale efficace en rilpivirine (nécissité d’augmenter les doses à 75 voire 150 mg/j de rilpivirine). Sa demi-vie d’élimination plasmatique est de 50 heures. Les effets indésirables majeurs de la rilpivirine sont insomnies, maux de tête et rashs cutanés. Le risque d’émergence de mutations croisées dans le bas rilpivirine est supérieur à celui observé dans le bras éfavirenz (bras comparateur).
La rilpivirine est actuellement développée dans une association fixe comportant : rilpivirine + ténofovir + emtricitabine. Cette association fixe des trois antirétroviraux est bioéquivalente à celle des trois spécialités prises séparément (figure 48.1).
Inhibiteurs d’intégrase
Elvitégravir
Ce QUAD est actuellement comparé à l’association :
Les résultats publiés récemment montrent les éléments suivants.
– Pour QUAD vs ATV/r + TDF/FTC : résultats à S 48 d’une étude de phase 3 (DeJesus E et al., abstract 627, CROI 2012) Cette étude multicentrique randomisée a inclus 708 patients naïfs de traitement antirétroviral (90 % d’hommes, 39 % des patients avec une CV initiale ≥ 100 000 copies/mL, clairance de la créatinine > 70 mL/min) pour recevoir selon un schéma 1 : 1 une association elvitégravir (EVG)/cobicistat(COBI)/TDF/FTC (« QUAD ») vs ATV/r + TDF/FTC. Les résultats sur le critère principal (CV < 50 copies/mL à S 48) démontrent la non infériorité du QUAD vs ATV/r + TDF/FTC (respectivement 90 % et 87 %), avec des taux de réponse comparables quel que soit le niveau de CV ou de CD4 à l’inclusion. La restauration immunologique est également comparable (+ 211 cellules/mm3 dans le bras ATV/r + TDF/FTC et + 207 cellules/mm3 dans le bras QUAD ; p = 0,61) de même que les taux d’arrêts de traitement pour effets indésirables (respectivement 5 % et 4 %) ou pour effets indésirables rénaux (0,3 % dans les deux bras). L’augmentation des triglycérides a été moins importante dans le bras QUAD (+ 8 mg/dL vs + 23 mg/dL ; p = 0,006). Les échecs virologiques ont été peu nombreux (5 % dans les deux bras).
– Pour QUAD vs EFV + TDF/FTC : efficacité et tolérance (Sax P et al., abstract 101, CROI 2012)
L’efficacité et la sécurité du QUAD (elvitégravir 150 mg, cobicistat : 150 mg, FTC/ténofovir 200/300 mg) apparaissent comme comparables à la combinaison coformulée efavirenz/FTC/ténofovir dans une étude préalable de phase II. Dans cette nouvelle étude, les patients ont été randomisés selon un schéma 1 : 1 pour recevoir QUAD versus placebo d’efavirenz/FTC/ténofovir (n = 348) ou efavirenz/FTC/ténofovir versus placebo de QUAD (n = 352). Le critère principal de jugement était une charge virale indétectable à S48. À S48, le QUAD apparaît comme non inférieur à l’association efavirenz/FTC/ténofovir avec 88 % versus 84 % de réponse virologique. Les résultats sont non différents si on stratifie sur la charge virale (> 100 000 copies/mL ou < 100 000 copies/mL) ou sur les lymphocytes CD4 (> 350 ou < 350/mm3). Le gain de lymphocytes CD4 est de 239/mm3 dans le bras QUAD versus 206/mm3 dans le bras efavirenz/FTC/ténofovir à S48 (p = 0,009). En termes de tolérance, on peut noter : un taux faible et similaire d’arrêt de traitement, moins d’effets secondaires neuropsychologiques ou de rash, un taux plus élevé de nausées de grade 1, une augmentation médiane de 0,14 mg/dL du taux de créatinine, 1,4 % d’arrêts de traitement pour des effets secondaires rénaux et une augmentation plus faible du cholestérol total et du HDL. En termes de résistance, les génotypes effectués à l’échec montrent un taux de sélection de résistance au FTC (M184V) 4 fois plus important dans le bras QUAD que dans le bras efavirenz/FTC/ténofovir (8 patients vs 2), dans l’intégrase la mutation la plus fréquemment sélectionnée est la E92Q. Le QUAD est non inférieur à la combinaison coformulée efavirenz/FTC/ténofovir (figure 48.2).
Dolutégravir (DTG, S/GSK1349572)
Le dolutégravir (DTG) est un inhibiteur d’intégrase non boosté ayant une action antivirale rapide et durable avec un profil de tolérance favorable. L’étude SPRING-1 est une étude de recherche de dose pour la phase III comportant 4 bras sur 96 semaines. Cette étude multicentrique de phase IIb a été réalisée chez des patients naïfs (charge virale > 1 000 copies/mL et CD4>200/mm3), randomisés 1 : 1 : 1 : 1 pour recevoir du DTG 10, 25 ou 50 mg tous les jours ou de l’efavirenz en association avec ténofovir/FTC ou abacavir/3TC avec une stratification sur la charge virale et le backbone de nucléosides associé. Le critère primaire de jugement est une charge virale inférieure à 50 copies/mL à la semaine 16 avec une analyse similaire prévue à S96. 205 patients ont été inclus : 86 % d’hommes, 26 % > 100 000 copies/mL et 67 % sous ténofovir/FTC. Aucun échec virologique n’a été constaté jusqu’à 96 semaines de même qu’aucune résistance génotypique et phénotypique. La variation médiane du nombre de lymphocytes CD4 est supérieure dans les bras DTG (+338,5 CD4/mm3) versus efavirenz (+301 CD4/mm3) sans différence statistiquement significative. Les effets secondaires de grade 2 à 4 sont moins fréquents sous DTG (11 %) que sous efavirenz (24 %) avec moins d’arrêts de traitement (3 versus 10 %). Le DTG en 1 fois par jour à la dose sélectionnée de 50 mg/jour permet une efficacité durable à 96 semaines avec 88 % de répondeurs versus 72 % sous efavirenz et un profil de tolérance favorable (figure 48.3).