CHAPITRE 41 TRAITEMENT DES INFECTIONS URINAIRES BACTÉRIENNES
GÉNÉRALITÉS
Physiopathologie
L’urine est physiologiquement stérile grâce à des moyens de défense contre l’infection : le pH, la concentration en urée, l’osmolalité et la concentration en ammoniaque. Le flux urinaire régulier est également un moyen de défense. L’agression d’un ou plusieurs tissus de la sphère urinaire par des microorganismes provoque une infection urinaire.
L’infection urinaire est définie par la présence d’un nombre significatif de germes dans les urines (bactériurie) associée à des signes fonctionnels urinaires tels que des brûlures mictionnelles, une pollakiurie (mictions anormalement fréquentes et peu abondantes), une impériosité des besoins mictionnels, etc.
Classification
Elle se fait selon la symptomatologie et la localisation de l’infection éventuelle :
– Bactériurie asymptomatique : C’est une situation de portage qui se caractérise par une bactériurie > 105 unités formant colonie/mL, l’absence de leucocyturie et de signes cliniques.
– Cystite : c’est une infection de la vessie qui associe de façon variable les symptômes suivants : pollakiurie, impériosité, douleurs mictionnelles, pesanteur lombaire et/ou pelvienne. L’urine peut être trouble (pyurique, dite « cystite vraie ») ou sans pyurie (« cystite à urines claires »). Il faut distinguer les cystites simples et les cystites compliquées. Les cystites simples concernent typiquement les femmes jeunes sans facteur de risques et les femmes jusqu’à l’âge de 80 ans sans comorbidité. Le risque de pyélonéphrite aiguë ascendante est minime contrairement aux cystites compliquées ; ces dernières étant caractérisées par l’existence d’une complication ou d’un facteur de complication : anomalie organique ou fonctionnelle de l’arbre urinaire ou terrain particulier (enfant, sujet âgé, femme enceinte) ou pathologique (diabète, immunodépression, insuffisance rénale, transplantation rénale). Chez l’homme, toute cystite doit être considérée comme une prostatite aiguë.
– Pyélonéphrite [du grec pyelos (cavité, bassinet), nephros (rein) et ite (inflammation)] : en France, elle désigne l’association d’une néphrite interstitielle microbienne, d’une inflammation du bassinet et d’une infection urinaire.
NB : Ce terme peut prêter à confusion car les Anglo-Saxons utilisent le terme de pyelonephritis pour désigner « l’ensemble des inflammations de l’interstitium rénal, qu’elles soient d’origine microbienne ou non » (Dictionnaire de médecine, Flammarion).
La fièvre et les douleurs lombaires sont fréquentes alors que les signes fonctionnels urinaires le sont moins :
– Prostatite : c’est une inflammation aiguë ou chronique de la prostate. Le terme de « prostatite infectieuse » devrait être employé pour désigner les prostatites d’origine microbienne. Le volume prostatique est augmenté et les signes fonctionnels urinaires sont accompagnés de douleurs locales indépendantes de la miction.
Diagnostic
Il repose sur la symptomatologie et sur l’examen des urines qui impose un protocole de prélèvement parfaitement rigoureux. Les conditions suivantes doivent être respectées :
– urine du matin (sans sondage) ;
– recueil après toilette et désinfection par un antiseptique du méat urétral ;
– recueil des urines de milieu de jet seulement ;
– examen rapide des urines (< 20 min) ou conservation la plus courte possible à + 4 ºC.
L’infection des voies urinaires peut être affirmée en cas de bactériurie supérieure ou égale à 105 UFC/mL (100 000 germes/mL) détectée par les nitrites, associée à une leucocyturie (> 104 éléments/mL). C’est la bactériurie qui prédomine, l’hyperleucocyturie pouvant faire défaut dans certaines infections urinaires. Une hématurie est parfois associée, toutefois elle ne constitue pas un facteur de gravité.
L’examen des urines est réalisé en premier lieu grâce à une bandelette urinaire (détection des leucocytes et des nitrites) dont le seuil de détection de la leucocyturie est de 104/mL. L’absence de leucocytes et de nitrites à la bandelette exclut le diagnostic de cystite avec une probabilité supérieure à 95 % (excellente valeur prédictive négative).
L’examen cytobactériologique des urines (ECBU) permet de quantifier la bactériurie et de réaliser un antibiogramme. Il se pratique quand le résultat de la bandelette est douteux et systématiquement lors des cystites compliquées, pyélo-néphrites (y compris les infections urinaires sur sonde), et durant la grossesse.
Étiologie
Les germes responsables sont surtout bactériens, parfois fongiques. Escherichia coli représente environ 80 % des germes responsables des infections urinaires. D’autres bacilles à Gram négatif peuvent également être en cause (Klebsiella, Proteus, Enterobacter, Pseudomonas). Les staphylocoques (Staphylococcus saprophyticus) sont plus rarement en cause (moins de 5 %).
Facteurs favorisant la survenue des infections urinaires
Le sexe
Les infections urinaires sont beaucoup plus fréquentes chez la femme. Cela s’explique par le fait qu’elle présente un urètre court, sujet à des polytraumatismes (coït) et que les glandes périurétrales n’ont pas d’activité antibactérienne (contrairement au liquide prostatique). De plus, les urines de la femme présentent une osmolalité plus faible que celles de l’homme, ainsi qu’un pH plus élevé, en particulier durant la grossesse.
Chez l’homme, les infections urinaires sont rares. Quand elles surviennent, le risque d’invasion de la prostate et des reins est important. En cas d’infections répétées, la présence d’une prostatite (bactérienne) chronique doit toujours être suspectée.
L’âge
Chez la femme, la fréquence des infections urinaires augmente avec l’âge, principalement après la puberté en raison de l’activité sexuelle et culmine vers 60 ans. Chez l’homme, les infections urinaires apparaissent et leur nombre augmente au-delà de 50 ans, en raison des troubles prostatiques fréquemment observés.
La grossesse
Quatre à dix pour cent des femmes enceintes développent une infection urinaire, le plus souvent sous forme de pyélonéphrite.
Le diabète
Les infections urinaires sont plus fréquentes chez les diabétiques présentant des troubles mictionnels dus à la neuropathie diabétique.
Les obstacles sur les voies urinaires
Ils peuvent être de causes diverses : malformations chez l’enfant, obstacles secondaires à certaines pathologies (vessie neurologique [stagnation d’urines], lithiases urinaires, tumeurs, inflammations, etc.).
Médicaments utilisables
Le présent paragraphe présente les propriétés des seuls antibiotiques utilisés dans le cadre du traitement des infections urinaires.
L’antibiothérapie est basée sur la connaissance de l’écologie bactérienne des infections urinaires. Les antibiotiques utilisés ciblent donc particulièrement les bacilles à Gram négatif et font l’objet d’une élimination rénale importante.
Le traitement peut être débuté sans attendre les résultats de l’ECBU (traitement probabiliste) avec un antibiotique à large spectre puis réévalué en fonction de l’antibiogramme en choisissant un antibiotique au spectre étroit si possible afin de limiter le risque d’émergence de résistances bactériennes. De même, l’usage trop systématique d’une même classe d’antibiotiques doit être évité car cela induit une pression de sélection conduisant à des modifications de l’écologie bactérienne.
Fluoroquinolones
Quand les fluoroquinolones sont apparues sur le marché, elles étaient actives sur l’ensemble des germes responsables des infections urinaires. L’utilisation exponentielle de ces antibiotiques, dont la pression de sélection est pourtant connue, fait que des germes tels que Pseudomonas aeruginosa, les staphylocoques méticillino-résistants et même E. coli montrent des taux de résistance de plus en plus importants (1–85, > 50 et 5–10 % respectivement).
Les fluoroquinolones présentent une bonne diffusion dans la plupart des tissus, en particulier dans le tissu prostatique. Les fluoroquinolones les plus adaptées sont la norfloxacine, la ciprofloxacine, l’ofloxacine et la loméfloxacine.
Association triméthoprime-sulfaméthoxazole (cotrimoxazole)
Les sulfamides ont été utilisés dans le traitement des infections urinaires. Ce ne sont plus de bons agents dans ce type de traitement car la majorité des germes responsables des infections urinaires sont maintenant résistants.
Après un traitement par cotrimoxazole, environ 60 % du triméthoprime et 25 à 50 % du sulfaméthoxazole sont retrouvés dans les urines. Il peut être utilisé dans le traitement des infections urinaires communautaires de l’enfant (contre-indiqué avant l’âge de 1 mois).
Fosfomycine
La fosfomycine est commercialisée sous deux formes :
– le sel disodique (Fosfocine) qui est réservé aux infections sévères, en usage hospitalier, en particulier ostéo–articulaires, méningo-encéphaliques et pulmonaires. Il peut être prescrit dans les infections à staphylocoques résistants et dans ce cas, il doit l’être en association ;
– la fosfomycine trométamol (Monuril, Uridoz) qui est utilisée dans le traitement de la cystite non compliquée en une dose unique. Elle présente un spectre large comprenant les germes habituellement en cause dans les infections urinaires. Elle n’est pas efficace sur Staphylococcus saprophyticus. Elle est éliminée sous forme active dans les urines. Les concentrations maximales y sont atteintes en 2 à 4 heures et des concentrations actives sont retrouvées pendant 36 à 48 heures.
Nitrofurantoïne
La nitrofurantoïne (Furadantine, Furadoine, Micodoïne) présente un spectre adapté aux infections urinaires. La sensibilité des germes uropathogènes semble se maintenir dans le temps et être une bonne alternative aux fluoroquinolones dans le traitement des cystites non compliquées.
Environ 40 % de la dose absorbée est retrouvée dans les urines sous forme inchangée active. Aux doses thérapeutiques, les concentrations urinaires maximales sont de 50 à 150 μg/mL durant les trois premières heures. Deux facteurs sont susceptibles de diminuer l’activité de la nitrofurantoïne :
– des urines alcalines : l’activité de la nitrofurantoïne est optimale à pH plutôt acide. L’alcalinisation des urines doit donc être évitée en cas de traitement par ce produit ;
– l’insuffisance rénale : le taux d’excrétion urinaire est proportionnel à la clairance de la créatinine. L’efficacité de la nitrofurantoïne peut donc être réduite en cas d’insuffisance glomérulaire.
Il est recommandé de ne pas l’utiliser de façon prolongée à titre préventif du fait de la survenue d’effets indésirables pulmonaires (pneumopathie interstitielle, fibrose) et hépatiques (cytolyse, hépatite chronique active, cirrhose). Ainsi la nitrofurantoïne ne peut plus être recommandée en prévention dans la cystite récidivante. Elle garde une place en traitement curatif des cystites documentées ou récidivantes dues à des bactéries multi-résistantes [1].
Amoxicilline
Bien que la majorité des germes habituellement rencontrés dans les infections urinaires ait été sensible à l’amoxicilline, de nombreuses résistances sont apparues. L’association d’acide clavulanique (inhibiteur des bêtalactamases) à l’amoxicilline étend le spectre d’action. Toutefois, de 30 à 50 % des Escherichia coli, la majorité des souches de Proteus et la quasi-totalité des Enterobacter sont maintenant résistants. C’est pourquoi, l’amoxicilline, seule ou en association avec l’acide clavulanique, ne doit plus être utilisée en première intention dans les infections urinaires. Non contre-indiquée au cours de la grossesse, l’amoxicilline représente une alternative pour les cystites chez la femme enceinte, ainsi que dans les pyélonéphrites en relais des céphalosporines en fonction de l’antibiogramme.
La quasi-totalité de la dose administrée est retrouvée inchangée dans les urines.
Céphalosporines
Deux céphalosporines injectables sont utilisables en raison de leur spectre antibactérien et de leur pharmacocinétique : la ceftriaxone et la cefotaxime.
Les céphalosporines orales (cefixime) peuvent être une alternative, notamment chez la femme enceinte. Dans les pyélonéphrites elles sont utilisées par voie IV, en association avec un aminoside dans les infections compliquées et/ou nosocomiales.
Aminosides
Les aminosides sont efficaces principalement sur les bacilles à Gram négatif. Ils sont en général inefficaces sur les germes anaérobies et efficaces en association sur les germes à Gram positif. La sensibilité des différents germes retrouvés dans les infections urinaires est variable selon les aminosides. La gentamicine, la nétilmicine, la tobramycine et l’amikacine ont des activités voisines sur Escherichia coli et Klebsiella. L’amikacine présente une meilleure efficacité sur certains bacilles à Gram négatif (Pseudomonas, certaines entérobactéries résistantes aux autres aminosides).
Les aminosides sont excrétés pratiquement entièrement par filtration glomérulaire. Une grande partie de la dose administrée par voie parentérale est retrouvée dans les urines sous forme inchangée. Des concentrations de l’ordre de 50 à 200 μg/mL sont retrouvées inchangées dans les urines aux doses utilisées en thérapeutique. De faibles concentrations d’aminoside peuvent encore être détectées dans les urines 10 à 20 jours après arrêt du traitement. Du fait de leur toxicité et de leur administration uniquement parentérale, les aminosides ne sont utilisés qu’en début de traitement d’infections urinaires compliquées, en association à une fluoroquinolone ou à une céphalosporine de troisième génération.
STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
Bactériurie asymptomatique
Le traitement d’une bactériurie asymptomatique ne se justifie que dans quelques circonstances : chez la femme enceinte (bandelette urinaire mensuelle), chez l’immunodéprimé et en situation préopératoire en chirurgie urologique. Un ECBU est alors pratiqué devant toute bandelette urinaire positive ou douteuse. Le traitement dépend du germe isolé et de sa sensibilité aux antibiotiques.
Cystites (en dehors de la grossesse)
Cystites simples
Trois durées de traitement peuvent être envisagées :
– un traitement « minute » probabiliste : administration d’une dose unique : ce protocole présente l’avantage d’une meilleure compliance au traitement, d’une survenue réduite d’effets indésirables et d’un coût réduit. La fosfomycine-trométamol est utilisable en monoprise. En cas de contre-indication ou d’âge supérieur à 80 ans, les fluoroquinolones en dose unique (ou pendant 3 jours) constituent une alternative ;
– un traitement de 3 jours : ce schéma thérapeutique fait appel aux fluoroquinolones et présente le meilleur coût/bénéfice dans le traitement des cystites simples. Globalement, il présente une efficacité comparable au schéma de 5 jours avec une meilleure observance et tolérance ;
– un traitement sur 5 jours : les bêtalactamines n’étant pas efficaces en traitement court sont prescrites pour une durée d’au moins 5 jours.
Les schémas thérapeutiques suivants peuvent être utilisés par ordre préférentiel :
– la fosfomycine-trométamol : 3 g en 1 prise ;
– le pivmecillinam 400 mg 2 fois par jour pendant 5 jours ;
– la nitrofurantoïne : 50 à 100 mg 3 fois/jour pendant 5 jours est utilisable dans un contexte d’échec.
Les schémas thérapeutiques suivants ne sont plus recommandés en traitement probabiliste des cystites aiguës simples mais peuvent être prescrits en fonction de l’antibiogramme :
– l’association amoxicilline-acide clavulanique : 1 g 3 fois/jour pendant 7 jours ;
– les céphalosporines orales (par exemple céfixime 200 mg 2 fois/jour) pendant 7 jours ;
– le cotrimoxazole : 2,4 g de sulfaméthoxazole + 0,64 g de triméthoprime en 1 prise (3 cp. Bactrim Forte).

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