Chapitre 41 Syndromes des taches blanches inflammatoires et syndromes apparentés
Syndromes des taches blanches inflammatoires : ce qui est admis
DÉFINITION COMMUNE
Il s’agit d’entités cliniques distinctes correspondant à une atteinte variable des couches externes de la rétine, de l’épithélium pigmentaire et/ou de la choroïde [1, 2, 3]. Sont ainsi rapprochés :
HYPOTHÈSE ÉTIOPATHOGÉNIQUE COMMUNE, PRÉDISPOSITION
Cette hypothèse génétique et immune [2] concorde avec :
SIGNES FONCTIONNELS COMMUNS
Les patients rapportent une baisse d’acuité visuelle variable, brutale, unilatérale ou bilatérale, des déficits du champ visuel (scotomes paracentraux parfois scintillants), des photopsies évocatrices et des corps flottants (tableaux 41-1 et 41-II).
ALTÉRATIONS ÉLECTROPHYSIOLOGIQUES
Les réponses électrophysiologiques sont altérées dans ces syndromes à l’exception de la neurorétinopathie maculaire aiguë (tableau 41-III). L’atteinte est variable (atteinte des cônes, des bâtonnets ou mixte), réversible (MEWDS) ou non [4–8].
QUID DE L’ÉLARGISSEMENT DE LA TACHE AVEUGLE : SIGNE CLINIQUE OU SYNDROME ?
L’élargissement de la tache aveugle est plus un signe clinique qu’un syndrome [3, 9, 10]. On ne pourra le retenir comme diagnostic éventuel que chez un patient vu précocement sans taches rétiniennes à l’angiographie à la fluorescéine, ni lésions hypofluorescentes à l’angiographie au vert d’indocyanine, et ce jusqu’à normalisation du champ visuel.
QUID DES REMANIEMENTS MACULAIRES ?
La fovéa est remaniée uniquement dans le syndrome des taches blanches évanescentes (aspect granité orangé) et la neurorétinopathie aiguë (lésions pétaloïdes rougeâtres dont la pointe se dirige vers la fovéa). Un cas d’association de ces deux affections a été publié.
QUID DE LA DISTINCTION DE CES SYNDROMES ?
Le syndrome des taches blanches multiples évanescentes, les choroïdites multifocales, la rétinopathie occulte externe zonale aiguë sont les trois principales entités (tableau 41-IV). Elles ont été individualisées et caractérisées respectivement par Jampol en 1984 [11], par Nozik et Dorsch en 1973 [12], par Gass en 1993 [13]. Cette distinction peut se justifier par une différence de présentation des lésions au fond d’œil (tableau 41-II) et par une différence d’évolution (tableau 41-V) et de pronostic : il existe indiscutablement une échelle de gravité de ces syndromes — qui peuvent correspondre à différents degrés cliniques d’un même processus pathogénique non connu. Ainsi, il y a une restitution ad integrum de l’acuité visuelle dans la forme typique du syndrome des taches blanches évanescentes ; la survenue de néovaisseaux choroïdiens est exceptionnelle. À l’inverse, le pronostic visuel est réservé dans les choroïdites multifocales où les néovaisseaux choroïdiens surviennent dans 40 % des cas.
QUID DE L’INTRICATION DE CES SYNDROMES ?
Il est possible, bien que rare, qu’un patient présente dans le temps plusieurs syndromes de taches blanches inflammatoires avec la succession CMF-MEWDS, MEWDS-CMF, AMN-MEWDS [9, 14, 15, 16]. Dans d’autres cas, l’atteinte peut être à la frontière de deux syndromes, avec un tableau de choroïdite multifocale anormalement associée à des altérations sévères et évolutives du champ visuel périphérique rappelant une rétinopathie occulte externe zonale aiguë. De même, quelques cas de syndrome des taches blanches évanescentes avec des lésions étendues péripapillaires comparables à celles d’une rétinopathie occulte externe zonale aiguë ont été publiés.
DIAGNOSTIC PRÉSUMÉ : ÉLIMINER UNE CAUSE, NOTAMMENT INFECTIEUSE
Il s’agit d’un diagnostic de présomption tenant compte des aspects cliniques (tableaux 41-IV et 41-V) puis des modalités évolutives. Le pronostic ne doit pas être établi dès la première consultation.
Certaines formes de sarcoïdose du sujet âgé, de syphilis, de tuberculose, d’histoplasmose peuvent reproduire un aspect de choroïdite multifocale, de rétinopathie occulte externe zonale aiguë (tableau 41-VI).
Causes infectieuses | Causes non infectieuses |
---|---|
Tuberculose Syphilis Maladie de Lyme Toxoplasmose CMV, herpès, zona Neurorétinite unilatérale diffuse subaiguë (nématodes) Histoplasmose oculaire (zones endémiques) | Sarcoïdose Choriorétinopathie de type birdshot Ophtalmie sympathique Vogt-Koyanagi-Harada Épithéliopathies en plaques Syndromes paranéoplasiques |
Syndrome des taches blanches évanescentes
Le syndrome des taches blanches évanescentes (MEWDS, Multiple Evanescent White Dot Syndrome) est une affection rare, avec soixante-neuf cas publiés entre 1984 et 1994. Il touche une femme jeune, de vingt à quarante ans (sex-ratio 3:1 ; extrêmes : quatorze ans à cinquante-sept ans ; âge moyen : vingt-huit ans). Les signes fonctionnels sont communs à l’ensemble des syndromes des taches blanches. L’atteinte est le plus souvent unilatérale (80 % des cas). La baisse d’acuité est très variable, allant de 1/20 à la notion de flou visuel avec une acuité conservée à 10/10.
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES
Le tableau clinique typique associe des taches blanches évanescentes, un remaniement maculaire, une inflammation modérée du nerf optique [17]. L’inflammation vitréenne est minime avec une hyalite en regard de la papille. La zone fovéolaire qui n’est pas intéressée par les taches inflammatoires prend un aspect granuleux orangé avec perte du reflet fovéolaire. Ce remaniement est relativement spécifique des MEWDS, bien qu’il puisse parfois être confondu avec le remaniement des neurorétinopathies aiguës maculaires.
PARTICULARITÉS DES TACHES BLANCHES
Les taches blanches, discrètes et de petite taille (50 µm à 100 µm), sont confinées au pôle postérieur, dans la zone périfovéolaire et péripapillaire. Les taches ne sont ni pigmentées ni confluentes (fig. 41-1 à 41-3).
Fig. 41-1 MEWDS. Forme typique de syndrome des taches blanches évanescentes chez une jeune femme modérément myope. Baisse d’acuité visuelle de l’œil droit à 2/10. a. Champ visuel. Élargissement de la tache aveugle à l’œil droit. b. Clichés couleurs. Taches blanches discrètes en temporal de la fovéa qui est remaniée (aspect granité) à l’œil droit. c. Angiographie à la fluorescéine. Discrètes taches hyperfluorescentes de petite taille en couronne périfovéolaires caractéristiques. Hyperfluorescence papillaire bilatérale modérée. d. Angiographie au vert d’indocyanine. Taches hypofluorescentes disséminées au pôle postérieur et en périphérie. Noter la confluence de certaines taches avec un anneau péripapillaire. À l’œil gauche, non symptomatique, quelques taches en périphérie et en péripapillaire. e. Coupes en tomographie en cohérence optique. La ligne des photorécepteurs est respectée aux deux yeux.
L’atteinte en angiographie au vert d’indocyanine est marquée, diffuse [18]. Les lésions sont beaucoup plus nombreuses qu’en angiographie à la fluorescéine (fig. 41-1d, 41-2c et 41-3e et f). Elles sont hypofluorescentes, disséminées au pôle postérieur et à l’ensemble de la moyenne périphérie, particulièrement visibles par contraste aux temps tardifs de la séquence au vert d’indocyanine. Ces lésions peuvent confluer, créant de larges zones hypofluorescentes avec une prédilection périmaculaire et péripapillaire. On retrouve un anneau hypofluorescent péripapillaire notamment en cas d’élargissement de la tache aveugle.
PARTICULARITÉ DES CLICHÉS EN AUTOFLUORESCENCE
Il existe de multiples zones discrètement autofluorescentes au pôle postérieur et en moyenne périphérie, qui vont disparaître dès la normalisation de l’acuité visuelle [19].
IMAGERIE PAR TOMOGRAPHIE EN COHÉRENCE OPTIQUE
Les taches n’ont pas de traduction en OCT (fig. 41-1 e). On note cependant des modifications de la réflectivité des couches externes de la rétine avec une perte de la continuité de la ligne des photorécepteurs (ligne hyper-réflective) à la phase symptomatique dans la région maculaire et fovéolaire [18, 20]. Ces anomalies sont transitoires.
APPORT DE L’ÉLECTRORÉTINOGRAMME
L’ERG « champ total » a un intérêt en cas de doute entre un syndrome des taches blanches évanescentes (macula orangée et granulaire) et une neurorétinite aiguë (lésions pétaloïdes rougeâtres maculaires) [6, 8]. Les réponses scotopiques à l’ERG « champ total » sont diminuées dans 75 % des cas de MEWDS et normales dans la neurorétinite maculaire (tableau 41-III).
ÉVOLUTION
Ce critère est essentiel. Les taches sont fugaces, disparaissant en moins de trois semaines (tableau 41-V). Elles peuvent laisser place à de discrètes altérations de l’épithélium pigmentaire. Il n’y a pas d’atrophie choriorétinienne. L’aspect granité de la macula, l’œdème papillaire, les anomalies de l’angiographie au vert d’indocyanine et de l’ERG peuvent persister quelque temps après la résorption des taches (fig. 41-2, b et c).
PRONOSTIC
Dans la forme typique non récidivante, l’acuité visuelle remonte spontanément en un à deux mois et les taches disparaissent sans laisser de cicatrices. Les patients présentant un élargissement de la tache aveugle peuvent mettre plus de temps pour s’améliorer mais la récupération sera là encore complète (tableau 41-VII).
Choroïdites multifocales et syndromes apparentés
Les choroidites multifocales (CMF, multifocal choroiditis and panuveitis) ont été individualisées, séparées de l’histoplasmose oculaire par Nozik et Dorsch en 1973 [12]. La France n’est pas située dans une zone d’endémie de l’histoplasmose. Ce syndrome de taches blanches inflammatoires comporte des lésions choriorétiniennes proches de celles de l’histoplasmose oculaire mais se singularise par une inflammation intraoculaire (70 % des cas). La présence d’une hyalite marquée ou d’un tyndall antérieur n’est pas en faveur d’un syndrome des taches blanches évanescentes et permet d’exclure une histoplasmose oculaire.
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES
Ce syndrome associe une inflammation oculaire, la coexistence de taches blanches actives et de taches atrophiques et pigmentées cicatricielles, une atrophie péripapillaire (« oreilles de Mickey ») et des lésions linéaires pigmentées et atrophiques en périphérie rétinienne (linear streaks) [12, 21].
PARTICULARITÉS DES TACHES
Les lésions choriorétiniennes, localisées au niveau de l’épithélium pigmentaire, sont plus nombreuses (plus de cinq lésions maculaires) et plus petites que celles de l’histoplasmose oculaire (50 µm à 400 µm). On distingue des lésions inflammatoires blanches actives et des lésions cicatricielles pigmentées et atrophiques (fig. 41-4). Les lésions peuvent confluer — contrairement à celles du MEWDS —, avec des images en « lame de sabre »» au pôle postérieur (sword-like lesions), en « oreilles de Mickey » autour de la papille (Mickey ears) et de lignes atrophiques et pigmentées en périphérie rétinienne (linear streaks) (fig. 41-5 et 41-6). L’affection étant récidivante, la coexistence de lésions actives et de lésions cicatricielles est classique dans les choroidites multifocales.
Fig. 41-4 CMF. Choroïdite multifocale d’aspect évocateur avec coexistence de lésions actives et de lésions cicatricielles. a. Cliché monochromatique vert. Lésions multiples de petite taille, actives et cicatricielles, pigmentées. b. Angiographie à la fluorescéine. Les lesions actives sont hypofluorescentes aux temps précoces, les lésions cicatricielles se colorent en suivant la fluorescence choroïdienne. c. et d. Angiographie au vert d’indocyanine ; temps précoce (c), temps tardif (d). Les lésions actives et cicatricielles hypofluorescentes sont plus nombreuses qu’en angiographie à la fluorescéine.