22: Atteintes oculaires au cours de l’infection par le virus HTLV-1

Chapitre 22 Atteintes oculaires au cours de l’infection par le virus HTLV-1



Le virus HTLV-1 (Human T-cell Lymphotropic Virus type 1) a été isolé en 1980 à partir des lymphocytes d’un patient porteur d’un lymphome T cutané [1]. Il fut le premier rétrovirus associé à une maladie chez l’homme [2]. Le nombre d’individus infectés dans le monde est estimé entre quinze et vingt-cinq millions [3]. Bien que la majorité des patients infectés restent asymptomatiques, le virus HTLV-1 est responsable de pathologies sévères, néoplasiques, inflammatoires ou infectieuses opportunistes [4]. Les principales manifestations cliniques de l’infection par le virus HTLV-1 sont neurologiques, hématologiques et oculaires. Le virus HTLV-1 est l’agent causal d’une myélopathie progressive, inflammatoire et démyélinisante, communément dénommée Tropical Spastic Paraparesis/HTLV-1 Associated Myelopathy (TSP/HAm) par les auteurs Anglo-Saxons, d’une hémopathie caractérisée par une prolifération maligne de lymphocytes T, ou ATL (Adult T-cell Leukemia), et d’une uvéite [5,6]. L’atteinte oculaire peut être associée à cette infection, que le patient soit séropositif asymptomatique, paraplégique ou atteint d’une leucémie. Les facteurs génétiques et environnementaux qui déterminent chez un porteur sain l’évolution vers une myélopathie, une leucémie ou des lésions oculaires sont mal élucidés.



Le virus HTLV-1



STRUCTURE GÉNÉTIQUE


Le virus HTLV-1 est un rétrovirus de type C, appartenant à la sousfamille des oncovirus. La structure génétique du virus HTLV-1 est similaire à celle de tous les rétrovirus : ARN de haut poids moléculaire avec, de l’extrémité 5’ à l’extrémité 3’, les gènes gag, pol et env. Deux gènes supplémentaires se trouvent après le gène env à l’extrémité 3’ du génome : les gènes tax (transactivator) et rex (regulator of expression). Le gène gag code la protéine p53, précurseur des polypeptides p19, p24 et p15 constituant les principales protéines de la nucléocapside. Le gène pol code trois enzymes dont la reverse transcriptase et l’intégrase. Le gène env code les glycoprotéines de l’enveloppe gp21 et gp46. Les gènes tax et rex codent des protéines non structurales, régulatrices de la réplication virale. La protéine tax permet d’augmenter l’activité transcriptionnelle de nombreux gènes de la cellule hôte. Ainsi, son interaction avec le facteur transcriptionnel NF-κB aboutit à la transactivation des gènes codant l’interleukine 2 (IL-2), la chaîne alpha du récepteur à l’IL-2, le TNFα et le TGFβ. Comme pour le virus de l’immunodéficience humaine, les lymphocytes CD4 sont les cellules cibles du virus HTLV-1, mais les lymphocytes CD8 sont aussi un important réservoir pour le virus. In vitro, certaines des cellules infectées peuvent être immortalisées. La dérégulation de la cellule hôte dans des fonctions aussi essentielles que la croissance, le cycle et l’adhérence cellulaires, ainsi que la production de cytokines pro-inflammatoires, rend compte de la pathogénicité du virus [4,7,8].




ÉPIDÉMIOLOGIE


La contamination intrafamiliale par le virus HTLV-1 s’effectue horizontalement par voie sexuelle (le plus souvent dans le sens homme-femme) et verticalement par l’allaitement maternel, exceptionnellement par voie placentaire. Le risque de transmission du virus HTLV-1 de la mère à l’enfant par le lait maternel est de 20 % [10]. La transfusion par dérivés sanguins contenant des lymphocytes infectés est la troisième voie de transmission bien identifiée [11]. Après une transfusion de produits cellulaires contaminés, les taux de séroconversion varient de 35 % à 60 % [12]. Chez les donneurs de sang, le dépistage des anticorps anti-HTLV-1 et anti-HTLV-2 est systématique dans de nombreux pays. Il est obligatoire depuis janvier 1989 dans les départements français d’outre-mer situés en zone d’endémie (Antilles, Guyane) et depuis juillet 1991 en France métropolitaine. La contamination par des aiguilles et des seringues chez les toxicomanes est également un mode de transmission [13]. En matière de dons d’organes et de tissus, la sérologie HTLV-1 est obligatoire chez le donneur. Une sérologie positive contre-indique la greffe des tissus ou des organes prélevés.


L’infection HTLV-1 est endémique dans le bassin caraïbéen, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, l’Afrique intertropicale, l’Afrique du Sud et le Japon. La séroprévalence est en général inférieur à 10 % (2,2 % en Martinique, 0,6 % en Guadeloupe), mais elle peut atteindre plus de 30 % dans le sud-ouest de l’archipel nippon [1416]. Quelles que soient les régions endémiques, la séroprévalence augmente avec l’âge et est plus élevée chez les femmes. L’infection par le virus HTLV-1 est également présente en Amérique du Nord et en Europe surtout de l’Est. Aux États-Unis, la prévalence serait de 0,02 % et en Roumanie de 0,64 % [4,17]. En France métropolitaine, la prévalence des anticorps anti-HTLV-1 parmi les dons de sang est de 0,27 pour 10 000 dons, soit environ deux cents fois moins élevée que dans la région Antilles-Guyane : 50,1 pour 10 000 dons ; 70 % des donneurs de sang contaminés par le virus HTLV-1 domiciliés en France sont originaires ou ont eu un partenaire sexuel originaire des Antilles, de la Guyane ou d’Afrique subsaharienne [18]. L’analyse moléculaire des souches virales des différentes régions d’endémie a permis de constater la remarquable stabilité génomique du virus HTLV-1, n’excédant pas 2 % à 8 % de variation entre les principaux génotypes.




Atteinte oculaire au cours de l’infection par le virus HTLV-1



UVÉITE


La responsabilité du virus HTLV-1 a été évoquée en 1992 par les auteurs japonais qui retrouvaient parmi les uvéites d’étiologie inconnue une séroprévalence pour HTLV-1 élevée [19,20]. Des données cliniques et virologiques confirmeront rapidement l’implication de ce virus dans la pathologie inflammatoire du globe oculaire [21,22]. La prévalence des uvéites associées au virus HTLV-1 est estimée à 112 pour 100 000 au Japon, où elles représentent la première cause d’uvéite au sein de la population nippone, soit 18 % des cas, devant la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada (10 %) et la toxoplasmose (8 %) [23,24]. En Martinique, parmi deux cents patients infectés par le virus HTLV-1, vingt-neuf cas (14,5 %) d’uvéites ont été constatés ; la prévalence estimée y est de cinquante et un pour 100 000 porteurs [25]. Chez les séropositifs, le risque de développer une uvéite se situe entre 10 % et 15 % [3]. L’âge moyen des patients atteints d’uvéite est compris entre quarante et cinquante ans. Les femmes sont presque deux fois plus souvent atteintes que les hommes.


La répartition en sous-types anatomiques diffère selon les études, car certains auteurs retiennent la localisation antérieure, intermédiaire ou postérieure dès que celle-ci est concernée, ou d’autres seulement lorsqu’elle représente le site de l’inflammation oculaire la plus importante (tableau 22-I). Ainsi, Takahashi et al. retrouvent une inflammation du segment antérieur chez 90 % des patients, mais cette série ne compte que 12,5 % d’uvéite antérieure [24]. Les uvéites intermédiaires sont les plus fréquentes : elles sont constatées dans plus de 75 % des cas. Viennent ensuite les uvéites antérieures, dont la proportion varie entre 15 % et 90 %. La part des papillites varie entre 10 % et 62 %, celle des panuvéites entre 5 % et 37 %. L’atteinte est bilatérale une fois sur deux [2022].



Les signes cliniques initiaux reflètent l’atteinte inflammatoire du vitré. L’acuité visuelle est normale ou peu diminuée. Les patients se plaignent d’une impression de vision trouble, de la perception d’un brouillard et de myodésopsies dans près de la moitié des cas [26]. Les douleurs oculaires sont exceptionnelles.


L’œil est rarement rouge, même en cas d’inflammation antérieure (fig. 22-1). Yoshimura et al. retrouvent une rougeur oculaire chez seulement 6,5 % des patients [26]. De nombreuses formes asymptomatiques sont découvertes à l’occasion d’un examen systématique [25,30]. L’atteinte du segment antérieur est très discrète ; elle se manifeste par un fin tyndall protéique (flare) et la presence de quelques cellules inflammatoires dans la chambre antérieure. Les précipités rétrodesmétiques apparaissent comme des petits amas blanchâtres, arrondis et bien délimités. Des précipités rétrodesmétiques en « graisse de mouton » sont plus rarement constatés. Des nodules iriens peuvent parfois être visualisés : ils sont jaunes et de petites tailles, siégeant sur le bord pupillaire (nodules de Koeppe) ou sur le stroma irien (fig. 22-2). Il n’existe pas d’hypopion. Des synéchies antérieures ou postérieures sont constatées dans moins de 10 % des cas. L’apparition d’une membrane cyclitique est exceptionnelle. Il n’existe pas d’hypotonie ou d’hypertonie oculaire.




L’inflammation du vitré est prédominante et se caractérise par la présence de cellules inflammatoires qui apparaissent comme des petits points blanchâtres ou pigmentés, ronds et brillants dans le faisceau de la lampe à fente. Elles occupent la totalité de la cavité vitréenne. Elles s’organisent volontiers en nodules, en cylindres ou en bandes fibreuses, les unes adhérentes à la papille et flottant dans l’entonnoir prépapillaire et les autres situées en regard des arcades vasculaires (fig. 22-3 et 22-4) [28]. En cas d’inflammation active, le tyndall protéique, à l’origine d’un trouble du vitré, devient plus intense et gêne l’examen de la rétine. La papille peut alors être aperçue (grade 3+) ou non (grade 4+) (fig. 22-5). Il n’a pas été observé de « banquise » ou de foyer de choriorétinite, mais il a été retrouvé à l’angiographie au vert d’indocyanine des anomalies de la circulation choroïdienne à type de diffusion et d’hyperfluorescence siégeant au pôle postérieur [31]. Essentiellement décrite en zone d’endémie japonaise, une vascularite rétinienne peut être constatée sous un aspect de périphlébite. À un engainement vasculaire localisé ou étendu peuvent s’associer des exsudats, un œdème maculaire cystoïde, un rétrécissement de la lumière veineuse voire une obstruction [26,32].





L’atteinte inflammatoire de la papille est le plus souvent réduite à une simple hyperhémie papillaire, accompagnée par une hyperfluorescence tardive et d’une diffusion péripapillaire à l’angiographie à la fluorescéine ainsi que par un allongement de la latence de l’onde P100 [33,34].


L’évolution de l’uvéite liée au virus HTLV-1 est chronique, avec des périodes d’exacerbation et de rémission. Près de 50 % des patients ont une maladie récurrente [35]. L’intervalle entre poussées varie de quelques semaines à plus de dix ans. Le pronostic fonctionnel visuel à long terme est bon : l’acuité visuelle est supérieure à 8/10 dans la plupart des cas [2527]. La persistance de myodésopsies en rapport avec le remaniement de l’architecture du vitré est la principale séquelle [25,26]. Les complications sont rares et essentiellement représentées par la survenue d’une hypertonie oculaire, d’une cataracte, d’un œdème maculaire cystoïde, d’une membrane épirétinienne, d’une dégénérescence choriorétinienne, d’une occlusion vasculaire rétinienne et d’une atrophie optique [22,24,35].



Les uvéites ne sont pas plus fréquentes chez les TSP/HAM que chez les séropositifs asymptomatiques et les signes cliniques oculaires inflammatoires sont identiques [25]. Cependant, au sein des TSP/HAM, les uvéites se rencontrent chez des patients plus jeunes avec un tableau neurologique plus sévère. Chez ces malades, l’uvéite pourrait représenter un facteur de gravité de l’affection neurologique [28,36]. Le diagnostic d’une uvéite chez un patient porteur du virus HTLV-1 doit conduire à la réalisation d’un examen neurologique à la recherche de signe de TSP/HAM. Cette forme clinique d’uvéite liée au virus HTLV-1 ne s’observe pas chez les patients porteurs d’ATL [23].


Une thyroïdite ou une maladie de Basedow sont fréquemment retrouvées chez les patients porteurs d’une uvéite liée au virus HTLV-1. Dans la série de Mochizuki, 13 % des patients ont des antécédents de maladie de Graves consistant en une hyperthyroïdie biologique et une thyrotoxicose. L’exophtalmie est rarement importante [37]. L’atteinte thyroïdienne précède de quelques mois à quelques années l’uvéite [20,38]. L’ADN proviral ainsi que le virus HTLV-1 ont été isolés dans le tissu thyroïdien et dans le vitré chez un patient atteint d’une uvéite [39]. Un excès d’hormones thyroïdiennes ou la mise en œuvre du traitement de l’hyperthyroïdie par méthimazole favoriseraient l’augmentation du nombre de cellules infectées par le virus HTLV-1 [37,38]. Le plus souvent de nature autoimmune, la présence d’une thyroïdite renforce l’hypothèse de l’origine immunitaire de l’uvéite associée au virus HTLV-1. Le rôle des hormones féminines a également été évoqué sur la base d’une fréquence plus élevée des uvéites chez les femmes en âge de procréer entre vingt et vingt-neuf ans et ménopausées entre cinquante et cinquante-neuf ans [26]. Une alvéolite lymphocytaire, asymptomatique tant sur le plan clinique que radiologique, peut également s’associer à une uvéite [40].


Le traitement de l’uvéite liée au virus HTLV-1 est purement symptomatique et repose sur la corticothérapie locale en cas d’atteinte antérieure et générale en cas d’uvéite intermédiaire. Elle est administrée par voie orale à la posologie initiale de 1 mg/kg de prednisone. Elle est débutée uniquement devant une diminution de l’acuité visuelle de plus de deux lignes. Ces uvéites répondent bien au traitement corticoïde local ou systémique. Le contrôle de la réaction inflammatoire est obtenu au bout de quatre à six semaines de traitement [29]. La chirurgie de la cataracte ou d’une membrane épirétinienne n’est pas à l’origine d’une récidive de l’inflammation [24,41]. Certains accès d’uvéite guérissent spontanément [23].


Les uvéites liées au virus HTLV-1 se traduisent par la présence d’anticorps anti-HTLV-1 dans l’humeur aqueuse. De la même façon que la présence d’anticorps anti-HTLV-1 dans le liquide cérébrospinal est un critère diagnostique majeur de la TSP/HAM, la présence d’anticorps anti-HTLV-1 dans la chambre antérieure constitue un des éléments du diagnostic étiologique d’une uvéite liée au virus HTLV-1 [41,42]. Le nombre de lymphocytes infectés dans le sang, ainsi que la charge virale sont plus élevés chez les patients atteints d’uvéite [43]. Les cellules présentes dans l’œil sont des lymphocytes essentiellement T [44]. De l’ADN proviral a été mis en évidence dans les cellules inflammatoires de la chambre antérieure, confirmant ainsi la présence dans l’œil de cellules infectées [19,45]. Des particules virales ont été détectées par microscopie électronique dans des cellules clonées obtenues à partir de cellules présentes dans la chambre antérieure. En l’absence de stimuli, ces cellules produisent de grande quantité de cytokines, en particulier de l’IL-6 à l’origine de la cascade inflammatoire [44,46]. Une réponse immunologique secondaire à l’antigénicité du virus semble être à l’origine de l’uvéite ; cependant, une atteinte virale directe des différents tissus ne peut être exclue.

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Jun 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 22: Atteintes oculaires au cours de l’infection par le virus HTLV-1

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