Chapitre 37 Choriorétinopathie de type birdshot
La choriorétinopathie de type birdshot est une uvéite postérieure chronique, bilatérale, rare mais avec une présentation clinique caractéristique et une forte association génétique. Elle est individualisée des autres causes d’uvéite depuis 1980 [1]. Le nom de la maladie provient de l’aspect des taches au fond d’œil, qui évoque une cible (un oiseau) touchée par une volée de grenaille de plomb (birdshot) (fig. 37-1). La maladie de type birdshot représenterait de 0,6 % à 1,5 % des patients examinés dans un centre de référence pour uvéites, correspondant à 6 % à 7,9 % de l’ensemble des causes d’uvéite postérieure [2]. Un groupe d’experts internationaux a récemment publié la définition des critères diagnostiques de la maladie (tableau 37-I) [3]. La physiopathologie de la choriorétinopathie de type birdshot reste obscure. Des causes immunogénétiques sont largement suspectées, notamment de par son lien avec l’allèle HLA-A29, qui représente la plus forte association entre une maladie et un antigène H LA de classe I [4]. L’allèle HLA-A29 est cependant un allèle fréquent, avec 5 % à 7 % de porteurs parmi les populations caucasiennes, ce qui implique l’existence d’autre(s) facteur(s) pour développer la maladie. À ce jour, le mécanisme conduisant les porteurs de l’allèle HLA-A29 à développer une choriorétinopathie de type birdshot reste au stade des hypothèses.
Caractéristiques indispensables | Atteinte bilatérale Présence dans un œil d’au moins trois lésions « de type birdshot » localisées en inférieur ou en nasal de la papille * Faible degré d’inflammation de chambre antérieure (≤ 1+ cellule) † Faible degré d’inflammation vitréenne (≤ 2+ de haze vitréen) ‡ |
Éléments en faveur | Antigène HLA-A29 positif Vascularites rétiniennes Œdème maculaire cystoïde |
Critères d’exclusion | Présence de précipités rétrodescemétiques Synéchies iridocristalliniennes Présence d’une autre cause d’uvéite, infectieuse, néoplasique ou toute autre cause de lésions choroïdiennes multifocales § |
* Lésions choroïdiennes irrégulières, allongées, à bords peu nets, de grand axe radial par rapport à la papille.
† Défini selon le SUN (Standardization of Uveitis Nomanclature).
‡ Défini selon Nussenblatt et al. [76].
§ Les diagnostics suivants doivent avoir été recherchés par l’interrogatoire, à l’examen ou par tests biologiques : sarcoïdose, lymphome intraoculaire, épithéliopathie en plaques (APMPPE), choroidites multifocals et panuvéites, choroïdite ponctuée interne (PIC), syndrome des taches blanches évanescentes (MEWDS), pars planite, sclérite postérieure, ophtalmie sympathique, maladie de Vogt-Koyanagi Harada (stade chronique), syphilis et tuberculose.
(d’après Levinson et al., 2006 [3]).
Historique
La maladie a probablement été identifiée au préalable sous d’autres termes, comme la choriorétinopathie en « grains de riz » par Amalric [5], la vitiliginous chorioretinitis par Gass [6] et la choroïdopathie en taches saumon (salmon patch) par Aaberg [7]. Pour certains, la première description de la maladie remonterait à celle de Franceschetti et Babel (1949), qui décrivent une choriorétinite en « taches de bougie » [8], posant toutefois la question du diagnostic différentiel avec l’uvéite postérieure de la sarcoïdose dont la présentation peut être identique. La maladie et sa dénomination ont été finalement reconnues comme entité distincte dans les années quatre-vingt, aidées par la découverte de la forte association à l’antigène HLA-A29 [4].
Épidémiologie
À l’exception de cas cliniques isolés, la choriorétinopathie de type birdshot touche exclusivement des patients d’origine caucasienne. Il n’existe pas de publication rapportant la prévalence de la maladie parmi des populations caucasiennes, notamment en France. Toutefois, connaissant la prévalence des uvéites (cf. chapitre 6 « Épidémiologie ») et la proportion de maladie de type birdshot attendue parmi les causes d’uvéite [2,9], l’estimation du nombre de patients atteints en France serait d’environ huit cents [450-1 125], soit une prévalence estimée à 1,22 patient [0,69-1,73] pour 100 000 habitants. Ces données épidémiologiques permettent de classer la maladie de type birdshot dans les maladies rares ou orphelines.
La choriorétinopathie se déclare en moyenne après la cinquantaine (moyenne : cinquante-trois ans), plus généralement entre trente-cinq et soixante-dix ans (extrêmes : quinze ans et soixantedix-neuf ans). D’après la méta-analyse de Shah et al., une légère prédominance féminine est observée (54,1 % ; tableau 37-II) [2].
Plus de 95 % des patients atteints de maladie de type birdshot rapportés dans la littérature sont porteurs de l’antigène HLA-A29 [2], conférant un risque relatif de développer la maladie estimé en moyenne à 109 (RR de 50 à 224, selon les études) [4,10–12]. Le typage HLA-A29 positif a une sensibilité et une spécificité diagnostique estimées à plus de 90 % [13], ce qui en fait pour certains investigateurs un élément nécessaire à la pose du diagnostic. Toutefois, avec une fréquence de l’antigène HLA-A29 dans la population caucasienne de 5 % à 7 % (de 4,03 % à 6,3 % en France selon les estimations1), le développement de la maladie de type birdshot reste extrêmement rare chez les porteurs de l’antigène HLA-A29 (tableau 37-III). À partir de registres de donneurs de moelle osseuse, l’haplotype HLA-A29-B44 apparaît comme le plus représenté en France, avec une moyenne de 5,3 % (extrêmes : 0,5 % à 7,8 %) et, toutefois, de fortes disparités régionales, avec une fréquence maximale dans les Landes (7,8 %) [14]. Ces disparités sont la conséquence des mouvements de population [15].
L’existence de cas familiaux reste exceptionnelle dans la choriorétinopathie de type birdshot. Celle-ci a été récemment rapportée chez dix patients de cinq familles, représentant 4,4 % des cas de choriorétinopathie de type birdshot dans un centre tertiaire de prise en charge pour uvéite [16]. Il n’y a aucun cas de choriorétinopathie de type birdshot connu avec transmission verticale, c’est-à-dire de parents et d’enfants atteints par la maladie. Toutefois, la maladie est de description encore récente et atteint des patients après la cinquantaine, rendant plus difficile les observations intergénérationnelles. Le cas de jumeaux monozygotes présentant une choriorétinopathie de type birdshot avec plus d’une décennie de décalage a été observé [17].
L’ensemble de ces données suggère l’existence, à côté de l’antigène HLA-A29, d’un deuxième facteur d’ordre génétique et/ ou environnemental [18], ce qui a servi de modèle à la réflexion sur la physiopathologie de la choriorétinopathie de type birdshot.
Physiopathologie, immunogénétique
La choriorétinopathie de type birdshot représente la plus forte association connue entre un antigène HLA et une maladie. Cependant, la restriction de la maladie chez les Caucasiens n’est pas entièrement expliquée par la plus grande fréquence de l’allèle HLA-A29 parmi cette population (tableau 37-III). Cette restriction plaide en faveur d’un terrain génétique particulier à côté de l’antigène de susceptibilité principal, ou bien de facteurs environnementaux spécifiques à cette population. Dans les deux cas, ces événements additionnels doivent être plutôt rares, compte tenu de la différence importante entre la fréquence de la maladie et la fréquence de l’allèle.
ANTIGÈNE HLA-A29, INFLUENCE DES SOUS-TYPES
lence parmi les Caucasiens, pour une maladie n’affectant que des sujets d’origine caucasienne. L’argument était de plus fondé sur l’absence de la maladie de type birdshot chez les sujets asiatiques, population où le sérotype HLA-A29*01 prédomine. Mais l’existence de patients caucasiens atteints de la maladie dans un contexte HLA-A29*01, avec une fréquence compatible à la prévalence du sous-type HLA-A29*01 dans la population caucasienne, est venue contredire cette hypothèse [22]. En effet, Levinson et al. (2004) ont analysé par PCR la prévalence des sous-types de l’antigène HLA-A29 chez vingt patients atteints de choriorétinopathie de type birdshot. Sur les vingt patients, quatre étaient porteurs de l’allèle HLA-A29*01 (20 %). Parmi ces quatre patients, deux étaient homozygotes pour HLA-A29, en étant à la fois porteurs de l’allèle HLA-A29*02 et l’allèle HLA-A29*01. Sur les dix-huit patients hétérozygotes pour HLA-A29, seize portaient l’allèle HLA-A29*02 (89 %%) et deux l’allèle HLA-A29*01 (11 %%). De même, sur près de deux cents patients suivis dans le service d’ophtalmologie de l’hôpital Cochin, environ 5 % (dix patients) sont porteurs du sous-type HLA-A29*01 (données personnelles non publiées). Ainsi, le fait d’être porteur de l’allèle HLA-A29*01 n’apparaît pas être protecteur vis-à-vis du développement de la maladie. Il n’a pas été mis en évidence de phénotype spécifique de la maladie en fonction des sous-types A29*01 et A29*02. Ces deux allèles ne diffèrent que d’un acide aminé en position 102 sur la molécule HLA-A29*02 : histidine dans le cas de l’HLA-A29*01, glutamine pour l’HLA-A29*02 (fig. 37-2). Cette différence d’acide aminé n’est pas localisée dans la poche à peptide et n’est donc pas impliquée directement dans la fixation et la présentation du peptide antigénique aux cellules T ; il ne se trouve pas non plus en contact direct avec leur récepteur TCR. Plus récemment, un nouveau sous-type d’HLA-A29, l’HLA-A29*10 a pu être identifié chez deux patients présentant une maladie de type birdshot typique parmi une cohorte de cent quatre-vingt-cinq patients [23].
Fig. 37-2 Représentation de la molécule HLA-A29. Les deux positions qui diffèrent entre les sous-types HLA-A29*02, A29*01 (position 102) et A29*10 (position 177) sont indiquées. (D’après http://www.ncbi.nlm.nih.gov/gv/mhc.)
L’antigène HLA-B12 et son produit de dégradation B44 ont également été rapportés associés à la choriorétinopathie de type birdshot, mais ces antigènes sont en total déséquilibre de liaison avec l’antigène HLA-A29 et aucun patient porteur d’HLA-B12 sans HLA-A29 n’est connu.
Aucune association n’a été rapportée entre les antigènes de classe II et la choriorétinopathie de type birdshot[4].
MODÈLES ANIMAUX
Le principal argument d’un rôle de l’antigène HLA-A29 lui-même dans la physiopathogénie de la choriorétinopathie de type birdshot est le développement d’une uvéite postérieure chez des souris transgéniques A29 [24]. En effet, ces souris (de fonds C57BL/10 exprimant spontanément la β2-microglobuline humaine), après transfert du gène de prédisposition HLA-A29*02, développent une uvéite postérieure similaire à la choriorétinopathie de type birdshot, avec une inflammation minime de chambre antérieure, une inflammation vitréenne, des vascularites rétiniennes, une inflammation choroïdienne et une accumulation de cellules pigmentées sousrétiniennes. L’utilisation dans ce travail expérimental de l’ADN de l’allèle HLA-A29*02 comme transgène, épuré des introns, des éléments de régulation et des gènes situés à proximité, suggère un effet direct de la molécule HLA-A29*02. De manière intéressante, seules les souris transgéniques âgées (plus de douze semaines) ont développé une uvéite postérieure [24].
D’autres modèles d’uvéites auto-immunes expérimentales (UAE) ont pu mettre en évidence un rôle des antigènes rétiniens dans le développement des uvéites postérieures d’origine auto-immune [25] (cf. chapitre 3). L’UAE peut être induite chez l’animal par immunisation systémique avec des autoantigènes purifiés de la rétine en présence d’adjuvants : l’antigène soluble rétinien (Ag-S) ou l’Interphotoreceptor Retinoïd-Binding Protein (IRBP). Bien que moins spécifique de la choriorétinopathie de type birdshot, ces uvéites présentent de nombreuses analogies avec elle, tant sur le plan clinique que sur le plan de la physiopathologie présumée de la maladie. De plus, plusieurs études expérimentales impliquent ces antigènes dans la pathogénie de la choriorétinopathie de type birdshot :
Les données cliniques (ERG) et histopathologiques suggèrent une atteinte initiale de la choroïde et/ou de la rétine interne, laissant penser que ces antigènes (Ag-S rétinien, IRBP) situés dans la rétine externe ne sont probablement pas les cibles initiales de la réponse immunitaire dans la choriorétinopathie de type birdshot. Ils jouent cependant un probable rôle d’amplification des phénomènes inflammatoires et auto-immuns, secondaires aux dommages tissulaires initiaux qui vont conduire à leur libération, les transformant en autoantigènes [2,28].
APPORTS DES ÉTUDES IMMUNOGÉNÉTIQUES
L’hypothèse d’un rôle de la molécule HLA-A29 elle-même a été renforcée par l’étude des polymorphismes autour du locus d’HLA-A29. Le séquençage de l’antigène HLA-A29 et des sous-types A29*01 et A29*02 entre des patients et des témoins n’a pas révélé de différence. En revanche, les environnements génétiques (haplotypes étendus) autour des loci d’HLA-A29*01, A29*02 et récemment A29*10 se sont révélés très différents [23,29]. Par ailleurs, la mutation D63 du gène de l’hémochromatose (HFE), connue pour être en déséquilibre de liaison avec l’antigène HLA-A29, n’a pas été retrouvée associée au développement de la maladie. Ces données plaident en faveur de l’implication de la molécule HLA-A29 elle-même plutôt que d’un gène proche ou en déséquilibre de liaison avec A29.
Ces résultats n’excluent pas l’existence de gène(s) associé(s) à l’antigène HLA-A29 situé(s) à distance ou en dehors du complexe majeur d’histocompatibilité, pour développer la maladie, comme le suggère la restriction de la choriorétinopathie de type birdshot aux personnes caucasiennes. Les gènes codant une famille de récepteurs des cellules NK (récepteurs KIR, Killer cell Immunoglobulin-like Receptors), qui interagissent avec les molécules du CMH de classe I, ont été impliqués dans le développement de plusieurs maladies auto-immunes [30]. Ces gènes sont situés en 19q13.4 et codent quatorze récepteurs KIR différents, à l’origine de l’activation ou de l’inhibition des cellules NK. Ces gènes transmis de manière indépendante de ceux du CMH sont à l’origine d’une diversité combinatoire entre les molécules de classe I et les récepteurs KIR, diversité susceptible d’expliquer le développement d’une maladie auto-immune parmi un sous-groupe de personnes porteur d’un même allèle. Des combinaisons significatives entre certains gènes KIR et l’antigène HLA-A29 de patients atteints de maladie de type birdshot ont été récemment mises en évidence [31].
RÔLE DE L’ENVIRONNEMENT
Un facteur environnemental, s’exerçant sur des individus caucasiens porteurs de l’antigène de prédisposition nécessaire au développement de la maladie, ne peut être exclu dans la choriorétinopathie de type birdshot. Toutefois, de nombreux arguments plaident pour un rôle prédominant des facteurs génétiques. Les Asiatiques, majoritairement porteurs du sous-type A29*01, ne développent pas la maladie, y compris après avoir immigré aux États-Unis ou en Europe, ce qui plaide pour l’existence d’un terrain génétique prédisposant plutôt qu’un rôle environnemental. Des infections jouant un rôle de « gâchette » dans le développement de la maladie ont été suspectées mais n’ont jamais pu être confirmées par la suite [32].
APPORT DES DONNÉES HISTOPATHOLOGIQUES
Il n’existe que deux descriptions histologiques rapportées dans la littérature. L’une d’elles reste controversée, avec un diagnostic d’ophtalmie sympathique possible [4] : il s’agit d’une patiente de quarante-neuf ans, porteuse de l’antigène HLA-A29, avec des antécédents de traumatismes oculaires. L’examen en microscopie optique d’un œil en phtise a mis en évidence une inflammation diffuse et granulomateuse de la rétine et, à un moindre degré, de la choroïde avec des cellules épithélioïdes et des infiltrats lymphocytaires.
L’autre étude histologique concerne un patient âgé de quarante-neuf ans, porteur de l’antigène HLA-A29, décédé d’un infarctus du myocarde [33]. La maladie de type birdshot évoluait depuis environ six ans sans nécessiter de traitement. L’analyse en microscopie optique a montré de nombreux infiltrats lymphocytaires focaux et multiples au niveau de la choroïde, des infiltrats lymphocytaires autour des vaisseaux rétiniens et du nerf optique (en prélaminaire). L’histologie a montré la présence de lymphocytes, en majorité de type T CD8 +. Il a été noté un respect de l’iris, des corps ciliaires et de l’épithélium pigmentaire. Les agrégats lymphocytaires choroïdiens pourraient correspondre aux taches vues au fond d’œil.
Aspects cliniques
MANIFESTATIONS EXTRAOCULAIRES
La maladie de type birdshot est considérée comme une maladie oculaire isolée. Aucune association n’a pu être démontrée de manière formelle. Toutefois, parmi des patients souffrant de choriorétinopathie de type birdshot, une fréquence importante d’un terrain allergique, d’hypertension artérielle et d’atteintes auditives a été rapportée, mais sans comparaison avec un groupe contrôle [12,34,35]. Des cas isolés de vitiligo et de psoriasis ont également été observés [36,37]. Notre équipe a mené de manière systématique un interrogatoire fondé sur un questionnaire utilisé dans les vascularites en médecine interne, sur une cohorte de plus d’une centaine de patients et n’a pas mis en évidence d’atteinte extraoculaire significative (Pagnoux et al., sous presse).