CHAPITRE 31 TRAITEMENT DE LA MIGRAINE
ÉPIDÉMIOLOGIE
L’épidémiologie de la migraine a été étudiée dans de nombreux pays sur la base de la classification internationale des céphalées [1]. La migraine est une maladie commune dont la prévalence dans les pays industriels et en France [2] est comprise entre 12 % et 16 % de la population avec une prédominance féminine de 3 femmes pour un homme. C’est une maladie qui demeure sous-diagnostiquée dans la mesure où l’on estime qu’en France 30 à 45 % des patients traitent leurs symptômes tout en ignorant ou négligeant leur statut de migraineux. La migraine est une pathologie qui affecte toutes les tranches d’âge mais de façon variable. La prévalence des migraines chez l’enfant est comprise entre 5 et 10 %. La classe d’âge la plus affectée est celle des adultes de 30 à 45 ans puis la prévalence décline avec l’âge. Le caractère génétique de la migraine est maintenant bien établi. Environ 70 % des migraines seraient ainsi associées à un terrain familial et le risque de transmission aux enfants atteindrait environ 60 % lorsque les deux parents sont atteints.
La migraine apparaît, au travers des études épidémiologiques, comme une maladie handicapante avec un retentissement sur la vie quotidienne et un impact socioprofessionnel importants. De plus, les coûts économiques direct et indirect de cette pathologie sont élevés, estimés à 17 milliards de dollars en 2005 aux États-Unis [3] et plus récemment à 50 milliards d’euros en Europe [4].
GÉNERALITÉS – DÉFINITION
La migraine est une céphalée chronique paroxystique qui constitue une des 13 variétés de céphalées répertoriées à ce jour et un des quatre types de céphalées chroniques [5]. Elle est caractérisée par des épisodes récurrents de céphalées, d’une durée de 4 à 72 heures environ (crises), sans séquelles, séparés par des intervalles libres.
PHYSIOPATHOLOGIE
La physiopathologie de la migraine est complexe et sa compréhension n’est encore qu’incomplète [6, 7].
Les étapes physiopathologiques de la crise seraient ensuite les suivantes :
– trouble extensif et transitoire de l’homéostasie ionique (K+, H+) affectant les neurones corticaux et les cellules gliales, constituant le phénomène de depression corticale, « spreading depression », qui serait à l’origine de l’aura migraineuse ;
– activation excessive du système trigémino vasculaire entraînant la libération de neuropeptides inflammatoires et vasoactifs : substance P, calcitonin gene relative peptide (CGRP), monoxyde d’azote, 5 hydroxytriptamine ;
– réaction inflammatoire au niveau de la dure mère (inflammation neurogène) associée à une vasodilatation des vaisseaux cérébraux ;
– extravasation plasmatique de substances algogènes et inflammatoires entraînant une stimulation des récepteurs périvasculaires et une activation des neurones nociceptifs au niveau bulbaire.
La prépondérance féminine de la migraine à l’âge adulte et l’influence de tous les événements hormonaux durant la vie de la femme sur le cours de la maladie migraineuse témoignent d’un lien étroit entre migraine et hormones [8]. Au niveau des vaisseaux, les œstrogènes ont un effet vasodilatateur alors que la progestérone a un effet vasoconstricteur par blocage de la libération de monoxyde d’azote. Par ailleurs, ces hormones modulent l’action des neurotransmetteurs au niveau du système trigémino-vasculaire et du tronc cérébral.
ASPECTS CLINIQUE ET SÉMÉIOLOGIQUE–DIAGNOSTIC
L’international Headache Society (IHS) a établi une classification des migraines qui définit six types différents dont les plus fréquentes sont les migraines sans aura (type 1.1), sans aura probable (type 1.6) et les migraines avec aura (type 1.2) (tableau 31.1) [5].
1.1 Migraine sans aura |
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1.3 à 1.6 Formes rares de migraines : syndromes périodiques de l’enfance, migraine rétinienne, migraine ophtalmoplégique, migraines compliquées |
1.7. Migraines sans aura probables remplissant l’ensemble des critères diagnostiques à l’exception d’un seul |
Migraines sans aura
– évolution par crises récurrentes, separées par des intervalles libre de toute douleur ;
– présence des critères diagnostiques définis par l’IHS (tableau 31.2).
Migraines avec aura
Elles sont moins fréquentes puisqu’elles ne concernent qu’environ 25 % des épisodes migraineux. Le diagnostic de migraine avec aura est essentiellement clinique et repose sur les critères figurant dans le tableau 31.3.
Les symptômes constituant l’aura migraineuse sont par ordre de fréquence décroissante :
– des troubles visuels (migraine ophtalmique) (fréquence de 99 %) touchant les deux yeux à type de :
– des troubles sensitifs de type paresthésie (fréquence 30 %) avec fourmillements et engourdissement débutant de façon localisée au niveau de un ou plusieurs doigts puis s’étendant au bras et à la moitié du visage ;
– des troubles du langage : aphasie (fréquence de 18 %) qui est une difficulté d’expression orale ou écrite et/ou de la compréhension ;
– des troubles moteurs rares (fréquence 6 %) : faiblesse musculaire ou suppression de la motricité de la moitié du corps.
CLASSIFICATION DES MÉDICAMENTS UTILISÉS DANS LE TRAITEMENT DES MIGRAINES
Les médicaments utilisés pour le traitement de la migraine se divisent en deux grandes catégories :
Médicaments du traitement de la crise
Le traitement de la crise de migraine fait appel :
– à des médicaments non spécifiques comme les antalgiques périphériques ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (tableau 31.4) ;
– à des produits plus spécifiques comme les dérivés de l’ergot de seigle et les agonistes 5-HT1B/D (triptans) (tableau 31.5).
MÉCANISMES D’ACTION
Triptans
Les triptans sont des principes actifs possédant une structure chimique à noyau indole très proche de celle de la sérotonine. Ce sont des agonistes sélectifs des récepteurs 5HT1 B/D séro-toninergiques vasculaires qui provoquent une vasoconstriction des vaisseaux cérébraux de la dure-mère, une inhibition de l’inflammation nerveuse périvasculaire et une inhibition des fibres sensorielles du noyau trigéminal, à l’origine de leur action antimigraineuse [9].
Antagonistes 5HT2
Le pizotifène et l’oxétorone sont des principes actifs dérivant des antidépresseurs tricycliques ayant des propriétés vasodilatatrices résultent de leur action antagoniste sur les récepteurs 5HT2. Ce sont également des antagonistes des récepteurs muscariniques et des récepteurs histaminiques H1, ce qui explique leurs effets secondaires sédatifs et orexigènes.
Autres médicaments
Ils appartiennent à différentes classes (tableau 31.7).
– Les antiépileptiques : Seul le topiramate possède une AMM dans l’indication du traitement de fond de la migraine mais d’autres antiépileptiques ont démontré une efficacité : valproate de sodium, gabapentine. Leur mécanisme d’action dans la migraine est encore incertain. Leur action pourrait résulter d’une modulation de la libération de dopamine et de sérotonine par blocage des canaux sodiques voltages-dépendants, potentialisation des effets du GABA ou par antagonisme des récepteurs au glutamate.
– Les antagonistes calciques : Dans cette classe, seule la flunarizine est dotée de propriétés antimigraineuses. La flunarizine est également un neuroleptique caché agissant comme antagoniste dopaminergique ce qui explique qu’elle puisse induire des dyskinésies tardives.
– Les alphabloquants : L’indoramine pourrait agir par blocage des récepteurs α-vasculaires vasoconstricteurs mais ce principe actif possède en fait de multiples activités pharmacologiques.
– Les antidépresseurs tricycliques : amitriptyline. Leur action dans la migraine semble indépendante de leur effet antidépresseur.
CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE
Le traitement de la migraine est basé sur deux approches complémentaires :
– la mise en œuvre d’un traitement médicamenteux des crises ;
– l’instauration d’un traitement non médicamenteux prophylactique et éventuellement d’un traitement médicamenteux de fond.
Traitements médicamenteux de la crise
Efficacité des traitements médicamenteux de la crise
L’administration d’aspirine à une dose orale unique comprise entre 900 et 1 000 mg entraîne une amélioration de la céphalée migraineuse et des symptômes d’accompagnement chez les patients traités [10, 11]. Deux heures après l’administration, 18 à 26 % des patients sont exempts de toute douleur (versus 7 à 11 % sous placebo) alors que 51 à 57 % constatent une réduction de leur céphalée (versus 26 à 30 % sous placebo). L’amélioration persiste après 24 heures chez 80 % des patients initialement répondeurs. En outre, l’association de 10 mg de métoclopramide à l’aspirine s’accompagne d’une amélioration significative des nausées et vomissements mais n’a pas d’impact sur la douleur. La fréquence des effets indésirables sous aspirine n’est que légèrement supérieure à celle du placebo et ceux-ci restent modérés et transitoires.
Une dose orale de 1 000 mg de paracétamol s’est avérée plus efficace que le placebo sur la céphalée migraineuse et les symptômes d’accompagnement [10, 11]. Deux heures après la prise unique de médicament, la céphalée a totalement disparu chez environ 20 % des patients traités par paracétamol (versus 10 % sous placebo). Dans le même temps, une amélioration de la douleur est observée sur 56 % des patients recevant du paracétamol contre 36 % des témoins. Peu de données fiables sont disponibles concernant son efficacité 24 heures après initiation du traitement. À noter, la très bonne tolérance du paracétamol dont la fréquence d’effets indésirables reste comparable à celle du placebo.
Différents essais cliniques, de méthodologie satisfaisante, ont démontré l’efficacité de certains AINS : diclofénac (50 ou 100 mg), naproxène (750-800 mg), ibuprofène ; dans la prise en charge des symptômes de la crise migraineuse [12]. Une dose unique orale de 400 mg d’ibuprofène fait disparaître totalement la céphalée, 2 heures après la prise, chez environ 20 % des patients alors que ce pourcentage n’est que de 10 % sous placebo [13]. Dans le même temps, une réduction de l’intensité douloureuse est observée chez 57 % des patients sous ibuprofène (versus 25 % sous placebo). Les patients initialement répondeurs conservent, pour la plupart, le bénéfice du traitement 24 heures après la prise. Une dose de 200 mg d’ibuprofène apparaît légèrement moins efficace alors que les formes galéniques solubles procurent un soulagement plus rapide. Les effets indésirables des AINS administrés à dose unique, dans ce contexte, sont restés modérés et transitoires et leur fréquence proche de celle du placebo.
L’efficacité de la dihydroergotamine (DHE) administrée par voie nasale a été montrée dans trois études versus placebo [12]. La dose unique de 2 mg offre le meilleur rapport bénéfices-risques ; l’efficacité étant moindre pour des doses inférieures et la tolérance réduite à partir de 3 mg. Une revue de la littérature a été réalisée en 2000 [14] pour statuer sur l’efficacité du tartrate d’ergotamine administré seul ou associé à la caféine. Les résultats apparaissent un peu contradictoires dans la mesure où l’ergotamine avait une efficacité supérieure à celle du placebo dans sept études mais équivalente dans trois autres.
L’évaluation de l’efficacité et de la tolérance des triptans a fait l’objet d’une méta-analyse ou de revues bibliographiques [12, 15]. Tous les triptans administrés per os sont plus efficaces que le placebo en termes de réduction de la douleur. En fonction des études, les pourcentages de patients répondeurs (réduction significative de la douleur), 2 heures après prise unique, variaient de 40 % à 70 %. Dans le même temps, 27 à 30 % des sujets voyaient leur céphalée totalement disparaître ; 79 à 89 % des sujets traités répondent à au moins une crise sur trois mais rien ne permet de prédire la réponse à un triptan donné pour un patient donné. Les différences d’efficacité entre triptans sont minimes. Le zolmitriptan aux doses de 2,5 et 5 mg, l’élétriptan à 40 mg, le rizatriptan à 5 mg et le sumatriptan à 50 et 100 mg ont des niveaux d’efficacité et de tolérance comparables. Le frovatriptan aurait une efficacité légèrement moindre sans qu’aucune différence n’ait été statistiquement démontrée. Par ailleurs, les études concluent également à une efficacité du sumatriptan par voie nasale et rectale. La fréquence de survenue des effets indésirables est plus élevée sous triptans que sous placebo mais ils sont le plus souvent bénins et transitoires.
Stratégies du traitement de la crise de migraine [12, 16–18]
Dans la stratégie par paliers ou pas à pas ascendante au cours de la même crise, le traitement de la crise est basé (tableau 31.8) :
– en première intention sur l’utilisation de médicaments non spécifiques : paracétamol, aspirine, AINS ;
– en deuxième intention sur le recours aux triptans si le traitement initial ne s’est pas avéré suffisamment efficace.
Dans la stratégie par stratification au sein d’une crise (tableau 31.8), le choix du traitement est basé sur la sévérité des symptômes migraineux initiaux. En cas de crise légère, l’aspirine, le paracétamol ou les AINS sont utilisés en première intention et l’on a recours aux triptans en deuxième intention en cas d’efficacité insuffisante. En cas de crise modérée à sévère, l’utilisation des triptans est d’emblée recommandée.
Dans la stratégie par paliers ou pas à pas ascendante de crise en crise, le traitement des 3 premières crises est basé (tableau 31.9) sur l’utilisation de médicaments non spécifiques : paracétamol, aspirine, AINS. L’attitude thérapeutique ultérieure sera fonction de la réponse aux traitements des 3 premières crises. En cas d’efficacité du traitement non spécifique sur au moins 2 des 3 crises, il sera maintenu. Dans le cas contraire, le traitement des crises suivantes sera basé sur l’utilisation en première intention d’un triptan.
L’étude DISC [19] a comparé trois stratégies de prise en charge des crises migraineuses sur un échantillon de 835 adultes souffrant de migraines, altérant leur qualité de vie. Cet essai a fourni des indications sur l’efficacité des ces stratégies en termes de capacité à réduire les symptômes et la durée de l’incapacité fonctionnelle des patients. La stratégie la moins performante dans cette étude s’est avérée être la stratégie pas à pas ascendante au cours de la même crise. La stratégie pas à pas ascendante d’une crise à l’autre, largement utilisée en pratique, s’est avérée plus probante mais elle peut avoir comme inconvénient de nécessiter des consultations médicales multiples. Finalement, dans l’étude DISC, la stratégie par stratification s’est avérée la plus efficace. Plusieurs arguments médico-économiques sont en faveur de cette stratégie qui se heurte cependant sur le terrain à l’absence d’échelle validée d’évaluation de l’impact des crises, utilisable en pratique quotidienne.
Les stratégies combinées prennent en compte les différentes approches préalablement décrites. En 2003, l’ANAES [12] a proposé des recommandations basées sur une approche combinée.
Le choix du traitement est, dans cette stratégie (tableau 31.9), guidé par l’historique médicamenteux du patient et en particulier par l’efficacité et la tolérance des traitements antérieurs. L’ANAES recommande d’interroger le patient sur son traitement habituel à l’aide des quatre questions suivantes :
– Êtes-vous soulagé de manière significative 2 heures après la prise ?
– Votre traitement est-il bien toléré ?
– La prise de votre médicament vous permet-elle une reprise rapide de votre activité ?
– Utilisez-vous une seule prise médicamenteuse lors de la crise ?
En fonction des réponses formulées :
– Si le patient a été traité de façon efficace et bien tolérée par des médicaments non spécifiques : aspirine, paracétamol, AINS, il est recommandé de ne pas modifier le traitement.
– Si le patient a déjà été traité de façon efficace et bien tolérée par de l’ergotamine ou des triptans, il est recommandé en l’absence d’escalade de doses ou d’une nouvelle contre-indication de ne pas modifier le traitement.
– Si le patient était insuffisamment soulagé par son traitement ou s’il le supporte mal, celui-ci doit être reconsidéré :