CHAPITRE 30 TRAITEMENT DE LA DOULEUR
INTRODUCTION
Dans ce chapitre, seuls les antalgiques classiques seront principalement traités.
Les traitements antimigraineux sont traités dans un autre chapitre.
Généralités
Physiopathologie
Mécanismes périphériques
Les nocicepteurs activés vont générer des messages qui seront véhiculés par deux types de fibres : les fibres Aδ (douleur aiguë de type pincement, piqure) peu myélinisées et C (douleur diffuse) non myélinisées. Ces nocicepteurs qui sont en général des chémorécepteurs vont être activés ou sensibilisés par des médiateurs libérés à proximité de ces récepteurs. Les lésions tissulaires peuvent entraîner la libération d’ions H+, K+ et activer les nocicepteurs. L’inflammation par libération de prostaglandines (PGE2 et PGI2), de leucotriènes >(LTB4) et de bradykinine peut permettre la sensibilisation des nocicepteurs aux ions H+ et K+. Les nocicepteurs peuvent également libérer la substance P qui pourra autoactiver directement les nocicepteurs eux-mêmes. Les nocicepteurs peuvent aussi entraîner la dégranulation mastocytaire, libérant ainsi l’histamine et la sérotonine qui pourront à leur tour activer les nocicepteurs.
Mécanismes supraspinaux
Les messages nociceptifs arrivant au niveau des centres supérieurs provoquent :
Systèmes de contrôle
Plusieurs types de contrôles peuvent être distingués.
– Le contrôle segmentaire : les afférences cutanées de type Aα et Aβ (grosses fibres) qui sont à l’origine des sensations tactiles légères peuvent inhiber au niveau médullaire la transmission des influx nociceptifs (d’où l’utilisation des techniques de neurostimulation de faible intensité et de fréquence élevée pour combattre la douleur).
– Le contrôle d’origine supraspinale : à partir du tronc cérébral (mésencéphale, bulbe) se projettent des voies descendantes inhibitrices sérotoninergiques et noradrénergiques qui permettent la libération d’endorphines.
CLASSIFICATION DES MÉDICAMENTS ANTALGIQUES
Classification des antalgiques
Les différents médicaments utilisés dans la thérapeutique de la douleur (et actuellement commercialisés en France) sont classés dans les tableaux 30.1 à 30.4 et figure 30.1.
Mécanismes d’action
Antalgiques non opioïdes
Toutefois, les antalgiques « périphériques » peuvent aussi avoir une action centrale.
– le paracétamol est un inhibiteur des COX cérébrales ;
– le paracétamol pourrait stimuler la voie sérotoninergique descendante inhibitrice, (stimulation des récepteurs séroto-ninergiques des interneurones inhibiteurs de la corne dorsale de la moelle) ;
– un métabolite du paracétamol serait un activateur du TRPV1 (Transient Receptor Potential Vanilloid-1), récepteur-canal cationique dont l’activation prolongée conduirait à une désensibilisation et à un effet antalgique.
On distingue dans les antalgiques non opioïdes :
– les antalgiques non opioïdes purs : floctafénine et néfopam ;
– les antalgiques antipyrétiques : paracétamol ;
– les antalgiques antipyrétiques anti-inflammatoires non stéroïdiens ; salicylés (aspirine), dérivés arylcarboxyliques (fénoprofène, ibuprofène, kétoprofène, naproxène diclofénac, naproxène), fénamates (acide méfénamique) ;
– les antalgiques anti-inflammatoires inhibiteurs préférentiels de COX 2 : nimésulide ;
– les antalgiques anti-inflammatoires inhibiteurs sélectifs de COX 2 : célécoxib, étoricoxib, parécoxib.
Antalgiques opioïdes
Ces antalgiques ont une action centrale :
– action spinale : ils agissent en se fixant sur les récepteurs opioïdes au niveau spinal et dépriment la transmission du message nociceptif en inhibant la libération de substance P ;
– action supraspinale : en se fixant sur les récepteurs opioïdes au niveau du SNC, ils augmentent le contrôle inhibiteur exercé par les structures supra spinales sur la totalité des neurones nociceptifs.
Les récepteurs mu seraient responsables de l’analgésie spinale et supraspinale, de l’euphorie, de la dépression respiratoire et des phénomènes de dépendance physique. Les récepteurs κ seraient responsables de l’analgésie spinale, de la sédation et du myosis. Les récepteurs δ seraient responsables de l’analgésie en modulant les effets du récepteur μ. Les récepteurs δ seraient responsables des dysphories et des hallucinations.
Les ligands opioïdes peuvent être séparés en :
– agonistes : ils vont activer le récepteur mu et entraîner une réponse dose-dépendante :
– agonistes antagonistes (agonistes partiels) de forte activité : nalbuphine et buprénorphine. Ils se fixent sur les récepteurs opioïdes et entraînent une activité antalgique, mais ayant une affinité plus forte que celle de la morphine pour ces récepteurs, ils vont donc déplacer cet agoniste et donc diminuer son action. L’activité antalgique de ces produits est caractérisée par un effet plafond ;
– antagonistes : naloxone, naltrexone. Ils permettent de diminuer ou supprimer l’action des agonistes.
Mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote (MEOPA) : effet analgésique majeur
Pharmacocinétique
Antalgiques non opioïdes
Aspirine
– forme soluble (acétylsalicylate de lysine) : pic plasmatique en 15 min ;
– forme orale effervescente : pic plasmatique en 20 min ;
– forme orale simple (comprimé) : pic plasmatique en 2 à 4 h.
Dérivés arylcarboxyliques
Résorption. — Biodisponibilité forte.
Élimination. — Rénale, la rapidité est variable selon les produits.
Antalgiques opioïdes de faible activité
Antalgiques opioïdes de forte activité
Hydromorphone
Distribution. — Sa liaison aux protéines plasmatiques est très faible, de l’ordre de 8 %.
Morphine
Par voie sous-cutanée, la résorption est complète.
Distribution. — La liaison aux protéines plasmatiques varie de 30 à 40 %.
CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE
Douleurs neurogènes
Mais les douleurs de désafférentation ou neurogènes sont traitées principalement par :
– les antidépresseurs tricycliques pour les douleurs permanentes (amitriptyline, clomipramine, imipramine), à dose inférieure à la posologie antidépressive ;
– les anticonvulsivants (carbamazépine pour les douleurs fulgurantes, la gabapentine pour les douleurs fulgurantes et permanentes) ;
– les neuroleptiques (tiapride) ;
– éventuellement par les anesthésiques locaux (capsaïcine Qutenza patch est utilisé pour les douleurs neuropathiques périphériques ne répondant pas aux autres traitements).
Cependant, l’efficacité des antidépresseurs et des anticonvulsivants reste toujours limitée.
Douleurs par excès de nociception
Ces douleurs répondent bien aux antalgiques non opioïdes et/ou aux opioïdes. Les anesthésiques locaux, le protoxyde d’azote peuvent être utilisés notamment dans les douleurs aiguës. Dans ce type de douleur, selon l’intensité de la douleur, la stratégie suivra les paliers proposés par l’OMS (tableau 30.6).
Paliers | Intensité | Critères de choix thérapeutiques |
---|---|---|
I | Faible | Antalgique non opioïde de niveau I (paracétamol, salicylés, AINS, floctafénine, néfopam) associé éventuellement à des adjuvants non antalgiques. |
II | Faible à moyenne | Antalgique opioïde d’action faible (niveau II : codéine, dihydrocodéine, tramadol) avec antalgique non opioïde de palier I et éventuellement des adjuvants (lorsque les médicaments du palier I ne sont plus efficaces). |
II bis | Moyenne | Opioïdes agonistes antagonistes (buprenorphine, nalbuphine) |
III | Forte | Antalgique opioïde fort par voie orale associé éventuellement à des antalgiques non opioïdes et à des adjuvants (lorsque les médicaments du palier II ne sont plus efficaces). |
III bis | Forte | Morphine par voie SC ou IV |
III ter | Forte | Morphine par voie péridurale, intrathécale, intracérébro-ventriculaire |
Dans les douleurs postopératoires
Concernant les antalgiques morphiniques, la morphine reste l’antalgique opioïde de référence pour l’analgésie postopératoire chez l’adulte et en pédiatrie. La codéine est souvent utilisée en association avec le paracétamol pour contrôler les douleurs postopératoires modérées. L’utilisation ainsi que le bénéfice des agonistes partiels ou agonistes antagonistes de type nalbuphine ou buprénorphine par rapport à la morphine ne sont pas documentés dans le cadre de la douleur postopératoire.
Douleurs mixtes neurogènes et par excès de nociception
Dans l’infection par le VIH
Les douleurs par excès de nociception sont traitées par les antalgiques en respectant les paliers de l’OMS. De nombreuses affections (mycosiques, virales, bactériennes) surviennent au niveau buccal, digestif, proctologique et vont entraîner aussi des douleurs par excès de nociception. Elles seront alors traitées sur le plan étiologique. Les douleurs neurogènes seront prises en charge par les antiépileptiques de préférence pour les douleurs fulgurantes, par les antidépresseurs tricycliques pour les douleurs neurogènes de type permanent (figure 30.2).
OPTIMISATION THÉRAPEUTIQUE
Posologies et plan de prises
Les règles suivantes doivent être respectées :
– la douleur chronique sera anticipée par un traitement régulier et préventif. L’utilisation d’un traitement à la demande (inter-doses) sera utile en cas de réapparition de la douleur. Il faudra dans ce cas revoir la posologie du traitement de fond ;
– pour la douleur aiguë, le rythme d’administration pourra se faire en fonction des besoins. Mais en cas de douleur prévisible, par exemple en cas d’examen douloureux, il sera préférable d’agir de manière préventive, avec un ajout éventuel de médicaments antalgiques (par exemple avec une morphine d’action rapide) si la douleur n’est pas suffisamment maîtrisée ;
– l’augmentation des doses sera faite de telle façon à maintenir la conscience du sujet, tout en maintenant un état indolore.