3. Le triptyque théorique

Chapitre 3. Le triptyque théorique



Ce sont ces mots, cette connaissance des mots et ce ressenti qui émergent à travers les mots sur lesquels nous travaillons dans nos ateliersatelier(s).

Avant toute écriture il y a la page blanche, réceptacle premier d’émotions et de pensées cachées. Sur cette page blanche, des rêves, des peurs, la vie et la mort vont se côtoyer à travers des mots, des sons, une ponctuation ; tantôt une phrase, un début d’histoire, tantôt la fin de cette histoire. Le surlendemain, on y trouvera un sens, un autre jour la compréhension de ce sens et un jour, peut-être, l’élaborationélaboration de ce sens. Ce n’est qu’après ce déroulement temporel, unique pour chacun, que va pouvoir apparaître le chemin vers l’autre. L’autre en soi, l’autre à l’extérieur de soi…

Ce long chemin qui parfois peut être douloureux est à la fois semé d’embûches et de plaisirplaisir(s). Le ludique se joint au travail cognitif, le plaisir s’apprend ou refait surface. Nous reprenons ainsi un de nos postulats de base : penserpenser avec plaisir pourra faire penser le plaisir. Ce qui, étant donné les sujets avec lesquels nous travaillons, n’est point négligeable.

Mot après mot, phrase après phrase, une identité apparaît, une pensée prend ou reprend forme, la fracture psychique trouvant un lieu, un cadre pour se réparer. L’écriture est le tissage magistral du passé et du présent, du présent du passé, et enfin du présent du futur, comme l’affirmait saint Augustin.


Spécificités de l’atelier d’écriture


La production écrite offre ainsi aux participants à la fois la possibilité de se mesurer à autrui et de se fondre dans un idéal de groupegroupe. À ce double investissement se rajoute le thérapeutethérapeute qui, loin d’être un mentor ou de jouer le rôle d’un simple animateur, est le garant des règles du groupe et un objet de projection.

La différence (marquée) entre une œuvre littéraire (que l’auteur ait ou non des troublestrouble(s) psychologiques) et l’écrit d’un patient lors d’un atelier d’écriture réside dans son élaborationélaboration. Le terme d’élaboration psychique, même s’il n’est présent que dans le troisième triptyque, est le fil conducteur de nos ateliers à visée thérapeutiquethérapeutique(s). Il ne s’agit pas uniquement, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2« De l’écriture cathartique à l’écriture thérapeutique », d’une expression du moment par la médiation de l’écriture. L’un des objectifs souhaités est précisément cette élaboration psychique que l’écriture favorise – de par la distance qu’elle permet. Nous entendons par élaboration psychique le travail accompli généralement par l’appareil psychique. Ce travail est supposé maîtriser les excitations qui arrivent à l’appareil à penserpenser afin de réduire le risque pathogène. Il consiste donc à intégrer les excitations dans le psychisme et de favoriser les connexions associatives. C’est un travail psychique permanent, tel un chantier en cours ; nous prenons le risque de faire une analogie entre le travail possible en atelier d’écriture à visée thérapeutique et le mode ainsi décrit du travail de l’appareil psychique lui-même. Pour ce faire, la notion de triptyque théorique est essentielle : les parties I et III du tableau 3.1 seraient le lieu et le temps de travail à être effectué, et la partie II celle qui favoriserait les connexions, la symbolisation, l’expression et surtout le lien et la transformationtransformation qui peuvent en découler. Car ce qui est commun à toute pathologiepathologie(s), ce sont ces dysfonctionnements possibles de l’appareil psychique, que le triptyque de l’atelier pourrait aider à « restaurer » et, en tout état de cause, à rétablir. Ce qui se passe au sein de l’atelier avec ces différentes règles qui le régissent (cf. partie IV, « Guide du thérapeute ») permettra de relancer le travail d’élaboration psychique. Néanmoins, une relation transférentielle forte doit rester aussi constante dans nos ateliers en tant que travail thérapeutiquethérapeutique(s). Rappelons qu’une relation transférentielle est une sorte de déplacement de l’affect d’une représentationreprésentation(s) à une autre. Cette « sorte de déplacement » peut être autant un déplacement vers le thérapeutethérapeute, que ce dernier devra savoir gérer, qu’un déplacement face au groupegroupe, ou même aux personnages créés dans l’écriture. Encore une fois, la capacité du thérapeute à savoir connaître et/ou reconnaître la symbolique dans la représentation créée est nécessaire. Parfois, toute la difficulté peut résider dans ces difficultés transférentielles avec le thérapeute, un thérapeute à « partager » avec les autres membres du groupe. Mais cette difficulté, essentiellement retrouvée en début de participation à l’atelieratelier(s), peut être aussi un outil thérapeutique déterminant de la suite du parcours du patient au sein de l’atelier d’écriture à visée thérapeutique. D’où la différence capitale entre un atelier d’écriture à visée thérapeutique, où le thérapeute sera à même de gérer cette sphère transférentielle, et un atelier d’expression par l’écriture.




































Tableau 3.1 Les trois composantes du triptyque théorique
Groupe atelier Écriture Temps
Groupe Thème Symbolisation
Lieu Fond/forme Élaboration
Cadre Contrainte/liberté Assouplissement
Temps Mise à distance Émotions
Plaisir/déplaisir Plaisir/déplaisir Plaisir/inhibition
Inhibition/démarrage Surprise Adaptation Pensées illimitées
Contenant Contenu/contenant Contenant/contenu

L’écrit s’inscrit dans une relation, avec des implications transférentielles, et peut ainsi représenter pour certains un matériel interprétable. Quoi qu’il en soit, c’est une communication immédiate dans le moment.


Neri (1997) définit l’animation comme étant produite par le concours de deux facteurs : « La grande intensité de la participation affective qui caractérise la vie du groupegroupe et la présence à son intérieur de manières de penserpenser parfois très différentes de celles qui sont propres à la famille et au monde dont l’individu provient. »


Triptyque théorique

Dans notre atelier, nous envisageons la théorie qui nous est propre comme un triptyque constitué de trois panneaux dont les titres décrivent les grandes lignes thématiques de ce qui se fait à chaque fois. Face à ces trois titres (I, II et III) nous en trouvons trois autres (IV, V et VI) qui sont, quant à eux, non plus de l’ordre de la description de ce qui se fait, du lieu ou du comment, mais celui de l’explication. Nous faisons donc référence avec nos trois panneaux descriptifs au contenantcontenant(e) pour l’atelier, au contenu/contenant pour l’écriture, et au contenant/contenu pour le penser. À l’intérieur de chaque panneau, nous retrouvons ce qui, d’un point de vue théorique, s’y rapporte et auquel nous nous attacherons tout au long de l’atelier. Nos grilles d’évaluation (cf.chapitre 14, « Outils du thérapeutethérapeute ») ont permis l’affinement de ce triptyque, son évaluation hebdomadaire pendant une durée de deux ans, puis sa consolidation. La légende de ce tableau théorique récapitulatif est indispensable à appréhender si l’on désire mener un atelier d’écriture à visée thérapeutiquethérapeutique(s). Elle résume la compréhension pratique de ce triptyque théorique, dont la phrase suivante en résumerait la compréhension théorique : un atelier où l’on écrit afin de penser.

Voyons à présent les composantes phares des trois panneaux de ce triptyque, à savoir le groupe atelier, l’écriture et le temps (tableau 3.1). Ce triptyque théorique est indissociable et les trois panneaux sont interchangeables.


Groupe atelier

Le groupe atelier représente un contenant constitué des participants et des règles propres qui le constituent. C’est le groupe en tant que contenant qui va permettre la mise en place du dispositif du travail d’élaborationélaboration psychique à venir. Ce qui signifie que les consignesconsigne(s), adaptables au coup par coup et donc très fluctuantes, se modifient tout au long des années d’atelier, en fonction des nouveaux arrivants ou des aléas du chemin de chacun, tout en s’articulant autour des règles qui, elles, sont stables.


Le joker est une des règles de l’atelieratelier(s) ; il est autorisé une fois par an, soit à la lecture, soit à l’écriture, sans explication et non renouvelable (cf. le joker dans le chapitre 12, « Déroulement de l’atelier »). Il est très rare que ce joker soit utilisé ; pour le thérapeutethérapeute, il s’agit d’une demande à l’aide de mise en route de la première phrase ou même parfois du premier mot ; il est assez simple, une fois le transferttransfert(s) établi, de lever l’inhibition d’écriture avec des consignes et des conseils spécifiques donnés à la personne en difficulté. N’oublions pas que l’écriture est favorisée lorsqu’une relation transférentielle est établie entre le groupe et le thérapeute.

Mais on va surtout s’appuyer sur l’interaction entre contenantcontenant(e) et contenu, au sens oùBion (1965) l’entend ; ce dernier souligne le caractère dynamique de cette interaction : la contenance entraîne toujours une transformationtransformation tant du contenu que du contenant. Même si, pour Comte-Sponville (2001), « ce qui change, c’est ce qui demeure. […] Le changementchangement(s)communication suppose l’identité, la durée, le maintien dans l’être de cela même qui se transforme. […] Donc, il faut durer pour changer. Mais la réciproque est vraie aussi : il faut changer pour durer. Vivre, c’est grandir ou vieillir – deux façons de changer », c’est la notion de transformation qui va faire partie des objectifs implicites de l’atelier, la transformation dans le processus de changement.

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Jun 22, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 3. Le triptyque théorique

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