dépendance tabagique
J. Beckers, C. Mayer, E. Bertin and D. Razavi
Introduction35
Concept de dépendance35
Initiation du comportement tabagique37
Maintien du comportement tabagique38
Concept de changement39
Conclusion40
INTRODUCTION
À l’heure actuelle, il devient difficile d’ignorer le lien de cause à effet existant entre le comportement tabagique et la mortalité précoce. Un fumeur multiplie par deux ses risques de mourir avant l’âge de 65 ans (Do, Johnson et coll., 2004). Les décès imputables au tabac surviennent suite au développement non seulement d’affections cancéreuses mais également d’affections coronariennes et respiratoires. Les fumeurs vivent en moyenne dix ans de moins que les sujets n’ayant jamais fumé. Ceux qui arrêtent de fumer à 30, 40, 50 et 60 ans gagnent respectivement environ 10, 9, 6 et 3 ans de vie. Le sevrage tabagique permet donc de diminuer le risque de décès prématuré (Doll, 1981; Goldenberg, Jonas et coll., 2003).
Plusieurs études montrent également que les fumeurs ont une moins bonne qualité de vie que les sujets n’ayant jamais fumé (Molenaar, Sprangers et coll., 2001; Parellada, Baeza et coll., 2004; Strine, Okoro et coll., 2005; Wilson, Parsons et coll., 1999). Cet impact du comportement tabagique apparaît tant au niveau de l’état physique que psychologique et social (Molenaar, Sprangers et coll., 2001; Parellada, Baeza et coll., 2004; Strine, Okoro et coll., 2005; Wilson, Parsons et coll., 1999). La qualité de vie se voit améliorée dans les semaines, mois et années qui suivent le sevrage tabagique (Mino, Shigemi et coll., 2000; West et Hajek, 1997). Le sevrage tabagique a donc un impact positif non seulement sur l’espérance de vie mais également sur la qualité de vie.
Malgré ces données actuellement disponibles en faveur de l’arrêt du tabac, il s’avère que le comportement tabagique est un phénomène de dépendance très complexe à gérer.
CONCEPT DE DÉPENDANCE
Ces dernières décennies, de nombreuses avancées ont été réalisées dans le domaine de la dépendance tabagique. Elles permettent de mieux comprendre le désir irrépressible de fumer et la difficulté, rencontrée par de nombreux fumeurs, à mettre définitivement un terme à leur comportement tabagique.
Définitions
Il existe deux types de dépendance à une substance : physique et psychologique. La dépendance physique correspond au besoin de la substance afin d’éviter de ressentir les symptômes de manque. Elle est principalement liée à la nicotine (Henningfield, Miyasato et coll., 1985). Lorsqu’un sujet fume une cigarette, le taux de nicotine dans le sang s’accroît rapidement puis redescend peu à peu, ce qui entraîne progressivement le besoin de fumer une autre cigarette. La diminution du taux de nicotine est liée à sa dégradation en cotinine, un métabolite inactif de la nicotine. Environ 70 à 80 % de la nicotine est dégradée en cotinine chez l’être humain (Benowitz, Jacob et coll., 1994). Le fumeur dépendant physiquement éprouve un besoin de fumer environ toutes les deux heures, et ce afin de maintenir un taux de nicotine suffisant dans le sang (McMorrow et Foxx, 1983; Russel, 1987). Suite à un arrêt tabagique, des symptômes de sevrage vont apparaître : anxiété, irritabilité, nervosité, troubles du sommeil, besoin pressant de fumer, etc. Ceux-ci sont limités dans le temps. La nicotine s’élimine du corps en 48 heures mais plusieurs semaines (voire mois) sont souvent nécessaires avant que le corps s’adapte à l’absence de nicotine et retrouve un nouvel équilibre (Hughes, Hatsukami et coll., 1986; Sommese T., 1995). La dépendance psychologique, quant à elle, correspond au besoin de maintenir ou de retrouver les effets agréables (plaisir, stimulation, relaxation, régulation des émotions, augmentation de l’attention, etc.) que procure la consommation de la substance. Elle induit le sentiment d’avoir besoin de la substance dans une série de situations ainsi qu’une recherche de celle-ci à l’insu de la raison. Elle renvoie également aux habitudes, aux automatismes, aux associations apprises entre cigarette et stimuli environnementaux. Les deux types de dépendance, physique et psychologique, sont intimement liés (Nerin, Crucelaegui et coll., 2005). La dépendance, qu’elle soit physique et/ou psychologique, peut être d’intensité variable. Une fois passé un certain degré, il s’agirait d’une addiction. La limite entre les deux concepts reste cependant floue et de nombreux auteurs utilisent les termes «dépendance» et «addiction» sans distinction (Benowitz, 1992a; Benowitz, 1992b).
Dépendance à la nicotine et facteurs génétiques
De plus en plus de recherches s’intéressent aux relations existant entre les facteurs génétiques et le comportement tabagique. L’influence génétique serait de 60 % dans l’initiation du comportement tabagique et de 70 % dans la dépendance à la nicotine (Gagnon, Massie et coll., 1996; Tyndale, 2003).
Plusieurs études ont tenté d’identifier les gènes impliqués dans la dépendance à la nicotine et donc susceptibles d’influencer le comportement tabagique. Elles se sont tout particulièrement intéressées aux gènes capables d’inactiver la nicotine par leur implication dans son métabolisme (Malaiyandi, Sellers et coll., 2005).
La vitesse à laquelle la nicotine est métabolisée dans l’organisme (c’est-à-dire dégradée en cotinine) dépend d’un gène codant pour le CYP2A6 (Messina, Tyndale et coll., 1997; Murphy, Johnson et coll., 1999).
Le cytochrome P450 2A6 (CYP2A6) est le principal enzyme responsable de l’oxydation de la nicotine (Messina, Tyndale et coll., 1997; Murphy, Johnson et coll., 1999). Il existe d’importantes différences interindividuelles dans le métabolisme de la nicotine. Ces différences sont largement liées à des polymorphismes génétiques du gène codant pour le CYP2A6 (Iscan, Rostami et coll., 1994; Nakajima, Kwon et coll., 2001; Rautio, Kraul et coll., 1992; Xu, Rao et coll., 2002).
Les personnes ayant un métabolisme lent de la nicotine auraient une moins grande probabilité d’être fumeurs à l’âge adulte (Schoedel, Hoffmann et coll., 2004). Ceux qui deviennent fumeurs à l’âge adulte ressentiraient moins le besoin de fumer du fait d’une exposition prolongée du cerveau à la substance. Ils fumeraient donc moins de cigarettes par jour comparés aux fumeurs ayant un métabolisme de la nicotine normal (Kissen et Rao, 1969; Kubota, Nakajima-Taniguchi et coll., 2006; Pianezza, Sellers et coll., 1998). Cependant, ceci ne s’observerait que chez les fumeurs dépendants à la nicotine (Schoedel et coll., 2004). Les personnes ayant un métabolisme lent de la nicotine arrêteraient également plus facilement de fumer (Goodz, Ahluwalia et coll., 2002; Gu, Hinks et coll., 2000), notamment en raison d’une plus courte durée de leur tabagisme (Schoedel, Hoffmann et coll., 2004), de symptômes de sevrage moins importants lors de l’arrêt (Kubota, Nakajima-Taniguchi et coll., 2006) et d’une efficacité accrue des patchs à la nicotine (Lerman, Tyndale et coll., 2006). Il semblerait également qu’ils aient un moins grand risque de développer des affections cancéreuses liées au tabac, notamment en raison d’une activation réduite des procarcinogènes liés au tabac (Horikawa, Yamazaki et coll., 2003; Kamataki, Nunoya et coll., 1999; Tyndale et Sellers, 2001).
Il semblerait qu’il y ait un effet temporel de l’impact du gène codant pour le CYP2A6 sur le comportement tabagique. A l’âge adulte, un métabolisme lent est associé à une diminution du risque de fumer (probablement par l’augmentation de la capacité à arrêter), alors qu’à l’adolescence, il augmente initialement le risque de fumer et de devenir dépendant – tout en diminuant le nombre de cigarettes fumées (Schoedel, Hoffmann et coll., 2004).
Il se pourrait donc que le comportement tabagique soit déterminé en partie par des facteurs génétiques. Cependant, plusieurs études n’ont pas observé de lien entre le gène codant pour le CYP2A6 et le comportement tabagique ou le risque de développer une affection cancéreuse du poumon (London, Idle et coll., 1999; Loriot, Rebuissou et coll., 2001; Oscarson, Gullsten et coll., 1998; Tan, Chen et coll., 2001). Notons que d’autres études tentent d’identifier des gènes susceptibles de prédisposer le sujet à un comportement de dépendance par leur influence sur les propriétés renforçantes de la nicotine – augmentation du plaisir et de l’attention (Lerman et Niaura, 2002; Tyndale, 2003).
Ces travaux offrent des pistes de réflexion quant à de nouvelles stratégies de sevrage personnalisées (basées sur le profil génétique des fumeurs). L’inhibition de l’activité du gène codant pour le CYP2A6 pourrait être utile dans un contexte thérapeutique pour prévenir et traiter le comportement tabagique (Damaj, Siu et coll., 2007; Thompson, Wiesner et coll., 1995; Tyndale et Sellers, 2001). De plus, connaître le génotype des fumeurs désirant mettre un terme à leur comportement tabagique pourrait guider le choix du type de traitements médicamenteux le plus approprié et permettre une optimisation des dosages (Lerman et Niaura, 2002; Tyndale, 2003).
INITIATION DU COMPORTEMENT TABAGIQUE
Fumer est un comportement complexe influencé par des facteurs génétiques et biologiques mais également psychologiques et sociaux. Le premier contact avec la cigarette intervient généralement vers l’âge de 1213 ans (Edelen, Tucker et coll., 2007; Hedman, BjergBacklund et coll., 2007), voire même avant (Singh, Pal et coll., 2007). Plus de 90 % des fumeurs adultes ont commencé à fumer avant l’âge de 20 ans (De Pracontal 1998). Or, l’âge du début du comportement tabagique influence la consommation ultérieure : un tabagisme précoce caractérise les fumeurs dépendants et peu enclins à arrêter de fumer (Tubiana, 1998). La plupart des comportements de dépendance débutent à l’adolescence (Kerjean, 2005).
Facteurs biologiques
L’initiation tabagique pourrait être favorisée par une immaturité ou un dysfonctionnement du cortex préfrontal (Jentsch et Taylor, 1999; Swanson, Kinsbourne et coll., 2007). Les enfants présentant des troubles de l’inhibition et une impulsivité ont un risque accru d’expérimenter le tabac à un âge précoce et de devenir fumeurs (Tarter, Kirisci et coll., 2004). L’initiation tabagique pourrait également être le résultat d’une tentative d’auto-médication de troubles anxieux (Breslau, 1995), dépressifs (Breslau, 1995;Covey, 2004), alimentaires (Tomori, Zalar et coll., 2001; Widerman et Pryor, 1996), psychiatriques (Dalack, Healy et coll., 1998; Lyon, 1999; Taiminen, Salokangas et coll., 1998) ou de l’attention avec ou sans hyperactivité (Barman, Pulkkinen et coll., 2004; (Kollins, McClernon et coll., 2005; (Schwartz, Peshkin et coll., 2005). Ces différents troubles joueraient également un rôle dans le maintien du comportement tabagique.
Facteurs psychologiques
Plusieurs études ont comparé les processus cognitifs menant à la prise de décision quant à l’adoption d’un comportement à risque chez les adultes et chez les adolescents (Byrnes, 2002; Byrnes et McClenny 1994; Byrnes, Miller et coll., 1999; Kronfol, Silva et coll., 1983). Ces processus semblent relativement similaires sauf pour les pré-adolescents (12-13 ans) (Byrnes 2002; Byrnes et McClenny 1994; Byrnes, Miller et coll., 1999). Ces derniers se montrent moins capables de prendre des décisions qui nécessitent un choix. Ils ont des difficultés à identifier les différentes options possibles, à comprendre et à utiliser les informations concernant les coûts et bénéfices liés à chaque option (Byrnes et McClenny 1994). Ils identifient difficilement les inconvénients du comportement tabagique et ont moins tendance à prendre en compte les informations reçues concernant les méfaits du tabac.
L’adolescence est une période au cours de laquelle le concept de soi et l’estime de soi se construisent. Ceuxci interviennent dans l’initiation tabagique (Abernathy, Massad et coll., 1995; Thornton, Douglas et coll., 1999). Le concept de soi s’étaye sur des caractéristiques concrètes (nom, prénom, etc.) et abstraites (sentiments, pensées, etc.). Le concept de soi relatif à l’apparence physique influence l’initiation tabagique (Thornton, Douglas et coll., 1999). Les filles préoccupées par leur poids vont plus facilement s’orienter vers un comportement tabagique que celles qui ne le sont pas et que les garçons en général (Boles et Johnson, 2001; French, Perry et coll., 1994). Le risque d’initiation est également plus élevé chez les adolescentes qui suivent un régime (Thompson, Wiesner et coll., 1995). De plus, les adolescents ayant une faible estime de soi s’initient davantage au tabagisme que les autres adolescents (Murphy, 1988). En effet, les comportements à risques permettraient de renforcer l’estime de soi. De plus, ces comportements permettent à l’adolescent de construire son identité et de se confronter au monde adulte (Kerjean, 2005).
Facteurs sociaux
L’initiation du comportement tabagique à l’adolescence est également sous-tendue par des facteurs sociaux. Les adolescents sont influencés par leurs parents, leurs pairs et les médias. Ainsi, ils ont une plus grande probabilité d’être fumeurs lorsque leurs parents le sont également (Bricker, Peterson et coll., 2006a; Bricker, Peterson et coll., 2006b; Green, Macintyre et coll., 1991; Murphy, 1988; Reimers, Pomrehn et coll., 1990). Cette probabilité est accrue lorsqu’un membre de la fratrie fume (Bricker, Peterson et coll., 2006a; Bricker, Peterson et coll., 2006b; Nolte, Smith et coll., 1983). Avec le temps, l’influence du comportement tabagique des membres de la famille décroît en faveur de celle des pairs (Okabayashi, Sugisawa et coll., 1997).
Le risque de s’initier au tabac est fortement corrélé au fait d’avoir des amis fumeurs – en particulier le meilleur ami (Olschwang, Bonaiti et coll., 2004). Plus le jeune pense que les fumeurs sont nombreux, plus il sera enclin à fumer (Vitaro, 1996). L’influence des pairs sur le comportement tabagique décroît à la fin de l’adolescence (Kronfol, Silva et coll., 1983).
La publicité véhiculant une image positive de la cigarette (élégance, virilité, séduction, réussite sociale, aventure, convivialité, maturité, etc.) favorise l’initiation tabagique des enfants et des adolescents (DiFranza, Wellman et coll., 2006; Kimmick, Lovato et coll., 2006; Wellman, Sugarman et coll., 2006). Elle agit à la fois sur les cognitions, en favorisant des attitudes positives envers la cigarette (DiFranza, Wellman et coll., 2006; Wellman, Sugarman et coll., 2006) et sur les comportements, en multipliant par deux le nombre de jeunes qui essayent la cigarette (Wellman, Sugarman et coll., 2006). Plus les jeunes y sont exposés, plus il y a de risques qu’ils commencent à fumer (DiFranza, Wellman et coll., 2006).
MAINTIEN DU COMPORTEMENT TABAGIQUE
La dépendance s’installe souvent rapidement. Cependant, tous les adolescents qui s’initient au tabac ne deviendront pas dépendants. Il est, néanmoins, important de comprendre les facteurs et les mécanismes qui mènent au maintien du comportement tabagique et à l’installation de la dépendance.
Facteurs biologiques
La consommation régulière de cigarettes induit des modifications au niveau de certains neurocircuits cérébraux (Jay, 2003, Lyvers, 2000 and Reynaud, 2005). Ces modifications jouent un rôle important dans le maintien du comportement tabagique. En effet, deux dimensions sont perturbées chez les sujets présentant une dépendance tabagique. D’une part, la gestion du plaisir s’organise autour de la consommation tabagique. Les sujets présentant une dépendance tabagique accordent une importance excessive aux gratifications apportées par le tabac et deviennent plus sensibles aux gratifications immédiates (Dom, 2007). D’autre part, les processus d’auto-contrôle interviennent de façon plus limitée, ce qui facilite la perte de contrôle. Celle-ci s’exprime par une difficulté à porter son attention sur d’autres formes de gratification que la cigarette et par l’incapacité à maîtriser l’envie de consommer du tabac. Le déséquilibre entre ces deux dimensions est à l’origine du maintien du comportement tabagique. En outre, les modifications de certains neurocircuits cérébraux induisent des conditionnements divers en créant un lien entre certains contextes et l’usage du tabac. Le sujet devient hypersensible aux stimuli externes (environnementaux) et internes (émotions) associés à la cigarette. Ces stimuli liés directement ou indirectement au tabac (café, alcool, rencontres amicales, stress, tristesse, etc.) déclenchent le besoin de consommer. Il reste encore à déterminer si ces modifications sont permanentes. Certaines pourraient l’être et expliqueraient les rechutes précoces et tardives qui surviennent après le sevrage tabagique (Reynaud, 2005).
Facteurs psychologiques
Les processus cognitifs jouent également un rôle important dans l’attribution de la valeur gratifiante d’un stimulus. Il existe deux types de processus : les processus inconscients et automatiques qui traitent rapidement l’information, et ceux conscients et réflectifs qui sont impliqués dans la prise de décision (Grenard, Ames et coll., 2007).
La consommation de cigarettes va stimuler le système cognitif inconscient de gratification. Le maintien du comportement dépend non seulement de la valeur gratifiante inconsciente de la cigarette mais aussi de processus cognitifs conscients (Dom, 2007). Fumer et savoir que ce comportement implique un danger pour sa santé génère une dissonance cognitive et donc un inconfort mental que le fumeur va devoir gérer. Deux solutions s’offrent alors à lui : l’une consiste à modifier son comportement, c’est-à-dire à arrêter de fumer, alors que l’autre consiste à mettre en place des stratégies cognitives de défense de type dénégation, rationalisation, minimisation, déni, oubli etc. Celles-ci mènent à des «erreurs» dans la perception des risques. Les fumeurs ont, en effet, tendance à sousestimer et/ou à oublier les risques associés au comportement tabagique. Ils ont tendance à se percevoir comme moins susceptibles d’y être confrontés que d’autres. Ceci leur permet de maintenir le comportement à risque et de ne percevoir que les aspects positifs attribués à la cigarette (faire passer le temps, gérer le stress, s’offrir un moment de plaisir, se stimuler intellectuellement, etc.). L’usage fréquent et chronique du tabac va avoir un impact sur le fonctionnement du système cognitif conscient qui va bloquer les processus motivationnels inducteurs de changement et d’auto-contrôle (Dom, 2007). En mettant à mal ces processus motivationnels, le système cognitif conscient va réduire la possibilité de mettre un terme au comportement tabagique. Ces données, loin d’être culpabilisantes, permettent au fumeur de se sentir reconnu dans ses difficultés à arrêter de fumer.
CONCEPT DE CHANGEMENT
Plusieurs auteurs ont développé des théories et des modèles dans le but d’expliquer comment les personnes modifient leurs comportements. L’un des modèles le plus utilisé dans le domaine de la dépendance est le modèle transthéorique du changement de Prochaska et Diclemente.
Ce modèle postule l’existence de cinq stades de changement par lesquels passent habituellement les sujets aux prises avec un comportement induisant une dépendance. Ces stades sont la précontemplation, la contemplation, la préparation (ou prise de décision), l’action et la consolidation (ou maintien). Ils reflètent le degré d’intérêt et de motivation du sujet à modifier son comportement actuel (Prochaska, Diclemente et coll., 1992; Rossignol, 2001; Velicer, Prochaska et coll., 1998).
Au stade de «la précontemplation», le sujet ne considère pas avoir un problème de consommation, ou le considère sans importance. Il n’envisage pas le changement. Au stade de « la contemplation », le sujet reconnaît l’existence d’un problème de consommation. Il est ambivalent : il commence à percevoir les aspects positifs d’un changement mais est réticent à abandonner les avantages liés à son comportement. Il envisage l’idée d’un changement mais la repousse dans le futur (dans les six prochains mois). Il peut rester à ce stade durant de longues périodes lorsqu’il est en proie à une profonde ambivalence. Au stade de « la préparation », le sujet commence à planifier un changement. Il examine les solutions disponibles. Il perçoit plus d’inconvénients liés à son comportement que d’avantages. Il a l’intention de modifier son comportement dans un futur proche (dans les 30 prochains jours). Généralement, il a déjà essayé d’agir sans succès durant l’année écoulée. Le stade de « l’action » correspond à la mise en route du changement de comportement. Le sujet est alors abstinent et ce depuis 1 jour à 6 mois. L’action requiert beaucoup de temps et d’énergie de la part du sujet. Il s’agit de la partie la plus visible du processus de changement. C’est au cours de ce stade que le sujet court le plus grand risque de rechuter. Le stade du « maintien » débute 6 mois après l’action initiale, c’est-à-dire l’arrêt du comportement. Le sujet doit résister aux diverses tentations de retour au comportement. Durant le stade du maintien, il s’efforce donc d’éviter la rechute et de consolider les bénéfices acquis durant le stade de l’action.
Selon ce modèle, il est normal qu’un sujet rechute et il est fréquent qu’il doive s’y reprendre à plusieurs reprises (cinq à six fois) avant de mettre définitivement un terme au comportement problématique (Rossignol, 2001). La rechute est donc la règle plutôt que l’exception. À l’occasion de la rechute, le sujet régresse à un stade antérieur au changement. Notons qu’il peut régresser à n’importe quel stade antérieur. Cependant, la plupart des fumeurs ayant rechuté (85 %) reviennent au stade de contemplation ou de préparation (Prochaska et Diclemente, 1984). Le modèle des stades du changement considère que le sujet qui rechute ne revient pas à son point de départ mais qu’il tire un bénéfice de sa tentative d’arrêt. Chaque nouveau passage au travers des stades du changement offre de nouvelles expériences qui permettent au sujet d’apprendre à surmonter quelquefois définitivement les obstacles. La progression au travers des stades de changement s’illustre ainsi plutôt par une progression en spirale que par une progression linéaire ou circulaire.
Contrairement à d’autres paradigmes couramment utilisés dans le domaine de la dépendance, ce modèle prend en compte la potentielle chronicité des comportements de dépendance et la fréquente nature non linéaire de la «guérison» (Peteet, Brenner et coll., 1998). Il conçoit le changement comme un processus qui nécessite du temps. Le changement ne se limite donc pas à l’arrêt du comportement. Cependant, les professionnels de la santé se focalisent souvent sur l’action en tant que telle (l’arrêt), l’assimilant au changement. Or l’action n’est que l’une des cinq étapes du changement. Ils ont dès lors tendance à négliger le travail indispensable de préparation à l’action et l’importance des efforts nécessaires au maintien du changement suite à l’action.