29: TRAITEMENT DE LA MUCOVISCIDOSE

CHAPITRE 29 TRAITEMENT DE LA MUCOVISCIDOSE








PHYSIOPATHOLOGIE


La MV se transmet selon le mode autosomique récessif et affecte les deux sexes. Identifié en 1989, le gène CFTR responsable de la MV se situe sur le bras long du chromosome 7 (région q31-q32) [2]. CFTR code une protéine de 1 480 acides aminés, dont la fonction principale est celle d’un canal chlorures bidirectionnel AMPc dépendant. CFTR est exprimée au pôle apical de nombreux types cellulaires d’épithélium sécréteur (respiratoire, pancréatique, digestif, épidydimaire …), où il est un acteur incontournable de la régulation de l’hydratation et de la rhéologie des sécrétions. Il en contrôle directement les mouvements de chlorures, et indirectement ceux du sodium et de l’eau [3]. Au niveau respiratoire, l’absence de protéine CFTR fonctionnelle entraîne une diminution de la sécrétion d’ions chlorures, et une augmentation de l’absorption de sodium et d’eau (figure 29.1). Le mucus péricilaire est déshydraté ; trop épais et visqueux il altère le bon fonctionnement de l’escalator muco-ciliaire. L’obstruction favorise la stase des sécrétions et leur infection, celle-ci exagère l’inflammation locale qui aggrave l’obstruction. Très rapidement, s’instaure un cercle vicieux liant ces trois phénomènes (obstruction-infection-inflammation), qui restent, encore actuellement, la cible thérapeutique des traitements symptomatiques disponibles (figure 29.2).




Depuis la découverte du gène, plus de 1 500 mutations de CFTR ont été rapportées. On en distingue cinq classes en fonction de leur répercussion sur le fonctionnement de la protéine [4] (figure 29.3). Les mutations de classe I à III se caractérisent par l’absence complète de protéine CFTR fonctionnelle au pôle apical des cellules et sont répertoriés comme « sévères », sans qu’il soit toutefois possible en clinique d’établir de corrélations génotype-phénotype. La mutation la plus fréquente (F508del ou ΔF508) est retrouvée chez 70 % des patients à l’état hétérozygote, chez 50 % à l’état homozygote. Depuis plusieurs années, un intérêt particulier est porté aux thérapies protéiques qui visent à restaurer directement et selon le type de mutations l’expression et le bon fonctionnement de CFTR [5]. Récemment, des résultats très encourageants ont été obtenus avec l’ivafactor (VX-770) chez les patients porteurs d’au moins une mutation G551D [6]. À moyen terme, un certain nombre de ces molécules devrait être disponible pour les patients, ouvrant la voie aux thérapeutiques curatives.




ASPECTS CLINIQUE ET SÉMÉIOLOGIQUE





« Autres » manifestations et manifestations « tardives »


De nombreux autres systèmes peuvent être atteints au cours de la MV, réalisant parfois des atteintes isolées, sortes de manifestations monosymptomatiques de la maladie regroupées sous le vocable de « CFTRopathie » [8]. La sphère ORL est le siège constant d’une pansinusite plus ou moins invalidante. Des polypes rhinosinusiens affectent 15 à 30 % des patients. Si la fertilité des patientes en bon état général n’est pas compromise, celle des hommes est constamment affectée (azoospermie excrétoire par agénésie bilatérale des canaux déférents). Avec l’amélioration de la prise en charge et l’allongement de la médiane de vie des patients, la prévalence des complications tardives augmente. Ainsi, le diabète affecte 10 % des patients à l’âge de 10 ans et 30 % à l’âge de 30 ans [1]. L’ostéopénie et l’ostéoporose sont également fréquentes, affectant 25 % des patients environ [9].



MÉCANISME D’ACTION




Ibuprofène [10]


L’ibuprofène est un anti-inflammatoire non stéroïdien dont l’effet bénéfique sur le ralentissement du déclin de la fonction respiratoire a été établi à forte dose (10 fois supérieure aux doses usuelles) [10]. À ces doses, son utilisation nécessite une surveillance sérique du principe actif. Malgré l’absence de complications digestives (hémorragies digestives) ou rénales (insuffisance rénale) surreprésentées, le traitement prolongé par ibuprofène est responsable de douleurs abdominales fréquentes pouvant conduire à l’arrêt du traitement. Le nombre de patients traités par ibuprofène semble de ce fait diminuer et actuellement moins de 5 % des patients aux États-Unis prennent régulièrement ce traitement.



Azithromycine [10]


Les macrolides sont des antibiotiques principalement utilisés pour leur action antibactérienne vis-à-vis des germes intracellulaires. L’azithromycine, mais aussi la clarithromycine et l’ensemble des macrolides présentent également, à des doses sub-inhibitrices, des propriétés anti-inflammatoires. Les premières observations du bénéfice clinique des macrolides ont été faites lors de leur utilisation dans la panbronchiolite japonaise, qui partage un certain nombre de point commun avec la mucoviscidose (sinusite chronique, colonisation par des souches mucoïdes de P. aeruginosa et bronchectasies). Par la suite, plus d’une dizaine d’essais cliniques ont pu montrer l’intérêt de l’utilisation prolongée de l’azithromycine à des doses sub-inhibitrices au cours de la mucoviscidose. Un effet particulièrement net a pu être mis en évidence sur la réduction du nombre d’exacerbations respiratoires chez les patients, quelle que soit la nature des germes par lesquels ils sont colonisés.


In vitro, les macrolides possèdent un certain nombre de propriétés anti-inflammatoires telles que : (1) l’inhibition du chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles, (2) la diminution de la libération de l’élastase par les neutrophiles et (3), la diminution de la production de cytokines pro-inflammatoires IL-1β, IL-6, IL-8, et TNF-α. Par ailleurs, ils réduiraient la viscosité du mucus et l’adhérence de P. aeruginosa, et augmenteraient la destruction des souches mucoïdes, par un mécanisme de rupture de l’intégrité du biofilm et de frein à la transformation des souches non mucoïdes en souches mucoïdes non virulentes.




CRITÈRES DE CHOIX ET OBJECTIFS THÉRAPEUTIQUES – CLASSIFICATION DES MÉDICAMENTS UTILISABLES


Encore actuellement, les traitements de la mucoviscidose sont surtout symptomatiques. Au niveau pulmonaire, ils visent à ralentir le déclin de la fonction respiratoire, à limiter l’installation de dégâts structuraux irréversibles (dilatation des bronches) en contrant la triade « obstruction-inflammation-infection ». Au niveau digestif et nutritionnel, la prise en charge a pour objectif principal de prévenir la dénutrition dont le rôle néfaste sur l’évolution respiratoire est établi depuis de nombreuses années.


La plupart de ces prises en charge et les critères de choix thérapeutiques répondent à des recommandations nationales [11, 12] ou internationales européennes ou américaines. Il faut distinguer ce qui relève de la prise en charge de l’exacerbation [13], des traitements respiratoires de long cours [14, 15], des recommandations nutritionnelles spécifiques [16, 17], ou de recommandations générales destinées à la prise en charge de patients adultes ou de nourrissons dépistés [18, 19].


Certaines des thérapeutiques actuellement utilisées pour la prise en charge des patients atteints de mucoviscidose n’ont pas de caractère spécifique, et font l’objet de description approfondie dans d’autres chapitres (pathologie respiratoire, pathologie gastro-intestinale, pathologie hépatique et maladies infectieuses). Ne seront traités dans ce chapitre que les molécules, les modes de prescription et d’utilisation spécifiques à cette pathologie et à sa prise en charge.



Prise en charge des manifestations respiratoires aiguës (les exacerbations)


Les exacerbations de la maladie respiratoire émaillent l’histoire de la maladie et relève le plus souvent d’une antibiothérapie orale ou intraveineuse, le choix des molécules et de la voie d’administration dépendant de la nature des germes présents dans les expectorations, de leur sensibilité aux antibiotiques, mais aussi de l’efficacité clinique des traitements antibiotiques antérieures.


Il faut distinguer les prises en charge des exacerbations selon que les patients sont ou non colonisés par Pseudomonas aeruginosa (PA).



Avant apparition de PA dans les sécrétions (tableaux 29.1 et 29.2)


Les antibiothérapies cibleront les germes les plus souvent rencontrés dans cette situation, à savoir Staphylococcus aureus méticilline-sensible (SAMS) ou résistant (SAMR) associés ou non à la présence d’Haemophilus influenzae (HI). L’efficacité des traitements est essentiellement évaluée sur des critères cliniques et/ou fonctionnels, rarement microbiologiques.





Infection à SAMS


SAMS est sensible à de nombreux antibiotiques (tableau 29.1). À l’exception de l’acide fucidique et de la rifampicine, une monothérapie par voie orale, aux doses maximales est suffisante à traiter une exacerbation à SAMS. En première intention, une bêtalactamine sera choisie et prescrite pour une durée d’au moins 14 jours, en association ou non à l’acide fucidique. L’utilisation trop fréquente de céphalosporines à large spectre sera limitée autant que possible, du fait du sur-risque décrit d’apparition de PA.


En cas d’allergie prouvée aux bêtalactamines, un traitement par acide fucidique-rifampicine, cotrimoxazole, pristinamycine ou minocycline (pour les plus de 8 ans) pourra être utilisée.


En cas de co-infection par HI, un traitement par amoxicilline-acide clavulanique sera proposé.





Après l’apparition de PA dans les sécrétions (tableaux 29.3 à 29.5)



Primocolonisation par PA


La primocolonisation par PA (c’est-à-dire la première détection de PA dans les sécrétions) nécessite une prise en charge thérapeutique agressive dont l’objectif est l’éradication prolongée du germe dans le but de retarder au maximum le passage à la chronicité. Elle nécessite au minimum une anti-biothérapie inhalée avec de la colymicine ou de la tobramycine. Certaines équipes y ont adjoint l’utilisation d’une anti-biothérapie anti-pyocyanique orale (fluroquinolones, sans limite d’âge) ou intraveineuse d’emblée. Le consensus français préconise la prescription d’une biantibiothérapie parentérale de 14 à 21 jours suivie ou non d’aérosol de colymicine pour une durée de 3 à 6 mois [12], alors que le consensus nord-américain recommande l’utilisation de la tobramycine inhalée pendant i mois [13]. Des études cliniques réalisées après la conférence de consensus française indiquent qu’en première intention l’antibiothérapie inhalée avec de la tobramycine pendant 1 mois est le plus souvent suffisante. Le traitement antibiotique oral ou intraveineux peut se justifier par la présence de symptômes cliniques associés (qui définissent la primo-infection), l’absence d’éradication de PA ou la recolonisation précoces (dans l’année).








Autres traitements pour la prise en charge respiratoire de long cours (hors exacerbations)


Les objectifs de ces traitements sont de prévenir la stase bronchique grâce à la fluidification des sécrétions bronchiques (couplée à la kinésithérapie respiratoire et à l’exercice physique) ; à prévenir la survenue des exacerbations et à prendre en charge les manifestations associées ou des complications liées à l’évolution de la maladie telles que l’hyperréactivité bronchique ou l’insuffisance respiratoire, qui nécessitent des traitements spécifiques.





Fluidifiants


Du fait des caractéristiques des sécrétions bronchiques (trop épaisses, trop visqueuses), la place des fluidifiants bronchiques administrés par aérosol reste importante dans la prise en charge des patients, sans être pour autant systématique.


Deux molécules font l’objet de recommandations : la dornase alpha et le sérum salé hypertonique à 6 ou 7 %.



Dornase alpha (désoxyribonucléase humaine recombinante, rhDNAse, Pulmozyme,)

La désoxyribonucléase humaine recombinante (rhDNAse ou dornase alpha ou Pulmozyme) est disponible pour les patients depuis le début des années 1990 [21]. Elle a pour mécanisme d’action la fluidification des sécrétions bronchiques contenant des quantités importantes d’ADN extracellulaire (provenant des polynucléaires neutrophiles, d’ADN bactériens). Utilisé une fois par jour avec un matériel d’aérosolthérapie adaptée, les nébulisations de Pulmozyme diminuent la fréquence des exacerbations et ralentissent le déclin de la fonction respiratoire. Selon les recommandations nord-américaines, son utilisation est recommandée pour les patients dès l’âge de 6 ans ayant des formes légères (même asymptomatiques), modérées ou sévères de la maladie [14]. Le consensus français la recommande à partir de l’âge de 5 ans, pour des patients ayant une capacité vitale forcée d’au moins 40 % [12].




Traitements à visée anti-inflammatoire



Corticoïdes

Cette catégorie de molécules est largement utilisée chez les patients atteints de MV. Par voie orale ou intraveineuse, sur de courte durée, elles peuvent être utilisées à la posologie de 1 à 2 mg/kg/j en addition aux traitements antibiotiques prescrits pour des exacerbations sévères ou pour lesquelles la récupération clinique ou fonctionnelle est jugée insuffisante [12]. Sur des durées plus longues, en dehors d’indication spécifique (aspergillose broncho-pulmonaire allergique), elles n’ont pas leur place dans la prise en charge [12, 13]. Par voie inhalée, les corticoïdes sont indiqués pour le contrôle des manifestations d’hyperréactivité bronchique ou d’asthme fréquemment associées à la maladie. En dehors de ces indications, ces traitements utilisés sur le long cours, n’ont pas démontré d’efficacité à ralentir le déclin de la fonction respiratoire [24]. L’utilisation des bronchodilatateurs peut également être utile au contrôle des manifestations asthmatiques associées. Enfin, localement, les corticoïdes représentent la première ligne du traitement des manifestations rhinosinusiennes (polypose), à des posologies souvent 2 à 3 fois plus élevées (300 à 400 μg/j) que les doses habituellement utilisées. Le lecteur est renvoyé aux chapitres spécifiques pour plus de renseignements sur les différentes spécialités disponibles, leur présentation et voie d’administration.

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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 29: TRAITEMENT DE LA MUCOVISCIDOSE

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