29 Mécanismes cellulaires et moléculaires de la mise en place des axes corporels durant l’embryogenèse
Le corps humain présente une géométrie particulière, puisqu’on peut y définir deux axes de polarité perpendiculaires l’un à l’autre (fig. 29.1A) : un axe dorsoventral (flèches oranges) et un axe céphalocaudal ou antéropostérieur (flèches rouges).
Un corollaire à l’existence de ces deux axes est que le corps humain présente un plan de symétrie bilatérale, qui le sépare en deux moitiés droite et gauche symétriques (flèches bleues, fig. 29.1B). Par définition, tout animal possédant un plan de symétrie bilatérale est dit bilatérien : l’homme est donc un animal bilatérien.
La très grande majorité des animaux actuellement vivants sont également bilatériens (comme le chat de la fig. 29.1A). C’est le cas de tous les animaux vertébrés, et aussi de très nombreux invertébrés. Mais il existe des groupes d’animaux présentant une organisation corporelle à symétrie radiaire, comme les Cnidaires, dont font partie par exemple les méduses.
I Mise en place des axes corporels lors de l’embryogenèse chez le Xénope
A Vue générale du développement du Xénope (fig. 29.2)
L’embryogenèse précoce se décompose en plusieurs phases :
• segmentation : pendant la segmentation, les divisions cellulaires se succèdent pour donner un embryon comportant 7000 à 9000 cellules au stade blastula sans modification de l’organisation générale ;
• gastrulation : les divisions cellulaires se poursuivent plus lentement. Des mouvements cellulaires complexes aboutissent à la formation de trois feuillets fondamentaux, emboîtés l’un dans l’autre : endoderme (feuillet interne), mésoderme (feuillet médian), ectoderme (feuillet externe). Les organismes bilatériens ont tous une organisation fondamentale en trois feuillets. On dit qu’ils sont triploblastiques ;
• neurulation : les mouvements cellulaires se poursuivent, achevant la formation et l’emboîtement des trois feuillets fondamentaux et permettant la formation du tube neural, ébauche du système nerveux de l’embryon ;
• organogenèse : à partir du stade du bourgeon caudal, l’embryon s’allonge et les ébauches d’organes se forment à partir des trois feuillets fondamentaux.
Chez les Amphibiens, le jeune éclôt sous la forme d’une larve morphologiquement différente de l’adulte. Cette larve subit une métamorphose, ensemble de modifications morphologiques et physiologiques importantes, pour parvenir au stade adulte environ 2 mois plus tard.
B Particularités de l’ovogenèse chez le Xénope
La maturation de l’ovocyte conditionne le déroulement des premières étapes de l’embryogenèse.
1 Chronologie de l’ovogenèse et phase d’accroissement
Un ovaire de Xénope contient des ovocytes à différents stades de leur maturation et des nids d’ovogonies quiescentes qui subsistent en permanence. Après chaque ponte, les ovogonies se multiplient puis une partie s’engage en méiose (fig. 29.3). Après la phase S, la prophase de première division de méiose débute puis s’arrête au stade diplotène. Commence alors une phase d’accroissement du volume de l’ovocyte, qui dure 3 ans. Le diamètre de l’ovocyte augmente, d’environ 20 micromètres initialement jusqu’à 2 mm. Cette augmentation du volume de l’ovocyte est due à la synthèse massive de macromolécules biologiques qui sont stockées dans le cytoplasme de l’œuf :
• synthèse d’ADN : la multiplication des mitochondries entraîne une synthèse d’ADN mitochondrial. Certaines zones du génome nucléaire, codant les ARN ribosomiques, sont également amplifiées ;
• accumulation de vitellus : le vitellus est une substance de réserve composée de glucides, lipides et phospholipides complexés à des protéines, qui s’organise en plaquettes cristallines entourées d’une bicouche lipidique.
Vu de l’extérieur (fig. 29.4A), l’ovocyte de Xénope est une cellule sphérique qui présente un hémisphère pigmenté de brun-noir. Cette pigmentation de l’ovocyte permet de repérer son orientation et plus tard celle de l’œuf. Au sommet de l’hémisphère pigmenté, une tache claire, la tache de maturation, correspond à la zone d’émission du premier globule polaire. Par convention, ce pôle est appelé pôle animal (PA) et l’hémisphère pigmenté est l’hémisphère animal. L’autre hémisphère, appelé hémisphère végétatif, est plus pâle. Le pôle opposé au pôle animal est appelé pôle végétatif (PV).
Fig. 29.4 Organisation de l’ovocyte de Xénope.
Source : (C) Biologie et Multimédia – université Pierre et Marie Curie, UFR des Sciences de la Vie (www.snv.jussieu.fr).
Une vue en coupe (fig. 29.4B) montre que le pigment brun-noir de l’hémisphère animal est concentré sous la membrane plasmique, dans une zone étroite appelée zone corticale. Le reste du cytoplasme est blanchâtre. L’ovocyte et le premier globule polaire sont entourés d’une membrane vitelline, étroitement accolée à la membrane plasmique avant la fécondation.
Des molécules importantes pour la définition des axes corporels de l’embryon, souvent appelées « déterminants maternels », sont stockées dans l’ovocyte. Quatre types de molécules en particulier sont concentrés au pôle végétatif de l’ovocyte (fig. 29.4C) : la protéine Disheveled (Dsh) et des ARNm codant les protéines Vg1, VegT et Wnt11.
C Fécondation et rotation de symétrisation (fig. 29.5)
Fig. 29.5 Rotation de symétrisation.
A. Vue externe. Le point de piqûre spermatique est symbolisé par un spermatozoïde.
B. Vue en coupe et expérience de marquage cytoplasmique.
1 Description de la rotation de symétrisation
Si l’œuf est maintenu immobile, on observe un mouvement de bascule des pigments du pôle animal, d’une amplitude d’environ 30 °C vers la piqûre spermatique : c’est la rotation de symétrisation ou rotation corticale (fig. 29.5A). Une partie des pigments corticaux reste à la traîne et forme un croissant de pigmentation intermédiaire, appelé croissant gris. Ce croissant gris est un repère important au stade une cellule car il marque la future région dorsale de l’embryon. Le plan de coupe passant à la fois par la piqûre spermatique et par le milieu du croissant gris (ici le plan du papier) sera le plan de symétrie bilatérale de la future larve.
Une vue en coupe (fig. 29.5B) montre que la couche de pigments corticaux bascule de 30 °C. En déposant un colorant rouge dans la zone corticale du pôle végétatif, on peut montrer que l’ensemble du cytoplasme cortical se déplace : après la rotation, la marque rouge s’est déplacée de 30 °C. Le cytoplasme profond et le vitellus ne se déplacent pas : un colorant bleu marquant le vitellus reste à la même place après la rotation.
2 Conséquences de la rotation de symétrisation
Le rôle de cette rotation de symétrisation est indiqué par une expérience d’inhibition (fig. 29.6) : en exposant le pôle végétatif d’œufs au stade une cellule à un rayonnement ultraviolet, on provoque la dépolymérisation des microtubules corticaux et on empêche la rotation de symétrisation. Les œufs sont ensuite cultivés dans des conditions permettant un développement normal. Alors qu’un lot témoin d’œufs non irradiés se développe en larves normales, les œufs irradiés forment au même âge un massif cellulaire ovoïde, appelé belly piece (bedaine en français). L’analyse des tissus montre la présence de cellules appartenant aux trois feuillets (ecto-, méso-, endoderme) mais on ne trouve aucune des structures dorsales d’une larve normale : pas de rachis (colonne vertébrale), pas de muscles striés, pas de cerveau ni de moelle épinière. De plus, l’axe antéropostérieur est très raccourci. Les axes dorsoventral et antéropostérieur sont donc sévèrement perturbés.
Fig. 29.6 Expérience d’inhibition de la rotation corticale.
(UV : rayonnement ultraviolet)
Reprinted from Developmental Cell, vol. 8, 401–411, March, 2005.
La rotation de symétrisation est donc un événement important pour la mise en place des axes corporels et du plan de symétrie bilatérale de l’embryon. Elle déplace certains déterminants maternels de l’axe dorsoventral du pôle végétatif vers la future zone dorsale de l’œuf, où ils seront activés (fig. 29.5C). Ce sont notamment des éléments de la voie de signalisation Wnt (fig. 29.7) : l’ARNm codant la protéine Wnt11, ainsi que la protéine Disheveled (Dsh). Les ARNm codant les protéines Vg1 et VegT, eux, ne sont pas déplacés.
D Segmentation
1 Description (fig. 29.8A)
Le premier plan de clivage passe par l’axe PA–PV. Il divise l’œuf en deux cellules de même taille, appelées blastomères (fig. 29.8A-b). Le deuxième plan passe aussi par l’axe PA–PV, tout en étant perpendiculaire au premier (fig. 29.8A-c). Le troisième plan est perpendiculaire aux deux précédents et passe au-dessus de l’équateur de l’œuf. Il sépare huit cellules inégales : quatre micromères dans l’hémisphère animal, quatre macromères dans l’hémisphère végétatif (fig. 29.8A-d).
Fig. 29.8 Segmentation.
A. Déroulement de la segmentation.
B. Devenir des déterminants maternels durant la segmentation.
C. Territoires présomptifs à la fin de la segmentation. V : région ventrale, D : région dorsale.
Les divisions se poursuivent ensuite selon une alternance de plans perpendiculaires l’un à l’autre, en perdant progressivement leur synchronisme (fig. 29.8A-e-h). Le cycle cellulaire est réduit à deux phases : phase S et mitose. Jusqu’à un stade avancé de la segmentation, le génome de l’œuf ne s’exprime donc pas, d’où l’importance des réserves de ribosomes, d’ARN et de protéines accumulées durant l’ovogenèse.
On parle de stade morula lorsque l’œuf est constitué d’une masse compacte de cellules évoquant une petite mûre (fig. 29.8A-f). Au cours de la segmentation, une cavité appelée blastocèle se creuse dans l’hémisphère animal. L’œuf devient une blastula (fig. 29.8A-h).