CHAPITRE 24 TRAITEMENT DES ANOMALIES DE LA COAGULATION
Sont présentées dans ce chapitre les altérations de l’hémostase pouvant être responsables d’un syndrome hémorragique clinique, à l’exclusion des maladies de la paroi vasculaire et des pathologies plaquettaires.
– constitutionnelle : hémophilies A et B, maladie de von Willebrand, etc. Elle concerne habituellement un seul facteur de la coagulation. Toutefois, chaque facteur peut être concerné ;
– acquise : avitaminose K, défaut de production par insuffisance hépatique, anticoagulants circulants, excès de consommation (prise en charge thérapeutique non abordé dans ce chapitre), etc. Elles concernent le plus souvent plusieurs facteurs de la coagulation. Toutefois, on peut observer des déficits isolés.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Anomalies de la coagulation d’origine constitutionnelle
Il y a environ 5 000 hémophiles en France [1]. L’hémophilie est une maladie génétique qui touche principalement les hommes. L’incidence de l’hémophilie A par déficit en facteur VIII est de 1 pour 5 000 naissances d’enfants de sexe masculin. Elle représente 80 à 85 % des cas. L’hémophilie B par déficit en facteur IX ne représente que 15 à 20 % des cas.
La maladie de Willebrand est l’anomalie constitutionnelle de l’hémostase la plus fréquente, sa prévalence est de près de 1 % [1]. Elle est toutefois difficile à estimer en raison du très grand nombre de formes frustres et par conséquent méconnues. Cette maladie touche indifféremment les garçons et les filles.
La prévalence des autres anomalies de la coagulation d’origine constitutionnelle est plus rare : 1 cas pour 100 000 individus pour le déficit en facteur XI, 1 cas pour 500 000 individus pour le déficit en facteur VII, 1 cas pour 1 million d’individus pour les déficits en facteur V ou X, 1 cas pour 2 millions d’individus pour le déficit en facteur II, et 1 cas pour 3 millions d’individus pour le déficit en facteur XIII. La prévalence d’un déficit en fibrinogène est difficile à évaluer ; elle est estimée à 1 cas pour 1 million d’individus pour les afibrinogénémies [2].
Anomalies de la coagulation d’origine acquise
Environ 600 000 patients sont traités par un médicament antivitamine K (AVK) en France chaque année (soit environ 1 % de la population). Les accidents hémorragiques des AVK sont au premier rang des accidents iatrogènes [3].
L’incidence de l’hémophilie acquise n’est pas connue avec précision mais elle estimé à 1 cas pour 1 à 4 millions d’individus [2].
GÉNÉRALITÉS
Hémostase et coagulation
L’hémostase regroupe les différents processus permettant l’arrêt spontané des saignements liés à la rupture de la paroi d’un vaisseau sanguin [4]. L’hémostase comprend classiquement trois étapes qui sont en fait étroitement intriquées :
– l’hémostase primaire, comportant deux temps, un temps vasculaire (vasoconstriction) et un temps plaquettaire (formation du clou plaquettaire) ;
– la coagulation plasmatique, aboutissant à la formation d’un caillot de fibrine insoluble ;
– la fibrinolyse, permettant la dissolution du caillot de fibrine lorsque la plaie est cicatrisée.
PHYSIOPATHOLOGIE
Anomalies de la coagulation d’origine constitutionnelle
Hémophilies A et B
On distingue trois types d’hémophilie en fonction de l’importance du déficit en FVIII ou FIX : sévère, modérée, mineure (tableau 24.1) [1]. La sévérité clinique (sévère, modérée et mineure) est, en principe, parallèle à la sévérité du déficit biologique. La profondeur du déficit biologique ne varie pas au cours de la vie (sauf en cas de déficit en facteur IX corrigé à l’adolescence) et est identique chez tous les membres d’une même famille. Certaines conductrices de l’hémophilie peuvent avoir un taux de FVIII ou FIX nettement inférieur à 50 % ; elles se comportent alors sur le plan du risque hémorragique comme les hémophiles mineurs.
Complications : apparition d’un anticorps anticoagulant circulant
Le traitement substitutif pose un problème majeur qui est le risque d’apparition d’anticorps inhibiteurs du facteur VIII ou IX au cours de l’hémophilie A ou B. Chez 25 à 30 % des hémophiles A sévères, le facteur VIII perfusé induit une réponse immune et la formation d’alloanticorps anti-VIII. Ces anticorps neutralisants (ACC : anticoagulants circulants) entraînent une inefficacité ou une diminution de l’effet thérapeutique et aggrave le pronostic vital ou fonctionnel. Cette complication rend nécessaire une surveillance biologique régulière par détection de l’ACC toutes les 5 à 10 injections de facteurs antihémophiliques durant les dix premières années de la vie ou les 100 premières perfusions. Des anticorps peuvent apparaître de façon moins fréquente chez les hémophiles modérés. Le risque d’anticorps anti-facteur IX est moindre, 2 à 3 % dans les formes sévères. On distingue classiquement les forts répondeurs (avec taux d’anticoagulant circulant supérieur à 5 unités Bethesda) et les faibles répondeurs (avec taux d’anticoagulant circulant constamment inférieur à 5 unités Bethesda).
Maladie de von Willebrand
La maladie de von Willebrand est un dysfonctionnement de l’hémostase primaire et de la coagulation, lié à une anomalie qualitative ou quantitative du facteur de Willebrand [2]. Il s’agit d’une maladie héréditaire par transmission autosomique dominante ou récessive suivant le type. Elle touche les deux sexes. Il en existe trois variétés, fonction du type de déficit : quantitatif partiel (type 1, dans 70 à 80 % des cas), qualitatif (type 2A, 2B, 2M, 2N), quantitatif total (type 3) [1]. L’intensité de la maladie de von Willebrand peut différer d’un sujet à l’autre dans la même famille.
Autres déficits
– déficit en facteur VII ou proconvertine :
– déficit constitutionnel en facteur II ou prothrombine ;
– déficit constitutionnel en facteur X de la coagulation, ou facteur Stuart (les déficits sévères sont exceptionnels) ;
– déficit en facteur XI ou rosenthal ;
– déficit en facteur I ou en fibrinogène : ils sont de plusieurs types :
Anomalies de la coagulation d’origine acquise
Avitaminoses K
– Carence d’apport : antibiothérapie à large spectre prolongée (destruction de la flore intestinale réalisant la synthèse de la vitamine K) ; alimentation parentérale exclusive non supplémentée en vitamine K ; prévention des hypoprothrombinémies des nouveau-nés dont les mères sont traitées pendant la grossesse par des inducteurs enzymatiques (certains antiépileptiques ou certains antituberculeux).
– Carence de résorption digestive : obstructions, fistules biliaires ; atrésie des voies biliaires du nourrisson et du jeune enfant ; syndrome de malabsorption (résection intestinale étendue, mucoviscidose, colite ulcéreuse, maladie de Crohn, dysenterie).
DIAGNOSTIC
– numération plaquettaire, temps de saignement (TS) ou exploration de la fonction plaquettaire par PFA 100 pour l’hémostase primaire ;
– temps de céphaline activé (TCA), taux de prothrombine (TP), temps de thrombine, fibrine pour la coagulation (Bierme 1988).
L’allongement de l’un ou plusieurs de ces tests oriente vers une étude analytique des différents facteurs de la coagulation. Un déficit congénital est le plus souvent isolé, tandis que les déficits acquis sont le plus souvent multiples [5].
– En cas de TCA élevé – La voie endogène est explorée par les dosages du facteur VIII coagulant (VIII : C), de l’antigène Willebrand (FvW : Ag) et de son activité cofacteur de la ristocétine (FvW : Rco), des facteurs IX, XI, XII, et recherche d’un ACC dirigé contre un facteur déficitaire.
– En cas de TP abaissé – La voie exogène est explorée par les dosages des facteurs II, V, VII, X.
Les deux voies sont explorées s’il existe des anomalies au niveau des résultats du TP et du TCA.
Les orientations diagnostiques en fonction des quatre principaux tests (TS, TP, TCA et TT) sont présentées de manière synthétique dans le tableau 24.2.
ASPECTS CLINIQUE ET SÉMÉIOLOGIQUE
Si l’hémorragie est le signe d’appel caractéristique d’un défaut de coagulation, elle peut toutefois revêtir différents aspects plus ou moins spécifiques selon la pathologie [6]. De plus, paradoxalement, un syndrome hémorragique peut être associé à un syndrome thrombotique, par exemple, lors d’une CIVD.
Les caractéristiques du syndrome hémorragique permettent dans certains cas une première orientation diagnostique : atteinte de l’hémostase primaire (défaut plaquettaire) ou atteinte de la coagulation (tableau 24.3). Des accidents hémorragiques différents peuvent être observés au cours d’un déficit congénital ou acquis (tableau 24.4).
Anomalies de l’hémostase primaire (allongement du temps de saignement) | Anomalies de la coagulation (allongement du test de Quick et ou du TCA) | |
---|---|---|
Circonstance de survenue | Spontanée ++ ou immédiat après traumatisme | Retardé après traumatisme, quasi spontanées dans les déficits sévères |
Localisations préférentielles | Tissus superficiels, peau et muqueuses | Tissus profonds, muscles, articulations, rétropéritoine |
Exemples cliniques | Purpura, bulle hémorragiques, ecchymoses, gingivorragies, épistaxis, ménométrorragies | Hémarthroses, hématomes profonds |
Délai d’apparition des symptômes | Immédiat, arrêt après pression locale pendant 15 minutes | Souvent différé (de 3 h à 5 jours pour le FVIII) |
Nombre d’hémorragies | Très nombreuses | Une ou quelques-unes |
Volume de l’hémorragie | Minimes : < 1 à 3 mL | Moyen ou important : 5 mL à plus de 1 L |
Après blessure superficielle | Prolongée, parfois abondante | Minime |
Récidive locale après compression | Non | Oui, en l’absence de traitement spécifique |
Pathologies les plus typiques | Thrombopénie ++, thrombopathie, maladie de Willebrand ++ | Hémophilies ++, hépatopathie |
Remarque : Les patients présentant une hémophilie acquise développent des ecchymoses spontanées étendues à l’emporte pièce [2]. Les hémorragies cutanéo-muqueuses étendues sont habituelles. Certaines complications hémorragiques menacent le pronostic vital : hémorragies intracérébrales, gastrointestinales, etc.
CLASSIFICATION DES MÉDICAMENTS UTILISABLES
Rappel
– de stricts contrôles effectués lors de la sélection des dons par un entretien médical avec les donneurs et la réalisation de tests de dépistage sur chaque don, en particulier pour trois virus pathogènes majeurs : VIH, VHC, VHB ;
– la recherche du matériel génomique de certains virus dont celui du VHC sur les pools de plasma ;
– le procédé d’extraction/purification qui inclut des étapes d’élimination et/ou d’inactivation virale, dont la capacité a été validée pour le VIH, le VHC, le VHB, le parvovirus B19, le VHA, à l’aide de virus modèles.
Le risque de transmission d’agents infectieux ne peut en théorie pas être totalement exclu du moins en ce qui concerne les agents infectieux inconnus ou émergents. Actuellement, le risque de transmission de l’agent de la maladie de Creutzfeld-Jakob (en particulier du nouveau variant ou nvMCJ) demeure un risque théorique.
Anomalies de la coagulation d’origine constitutionnelle
Hémophilies A et B
Hémophilie A ou B sans inhibiteur
– desmopressine, pour les patients hémophiles A mineurs ou modérés et atténués (taux de facteur VIII supérieur à 5 %) ; mais également chez les conductrices d’hémophilie A à risque hémorragique ;
– facteurs VIII de coagulation humain pour les patients hémophiles A ;
– facteurs IX de coagulation humain pour les patients hémophilie B (tableau 24.5).
Hémophilie A ou B avec inhibiteur
Le complexe prothrombinique activé Feiba est indiqué :
– dans le traitement et la prévention des hémorragies et, en situation chirurgicale, déficit constitutionnel en facteur VIII (hémophilie A), chez les patients « forts répondeurs » ayant développé un inhibiteur dirigé contre le facteur VIII ;
– en cas d’échec par le facteur VIIa, traitement et prévention des hémorragies et, en situation chirurgicale, déficit constitutionnel en facteur IX (hémophilie B), chez les patients « forts répondeurs » ayant développé un inhibiteur dirigé contre le facteur IX ;
– dans le traitement des hémorragies et, en situation chirurgicale, chez les patients avec hémophilie acquise par autoanticorps anti-facteur VIII.
– chez les patients ayant une hémophilie congénitale avec inhibiteurs dirigés contre les facteurs de coagulation VIII ou IX de titre > 5 unités Bethesda (UB) ;
– chez les patients ayant une hémophilie congénitale chez lesquels une forte réponse anamnestique à l’administration de facteur VIII ou de facteur IX est prévisible.
Feiba et NovoSeven sont indiqués chez les patients ayant une hémophilie acquise.
Maladie de von Willebrand
La desmopressine est indiquée dans la prévention et le traitement des accidents hémorragiques survenant au cours de la maladie de Willebrand, à l’exception des formes sévères (type 3 ou type 2B) (tableau 24.6).
Deux spécialités à base de facteur von Willebrand, d’origine plasmatique, sont commercialisées (tableau 24.6). Elles sont indiquées quand le traitement seul par la desmopressine (DDAVP) est inefficace ou contre-indiqué. Wilstart est spécifiquement indiqué dans la phase initiale du traitement de la maladie de Willebrand. Wilfactin est indiqué dans le traitement et la prévention des hémorragies, et en situation chirurgicale dans la maladie de Willebrand. Ils ne doivent pas être utilisés dans le traitement de l’hémophilie A.
Autres
Les médicaments indiqués dans le traitement des anomalies de la coagulation d’origine constitutionnelle, autres que les hémophilies A et B et la maladie de von Willebrand sont présentés dans le tableau 24.7.
Déficit en facteur II ou en facteur X – Il n’existe pas de concentré spécifique de FII ou de FX commercialisé en France. En revanche, il existe des complexes prothrombiques humains ou PPSB, comportant les quatre facteurs vitamine-K dépendants : facteur II de coagulation humain, facteur VII de coagulation humain, facteur IX de coagulation humain, facteur X de coagulation humain. La composition quantitative varie en fonction de la spécialité commercialisée (tableau 24.8). Ils sont indiqués dans le traitement des saignements et la prophylaxie péri-opératoire des accidents hémorragiques lors d’un déficit congénital en l’un des facteurs de coagulation vitamine K dépendants II et X, lorsqu’aucun facteur de coagulation spécifique de haute pureté n’est disponible.
– curatif : en cas d’accident hémorragique survenant chez un malade déjà connu ou chez lequel le déficit vient d’être révélé par un bilan d’hémostase ;
– préventif : en cas d’intervention chirurgicale majeure, en particulier lorsqu’une surcharge volémique ne peut être tolérée par le patient, ce qui contre-indique l’utilisation de plasma frais congelé viro-inactivé S/D.
Anomalies de la coagulation d’origine acquise
Le traitement des anomalies de la coagulation d’origine acquise repose sur les traitements substitutifs, la vitamine K1 et/ou les antifibrinolytiques (tableau 24.9).
Traitement substitutif
Le fibrinogène humain Clottafact est indiqué en tant que traitement complémentaire dans la prise en charge d’une hémorragie sévère incontrôlée dans le cadre d’une hypofibrinogénémie acquise telle que :
– augmentation de la consommation du fibrinogène associée à un saignement incontrôlé menaçant le pronostic vital dans les complications obstétricales, en situation chirurgicale ou en traumatologie ;
– altération de la synthèse hépatique du fibrinogène en cas d’insuffisance hépatique sévère ou secondaire à un traitement par la L-asparaginase.
Produits sanguins labiles
– coagulopathies graves de consommation avec effondrement de tous les facteurs de coagulation (exemple : CIVD) ;
– hémorragies aiguës avec déficit global des facteurs de coagulation ;
– déficits complexes rares en facteurs de la coagulation (exemple facteur V), lorsque les concentrés spécifiques ne sont pas disponibles.